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Trotski : le révolutionnaire sans frontières PDF

632 Pages·19.566 MB·French
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TROTSKY DU MÊME AUTEUR Les paroles qui ébranlèrent le monde, Seuil, coll. « L’Histoire immé- diate», 1967. Staline, Seuil, coll. « L’Histoire immédiate », 1967. Les Bolcheviks par eux-mêmes (avec Georges Haupt), Maspero, 19 69. L’Affaire Guinzbourg-Galanskov (avec Carol Head), Seuil, coll. «Combats», 1976. Le Trotskisme, Flammarion, coll. « Champs », 1977. Trotsky, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1980. Trotsky, LGF, coll. « Biblio essais », 1 984. Vladimir Vissotsky, Seghers, 1989. 1953, les derniers complots de Staline, Complexe, coll. « La Mémoire du siècle », 1993. Staline, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1995. La Russie de 1855 à 1956, Hachette, coll. « Les Fondamentaux », 1997. La Jeunesse de Trotsky, Autrement, coll. « Naissance d’un destin », 1998. La Jeunesse de Staline, Autrement, coll. « Naissance d’un destin », 1998. Le Goulag, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1999. Staline, Fayard, 2001. Le Trotskisme et les trotskistes, Armand Colin, 2002. Staline,J ’ai lu, 2003. Lénine, Balland, 2004. La Guerre civile russe 1917-1922, Autrement, 2005. Cronstadt, Fayard, 2005. Jean-Jacques MARIE TROTSKY Révolutionnaire sans frontières BIOGRAPHIE PAYOT Retrouvez l’ensemble des parutions des Editions Payot & Rivages sur www. payot-rivages . fr Collection dirigée par Sophie Bajard Photo de l’auteur : © Adine Sagalyn Illustrations de couverture : Affiche de propagande russe célébrant le 1e r mai, Moscou, musée de la Révolution, © Bridgeman-Giraudon ; portrait de Trotsky, photographie, © akg-images. Cartes : ExC © 2006, Éditions Payot & Rivages, 106, bd Saint-Germain - 75006 Paris. Avant-propos De nombreux personnages historiques, comme Napo- léon, ont suscité une haine qui s’est éteinte au fil des ans. D’autres en revanche, comme Robespierre et les Jacobins, sont toujours poursuivis par une vindicte tenace. Les par- tisans de l’Union européenne et de la dislocation des États- nations en une mosaïque de régions s’attachent en France à dénoncer et à démolir l’héritage politique qui fait obstacle à cet émiettement ; ils caricaturent les Jacobins, déguisés en maniaques sanglants de la guillotine et en inventeurs para- noïaques de complots fantasmatiques. Trotsky et les trots- kystes subissent, décuplé, un sort similaire. Un journaliste écrit ainsi en 2002 que lorsque la théorie de la « révolution permanente » de Trotsky « inspire ceux qui tiennent les commandes de l’État, la folie n’a plus de limite ». Les dis- ciples de Trotsky utiliseraient, d’ailleurs, « la ruse comme le terrorisme, la manipulation ou l’infiltration, le complot et la guérilla* ». Dans son numéro des 30-31 juillet 2005, le Financial Times, qui s’intéresse d’ordinaire plus au cours des actions, à la santé des marchés financiers et à la marche des privatisations qu’à l’histoire lointaine, qualifie Trotsky, incar- nation de la propriété collective, de « monstre moral [...], assassin de masse qui a voulu asservir le monde d’un seul coup et à jamais au lieu de le faire morceau par morceau comme Staline », pire donc que ce dernier ! 7 Trotsky Pourquoi le fantôme de Trotsky hante-t-il tant d’esprits ? Hier, l’acharnement contre lui visait le représentant de la révolution russe. Staline a traqué en lui ce même héritage, sa volonté de lutter contre la bureaucratie parasitaire et de construire une nouvelle Internationale continuatrice des trois premières après la faillite de la troisième. Si l’achar- nement et la caricature se perpétuent, c’est que la période historique ouverte par la révolution d’octobre 1917 n’est pas close. Reprenant une phrase de la révolutionnaire allemande assassinée en 1919, Rosa Luxemburg, le manifeste de fon- dation de l’internationale communiste, rédigé par Trotsky, affirmait que l’humanité se trouvait placée devant l’alter- native suivante : « Socialisme ou barbarie. » Le stade impé- rialiste du capitalisme, aujourd’hui évoqué par les mots asexués de « globalisation » ou « mondialisation », signifie que ce dernier, jadis moteur du développement des forces productives, est devenu facteur de régression et de destruc- tion. La domination du capital financier annonce une crise mortelle du capitalisme. Ce dernier se survit en organisant la désindustrialisation et en remplaçant l’industrie par des activités parasitaires comme l’économie de la drogue, qui brasse plus de 600 milliards de dollars par an et détruit des millions d’êtres sur le marché de la prostitution, la produc- tion des divers narcotiques religieux (pullulement des reli- gions, sectes...) et le développement de secteurs en expansion permanente dits de « services » qui produisent et vendent du vent (communication, publicité, cabinets d’audit et de conseil en tous genres). Sous l’impulsion du FMI et de l’Union européenne, le désengagement systéma- tique de l’État livre des secteurs entiers et vitaux de l’exis- tence de tout un chacun aux appétits insatiables du privé. Trotsky était attaché à la défense de l’Union soviétique, malgré sa monstrueuse dégénérescence bureaucratique et policière, en raison du progrès que représentait la propriété d’État et la planification économique. Ce progrès ne pou- vait, à ses yeux, être préservé que par l’extension de la révolution dans les principaux pays industrialisés. L’His- toire l’a confirmé : en 1922, le revenu d’un citoyen sovié- 8 Avant-propos tique était 33 fois plus bas que celui d’un citoyen américain. Malgré les destructions effroyables et les 27 millions de morts d’une Seconde Guerre mondiale qui a enrichi les Etats-Unis et assuré leur domination mondiale, malgré la course aux armements imposée par eux à l’URSS et malgré les faux frais énormes du parasitisme stalinien, la différence n’était plus que de un à quatre ou cinq en 1990, lorsque la décomposition de la bureaucratie dominante et la pres- sion économique et militaire de l’impérialisme américain ont fait exploser l’Union soviétique. En 1936, Trotsky avait prédit que la chute de la pro- priété d’Etat en Union soviétique entraînerait un effondre- ment économique et culturel, dont il ne pouvait deviner les formes exactes qu’il prendrait soixante ans plus tard : un pillage destructeur généralisé qui a réduit un bon tiers de la population à vivre du produit de ses jardins ou lopins de terre, de la pêche, de la chasse, voire de la cueillette ou du troc. C’est l’une des marques de la décomposition glo- bale du système de la propriété privée des moyens de pro- duction. Pour se survivre aujourd’hui, ce système organise à l’échelle de la planète une politique générale et systéma- tique de baisse du coût du travail, de destruction des acquis sociaux, des codes du travail, des conventions collectives au nom de la « flexibilité », de la « mobilité », de l’« adap- tabilité », de la « déréglementation » et de la « dérégula- tion ». Il détruit des États entiers comme la Yougoslavie et l’Irak, ruine l’Afrique après l’avoir pillée et y provoque d’interminables guerres dites « interethniques », fruit de sa domination ; il liquide les institutions démocratiques au profit d’institutions totalitaires comme les institutions euro- péennes (Commission, Banque centrale) qui bafouent les fondements de la démocratie politique (élection, publicité des débats, compte rendu de mandat) ; il tente de leur subordonner ou d’y intégrer, donc de dénaturer, les syn- dicats. Les partis socialistes et communistes, jadis fondés pour instaurer la propriété collective des moyens de pro- duction, se prononcent aujourd’hui partout pour la pro- priété privée et, une fois au gouvernement, privatisent sans 9 Trotsky retenue. Pour défendre le droit des multinationales à piller prétendument au nom de la « démocratie », les bases et les contingents militaires américains se répandent par le monde comme des métastases. Les Etats-Unis et la Banque mondiale financent à foison les organisations dites « de la société civile » pour remplacer partis et syndicats, institu- tions traditionnelles de la démocratie. La calomnie, écrivit un jour Trotsky, fait partie inté- grante de la vie politique. Elle frappe d’ordinaire ceux qui veulent modifier l’ordre social existant dans lequel ils voient une source d’injustices et un obstacle au développement de la civilisation humaine. Dans ce domaine, Léon Trotsky (1879-1940) a été servi mieux que personne et l’est toujours près de soixante-dix ans après sa mort. Tout commence en 1913 : Trotsky, correspondant du journal libéral russe Kievskaia Mysl dans la guerre des Bal- kans, dénonce un jour les sévices barbares infligés aux pri- sonniers turcs par des soldats et des officiers bulgares. La presse gouvernementale russe le dénonce aussitôt comme un agent stipendié de la monarchie austro-hongroise. Ce n’est qu’un modeste début. Expulsé de France en octobre 1916 pour son opposition à la guerre, réfugié aux Etats-Unis, qu’il tente de quitter dès le renversement de la monarchie russe au début du mois de mars 1917, il arrive à Petrograd le 5 mai. Aussitôt, l’ambassadeur anglais Buchanan l’accuse d’avoir reçu aux Etats-Unis dix mille dollars d’une agence allemande pour renverser le gouver- nement provisoire russe, partisan de la guerre. Le journal du Parti constitutionnel-démocrate (Cadet), favorable à la guerre, reprend pieusement les propos de l’ambassadeur. Un an plus tard, le général-baron Wrangel, chef de l’armée blanche de la Russie du Sud, rencontrant un jour un ancien compagnon d’armes en service dans l’Armée rouge, lui reproche de « travailler en collaboration avec l’espion allemand Trotsky », alors commissaire du peuple à la Guerre 2. Certains cercles antisémites de l’émigration russe accusent en même temps Trotsky d’avoir servi l’Okhrana, la police politique du tsar. L’écrivain monar- 10 Avant-propos chiste Kouprine, qui reviendra triomphalement en URSS sous Staline, en 1937, reprend cette rumeur dans la Nouvelle Vie russe des 20-21 janvier 1920. De leur côté, les blancs représentent Trotsky comme un tueur sanguinaire : une caricature le dépeint en Gengis Khan rouge au nez crochu, arborant la croix de David au-dessus d’un monticule de crânes identique à ceux que Tamerlan édifiait jadis aux portes des villes qu’il ravageait, et que des marins et des soldats chinois et mongols fouillent négligemment de leurs baïonnettes. Reprenant cette même idée, le fasciste François Coty dénoncera en lui en 1932 « le plus grand assassin de tous les temps qui se nommait Bronstein dans le ghetto ». Et, dans le journal Rex du 14 août 1936, au moment où Staline le qualifie d’agent de la Gestapo, le fasciste belge Léon Degrelle s’exclamera : « Cet Hébreu ayant sur les pattes le sang de millions d’ouvriers russes, je ne verrais aucun inconvénient à ce qu’on lui plantât entre les omoplates un poignard de trente centimètres. » En janvier 2001, la revue russe Novy Mir compare Mein Kampf de Hitler à Ma vie de Trotsky et conclut : « Trotsky était lui aussi un salaud, mais il écrivait mieux 3 . » Des faux divers enrichissent cette image du tueur. En mars 1921, les marins et la garnison de Cronstadt se sou- lèvent contre le gouvernement bolchevique. Le jour même où l’insurrection est écrasée, un monarchiste russe, installé en Finlande, évoque un « décret de Trotsky - imaginaire - décidant l’extermination de tous les habitants de la ville mutinée âgés de plus de six ans ». Trois jours plus tard, deux anciens dirigeants de l’insurrection dénoncent « un ordre du gredin Trotsky qui promettait de fusiller avec nous la population à partir de l’âge de dix ans jusqu’à soixante ans 4 ». En 1923, un certain Melgounov, collec- tionneur de rumeurs et de ragots, dont La Terreur rouge vient d’être rééditée en France, accuse Trotsky d’avoir fait fusiller, lors de la prise de Sébastopol en 1920, cinq cents dockers et cinquante mille officiers. La lutte engagée par Trotsky dès 1923 contre Staline et sa bureaucratie galopante donne une nouvelle dimension 11

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