Vivre et accompagner la transition agroécologique en collectif Éléments d’analyse, expériences et outils issus du projet CAP VERT avec le soutien de 3 Avant Propos Avant Propos En 2012, plusieurs acteurs du développement agri- Cette publication répond à ces objectifs en propo- cole et rural entamaient une réfl exion autour des sant des éléments d’analyse et des clefs opération- pratiques de coopération ayant pour objet la pro- nelles, notamment des illustrations d’expériences et duction agricole. Ils constatent alors l’émergence de des outils, pour les animateurs et accompagnateurs nouvelles formes de coopérations entre agriculteurs de collectifs en démarche de transition agroécolo- liées aux évolutions dans les manières de concevoir gique et les têtes de réseau du développement agri- l’exploitation agricole et ses relations avec son envi- cole et rural. Elle s’adresse également aux groupes ronnement. d’agriculteurs et à tous les acteurs intéressés par la transition agroécologique : administrations, collec- Le projet CAP VERT, lauréat de l’appel à projets « In- tivités, chercheurs, autres organisations profession- novation et partenariat » 2013 du Casdar1, a permis nelles agricoles... d’approfondir la compréhension des reconfi gura- tions de l’action collective entre agriculteurs, des Ce document, intitulé Vivre et accompagner la tran- complémentarités entre différentes formes de coo- sition agroécologique en collectif, a été construit pérations et de leurs liens avec la transition agroé- autour de trois entrées représentant les tensions et cologique. Un travail d’analyse et de capitalisation paradoxes qui traversent les groupes en transition. des conditions de réussite de ces dynamiques col- lectives et de leur accompagnement a également L’hétérogénéité des exploitations, stratégies, visions été effectué. et cheminements des membres d’un groupe. De 2014 jusqu’à début 2017, la Fédération Nationale La multi-appartenance des agriculteurs membres des Coopératives d’utilisation de matériel agricole d’un collectif, qui s’appuient sur une multitude de (FNCuma) a piloté ce travail en collaboration étroite groupes et réseaux pour avancer dans la transition avec des réseaux de développement agricole : Ré- agroécologique. seau Civam, Trame, Gaec & Sociétés et le Groupe- ment des agriculteurs bio du Nord-Pas-de-Calais Le temps long nécessaire à une transition, qui peut (Gabnor). Parmi les partenaires fi guraient égale- entrer en tension avec les progrès attendus par les ment cinq collectifs d’agriculteurs, l’enseignement agriculteurs, les accompagnants et la société ainsi agricole avec l’Institut de Florac (Montpellier SupA- que les résultats attendus par les fi nanceurs. gro) et la recherche avec l’Inra (UMR Innovation) et l’École supérieure d’agriculture d’Angers. Le projet Ces clefs montrent qu’en prenant la peine de lire et a également intégré le travail de thèse de la socio- de comprendre comment se vivent les tensions et logue Véronique Lucas (FNCuma - Inra)2. paradoxes au sein des collectifs, il est possible d’en faire des leviers pour l’action. Deux objectifs principaux ont été fi xés à CAP VERT : comprendre les nouvelles formes de coopération entre agriculteurs au service de la transition agroécologique et produire des ressources pour accompagner leur émergence et leur développement. 1 - Projet fi nancé par le ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt via le Compte d’affectation spéciale développement agricole et rural. 2 - Thèse autour de l’interaction entre coopérations de proximité entre agriculteurs en Cuma et transition agroécologique. Pour en savoir plus : www.cuma.fr 5 Sommaire Sommaire INTRODUCTION page 7 - 11 CHAPITRE I L'hétérogénéité, une diversité organisée ? page 12 - 21 CHAPITRE II La multi-appartenance des agriculteurs à des groupes, collectifs ou réseaux page 22 - 33 CHAPITRE II La gestion du temps long et des trajectoires page 34 - 49 CONCLUSION page 50 - 54 ANNEXES page 55 - 62 GLOSSAIRE page 63 7 Introduction Les questionnements : 3 notions à l’origine et au cœur du projet CAP VERT À travers le projet CAP VERT, des réseaux de développement agricole et rural, des groupes d’agriculteurs et des chercheurs ont souhaité interroger la compréhension et l’articulation entre trois notions, qui peuvent être présentées sous la forme d’un triptyque. QUELLES FORMES DE COOPÉRATION ENTRE AGRICULTEURS ? Dans ce projet, D’une part, les coopérations de La complémentarité entre ces une attention proximité autour de ressources formes d’actions collectives n’est particulière a été matérielles (équipements, se- pas nouvelle. De nombreuses portée à la compréhension du mences...) et en travail, la Cuma Cuma ont émergé à l’initiative renouvellement et des complé- n’étant qu’un type d’arrange- d’agriculteurs qui se connais- mentarités entre deux grandes ment, complété par une multipli- saient à travers leur participation formes d’action collectives, qui cité d’autres plus ou moins for- à un même groupe de déve- permettent aux agriculteurs de mels (entraide, banque de travail, loppement. Des agriculteurs en s’appuyer sur une diversité de etc.) ; d’autre part, les échanges Cuma ont par ailleurs contribué ressources nécessaires à la transi- de savoirs et de production de à créer de nouveaux groupes tion agroécologique3. connaissances qui s’incarnent d’échanges et de production de souvent dans des groupes de savoirs. Mais aujourd’hui, cette développement4 et des réseaux complémentarité se reconfi gure. d’échanges. 3 - Les partenaires de CAP VERT se sont penchés principalement sur trois types de ressources faisant l’objet d’arrangements et de coopérations : certaines ressources productives (en particulier les équipements mais aussi les semences), le travail et enfi n les savoirs et expériences. D’autres ressources ont pu être abordées ponctuellement : la terre, l’eau d’irrigation, le capital fi nancier, les ressources symboliques, etc. 4 - Comme les Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam), les Groupes d’étude et de développement agricole (Geda) ou les Centres d’études des techniques agricoles (Ceta). 8 CAP VERT - Comment vivre et accompagner la transition agroecologique en collectif ? QUELLE TRANSITION AGROÉCOLOGIQUE ? Les partenaires La prise en compte de diffé- développement, même si les de CAP VERT ont rentes échelles spatiales. Les dimensions de cette autonomie beaucoup ques- régulations écologiques que sont très variées (décisionnelle, tionné leur vision de l’agroéco- l’agroécologie invite à intégrer technique, économique…). logie au cours du projet. Ils ont dans l’agriculture ne peuvent fait le constat que cette notion se limiter au cadre strict de la Cette recherche d’autonomie aux contours évolutifs, fruit d’une parcelle ou de l’exploitation semble être un moteur majeur diversité de sources historiques agricole. Elles impliquent de des changements de pratiques et qui s’incarne dans plusieurs vi- prendre en compte le territoire5. et s’est accentuée de manière si- sions, ne pouvait être considérée gnifi cative depuis une douzaine L’articulation de différentes comme une norme (cf. Annexe 2). d’années en raison de différents échelles temporelles. La tran- Ils se sont concentrés sur la com- éléments (plus grande variabilité sition s’inscrit dans un temps préhension des dynamiques de climatique, volatilité des cours, long. À l’échelle des exploi- transition, c’est-à-dire les proces- impasses agronomiques….). tations comme des collectifs sus de changement de pratiques d’agriculteurs, ces processus pouvant conduire à des systèmes Une agroécologie silencieuse ont une histoire (groupes anté- de production plus durables et rieurs, événements fondateurs, résilients et leurs interactions CAP VERT a montré que certains principes fondamentaux) et né- avec les dynamiques collectives agriculteurs s’engagent dans des cessitent de dessiner des futurs. entre agriculteurs. changements de pratiques pou- La nécessité de construire de vant être qualifi ées d’agroéco- Des principes clefs relevant nouvelles connaissances et logiques sans se revendiquer de de l’agroécologie compétences, en s’appuyant l’agroécologie7. Ils sont davan- sur un dialogue entre une diver- tage guidés par des problèmes Au-delà de la littérature scien- sité de savoirs et d’expériences technico-économiques (impasses tifi que et des travaux d’orga- dont le projet CAP VERT est une agronomiques, dépendances à nismes internationaux, ils se sont incarnation. La transition agroé- certains intrants, volonté de dé- retrouvés autour de points com- cologique s’inscrit en effet dans gager du temps ou de limiter la muns sur ce qui peut caractériser des systèmes complexes, avec pénibilité du travail…), au moins l’agroécologie du point de vue une diversité de paramètres à dans un premier temps, que par des démarches constatées sur le prendre en compte, notamment des préoccupations environne- terrain : des processus écosystémiques mentales ou sociétales. diffi cilement prévisibles. Face L’appui sur les régulations éco- à cette complexité les agricul- Ces nouvelles pratiques s’ins- logiques des systèmes, tels que teurs manquent de repères, crivent parfois dans un proces- le recyclage de la biomasse, de références technico-écono- sus de changement sur le long l’amélioration des conditions miques ou de connaissances terme. Elles entraînent d’autres de fonctionnement des sols, étayées et accessibles. modifi cations dans le système qui la biodiversité et les synergies peuvent amener à des reconcep- biologiques. La recherche d’autonomie et tions signifi catives. Cette agroé- la place centrale des agricul- Le dépassement de la spécia- cologie est également qualifi ée teurs dans ces processus de lisation issue de la modernisa- de « silencieuse » parce que les changement de pratiques et de tion agricole, avec la diversifi ca- options prises par ces agricul- systèmes. Les travaux de CAP tion des productions agricoles teurs font rarement l’objet de dé- VERT6 ont en effet montré que et l’élargissement du métier à bats entre eux. la quête d’autonomie est un d’autres activités (commerciali- point commun entre tous les sation, transformation, valorisa- groupes d’agriculteurs en tran- tion du patrimoine...). sition et entre les réseaux de 5 - Entendu ici comme un espace évolutif, produit de son système d’acteurs (dont les agriculteurs), de son mode de développement économique et social et de sa forme de gouvernance. Si les travaux de CAP VERT n’ont pas permis de l’aborder, l’agroécologie invite à questionner les échanges commerciaux et fi nanciers internationaux qui impactent les systèmes agricoles locaux. 6 - Dans CAP VERT, la transition agroécologique en collectif - Journal d’une coopération au long cours édité en mai 2017, le dossier En solidaire ou en équipage : la quête d’autonomie(s) sur un océan de contraintes et de possibles reprend les éclairages apportés par une diversité d’acteurs et cher- cheurs autour des quêtes d’autonomie des agriculteurs, leviers pour la transition agroécologique. www.cuma.fr 7 - Analyse développée dans le travail de thèse de Véronique Lucas (FNCuma – Inra). www.cuma.fr 9 Introduction QUELS ANIMATION ET ACCOMPAGNEMENT DU COLLECTIF ? CAP VERT avait Construire des savoirs avec les que l’apport en conseil spécialisé également pour agriculteurs soit nécessaire pour ces groupes. vocation d’éclairer Ils en dispensent en partie eux- le rôle de l’accompagnement et Les réseaux de développement mêmes ou bien font appel à des réseaux de développement agricole partenaires de CAP d’autres ressources extérieures. agricole dans le soutien à ces dy- VERT ont en commun de fédérer namiques collectives. ou d’accompagner des collectifs Les partenaires de CAP VERT d’agriculteurs. Ils se retrouvent sont également préoccupés par La transition agroécologique re- derrières les termes d’animation l’adaptation de leurs actions, pos- met en effet en cause le modèle et d’accompagnement, qui re- tures et compétences d’anima- diffusionniste ou linéaire de la re- couvrent des postures permettant tion et d’accompagnement aux cherche et du développement en de contribuer à la construction enjeux stratégiques du renouvel- agriculture, issu de la modernisa- de savoirs et de compétences lement des modèles et pratiques tion agricole. Ce modèle consi- avec les agriculteurs (cf. encadré de production agricole. L’un des dère la recherche comme princi- ci-dessous). apports majeurs de ce travail est pal producteur de connaissances notamment d’avoir fait émerger et les agriculteurs comme simples Les accompagnants de groupes quelques enjeux et pistes de ré- récepteurs de ces connaissances, ayant participé au projet se dé- fl exion pour les acteurs du déve- transmises par l’intermédiaire des signent eux-mêmes comme loppement agricole, qui pourront organismes de développement « animateurs » dans les Civam, les être prolongés au-delà du temps agricole. Le terme « conseiller » Geda et les fédérations de Cuma du projet. encore largement employé dans ou comme « accompagnateurs » ces organismes témoigne de au Gabnor. Aucun ne se posi- cette approche. tionne comme « expert », bien Les différentes postures d’accompagnement Certains partenaires de CAP VERT ont déjà travaillé sur la posture d’accom- pagnement de projets collectifs dans le cadre du projet Métiers circuits courts (Mecico)8. Ils ont mis en avant différentes postures pouvant être mobilisées, souvent en fonction du mandat donné par l’organisation employeuse des ac- compagnateurs et pouvant évoluer dans le temps. Nous reprenons ici certaines défi nitions apportées dans la publication « L’accompagnement au service des circuits courts » : Expert Il porte un ensemble de savoirs précis sur un sujet donné. Il s’agit d’un spécialiste qui doit faire preuve de pertinence dans les réponses à donner à quelqu’un qui recherche une expertise. Animateur Il se conçoit d’abord comme une personne ayant des compétences en animation, notamment de réunions ou de groupes de travail. La fonction d’animation est implicitement liée au travail avec un groupe. L’animateur aide au questionnement, reformule, organise, aide à l’or- ganisation du travail… Accompagnateur Il « chemine avec ». Il reconnaît donc une notion de proximité (on croit digne d’intérêt le projet que l’on accompagne) mais aussi de distance liée à la posture « de côté », car sa place est en dehors du groupe. Un accompagnement se conçoit dans la durée et non par des interven- tions ponctuelles. 8 - Pour en savoir plus : http://metiers-circuitscourts.org 10 CAP VERT - Comment vivre et accompagner la transition agroecologique en collectif ? Une démarche d’analyse de la pratique entre pairs et un dialogue entre chercheurs et acteurs Les étapes du projet CAP VERT 2014 2015 2016 Début 2017 CCoonnssttiittuuttiioonn dduu ppppaarrtteennaarriiaatt Interconnaissance AAnnaallyyyssee ddee llaa ppprraattiiqqquuee Formalisation Étude exploratoire Construction de et dialogue des enseignements problématiques chercheurs-acteurs Publications et de cadres de travail Mise en débat élargie Valorisation et diffusion Étude approffondie de 6 terrains Sélection 2 rencontres 1 rencontre chercheurs- Séminaire Rencontre Cycle de 3 journées de groupes d’inter- acteurs pour construire de production de clôture et de 3 rencontres pilotes connaissance le cadre de travail collective élargie Des collectifs d’agriculteurs étroitement associés au projet Des collectifs d’agriculteurs en transition agroécologique, fédérés et/ou accompagnés par les réseaux parte- naires de CAP VERT, ont été identifi és pour contribuer à ce projet. Ils représentent une diversité de types de pratiques agroécologiques, de formes de coopération et de démarches d’accompagnement ou d’animation (cf. Annexe 1). Groupes pilotes CAP VERT GROUPE SOL VIVANT Agriculture de conservation 62 FDGeda 35 59 BIOLOOS 80 Conversion bio collective 76 02 08 Gabnor 60 50 14 27 955 51 55 57 61 78 54 67 29 22 91 77 CIVAM DE L’OASIS 35 53 28 10 52 88 Biodiversité 56 72 45 89 70 9900068 44 41 49 21 37 25 18 58 85 79 36 39 86 71 03 23 01 74 17 16 87 63 42 69 73 CIVAM EMPREINTE 19 24 15 43 38 Pastoralisme 33 FR Civam CUMA DU BORN 46 07 26 05 Économie circulaire 47 12 48 Languedoc-Roussillon FDCuma 640 40 82 30 84 04 06 32 81 31 34 11133 83 64 65 11 09 2B 66 2A 11 CUMA OU SECTIONS DE CUMA étudiées de manière exploratoire dans le cadre de la thèse de Véronique Lucas FNCuma - Inra
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