VEUX-TU ÊTRE MON AMI ? L’ÉVOLUTION DU LIEN SOCIAL À L’HEURE NUMÉRIQUE ? MI A N O M E R T Ê U T X- U E Régis BIGOT V - 2 Patricia CROUTTE 1 3 Sandra HOIBIAN ° N Jörg MÜLLER E H C R E H C E R E D R E HI A DÉCEMBRE 2014 C www.credoc.fr N° 312 Sommaire ABSTRACT ................................................................................................................... 4 NOTE DE SYNTHESE ........................................................................................................ 5 INTRODUCTION ........................................................................................................... 13 1. Contexte .......................................................................................................... 13 2. Objectifs et sources mobilisées ............................................................................ 15 3. Le « réseau social », une vieille histoire ................................................................ 16 4. Le lien social – unité élémentaire des réseaux sociaux ............................................ 17 5. Les réseaux individuels : un « tout petit monde » .................................................. 19 I. LES RESEAUX SOCIAUX SE METTENT AU NUMERIQUE ......................................................... 21 1. Les réseaux sociaux en ligne : une galaxie de « petits mondes » visibles .................. 21 2. Les réseaux sociaux – un « produit » dont personne ne voulait au départ... .............. 24 3. ... mais qui fait désormais partie du quotidien de nos concitoyens – aujourd’hui, un Français sur deux est présent sur un réseau social ................................................. 26 4. Les réseaux en ligne se démocratisent ................................................................. 28 5. Même si les membres des réseaux sociaux sur internet sont plus jeunes, plus diplômés et technophiles .................................................................................................. 31 6. Production de soi, contrôle identitaire et protection de la vie privée sur les réseaux sociaux ............................................................................................................ 36 a. Les membres de réseaux sociaux sont un peu plus experts par rapport à la protection des données personnelles ................................................................................................................................... 38 b. Et plus souvent gênés par la publication d’éléments de leur vie privée .............................................. 41 7. Une citoyenneté et un rapport au collectif revisité .................................................. 42 II. PRATIQUES ET PROFILS DES UTILISATEURS DES RESEAUX SOCIAUX ................................ 45 1. L’utilité principale des réseaux sociaux est de « créer du lien » ................................ 45 2. Les réseaux en ligne élargit le cercle de contact à des liens faibles ........................... 51 3. Au final, quatre comportements se dessinent sur les réseaux .................................. 55 4. Les réseaux sociaux : un véritable couteau suisse ................................................. 59 III- PANORAMA DES LIENS SOCIAUX A L’HEURE DU NUMERIQUE ............................................. 61 1. Le réseau social sur internet par rapport aux autres pratiques numériques génératrices de lien social ..................................................................................................... 61 2. Les effets des pratiques numériques sociales sur le réseau classique ........................ 69 3. L’articulation entre les pratiques sociales numériques et le réseau classique ............. 70 ANNEXES ................................................................................................................... 83 BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................... 92 2 REMERCIEMENTS Le CREDOC remercie vivement le Conseil Général de l’Economie, de l’Industrie, de l’Energie et des Technologies (CGE) et l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (ARCEP), qui ont donné leur autorisation pour ré-exploiter les données de l’enquête menée par le CRÉDOC sur la diffusion des technologies de l’information dans la société française. La méthodologie utilisée ainsi que les résultats obtenus sont de la seule responsabilité du CREDOC, ils n’engagent ni le CGE, ni l’ARCEP. 3 Abstract En 2014, près d’un Français sur deux est inscrit sur un réseau social en ligne. Restés longtemps l’apanage des jeunes et des catégories aisées, les réseaux sociaux sont aujourd’hui investis par les catégories modestes et les séniors. Ces nouveaux utilisateurs n’hésitent pas à poster des contributions et sont plus nombreux que les autres à faire figurer dans leur carnet d’adresse digital de nouvelles personnes, qu’elles n’ont jamais rencontré « dans la vie réelle ». Les catégories aisées, quant à elles, utilisent davantage les réseaux sociaux pour y puiser des contenus et consolider des « liens faibles » en réactivant des relations avec des personnes perdues de vue depuis longtemps ou éloignées géographiquement. L’exposition de soi est la principale technique de communication sur ces nouveaux médias. Les tentations d’enjoliver la réalité se heurtent à un souci de cohérence dans le temps et au fait qu’une bonne partie des amis de toujours et des proches figurent également parmi les « contacts » ou les « amis numériques ». En définitive, les réseaux sociaux en ligne renouvellent les formes de sociabilité et favorisent des liens moins engageants que des liens traditionnels, sans réussir nécessairement à combler un sentiment de solitude présent chez ceux qui y sont les plus actifs. Mais dans une société où le capital social est visible aux yeux de tous et valorisé socialement, comment ne pas avoir envie d’élargir à l’infini son cercle relationnel ? In 2014, nearly half of French people are on social networks. For a long time younger people and socially the most fortunate ones have been their main users. Nowadays seniors and employees become a more and more important stakeholder. Those new users mainly post contributions and are more likely to integrate all new contacts in their profile even if they do not really know the persons they are adding to their directory. Historically the socially more fortunate persons make quite a different use of social networks. They use them for downloading contents and information but also to consolidate “loose ties” or try to reach people with whom they have lost contact. Producing “itself” or the “exhibition of the self” are the most common means of communication on social networks. However, trimmed or euphemistic versions of one’s identity have a very short life expectancy, because they ought to be controlled by other members. On may call this mutual control the “googelisation effect”. Altogether, social networks renew traditional social ties and promote the creation of “loose ties” which are less engaging than their traditional version. However social networks are not capable to meet with the expectations of those people who are suffering a profound feeling of solitude. But in a society where the social capital is visible for everyone and approved by the society, how not to understand the personal aspiration of enlarging one’s own relational circle? 4 Note de synthèse Près d’un Français sur deux est membre d’au moins un réseau social « Ami », « follower », « visiteur », « contact » : les terminologies pour désigner les contacts sur les réseaux sociaux fleurissent tous les jours, signe de la vivacité des nouvelles formes de sociabilité qui, année après année, séduisent un public toujours plus grand. En 2014, près d’un Français sur deux a utilisé un réseau social au cours des 12 derniers mois (48%, contre 33% en 2009). Cela représente 58% des internautes, soit, en 2014, 26 millions de personnes qui déclarent participer à des réseaux sociaux. Près d’un Français sur deux est sur un réseau social - Champ : ensemble de la population de 12 ans et plus, en % - parmi les internautes 58 60 52 53 54 49 48 40 45 33 42 40 36 20 23 0 2009 2010 2011 2012 2013 2014 Source : CREDOC, Enquêtes « Conditions de vie et Aspirations » sur la diffusion des technologies de l’information pour le CGE et l’ARCEP Consolider ses relations et élargir son cercle Le succès des réseaux sociaux se mesure aussi au fait qu’ils cannibalisent et structurent de plus en plus la toile, en offrant une multitude de services à leurs utilisateurs (partage, jeu, consommation, recherche d’informations, etc.) avec toujours pour dénominateur commun d’être de véritables machines à produire et à entretenir des liens. Entretenir, d’abord, les liens existants, avec le cercle d’amis de toujours (dans 91% des cas) ou les membres de la famille proche (90% des membres de réseaux sociaux). Mais ces réseaux sont aussi mobilisés pour amorcer de nouvelles rencontres ou renouer avec des personnes perdues de vue. 66% y intègrent des personnes rencontrées épisodiquement et pas moins d’un tiers des membres des réseaux sociaux intègrent dans leur cercle de relations des personnes jamais rencontrées auparavant mais dont le profil leur semble intéressant. 5 Un tiers des membres de réseaux sociaux intègrent dans leurs contacts des personnes jamais rencontrées par ailleurs Diriez-vous que dans votre cercle de de relations dans les réseaux sociaux en ligne il y a … ? - Champ : membres des réseaux sociaux de 12 ans et plus, en % - Des personnes jamais 3 30 68 32 rencontrées Des personnes rencontrées 6 60 34 66 épisodiquement Quasiment tous Des personnes qui ont compté 14 66 19 81 Certains seulement Les membres de la famille Aucun 33 58 10 90 proche Les amis de toujours 34 58 9 91 0 50 100 Source : CREDOC, Enquête sur les « Conditions de vie et les Aspirations» juin 2014. Les outils digitaux servent donc à réactiver des liens dits « faibles »1 ou « dormants », d’anciennes connaissances qu’on avait perdues de vue, et avec qui le lien peut être, grâce à ces nouveaux outils, maintenu, voire renforcé. Mais ils permettent également d’élargir les frontières du cercle relationnel traditionnel : 47% des membres des réseaux sociaux ont noué des liens avec de nouvelles personnes, 18% ont même fait une rencontre amoureuse. Les médias sociaux au cœur des retrouvailles et de la création de nouveaux liens 81 - Champ : ensemble de la population de 18 ans et plus – AU MOINS UN DES LIENS CI-DESSOUS 24 Internet et les technologies de l’information vous ont-ils permis de ? 2 72 Retrouver d'anciennes connaissances 17 1 47 Nouer des liens avec de nouvelles personnes 12 1 Membre d'un réseau social sur internet 18 Internaute, mais non membre Faire une rencontre amoureuse 6 0 Non internaute 0 20 40 60 80 100 Source : Enquête « Conditions de vie et Aspirations », sur la diffusion des technologies de l’information pour le CGE et l’ARCEP, juin 2014. 1 GRANOVETTER Mark « The Strength of Weak Ties », American Journal of Sociology, vol. 78, n° 6 (mai 1973), 1973 6 Quatre types d’utilisateurs fréquentent les réseaux sociaux On peut distinguer quatre types de comportements sur les réseaux sociaux, selon les habitudes de gestion de leur carnet d’adresse et l’intensité des relations qu’ils établissent via la toile et selon le rapport à la publication des données personnelles et le souhait de protection de sa vie privée. Pour le plus grand groupe (36% des utilisateurs des réseaux sociaux, plus souvent des femmes), le numérique est une transposition quasi à l’identique du cercle de relations nouées dans « la vie réelle », de proches qu’on pourrait, par exemple, convier à une fête d’anniversaire. Le réseau numérique recouvre les membres de famille proche ou des amis qui comptent mais il exclut de manière plus ou moins systématique les personnes inconnues. Ce groupe se contente plus souvent de lire les commentaires et avis des autres, tandis que les contributions se font plus rares dans leurs rangs. S’exposant moins, ce groupe signale moins souvent que les autres de la gêne ou de l’embarras face à la divulgation de détails de leur vie privée sur internet. Ce sont plus souvent des personnes déjà en couple, qui disent rarement éprouver un sentiment de solitude. 33%, plus souvent des hommes, voient le réseau social comme un espace intime où la vie privée doit être préservée. 37% d’entre eux font état d’une gêne car certains éléments de leur vie personnelle figurent sur internet et 26% regrettent d’avoir publié ou écrit des choses sur la toile. Leurs cercles relationnels numériques reposent sur des contacts sélectionnés, limités à « certains seulement » des amis de toujours (74%, + 14 points par rapport à la moyenne), certains des membres de leur famille proche (73%, + 14 points), certaines des personnes qui ont compté et qui sont perdues de vue (87%, + 20 points), etc. Leur vigilance ne les empêche pas de profiter des possibilités des médias sociaux : 88% ont noué des liens de nouvelles personnes (88%, + 38 points par rapport à la moyenne), 40% ont même fait une rencontre amoureuse (40%, + 22 points par rapport à la moyenne des personnes fréquentant les réseaux sociaux). Pour le troisième groupe, de taille plus réduite (17%), les réseaux sociaux ont vocation à faciliter les contacts avec le plus grand nombre possible d’individus. L’intention affichée est de créer un carnet d’adresse le plus complet possible via internet. Famille, proches, anciens de l’école, tous y figurent. L’ouverture de ce réseau à de personnes inconnues est ainsi beaucoup plus prononcée. Les moins de 25 ans sont surreprésentés dans ce groupe (33% contre 21% en moyenne). Le réseau social revêt ici la fonction que l’on pourrait qualifier de « fenêtre sur le monde ». 7 Un dernier groupe, à peine plus petit (15% des membres des réseaux sociaux), annonce faire partie d’un réseau social en ligne mais, après examen, on constate que leurs contacts sont extrêmement réduits. Dans leur réseau, on ne compte pour la plupart « aucun ami », « aucune personne qui a compté dans leur vie » et aucun membre de la famille proche. Dans une majorité de cas (61%, contre 19% en moyenne), aucun nouveau lien n’a été créé grâce à internet et aux nouvelles technologies. Les 60 ans et plus sont surreprésentés. Bref, si ces personnes sont inscrites, elles ne semblent pas très actives. On pourrait les qualifier de membres « dormants » ou « fantômes ». Typologie des réseaux sociaux et de leurs utilisateurs Selon une analyse factorielle Cerclerestreint Un cercle sélectif et confidentiel Le réseau comme transposition numérique du A déjà regretté publication Famille proche : certains cercle des proches Amis : certains Faible Inconnus : certaiAnnscieAn ndeésjà r eéltaét igoênns é: certains Peu confiance utilisation Rencontre amoureuse Rencontres épisodiques : certains Lecteur Le réseau des membres Liens nouvelles personnes Retrouvailles Rencontres épisodiques : aucun "dormants" ou "fantômes" L'un et l'autre Assez confiance Inconnus : aucun Famille proche : aucun Utilisation Contributeur Anciennes relations : aucun intensive Très confiance Pas du tout confiance Amis : aucun Famille proche : tous Amis : tous Le réseau comme fenêtre sur le monde Anciennes relations : tous Rencontres épisodiques : tous Inconnus : tous Cerclelarge Source : CREDOC, Enquête sur les « Conditions de vie et les Aspirations» juin 2014. Les catégories modestes et les seniors se saisissent de ces nouvelles possibilités En termes de revenus, le profil des membres de réseaux sociaux a évolué. En 2009, toutes les catégories de revenu participaient, peu ou prou, dans les mêmes proportions à des réseaux sociaux. Mais en 2014, les hauts revenus sont un peu moins présents sur les réseaux sociaux que les autres catégories. Lorsqu’on met de côté la question de l’accès à internet, en se focalisant uniquement sur les internautes et non pas sur 8 l’ensemble de la population, on se rend compte que les internautes sont d’autant plus présents sur les réseaux sociaux qu’ils font partie des catégories modestes. Et finalement, les employés sont aujourd’hui les plus présents sur les réseaux : 62% des employés en France sont membres d’un réseau, quel qu’il soit, soit un taux supérieur à celui de toutes les autres catégories et professions. Évolution de l’influence du revenu sur la participation aux réseaux sociaux sur internet - Champ : ensemble de la population de 18 ans et plus, en % - 70 65 2014 61 60 53 50 47 48 46 45 internautes 2014 40 41 30 population totale 2014 20 10 0 Bas revenus Classes Classes Hauts revenus moyennes moyennes inférieures supérieures Source : CREDOC, Enquête sur les « Conditions de vie et les Aspirations » juin 2014. Lecture : 47% des bas revenus mais 65% des bas revenus qui ont internet sont présents sur les réseaux sociaux, Les catégories modestes (bas revenus et non-diplômés) sont plus enclins à faire figurer dans leurs cercles relationnels des personnes jamais rencontrées par ailleurs. Elles investissent davantage les réseaux sociaux pour compenser une sociabilité un peu plus étroite par ailleurs. Elles contribuent davantage à la production de contenus sur les réseaux que les diplômés du supérieur ou encore que les hauts revenus, probablement à la fois pour nourrir ces nouvelles formes de liens, mais aussi pour des questions de sensibilité à l’exposition de la vie privée, qui inquiètent davantage les diplômés. Notons que ces inquiétudes n’empêchent pas ses derniers de se nourrir de tout le contenu disponible sur les medias sociaux : ils en sont d’ailleurs les plus friands. Disposant d’un tissu de relations traditionnelles dense (amis, relations, engagement associatif, sorties culturelles, etc.) les catégories aisées se montrent plus sélectives et exigeantes dans le choix de leurs contacts numériques et utilisent davantage les réseaux sociaux pour réactiver et renforcer des liens avec des personnes perdues de vue. 9 Les catégories modestes contribuent plus que les catégories aisées et font davantage figurer des personnes qu’elles ne connaissent pas – Champ : membres des réseaux sociaux de 12 ans et plus, - Champ : individus de 18 ans et plus participant à des % fait figurer quasiment tous et certains seulement des … réseaux sociaux, en % - Sur les forums de discussion, les réseaux sociaux, les chats, les blogs, êtes-vous plutôt…. un lecteur de ce que les autres disent ou écrivent, un contributeur, autant l’un que l’autre, ou ni l’un ni l’autre 100 % seulement lecteur, % contributeur ou autant contributeur 88 Des personnes de lecteur 80 77 qui ont compté 70 68 58 60 54 71 60 49 48 60 53 Des personnes 50 rencontrées 40 épisodiquement 43 41 40 30 36 38 41 34 31 33 Des personnes 20 lecteur 20 jamais rencontrées 10 lecteur et contributeur 0 0 Non diplômé BEPC BAC Diplômé du Aucun diplôme BEPC Bac Diplôme du supérieur supérieur Source : CREDOC, Enquête sur les « Conditions de vie et les Aspirations », juin 2014. Les jeunes restent les plus fervents utilisateurs de ces medias (88% des 18-24 ans en sont membres), mais une analyse plus fine montre une baisse de l’enthousiasme des 12-17 ans depuis 2012 alors qu’ils s’étaient rapidement engagés sur les réseaux sociaux à la fin des années 2000. A l’inverse, les « jeunes seniors » (entre 60 et 69 ans) sont de plus en plus présents sur les réseaux digitaux : une personne sur quatre dans cette tranche d’âge est dorénavant membre d’un réseau social. Et les 60-69 ans, à l’instar des bas revenus, se saisissent de ces nouveaux moyens pour dynamiser leur vie relationnelle : ils sont notamment les plus enclins à faire figurer dans leur cercle relationnel des personnes jamais rencontrées par ailleurs. Les jeunes seniors profitent de ces nouveaux médias pour élargir leur cercle relationnel – Champ : membres des réseaux sociaux de 12 ans et plus, % fait figurer quasiment tous et certains seulement des … 100 89 88 80 78 79 73 66 71 Des personnes qui 65 ont compté 60 58 56 41 Des personnes 40 31 34 34 rencontrées épisodiquement 23 20 Des personnes jamais rencontrées 0 12-17 ans 18-24 ans 25-39 ans 40-59 ans 60-69 ans Source : CREDOC, Enquête sur les « Conditions de vie et les Aspirations », juin 2014. 10
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