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'umar b. 'abd al-'azīz et les poètes PDF

45 Pages·2017·0.78 MB·French
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LE CALIFE ‘UMAR B. ‘ABD AL-‘AZĪZ ET LES POÈTES Mohamed Bakhouch To cite this version: Mohamed Bakhouch. LE CALIFE ‘UMAR B. ‘ABD AL-‘AZĪZ ET LES POÈTES. Bulletin d’Etudes Orientales, 2009, 58, pp.161-204. ￿halshs-00402378￿ HAL Id: halshs-00402378 https://shs.hal.science/halshs-00402378 Submitted on 7 Jul 2009 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. LE CALIFE ‘UMAR B. ‘ABD AL-‘AZĪZ ET LES POÈTES Mohamed BAKHOUCH IFPO/Université de Provence Le présent article rentre dans le cadre d’une recherche dans laquelle nous entreprenons l’étude des rapports entre l’homme de pouvoir (le calife, le prince, le gouverneur, etc.) et le poète. Nous nous intéresserons dans des travaux à venir à quelques-unes des grandes figures du pouvoir politique, dans leurs relations avec la poésie et les poètes, au cours de la période qui court du début de l’islam à la fin de l’époque umayyade. Pour le médiéviste intéressé par la poésie, al-Ši‘r wa l-šu‘arā’ 1, l’ouvrage du célèbre poéticien abbasside Ibn Qutayba (m. 889), demeure une source inépuisable de renseignements non seulement sur la création poétique, mais également sur les conditions de vie des poètes, et ce de l’époque antéislamique au IXe siècle 2. La notice consacrée par ce savant à Kuṯayyir ‘Azza (m. 723) est une de celles qui recèlent d’importantes informations, notamment sur les relations entre les poètes et les princes. Dans cette notice, l’auteur relate les péripéties de trois poètes, Kuṯayyir ‘Azza, al- Aḥwaṣ (m. 723) et Nuṣayb (m. 726), qui décident de se rendre auprès du calife umayyade ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz (m. 720) juste après son avènement, et ce dans le but de lui présenter des panégyriques à sa gloire avec l’espoir d’obtenir des récompenses en échange de leur poésie 3. Nous nous proposons dans cet article de mettre en lumière les rapports du calife ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz avec les poètes et la nature du statut qu’ils induisent et ce principalement à partir de l’anecdote d’Ibn Qutayba, mais également de quelques autres de la même teneur et relatant des faits en étroite relation avec notre sujet. Signalons d’emblée que R. Blachère, qui se réfère à la version qu’en donne l’auteur d’al- Aġānī, trouve l’anecdote relative à nos trois poètes « très suspecte 4 ». 1. IBN QUTAYBA, al-Ši‘r wa l-šu‘arā’ , éd. Dār al-Ma‘ārif, Le Caire, 1966 (2 tomes). 2. Nous connaissons mieux aujourd’hui « la condition de poète » à l’époque abbasside, notamment grâce au tra- vail de J. E. Bencheikh. Cf. J. E. BENCHEIKH, Poétique arabe, précédée de Essai sur un discours critique, éd. Gallimard, 1989, plus particulièrement le chapitre II, « Le poète dans la cité », p. 19 à 43. Des études similaires sur les époques qui précèdent restent à faire. 3. IBN QUTAYBA, al-Ši‘r wa l-šu‘arā’, op. cit. La notice consacrée par l’auteur à Kuṯayyir figure au tome I, p. 503–517. Le lecteur trouvera les notices relatives à al-Aḥwaṣ et Nuṣayb respectivement aux pages 518–521 et 410-412. 4. R. BLACHÈRE, Histoire de la littérature arabe des origines au XV° siècle, éd. Librairie d’Amérique et d’Orient Adrien 162 MOHAMED BAKHOUCH En effet, dans le passage qu’il consacre à al-Aḥwaṣ dans son Histoire de la littérature arabe des origines au XVe siècle, Régis Blachère écrit : « [...], al-’Aḥwaṣ fut banni à Dahlak, une île de la Mer Rouge ; cinq années durant il subit cet exil en dépit d’interventions à Damas ; sous le règne bref de ‘Umar II, rien ne pouvait être modifié et la donnée reproduite par IBN QUTAYBA qui fait venir le poète auprès de ce souverain est très certainement une affabulation 5. » Il n’en demeure pas moins que ce récit, quand bien même forgé, est, comme nous allons le voir, révélateur d’une ambiance et d’une tendance générale qui, à l’époque qui nous concerne, va constituer un véritable retour en arrière pour le statut de la poésie et des poètes 6. Nous allons donc, dans ce travail, prendre cette anecdote pour ce qu’elle est, un récit qui est pour partie fictif, mais qui indique l’émergence d’un nouvel état d’esprit et d’une nouvelle attitude de l’homme au pouvoir vis-à-vis du poète. Pour mieux cerner la nature des rapports de ‘Umar II avec les poètes, nous étudierons, en plus de l’anecdote consacrée à notre trio, un autre ḫabar relatif à un quatrième poète moins célèbre, un faiseur de raǧaz (ceci expliquant peut-être cela), dont le nom est Dukayn (m. 727) 7 et dont la notice figure également dans al-Ši‘r wa l-šu‘arā’ 8, ainsi que l’anecdote relative à Maisonneuve, Paris, 1966, vol. III, p. 668, note 3. Toutefois, le savant français semble quand même valider l’anecdote, du moins en ce qui concerne Kuṯayyir. En effet, il écrit (p. 611) : « [...] sous le règne de Walîd 1er et de Sulaymân, son activité comme poète officiel ne nous est pas attestée ; toutefois sous ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, on assiste à une tentative d’ailleurs malheureuse pour reprendre sa place auprès du souverain [...] ». Pour illustrer son propos, R. Blachère cite les pièces 124 et 125 du dīwān (édition Pérès). Ses deux pièces figurent respectivement dans les pages 120–127 et 127-129. La seconde pièce est un riṯā’ (un thrène) de deux vers (et effectivement il n’est plus question pour le poète de reprendre sa place auprès du souverain). Le premier poème est celui-là même qui est cité par Ibn Qutayba dans la notice qu’il consacre au poète. La seule différence est que dans la version d’Ibn Qutayba le poème comporte 20 vers, alors que dans la version que nous trouvons dans le dīwān il en compte 30. De plus, pour introduire cette pièce, l’éditeur du recueil reprend le ḫabar que nous trouvons dans al-Ši‘r wa l-šu‘arā’ et cite nommément cet ouvrage comme source (cf. p. 118–120 et note 4, p. 118). Kuṯayyir ‘Azza, Dīwān, accompagné d’un commentaire arabe, éd. Jules Carbonel (Alger) et Paul Geuthner (Paris), 1930 (2 volumes). Enfin, sur les relations entre Kuṯayyir et les deux autres poètes cités, R. Blachère note (p. 615) : « [...] ce que nous savons sur ses rapports avec NUṢAYB ou AL-’AḤWAṢ est fantaisie dans le détail et l’ «accessoire», mais valable quant à l’évocation du milieu.» R. BLACHÈRE, Histoire de la littérature arabe, op. cit., p. 615. 5. Ibid., p. 627, vol. III. Cette assertion de Blachère est confirmée par un passage de Ansāb al-Ašrāf d’al-Balāḏurī, dans lequel cet auteur affirme que ‘Umar II n’autorisa pas al-Aḥwaṣ à revenir à Médine de son exil. Cf. AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-Ašrāf, éd. Dār al-Yaqaẓa l-‘arabiyya, Damas, 2000, vol. VII, p. 128-129. 6. D’ailleurs, Blachère va dépeindre cette ambiance il écrit à ce propos : « Dans le monde de Médine et de la Mekke la vieille hostilité des contemporains du Calife ‘Umar se maintient à l’égard de cette survivance du Paganisme que représente le Poète et son art ; [...]. » Ibid., p. 666. 7. La date de sa mort n’est pas certaine. Dans son Mu‘ǧam al-šu‘arā’ al-muḫaḍramīn wa l-Umawiyyīn, Dār Ṣādir, Bey- routh, 1989, p. 141, ‘Azīza Fawwāl BĀBTĪ donne l’an 723 comme date de sa mort. D’autre part , elle indique qu’outre ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, ce poète aurait également rendu visite à Muṣ‘ab b. al-Zubayr en Iraq et il aurait fait son éloge [selon l’éditeur de al-Ši‘r wa l-šu‘arā’ (cf. infra note 8) il s’agirait plutôt d’un autre Dukayn !]. L’auteur nous apprend également qu’il aurait fait une urǧūza (un poème composé sur le mètre raǧaz) consacrée à la description de son cheval. Dans al-Mawsū‘a al-ši‘riyya, cédérom édité par al-Muǧamma‘ al-ṯaqāfī, Abu Dhabi, 3e édition 1997–2003. À l’entrée « Dukayn b. Sa‘īd al-Dārimī », les dates du décès sont : 109 de l’hégire et 727 de l’ère chrétienne. Les auteurs préci- sent que ce poète était un familier de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, lorsque celui-ci était gouverneur de Médine. 8. Op. cit., p. 610–612. Signalons ici que l’éditeur précise que l’auteur confond dans sa notice deux Dukayn, tous les deux des rāǧiz, Dukayn b. Raǧā’ al-Fuqaymī, qui est un poète muḫaḍram, il a connu la fin de la période umayyade et le début de la période abbaside, et Dukayn b. Sa‘īd al-Dārimī al-Tamīmī qui est le personnage principal de cette 163 LE CALIFE ‘UMAR B. ‘ABD AL-‘AZĪZ ET LES POÈTES la visite faite par Ǧarīr (m. 733) au même calife, et rapportée par al-Balāḏurī (m. 892) dans le tome VII de son Ansāb al-Ašrāf 9 ; puis celle concernant al-Farazdaq (m. 733), relatée par ‘Abd al-Raḥmān al-Šarqāwī (1920–1987) dans son Ḫāmis al-ḫulafā’, ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz 10. Enfin, d’autres aḫbār, essentiellement puisés dans al-Aġānī d’al-Iṣfahānī 11, seront mis à contribution pour éclairer et étayer notre propos. Mais avant d’étudier ces anecdotes, il convient de débuter ce travail par une brève présentation de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz. ‘UMAR B. ‘ABD AL-‘AZĪZ (680-720) Commençons par dire que notre propos sur ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz ne prétend pas à l’exhaustivité, et n’étant pas historien nous-même, il ne se revendique aucunement comme une étude historique de ce personnage et de son règne. Plus modestement, l’objectif que nous nous fixons dans cette partie de notre travail est de présenter au lecteur, à partir de nos lectures 12, quelques-uns des faits marquants de la vie de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, en accordant une attention toute particulière à ceux d’entre eux qui seront à même d’apporter un éclairage sur le sujet qui nous occupe. Le huitième calife umayyade naquit vers 680 J.C., vraisemblablement à Médine 13. Il passa une partie de son enfance à Ḥulwān, en Égypte (où son père était gouverneur de 686 à 705, date de sa mort). On ne sait pas grand-chose de son enfance, mis à part un incident qui, dans les récits le concernant, est étroitement lié à son exceptionnel destin 14. Il s’agit d’une blessure au front, due, selon les versions, à un âne ou un cheval ou encore une jument et dont il portera notice. Op. cit., p. 610, note 1. 9. AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-Ašrāf, vol. VII, op. cit., p. 65–169. L’anecdote relative à Ǧarīr figure dans les pages 69–70 et 74–76. 10. ‘Abd al-Raḥmān AL-ŠARQĀWĪ, Ḫāmis al-ḫulafā’, ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, éd. Dār al-Kitāb al-‘arabī, Beyrouth, 1987, p.104 - 105. 11. Kitāb al-Aġānī, Dār Iḥyā’ al-turāṯ al-‘arabī, Beyrouth, 1963, 24 volumes + 1 volume (index). 12. Une biographie scientifique et critique de ce calife reste à faire. En effet, il serait grand temps de proposer aux lecteurs autre chose que les reprises de récits hagiographiques où souvent les faits avérés côtoient des histoires invraisemblables et d’un merveilleux dignes des Mille et une nuits, voire y sont mêlés. Cf. à titre d’exemples, les pages 134, 145, 146 et 223 ou encore les pages 232 et 233 de Tārīḫ madīnat Dimašq, d’IBN ‘ASĀKIR, Dār al fikr, Beyrouth; 1996, tom 45. 13. C’est ce qu’affirme Wellhausen citant al-Ṭabarī, cf. J. WELLHAUSEN, Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya min ẓuhūri l-islām ilā nihāyati l-dawla l-umawiyya, traduit de l’allemand par Muḥammad ‘Abd al-Hādī Abū Rīdah, éd. Laǧnat al-ta’līf wa l-tarǧama wa l-našr, Le Caire, 1968, p. 259. 14. Une des rares évocations de son enfance par ‘Umar II lui-même indique qu’il se sentait négligé, rejeté [muṭṭaraḥan] par son père qui lui préférait ses autres enfants. Ainsi, il aurait dit à son fils ‘Abd al-Malik : «. [...] ،ﺮﻴﻐﺼﻟا ﻪﻴﻠﻋ ﺮﺛﺆﻳو ﺮﻴﺒﻜﻟا ﻪﻴﻠﻋ ﻞﻀﻔﻳ ﺎﺣﺮـﻄّ ـﻣُ ﻪﻴﺑأ ﺪﻨﻋ نﺎﻛ كﺎﺑأ نأ ﺮﻛذاو ،[...]» AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-Ašrāf, vol. VII, op. cit., p. 85. Ces propos sont confirmés par ceux tenus par sa mère lorsque, enfant, il sera blessé au front par le coup de sabot d’une monture ; voici la scène et les propos qu’elle aurait tenus à son époux : « La mère de ‘Umar ayant appris ce qui était arrivé à son fils a accouru entourée de ses servantes et elle a dit : “Mon fils, ô ‘Abd al-‘Azīz ! On s’apitoie sur le petit et on honore le grand (elle faisait allusion à deux de ses enfants qui n’étaient pas d’elle) ; quant au puîné on le néglige (dit-elle en parlant de son fils). Tu n’as pas donné de nourrice à mon fils et regarde ce qui lui arrive !” ‘Abd al-‘Azīz lui dit en riant : “ Doucement ! Par Dieu, s’il est celui des 164 MOHAMED BAKHOUCH la cicatrice à jamais. Cette cicatrice sera un des éléments fondateurs de son hagiographie 15. En effet, combinée au fait qu’il était l’arrière-petit-fils de ‘Umar b. al-Ḫaṭṭāb par sa mère, cette cicatrice fait de lui le descendant du grand calife, annoncé par des prophéties et des visions prémonitoires, qui sera calife lui-même et répandra la justice sur terre 16. Jeune homme, il demanda à son père de lui permettre d’aller à Médine pour se former auprès des cheikhs de cette ville 17. Celui-ci exauça sa demande et le confia au traditioniste Ṣāliḥ b. Kaysān (m. 758 ?). Il suivra aussi l’enseignement de ‘Ubayd Allāh b. ‘Abd Allāh (m. 716) 18. Il semblerait que ces années de formation à Médine ont eu une très grande influence sur sa vie d’adulte. À la mort de son père en 705, son oncle, le calife ‘Abd al-Malik b. Marwān (m. 705), le fit venir auprès de lui à Damas et le maria à sa fille Fāṭima. Et à la mort de ce calife, son fils al-Walīd (m. 715) lui succéda et nomma ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz gouverneur de Médine. Dès sa prise de fonction en tant que gouverneur de cette ville, il avait alors 25 ans, ‘Umar II instaura le principe de la šūrā et sollicita l’aide de dix faqīh et savants de cette ville pour mener à bien sa gestion 19. Commentant cette période de la vie de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, al-Balāḏurī, dans son Ansāb al-Ašrāf, écrit ceci : « Al-Walīd lui avait confié le poste de gouverneur de Médine ; et [‘Umar] avait bien conduit [les affaires de cette ville], mais il avait beaucoup d’habits et il se parfumait. Il n’a vécu dans l’austérité qu’après 20.» Umayyades qui est marqué d’une cicatrice au front, il sera heureux !” » ‘Abd al-Raḥmān AL-ŠARQĀWĪ, Ḫāmis al-ḫulafā’, ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, op. cit., p. 15. C’est nous qui traduisons. 15. Wellhausen ne désigne-t-il pas ‘Umar b.‘Abd al-‘Azīz par l’expression « qiddīs Banī Umayya » ? Cf. J. WELLHAUSEN, Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya, op. cit., p. 351. Dans son ouvrage, La Syrie, précis historique, éd. Imprimerie catholique, Bey- routh, 1920 (t. 1), p. 91, H. LAMMENS considère dans son évocation de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz que ce calife était « [...] vénéré comme un saint par l’islam [...] ». 16. Cf. AL-BALĀḎURĪ, op. cit., , p. 66 ; IBN ‘ASĀKIR, op. cit., p. 134 et 154–155 ; ‘Abd al-Raḥmān AL-ŠARQĀWĪ, Ḫāmis al-ḫulafā’, op. cit., p. 11. 17. AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-ašrāf, vol. VII, op. cit., p. 67. Lire également IBN ‘ASĀKIR, op. cit., p. 135-137. 18. Il s’agit de ‘Ubayd Allāh b. ‘Abd Allāh b. ‘Ataba (m. 716), une autre autorité médinoise dans les sciences religieu- ses. Il fait partie des fuqahā’ al-Madīna al-sab‘a. 19. Cf. ‘Abd al-Raḥmān AL-ŠARQĀWĪ, Ḫāmis al-ḫulafā’, ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, op. cit., p. 31. 20. Ansāb al-Ašrāf, vol. VII, op. cit., p. 68. À propos de cette même période, P. M. COBB note dans l’Encyclopédie de l’Islam : « La plupart des récits montrent ‘Umar comme un gouverneur équitable, conduisant souvent le pèlerinage, et particulièrement respectueux envers des personnages pieux tel Sa‘īd b. al-Musayyab [...], bien que d’autres décrivent le jeune ‘Umar comme attaché aux biens de cette terre et bon vivant. » Il ajoute plus loin : « [...], il existe une foule d’éléments anecdotiques pour décrire ‘Umar II, en particulier le ‘Umar II adolescent, comme un prince umayyade caractéristique de son temps, amateur de faste et de luxe. Ces derniers récits cependant pourraient être un simple contretype de l’image de l’homme mûr, servant à élever encore l’image du calife vertueux. », art. « ‘Umar (II) B. ‘Abd al-‘Azīz », E.I.2, t. X, Leyde, Brill, 2002, p. 886-887. 165 LE CALIFE ‘UMAR B. ‘ABD AL-‘AZĪZ ET LES POÈTES En 712, al-Walīd le limogea de son poste de gouverneur 21. ‘Umar revint alors à Damas. On ne sait pas grand chose sur les années qui suivirent son limogeage 22 et il faut attendre l’avènement, en 715, de Sulaymān (m. 717), pour le retrouver à la cour comme wazīr (conseiller) de ce dernier. Le rôle de wazīr que ‘Umar II va tenir auprès du nouveau calife, tel qu’il est décrit par ses hagiographes, constitue une sorte de prémisse, d’avant-goût, de l’attitude et de la ligne de conduite qu’il adoptera lorsqu’il sera calife. Pour parvenir à ses fins et être aidé et soutenu dans sa tâche, il va introduire dans l’entourage du calife des hommes réputés pour leur piété et leur sagesse. C’est le cas notamment pour Abū Ḥāzim al-A‘raǧ et surtout pour Raǧā’ b. Ḥaywa (m. 730), qui aura un rôle décisif dans la succession de Sulaymān 23. Et dans leur ensemble, les récits hagiographiques le concernant peuvent se lire comme de véritables Miroirs des princes.‘Umar y paraît comme un wazīr qui a pleinement joué son rôle de "conseilleur" du roi. Ses conseils et ses avis émanaient d’une éthique religieuse. En effet, auprès de Sulaymān, il est présenté comme une conscience qui tempère, prône la justice, la réparation des torts, la clémence et le pardon. 21. Le gouverneur de l’Iraq al-Ḥaǧǧāǧ b. Yūsuf al-Ṯaqafī (m. 714) est donné pour être à l’origine de ce limogeage. Cf. à titre d’exemple, WELLHAUSEN, Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya..., op. cit., p. 243 et AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-Ašrāf, vol. VII, p. 69, qui écrit : « al-Madā’inī et d’autres ont dit : La plupart de ceux qui avaient fui al-Ḥaǧǧāǧ s’étaient réfugiés auprès de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz. Al-Ḥaǧǧāǧ écrivit alors à al-Walīd : ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz est devenu un asile pour les hy- pocrites irakiens ; il n’y en a pas un d’entre eux qui fuit et qui ne trouve pas refuge chez lui. Et c’était là la raison du limogeage de ‘Umar. » C’est nous qui traduisons. L’antagonisme entre ces deux gouverneurs est souligné à plusieurs reprises dans les ouvrages que nous avons consultés. De même, les auteurs citent à plusieurs reprises la réprobation et la condamnation par ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz des procédés employés par al-Ḥaǧǧāǧ. Quand il sera calife, ‘Umar II annulera un impôt levé en Iraq par al- Ḥaǧǧāǧ, parce qu’il le jugeait inéquitable, cf. AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-Ašrāf, vol. VII, p. 80–81 et WELLHAUSEN, Tārīḫ al-dawla l- ‘arabiyya..., op. cit., p. 275–276, qui cite al-Balāḏurī. 22. Dans son ouvrage, Ḫāmis al-ḫulafā’, ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz (p. 74 et 79–80), ‘Abd al-Raḥmān AL-ŠARQĀWĪ signale qu’al- Walīd avait fait de ‘Umar II un wazīr, mais qu’il ne lui donnait jamais la parole. Les relations étaient très tendues entre les deux hommes et il est fait état de la colère du calife contre ‘Umar II. L’auteur rapporte des propos de ce dernier dans lesquels il disait avoir craint pour sa vie, notamment pour son indulgence envers des personnes qui avaient insulté le calife et pour un kharijite appartenant au groupe des Ḥarūriyya, qui, en présence du calife al-Walīd, l’avait insulté ainsi que son père. [Pour le premier fait lire IBN ‘ASĀKIR, Tārīḫ madīnat Dimašq, op. cit., p. 152 ; et pour la dernière anecdote voir Ansāb al-Ašrāf, op. cit., vol. VII, p. 28.] Plus loin (p. 113) dans le même ouvrage, al-Šarqāwī décrit une scène où l’on voit al-Walīd tenter d’étrangler ‘Umar avec un turban, parce qu’il avait refusé de souscrire à sa décision de désigner son fils ‘Abd al-‘Azīz b. al-Walīd comme successeur à la place de Sulaymān. Ce n’est pas ainsi que Wellhausen juge la relation entre ces deux personnages. En effet, l’auteur allemand, s’il est d’accord sur le fait que c’est sur l’insistance d’al-Ḥaǧǧāǧ que ‘Umar a été démis de ses fonctions, n’affirme pas moins que, même limogé, ‘Umar n’avait pas pour autant perdu la sympathie d’al-Walīd, notamment parce que l’ex-gouver- neur était le frère de son épouse. Il a donc continué à être honoré chez lui, et sa grande influence n’était pas moindre chez Sulaymān (cf. Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya..., op. cit., p. 259). 23. Cf. Ḫāmis al-ḫulafā’, op. cit., p. 101. Dans son ouvrage, La Syrie, précis historique, Lammens note (p. 89-90) à propos de Sulaymān : « Ce prince voluptueux et gros mangeur, حﺎﻜﱠ ﻧ لﺎﻛﱠا , devenu calife, tomba sous l’influence de Yazîd, fils du général Mohallab. Il subit également l’ascendant de son pieux cousin ‘Omar, fils de ‘Abdal‘azîz d’Égypte, ainsi que des théologiens musulmans, formant le cercle habituel de ‘Omar II. Il montra encore plus de ferveur religieuse que son prédécesseur. » H. LAMMENS, La Syrie, op. cit., vol. I, p. 89-90. 166 MOHAMED BAKHOUCH Ces principes de justice, de clémence, comme le fait de solliciter les conseils et les avis de savants, de faqīh-s et plus généralement d’hommes pieux 24, qui selon certains auteurs sont inspirés chez lui par un profond wara‘ (piété, crainte de Dieu) 25 seront ceux qu’il mettra en application à son accession au pouvoir. Les anecdotes sont nombreuses et il serait fastidieux de les mentionner toutes ; nous nous contentons d’en citer quelques-unes des plus significatives 26. Devenu calife le 22 septembre 717, ‘Umar II va rappeler les armées qui assiégeaient Constantinople. Selon Wellhausen, cette décision émanait d’une conception du ǧihād 27 bien différente de celle de ses prédécesseurs. Il ressort, en effet, de la lecture de certains passages de l’ouvrage du savant allemand que les guerres de conquête (ḥurūb al-fatḥ) n’avaient pas un très grand attrait pour le calife ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz. L’auteur justifie son assertion avec deux arguments : Le premier est que le calife savait pertinemment que les guerres de conquêtes étaient faites non pas pour la propagation de la foi, mais pour le butin ; le second argument est que la politique intérieure accaparait presque entièrement son attention 28. 24. Dans une anecdote nous apprenons que ‘Umar II avait sollicité les conseils de Ḥasan al-Baṣrī, cf. AL-ŠARQĀWĪ, Ḫāmis al-ḫulafā’..., op. cit., p. 111. Dans une autre, nous le voyons demander conseil à un rāhib (un moine chrétien) dans son monastère, Ibn ‘Asākir, Tārīḫ madīnat Dimašq, op. cit., p. 209-210. 25. Wellhausen, procédant à une comparaison dans ce domaine entre différents califes, note que « L’esprit religieux (islamique) était en constante progression dans la dynastie régnante, et ce depuis Mu‘āwiya et ‘Abd al- Malik et jusqu ‘à al-Walīd et Sulaymān. ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, affirme-t-il, était dans ce domaine le chef de file des califes umayyades. Mais sa dévotion était d’une toute autre nature que celle de ses prédécesseurs. Sa piété orientait ses actions dans les affaires de l’État. Sulaymān était dévergondé et aimait les plaisirs, alors que ‘Umar était presque un ascète. Le pouvoir avait donné à Sulaymān les moyens illimités d’assouvir ses passions et il constituait une lourde responsabilité pour ‘Umar. Ce dernier pensait au jugement de Dieu dans tous ses agissements et il craignait constamment de manquer à ses devoirs envers Lui ». WELLHAUSEN, Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya..., op. cit., p. 259–260. C’est nous qui traduisons. Sur cette question, P. M. COBB écrit dans l’Encyclopédie de l’Islam : « de fait, il existe des indices qui font penser que ‘Umar se voyait comme le Mahdī rédempteur et comme un rénovateur (mudjaddid) de l’Islam, alors que la commu- nauté approchait de la fin du premier siècle de l’Islam [...]», loc. cit., p. 887. 26. Le lecteur qui désire en savoir plus ce personnage pourra consulter les très nombreux ouvrages qui lui sont consacrés, dont ceux que nous citons dans ce travail. 27. AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-ašrāf, vol. VII, op. cit., p. 71 : « Hišām b. ‘Ammār m’a rapporté : al-Walīd, informé par Sa‘īd b. Wāqid, raconte : on demanda à ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz : quel est le meilleur ǧihād ? II répondit : le meilleur ǧihād est le ǧihād de l’homme contre ses penchants. » C’est nous qui traduisons. À cette conception du ǧihād, il faut ajouter le rescrit qu’il aurait envoyé à l’un de ses gouverneurs qui lui deman- dait quelle sanction infliger à un apostat d’al-Kūfa : fais lui payer la capitation (al-ǧizya) et laisse-le tranquille (ou libère-le). Une note en bas de page (la note 1) signale : « Il est noté dans la marge du manuscrit d’Istanbul : C’est comme si la tradition du Prophète, que la bénédiction et le salut de Dieu soient sur lui, “celui qui change de religion, tuez-le”, n’était pas parvenue à sa connaissance, que Dieu lui accorde sa miséricorde. Mais Dieu sait le mieux ce qui est juste. » AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-ašrāf, op. cit., vol. VII, p. 130–131. C’est nous qui traduisons. 28. AL-ŠARQĀWĪ affirme que la levée du siège de Constantinople était l’un des trois premiers actes accomplis par ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz lorsqu’il devint calife. Cf. Ḫāmis al-ḫulafā’, op. cit., p. 112. Lammens semble penser la même chose. Il écrit : « Ennemi des guerres de conquête, il commença par rappeler les débris de l’armée arabe, décimée sous les murs de Constantinople. » H. LAMMENS, La Syrie, op. cit., p. 91. Wellhausen pense le contraire ; il note dans son ouvrage (Tārīḫ al-dawla l- ‘arabiyya..., op. cit., p. 260–261) : « ‘Umar n’était pas très enclin aux guerres de conquête et il savait très bien qu’elles n’étaient pas faites pour la cause de Dieu, mais pour le butin. Du reste, le fait que ce soit ‘Umar qui ait fait revenir l’armée musulmane de Constantinople n’est pas avéré ; et il ne pouvait pas, par principe, mettre fin au ǧihād contre l’empereur byzantin, mais il avait abandonné 167 LE CALIFE ‘UMAR B. ‘ABD AL-‘AZĪZ ET LES POÈTES D’autre part, le nouveau calife va instaurer le principe de l’égalité entre les musulmans, quelle que soit leur origine, notamment devant l’impôt. Il a ainsi décidé que les musulmans ne doivent pas payer l’impôt foncier (ḫaraǧ) 29. De même, ceux parmi les chrétiens qui s’étaient convertis à l’islam n’avaient plus à le payer, ni à payer la ǧizya (la capitation) 30. Sur le plan politique, ces décisions représentent l’aspect positif de l’action de ce souverain. L’aspect négatif, quant à lui, réside dans son attitude vis-à-vis des ḏimmīs (ou ahl al- ḏimma, les non-musulmans). En effet, quelques-uns des textes que nous avons consultés montrent que ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz a eu une politique hostile à l’égard des non-musulmans. Des éléments indiquent qu’il était même une sorte de précurseur en la matière. En s’appuyant sur le texte d’une directive envoyée par le calife ‘Umar II à son gouverneur de l’Égypte Ayyūb b. Šarḥabīl et aux Égyptiens, Ḥabīb Zayyāt affirme dans son ouvrage al- Diyārāt al-naṣrāniyya fī al-islām que le calife ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz avait particulièrement accusé les chrétiens d’avoir fait sortir les musulmans du droit chemin et de les avoir incités à cela avec la consommation du vin 31. les avant-postes et avait regroupé l’armée de l’incursion en deçà. [D’ailleurs], il aurait peut-être été content de se retirer de la Transoxiane si l’islam n’avait pas été solidement implanté dans certaines de ses villes. Cependant, et c’était là le moins qu’il pouvait se permettre, il avait empêché d’étendre les frontières dans ce territoire. Toute son attention était tournée vers la politique intérieure [...]. » C’est nous qui traduisons. Cette idée est reprise quelques pages plus loin (p. 283) : « Quant à ‘Umar il détestait le ǧihād ; contrairement à cela, il voulait que les peuples se convertissent à l’islam pacifiquement et, dans ce cas-là, il ne leur demandait pas de payer de l’impôt foncier. » C’est nous qui traduisons. Toutefois, le traducteur de son livre, comme pour récuser cette thèse, signale en note que, sous le règne de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, les musulmans depuis leurs bases espagnoles avaient conquis la ville de Narbonne et l’avaient forti- fiée. Ibid. note 2, p. 261. Signalons enfin que l’auteur de l’article « ‘Umar II » dans l’E.I.2 n’est pas du tout d’accord avec cette vision des choses, il écrit en effet : « On l’a souvent décrit comme un calife pacifique, mais ce fut très vraisemblablement le souci préoccupant d’un trésor califal en diminution qui lui dicta sa position dans les affaires militaires. Ainsi, en 99/717, ‘Umar a-t-il effectivement ordonné aux forces armées, engagées en face de Constantinople, de lever le siège, coûteux et probablement infructueux, et de se replier sur la région de Malaṭya pour y établir la frontière avec les Byzantins. » Loc. cit., p. 886. 29. La question des impôts sous le règne de ‘Umar II a fait l’objet de grandes discussions. Lire à ce sujet : WELLHAUSEN, Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya..., op. cit., p. 259-301 et A. GUESSOUS, « Le rescrit fiscal de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz : une nouvelle appréciation », dans Der Islam, LXXIII, 1996, p. 282-293. 30. Cf. Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya..., op. cit., p. 275–276. L’auteur ajoute plus loin (p. 288) que ‘Umar II ne s’était pas contenté d’exempter les mawlā (les musulmans d’origine étrangère) qui avaient combattu avec les Arabes au Ḫurasān du ḫarāǧ (impôt foncier), mais il leur avait également assigné des pensions et des fiefs. Wellhausen écrit encore (p. 439) : « ‘ Umar b. ‘Abd al-‘Azīz avait essayé de mêler les sujets non Arabes aux Arabes par le biais de l’islam et cela en mettant sur un pied d’égalité [les non Arabes] nouvellement convertis à l’islam et les Arabes [musulmans] sur le plan politique et aussi en les affranchissant de la capitation. Mais il paraît que ce principe n’a pas tardé à être frappé de nullité sous les règnes de ses successeurs [...]. » C’est nous qui traduisons. Enfin, AL-BALĀḎURĪ note à ce propos, dans Ansāb al-ašrāf, vol. VII, op. cit., p. 87 : « Al-Ḥusayn b. ‘Alī b. al-Aswad al-‘Iǧlī, d’après Yaḥyā b. Ādam, d’après Fuḍayl b. ‘Iyyāḍ, m’a rapporté : ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz écrivit à ‘Addī b. Arṭāt : Ensuite, Dieu, gloire à Lui et qu’Il soit loué, n’a imposé la capitation qu ‘à celui qui ne veut pas de l’islam par égarement et par mécompte. Alors examine [les cas] de ceux parmi les non-musulmans qui sont auprès de toi, qui sont âgés et affaiblis et dont les moyens de subsistance ont baissé et pourvois à leur nourriture [en puisant ] dans le trésor des musulmans. Et sur ce, salut ! » C’est nous qui traduisons. 31. Ḥabīb ZAYYĀT, al-Diyārāt al-naṣrāniyya fī al-islām, Dār al-Mašriq, Beyrouth, 1999, 3e édition, p. 42 : «.[...] بﺮﺸﻟﺎﺑ ﻢﻬﺋاﺮﻏاو ﲔﻤﻠﺴﳌا لﻼﺿﺎﺑ ﺔﺻﺎﺧ ىرﺎﺼﻨﻟا ﺰﻳﺰﻌﻟا ﺪﺒﻋ ﻦﺑ ﺮﻤﻋ ﺔﻔﻴﻠﳋا ﻢﻬﺗّا [...]» 168 MOHAMED BAKHOUCH Il ajoute plus loin que c’est un fait « établi et avéré aujourd’hui, que ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz est le premier calife dans l’Islam qui a ostracisé les chrétiens et qui a imaginé le premier plan pour les humilier, les priver et les opprimer». Pour étayer son assertion, l’auteur cite la même missive 32. ‘Umar II a effectivement pris des décisions discriminatoires vis-à-vis des non musulmans, notamment dans le domaine du travail. Il a ainsi demandé à ses gouverneurs de démettre de leurs postes les fonctionnaires non musulmans qui étaient dans leurs services 33. À cette discrimination, le calife umayyade en a ajouté d’autres humiliantes et vexatoires. Il a en effet demandé à ses gouverneurs d’exiger des non musulmans le port de la ceinture (minṭaq, pl. manāṭiq), appelée aussi zunnār, la non-utilisation de selles luxueuses (rukūb al-ukuf) et de se raser le milieu de la tête 34. Sur un plan plus personnel, l’accession de ‘Umar au pouvoir va le conduire à renoncer définitivement aux biens d’ici-bas. Sa démarche est dictée par son désir de ne pas tomber dans les travers de ses prédécesseurs immédiats (les califes issus de son clan) dont il désavoue les excès et par son désir de ressembler aux califes bien guidés et plus particulièrement à son arrière-grand-père ‘Umar b. al-Ḫaṭṭāb, et de s’inspirer de leur conduite 35. Et à en croire les ouvrages consacrés à ce calife, c’est également son sens très aigu de la responsabilité, mêlé au désir d’être irréprochable devant les hommes, mais surtout devant Dieu, qui l’a poussé à se détourner de tout ce qui peut le distraire de sa tâche et de renoncer définitivement aux biens d’ici-bas, à commencer par les avantages liés à sa fonction 36. Il ajoute en citant Tārīḫ Miṣr wa wulātihā d’Abū ‘Umar Muḥammad b. Yūsuf b. Ya‘qūb al-Kindī : « Le vin a été alors interdit, les ustensiles cassés et les tavernes fermées. » Ibid., p. 43. 32. Ibid., p. 43. Cette lettre figure notamment dans l’ouvrage d’Ibn ‘Abd al-Ḥakam, Sīrat ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz (p. 102) que Zayyāt cite ici. Les propos de l’auteur sont confirmés par Claude CAHEN dans son article « Dhimma » dans E.I.2. Il écrit au sujet de l’attitude de ‘Umar II vis-à-vis des non-musulmans : « c’est toutefois à ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz que la tradition, avec sans doute une part de vérité, prête les premières décisions discriminatoires à leur égard. » E.I.2 , tome II, p. 234-238. 33. Cf. Ansāb al-Ašrāf, op. cit., vol. VII, p. 104. Lire également les pages 86, 99 et 134. 34. Ibid. p. 137-138. 35. Voici ce qu’écrit LAMMENS dans son ouvrage, La Syrie, précis historique, op. cit., p. 91 : « Ce fut un prince austère, pénétré, semble-t-il, du sentiment de sa responsabilité. [...] Il essaya consciencieusement, sans y réussir, de concilier les intérêts de l’État avec une perception plus équitable de l’impôt, d’améliorer la situation des mawla ou musulmans d’origine étrangère, traités en inférieurs par leurs coreligionnaires arabes. ‘Omar lutta contre cet ostracisme ; il visa à élargir l’accès à l’islam. » 36. Il aurait renoncé ainsi aux revenus de Fadak, un village près de Médine qu’il avait reçu en tant que calife. WELLHAUSEN, Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya..., op. cit., p. 287 : « Le village de Fadak, près de Médine, était l’un des biens que Dieu avait livré entre les mains de (restitué à) son Envoyé. Puis, il a été transféré après sa mort à celui qui était investi du gouvernement des musulmans. Il était passé alors sous le pouvoir des califes qui lui avaient succédé. Puis les Umayyades l’avaient confisqué et Mu‘āwiya l’avait attribué comme fief à Marwān b. al-Ḥakam. Ensuite il est revenu, en dernier lieu à ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz qui lui a rendu son statut initial et l’a donné à la famille du Prophète, que le salut soit sur lui, les Alides. Et ainsi, ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz avait abrogé ce que Abū Bakr et ‘Umar avaient pratiqué. Cela veut dire qu’il ne les suivait pas aveuglément. ‘Umar a également rendu à Ibrāhīm b. Muḥammad b. Ṭalḥa la maison qu’on lui avait prise à La Mecque. » C’est nous qui traduisons. Lire la même anecdote dans AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-ašrāf, op. cit., vol. VII, p. 108–109 ; chez IBN ‘ASĀKIR, Tārīḫ madīnat Dimašq, op. cit., p.178–179 ; et dans l’ouvrage de ‘Abd al-Raḥmān AL-ŠARQĀWĪ, Ḫāmis al-ḫulafā’, op. cit., p. 133–134. 169 LE CALIFE ‘UMAR B. ‘ABD AL-‘AZĪZ ET LES POÈTES Le zuhd de ‘Umar a forcé l’admiration des musulmans, mais il a aussi, nous apprend al- Balāḏurī, suscité l’admiration et le respect de l’empereur byzantin 37. De même, le fait que ‘Umar II ait cherché à s’entourer de fuqahā’, de savants et d’ hommes pieux, pourrait être considéré comme une sorte de précaution pour le préserver de l’erreur et plus généralement de lui éviter les tentations d’un pouvoir quasi absolu 38. Le rapide portrait que nous venons de faire de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz appelle deux remarques : — Les très graves décisions discriminatoires prises par ce souverain à l’encontre des non- musulmans portent préjudice à son action politique dans son ensemble et constituent un lourd passif dans le bilan de son règne. — L’accession de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz au poste de vizir semble constituer une étape importante dans son parcours d’homme et de politique. L’entourage dans lequel il a évolué et la nature des conseils qu’il a prodigués au calife Sulaymān annoncent le changement radical du cours de sa vie, qui va coïncider avec son arrivée au pouvoir. Alors quel intérêt portait cet homme à la poésie ? La connaissait-il ? Qu’en pensait- il ? Y a-t-il eu, au cours de sa vie, un changement d’attitude vis-à-vis de la poésie et des poètes ? Telles sont les questions auxquelles nous allons tenter de répondre. Dans son Dictionnaire, Kazimirski note au sujet de Fadak : « village près de Khaïbar, dans le Hedjaz, légué par Maho- met à sa fille Fatima et confisqué par Aboubakr », KAZIMIRSKI, Dictionnaire arabe-français, Maisonneuve et Cie, éditeurs, Paris, 1860, vol. II, p. 556. D’autre part, dans Ansāb al-ašrāf, AL-BALĀḎURĪ rapporte (vol. VII, p. 122) que, devenu calife, ‘Umar a demandé à son épouse de choisir entre rendre aux caisses du trésor les bijoux que son père ‘Abd al-Malik b. Marwān lui avait offerts lors de son mariage et le divorce. À la page suivante (p. 123) l’auteur note : « Al-Madā’inī d’après Ismā‘īl al-Hamdānī d’après son père : J’ai appris que lorsque ‘Umar avait accédé au califat, il avait inventorié ce qu’il possédait comme esclaves des deux sexes, comme biens, habits, parfums et autre et il avait ordonné de les vendre. On les avait vendus [pour] une somme qui s’élevait à vingt-trois mille dinars. ‘Umar avait constitué avec cet argent une fondation pieuse. » C’est nous qui traduisons. C’est ce même principe qui l’a incité à demander aux Umayyades de rendre aux caisses du trésor les fortunes qu’ils ont accumulées indûment. Cf. AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-ašrāf, op. cit., vol. VII, p. 70 et 117-118. 37. Ibid., p. 117 : « Hišām b. ‘Ammār, citant Ibn Wāqid, m’a raconté : Ayant appris la mort de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz l’empereur byzantin avait dit alors : Je ne m’étonne pas [du renoncement] des moines et des hommes pieux pour les- quels les biens de ce monde sont inaccessibles, mais ce qui m’étonne c’est celui qui renonce aux biens de ce monde alors qu’il les possède. » C’est nous qui traduisons. Le respect et l’admiration voués à ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz semblent avoir été suffisamment larges pour englober les Abbassides, ennemis et successeurs des Umayyades. Une anecdote rapportée par Wellhausen montre comment la vengeance abbasside n’avait pas épargné les morts parmi les Umayyades et comment leurs tombes avaient été profanées, leurs corps, quand il en restait quelque chose, étaient déterrés, suppliciés et brûlés ; seuls Mu‘āwiya b. Abī Sufyān et ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz avaient échappé à cette violence post-mortem et à cette ultime humiliation. ﻲﻓو ﺔﻓﺎﺻﺮﻟاو ﻖﺑادو ﻖﺸﻣد ﻲﻓ ﺔﻴﻣأ ﻲﻨﺑ ﻦﻣ ﻢﻫﺮﻴﻏو ءﺎﻔﻠﳋا رﻮﺒﻗ ﺖﺸﺒﻨﻓ ،ﻢﻬﺴﻔﻧأ ﲔﻳﻮﻣﻷا ﻰﺗﻮﻣ بﺎﻘﻌﻟا ﻦﻣ ﺖﻠﻔﻳ ﻢﻟ ﻪﻧأ ﻩاﺰﻐﻣ ﻪﻟ ﺎﳑو » ﺔﻳوﺎﻌﻣو ﺰﻳﺰﻌﻟا ﺪﺒﻋ ﻦﺑ ﺮﻤﻋ نأ ﺮﻈﻨﻟا ﺖﻔﻠﺘﺴﻳ ﺎﳑو .ﺎﻬﻨﻣ ءﻲﺷ ﻢﻫرﻮﺒﻗ ﻲﻓ ﻲﻘﺑ ﺪﻗ نﺎﻛ نإ ،رﺎﻨﻟﺎﺑ ﻢﻬﺘﺜﺟ ﺖﻗﺮﺣأو ،ﻦﻛﺎﻣﻷا ﻦﻣ ﺎﻫﺮﻴﻏو ﻦﻳﺮﺴﻨﻗ « .[...] ،ءﻮﺴﺑ ﺎﺴّ ﳝ ﻢﻟ نﺎﻴﻔﺳ ﻲﺑأ ﻦﺑ WELLHAUSEN, Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya..., op. cit., p. 523. 38. Selon ‘Abd al-Raḥmān AL-ŠARQĀWĪ, juste après avoir été déclaré calife et avant même de prier sur la dépouille de son prédécesseur , ‘Umar II aurait écrit à Ḥasan al-Baṣrī et à un autre homme pieux nommé Muṭrif b. ‘Abd Allāh pour leur demander de le conseiller. Cf. Ḫāmis al-Ḫulafā’, op. cit., p. 111. À propos des gouverneurs choisis par ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, du rôle des fuqahā’ et l’importance des juges, lire WELLHAUSEN, Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya..., op. cit., p. 262–263.

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Nous nous proposons dans cet article de mettre en lumière les rapports du calife 'Umar b. 'Abd al-'Azīz avec les poètes et la nature du statut qu'ils
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