Une philosophie de l’être est-elle encore possible ? par M. - D. PHILIPPE Professeur de Philosophie à l’Université de Fribourg (Suisse) II SIGNIFICATIONS DE L’ÊTRE Éditions P. TÉQUI Une philosophie de l’être est-elle encore possible ? Il Une philosophie de l’être est-elle encore possible ? par M. - D. PHILIPPE Professeur de Philosophie à l’Université de Fribourg (Suisse) II SIGNIFICATIONS DE L’ÊTRE Éditions P. TÉQUI ISBN 2-85244-017-2 PLAN DE L’OUVRAGE FASCICULE I : Réflexion historique et critique sur la signification de la métaphysique FASCICULE II : Significations de l’être Réflexion historique et critique sur l’étre En vue d’une métaphysique de l’être FASCICULE III : Appendices 1 et 2. Le problème de /’ens et de fesse Le concept d’étre chez Avicenne L’être chez S. Thomas FASCICULE IV : Appendices 3 et 4 : Néant et être Quelques grands aspects de la pensée de Heidegger La découverte de la nouvelle ontologie dans les derniers écrits de Merleau-Ponty FASCICULE V : Appendice 5 : Le problème de l’être chez certains thomistes contemporains. Bibliographie CHAPITRE I RÉFLEXION HISTORIQUE ET CRITIQUE SUR L’ÊTRE Du point de vue historique, l’étude de l’être peut se faire de deux manières : soit en considérant ce que les philosophes ont dit explici­ tement de l’être, soit en examinant leur manière d’aborder l’être, par l’interrogation '. Dans une perspective très actuelle, on pourrait même être tenté de dire que l’étude des interrogations constitue l’essentiel de la métaphysique et qu’il faut donc avant tout les décrire le plus par­ faitement possible, inventorier toutes les richesses qu’elles contiennent, expliciter tout ce qu’elles impliquent. Certes, l’étude de ces interrogations peut nous découvrir l’appétit le plus intime de notre intelligence, ce qu’elle recherche fondamen­ talement et radicalement. A ce titre, elle peut nous faire saisir l’appétit «transcendantal» de notre intelligence, sa «subjectivité transcendan­ tale», mais elle ne peut nous permettre de dépasser sa capacité radicale. Si donc nous en restons là, nous demeurons enfermés dans une imma­ nence «transcendantale» et ne pouvons absolument pas découvrir ce qu’est l’être en ce par quoi il est le plus lui-même. L’étude de ces interrogations peut aussi nous faire découvrir le vécu primordial du philosophe, le vécu non encore falsifié parce que non encore possédé, le vécu primitif qui anime tout. Car ces interroga- 1 Nous avons rappelé ailleurs quelques grands aspects de l'interrogation à travers l'histoire de la métaphysique occidentale : voir notre Essai de philosophie sur L’être, I, ch. 1. - Tous les ouvrages ou articles cités figurent dans la bibliographie jointe au fasc. V. 8 SIGNIFICATIONS DE L'ÊTRE lions expriment le désir fondamental de l’intelligence2 *. Elles peuvent donc nous faire découvrir la structure tout à fait première de notre in­ telligence, mais nous ne pouvons pas prétendre par là atteindre l’être de ce-qui-est. La philosophie première, si elle en restait là, ne serait plus la recherche de ce-qui-est, mais la recherche de la «rencontre» du connaissant, du philosophe, et de ce-qui-est. Cette double manière d’étudier ces interrogations est sans doute très intéressante, mais elle ne respecte pas l’intention profonde de ces interrogations elles-mêmes. L’interrogation possède un trop grand réalisme pour porter sur elle- même, surtout lorsqu'il s'agit de ces interrogations primordiales et fondamentales. C’est pourquoi, si l’on veut respecter la signification même de ces interrogations, on ne peut s’en tenir à ces deux manières de les étudier. Il faut donc aller plus loin. L’interrogation n’est pas une fin, c’est un moyen; il faut s’en servir et ne pas s’y arrêter. L’interroga­ tion peut être ce qu’il y a de plus vital, mais elle n'est pas le but. Il faut essayer de comprendre ce qui, proprement, a suscité ce désir de l’in­ telligence : l’être, cet être qu’elle recherche, qu’est-il ? Toutes les interrogations, dans ce qu’elles ont de fondamental, conduisent à se demander ce qu’est l’être. Une métaphysique réaliste, une métaphysique de l’interrogation fondamentale de l’intelligence, ne peut être qu’une métaphysique de l’être. Mais qu’est-ce que l’être ? On sait combien il est difficile de répondre à pareille question, et combien de réponses diverses ont été données. A une telle question on ne peut jamais répondre adéquatement, car il faudrait alors être capable de mesurer l’être, de le dépasser 5. Or précisément, on ne peut mesurer l’être, on ne peut le dépasser, car le dépassement serait encore de l’être, ou alors il ne serait pas. Si l’être peut être déterminé, c’est par lui- même : la détermination est essentielle à l’être — mais l’être ne peut se ramener à la détermination. C’est pourquoi l’interrogation sur l’être est si mystérieuse. Elle porte également sur celui qui interroge : l’être ne 2 L'interrogation en effet est à l’intelligence ce que la demande est à la volonté, à l’af­ fectivité. Comme la demande exprime le désir de notre cœur, l’interrogation exprime le désir qu’a l’intelligence de connaître la vérité; mais ce n’est pas encore la vérité, ce n’est qu'un appétit de vérité, une non-possession. ’ L’étre est à la fois ce qu’on peut le moins interroger (car pour interroger il faut prendre du recul à l'égard de ce qu’on interroge, or on ne peut prendre de recul à l'égard de l’être) et ce qu’on peut le plus interroger, car il échappe toujours : l’être est ce que l’on arrive le moins à préciser, à délimiter. Aussi est-il normal que lorsque l’intelligence se pose la question : «qu’est-ce que l’étre ?» elle demeure toujours en interrogation et que plus certaines réponses se précisent, plus l’interrogation s’impose avec force et pénétration.