LES THEMES DÉCORA TIFS - -__ DES - _ BRODERIES MAROCAINES ================== :z::z PAR -r-:.k..~~---- JEANNE JOUIN , . ~it~ ;' ~} '. - COLLECTION HESPÉRIS ........ ' ::::= . INSTITUT DES HAUTES-ÉTUDES MAROCAINES - N° VII 1!)35 ...... == --' LIBRAIRIE LAROSE, Il, RUE VICTOR-COUSIN, PARIS VE ~ - ~NUrl- t COLLECTION HESPÉRIS 1. CHELLA. - Une Nécropole mérinide, par Henri BASSET et E. LÉVI-PROVENÇAL, in-8 illustré de 16 planches en phototypie et 65 figures. ';, II. DOCUMENTS D'ARCHITECTURE BERBERE, par André PARIS, in-Llo illustré: de 91 figures et planches en couleurs. III. STELES FUNÉRAIRES MAROCAINES, par J. BOURRILLY et E. LAOUST, in-4o illustré de 59 planches. IV. DENTELLES ALGERIENNES ET MAROCAINES, par Prosper RICARD, in-4° illustré de 66 planches en phototypie, en simillgravure et trait. v. SANCTUAIRES ET FORTERESSES, ALMOHADES, par Henri BASSET et Henri TERRASSE, i.n-8 illustré de5? planches en phototypie et 187 figures. . . .. ~ ' VI. L'HABITATION CHEZ LES TRl\NSHUMANTS DU MAROC CENTRAL, pf' E. LAOUST, in-8 illustré de 48 planches et 103 figures. ----+}4~---- LES THÈMES DÉCORA TIFS - -->'~-"""JI--""---- DES - - - - - - - - BRODERIES MAROCAINES -:::::================== PAR -- JEANNE JOUIN _- '----- .......... COLLECTION HESPÉRIS . ~~ '-- INSTITUT DES HAUTES-ETUDES MAROCAINES _ VII JO 1935 - -- ==== LI B RAI RI E LAROSE, Il, RUE VICTOR-CO USI N, PARIS VE ES THÈMES DÉCORATIFS • DES - "--. S3 -_o.r RODERIES MAROCAINES LES THÈMES DF~CORATIFS DES BRODERIES MAROCAINES LEURS CARACTERES ET LEURS ORIGINES PREMIÈRE PARTIE ÉTUDE DU DÉCOR l LA BRODERIE AV MAROC (1) En tous temps et en tous lieux la broderie a été le moyen le plus fré quemment utilisé par la femme pourrehausserleluxedeson costume etde sa demeure; aussi, lorsque le Marocs'ouvrit à nos regards, ne fut-ce point pour nous une surprise de constater qu'un art fameux en Babylone, cher aux.filsdes Hébreuxcommeaux dames grecques et romaines, s'y trouvait représenté (2). Il l'était mêmefort dignement et, aussitôt après l'arrivée des premiers touristes, les rayons des bazars se chargeaient de monceaux de pièces brodées, véritable trésor artistique, si abondant qu'après plus de dix anné'es, il n'est pas encore {.puisé (3). Mais, fait digne de remarque, cet art qui donnait de si beaux fruits n'était pas communément répandu dans le pays: il apparaissait comme le privilège de quelques cités, de cités du Nord Marocain, les plus fortement marquées par l'immigration anda- (1) Qu'ilnoussoit permisd'exprimer ici notre gratitude Il M. H. FOCILLON, Chargé de cours àlaSorbonne,à M.G.MARÇAIS,ProfesseurIllaFacultédesLettresd'Alger,etIl M. H.TERRASSE, Professeurà l'Institut des Hautes Etudes Marocaines, pour le concours qu'ils ont bienvoulu nous accorderdans la préparationde ce travail. (2) M. P. RICARD, Directeurdu Service des Arts indigènes au Maroc, a publié, en 1918,un très bel ouvrage surles broderies marocaines: Artsmarocains, Broderies (Jourdan, Alger, 1918). Ce recueildes motifs employés par les brodeuses marocaines nous a été d'un inappréciable secours. (3) On peut voir de très belles collections de broderies marocaines dans les musées d'art musulmand'Alger, deRabatetde Fez. . 2 J. JOUIN louse: Fez, Tétouan, Rabat-Salé, Meknès et Azemmour. Et seules les trois premières, les trois villes !).iirf.rîa-s (essentiellement citadines), qui ont su garder presqu'intactes les traditions héritées de Grenade et de Cordoue, brodaient encore en 1912 quand nous sommes entrés au Maroc. Ce tableau ne correspond plus à la réalité: aujourd'hui, grâce à la création d'écoles ouvroirs françaises pour les fillettes musulmanes, aux échanges de popu lation enregistrés ces dernières années entre les différents centres du pays, on trouve des brodeuses dans toutes les villes de quelque importance. Les broderies marocaines ne sont pas uniformes; chaque foyer artis tique a donné naissance à un ou deux types, très nettement différenciés par la technique, le coloris, les dessins, bien qu'apparentés par l'esthétique. A chacun de ces types, ,on a donné le nom de son pays d'origine; deux variétés avaient-elles même origine, on a qualifié d'ancienne celle qui ne jouissait plus de la faveur du jour. C'est ainsi que nous distinguerons: la broderie de Rabat, l'ancienne broderie de Rabat, la broderie de Salé, l'an cienne broderie de Salé, la broderie de Tétouan, la broderie de Tétouan- Ché chaouen (1), la broderie de Fez, la broderie de Meknès, la broderie d'Azem maur. A cette liste, nous ajouterons la broderie appelée 'aleuj par les indi gènes, originaire de Fez, mais depuis longtemps déjà délaissée des bro deuses fasiyat. II LES PIÈCES BRODÉES Les Marocaines conçoivent la broderie comme le moyen de donner l,ln aspect agréable à un objet utile: elles ne lui accordent pas cette valeur purement ornementale que lui concèdent tant de populations, telles celles de l'Europe orientale qui garnissent leurs demeures de panneaux de leur ouvrage comme nous garnissons les nôtres de tableaux. Les pièces unique ment décoratives sont rares au Maroc et d'un usage restreint. (1) Sur la foi des marchands s'était accréditée l'opinion que les broderies de ce type pro venaient toutes de Chéchaouen, petite ville située dans la montagne, ft :30 kilomètres au sud de Tétouan.Rn1930,aucoursd'unemissiondontvoulutbienmechargerM. GOTTELAND,Directeur général de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, je me suis rendue à Chéchaouen. Là, avec leconcoursdes autoritésespagnoles,j'aipumerendrecomptequelabroderieditede Chéchaouen taitcomplètementinconnue à Chéchaouen. Parcontre,elle étaitconnue à Tétouanoù plusieurs, familles en possèdent des exemplaires ct oi! il existe encore trois femmes, brodeuses à gages capables del'exécuter. LES THÈMES DÉCORATIFS DES BRODERIES MAROCAINES 3 La longue écharpe de Tétouan,la tensÎja (Pl. IV, fig. 2), ne sort du coffre qu'à l'occasion des mariages où elle joue le rôle de garniture de glace dans la chambre des jeunes époux; pendant la lune de miel)) évaluée « par les Tétouanais à quarante jours, chaque glace s'orne d'une tenSîja proportionnée à sa grandeur. Le 'arÎQ, la classique bande de Tétouan Chéchaouen (Pl. Ill, fig. 2) est suspendue, les jours de grande cérémonie, à la planche étagère qui traverse l'alcôve faisant face au lit. En ces mêmes circonstances, les habitants de Rabat, qui aiment le faste, drapent dans l'embrasure des portes de grands rideaux, très chargés de broderies. A Rabat, comme à Tétouan, toutes les familles n'ont pas en leur possession ces ouvrages de luxe qui servent si rarement; on se les prête entre parents ou entre amis, ou bien on les loue. En dehors des pièces qui viennent d'être énumérées, toutes les broderies marocaines concernent des objets d'un usage courant: garnitures d'ameu blement ou accessoires de la toilette féminine. Les objets d'ameublement dans lesquels intervient la broderie com prennent: l'izâr, pl. izûr, ou rideau de porte, le mesned, pl. msâned, sorte de traversin qui prend place sur le lit; ]a m!Jedda, pl. m!Jâïd (1), oreiller pendant les heures de sommeil, dossier, siège ou accoudoir pendant les heures de veille (les grandes m!Jâïd brodées de Fez sont pourvues en leur milieu d'une bande également brodée dite 1Jèizâm el-m!Jedda, ceinture de la me!Jedda); la gelsa, napperon carré qui marque sur le divan de la chambre de réception les places d'honneur réservées aux hôtes (usitée seulement à Fez) ; le telmfta pl. tlâmet ou garniture de matelas; il ya deux s,ortes de tlâmet: l'un est une grande pièce d'étoffe qui enveloppe le mate là's supérieur du lit, l'autre une longue bande qui recouvre la tranche du matelas inférieur (2). Les pièces brodées se rapportant à l'habillement sont: le merbet, pl. mrâbet (3), bande qui sert à attacher au-dessous du genou les sortes de bas-de-chausses que portent dans la rue les femmes de condition; la (1) L'ameuhlement d'une chamhre comporte un grand nomhre de ml:tâïdjetés ça et la sur ledivanquiencadrela pièce. (2) Il Ya autant de tlâmetque de matelas. (3) Ces has-de-ehausses, tuyaux de cotonnade hlanehe, garnissent la jambe du genou a ln cheville; leurlongueurest d'un mètre au minimum, e'est dire l'effet de plissé tire-1J(lU('hon pro duit. La plupartdes femmes (le Fez ont aujourd'huiadopté les has. 4 J. JOUIN tekka, pl. tkek, ceinture-coulisse du pantalon, le sau, ou voile de bain, le m1)erma, mouchoir, le derra, fichu. Il reste à parler du mendîl, pl. mnâdel; ce terme qui littéralement signi fie «essuie-mains » désigne aussi un «dessus de plateau J), un (1 voile d'en fant ", une «nappe» servant à envelopper les vêtements de rechange de l'élégante qui se rend au l).ammàm ou le « caftan)) que le fiancé envoie à sa fiancée, un petit «tapis »que l'on étend sur les genoux de la mariée pendant l'imposante cérémonie du l).enné (1)... Le mendîl est carré ou rectangulaire et de dimensions très variables suivant ses usages. Les objets qui viennent d'être nommés n'existent pas tous dans chaque type de broderie: ainsi la broderie de Tétouan ne s'applique qu'aux objets d'ameublement; les broderies d'Azemmour se présentent uniquement sous la forme de bandes larges de 10 à 40 cent, longues d'environ deux mètres; ces bandes étaient employées comme devant de matelas, garnitures de rideaux ou de coussins. En fait debroderies deTétouan-Chéchaoueneten dehors du 'arîq.(2),il n'existe que le dessus delit, qui représenteune adap tation secondaire etdécadentedu modèle du 'arÎq.. La brodeuse marocaine ne perd pas de vue que l'objet de son travail a une fin précise. Le décor est un serviteur, non un maître; il ne nuit jamais à la fonction de l'objet et souvent il la sert; massé à la partie inférieure des rideaux, il n'inter cepte pas le jour et assure une meilleure retombée du voile; disposé sUl le pourtour des serviettes, il ne nuit point à leur commodité et renforce la solidité des lisières et des angles; placé aux extrémités des ceintures, il n'entrave pas leur souplesse et donne de la tenue aux pans... mais, sur les dessus et devant de matelas, ne pouvant gêner, il ne craint pas de s'étendre et le jeu de fond est alors le parti-pris adopté. Logique et judi cieux, le décor des broderies marocaines offre cet autre trait: il accuse les formes; c'est ce qu'attestent l'emploi si fréquent des bordures souli gnant les contours comme le choix des procédés faisant ressortir les carac téristiques des surfaces; s'agit-il de meubler un carré; des droites joignent le milieu des côtés; des diagonales relient les angles; au centre une vive tache s'épanouit, un losange s'inscrit dans les limites du tissu, un bouquet se loge dans chaque angle; ces dispositions mettent évidemment en valeur (1) Quelques heures avant qu'elle ne se rende dans la maison de son époux, on décore an 1).ennélesmlinsetlespied~delamariée,revêtuepourcettecérémoniedesesplusbeauxatours. (2) Voirci·dessus, p. 4.
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