Le présent ouvrage résulte d’une série de conversations menées à Paris en mars 2002. Au point de départ, l’idée de ces entretiens m’est venue lorsque j’ai retrouvé Raymond Boudon à Ottawa, en novembre 2001, lors d’une cérémonie où il fut reçu à la Société royale du Canada. Ces entretiens, qui sont le fruit d’une quinzaine d’heures de discussion, ont bien entendu nécessité quelques retouches : certaines idées ont dû, après coup, être nuancées, affinées ou développées.
J’ai voulu, avec une série de questions bien ciblées, aborder les principales thématiques de recherche qui parsèment l’oeuvre de Raymond Boudon. Il convenait donc de revenir, pour donner quelques exemples, sur sa thèse sur l’utilisation des mathématiques en sociologie, sur ses travaux sur l’éducation, sur ses recherches sur les idéologies, en passant par ses réflexions sur les fondements de la sociologie ou encore sur ses récentes analyses sur les valeurs et sur la rationalité. À travers ce foisonnement de problèmes, il fallait s’en tenir à l’essentiel, dégager ce que ses travaux les plus connus contiennent de durable et de toujours actuel, montrer l’intérêt de travaux secondaires, parfois méconnus, et enfin mettre en relief la continuité et la rigueur d’une pensée toujours en mouvement et en marche.
On découvre, dans cette foulée, que sa sociologie a une indéniable vocation critique ; lointaine héritière de la philosophie kantienne, elle nous invite à aborder avec prudence les idées reçues aussi bien que les théories fausses, fragiles ou douteuses. Si, hier, il nous expliquait les limites du structuralisme et du marxisme, aujourd’hui, il fait ressortir, avec des exemples clairs, les insuffisances de certaines théories à la mode, comme par exemple celles qui s’articulent autour de la mondialisation ou du postmodernisme.
Pour Boudon, il s'agit d’expliciter le sens de sa propre démarche en rappelant les acquis incontestables de sa discipline, et en signalant son appartenance à une communauté scientifique particulière. Comme toute discipline scientifique, et c’est ainsi qu’il la conçoit, la sociologie devient dans cette perspective un savoir cumulatif. En tendant la main aux fondateurs de la pensée sociologique avec autant d’ouverture, en cherchant à expliquer leurs intentions fondamentales, Raymond Boudon nous le rappelle d’une brillante façon.