TRAJECTOIRES EUROPÉENNES DU SECRETUM SECRETORUM DU PSEUDO-ARISTOTE (xiiiE-xviE SIÈCLE) ALEXANDER REDIVIVUS Collection dirigée par Catherine Gaullier-Bougassas Margaret Bridges Corinne Jouanno Jean-Yves Tilliette Trajectoires européennes du Secretum secretorum du Pseudo-Aristote (xiiie-xvie siècle) Sous la direction de Catherine Gaullier-Bougassas, Margaret Bridges et Jean-Yves Tilliette F Cet ouvrage a bénéficié d’une aide de l’Agence Nationale de la Recherche portant la référence ANR-O9-BLANC-0307-01 et s’inscrit à l’intérieur du programme de recherches sur la création d’un mythe d’Alexandre le Grand dans les littératures européennes que Catherine Gaullier-Bougassas, profes- seur à l’Université de Lille 3 et membre de l’Institut universitaire de France, dirige et qui est hébergé à la MESHS –Maison européenne des Sciences de l’Homme et de la Société (CPER 2009-2010, ANR 2009-2014). © 2015, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. ISBN 978-2-503-55415-0 D/2015/0095/30 Printed in the EU on acid-free paper Cheminements culturels et métamorphoses d’un texte aussi célèbre qu’énigmatique Au cours des dernières décennies du vingtième siècle, dans le contexte d’une réévaluation de l’héritage philosophique, scientifique et littéraire de l’Europe, les études et les réflexions sur le rôle de la culture et de la science arabes se sont multipliées. De nombreux chercheurs ont dirigé notre regard vers les centres où se sont tissés des liens intimes entre penseurs, écrivains et traducteurs latins, arabes et juifs1, et ont étudié la transmission arabe du savoir grec vers l’Occident médiéval ainsi que l’influence de la pensée philosophique et scientifique arabe et aussi juive en Europe2, alors que d’autres se sont tour- nés vers l’influence de la littérature arabe sur les littératures européennes pour étudier la naissance de l’orientalisme littéraire européen3. Le Moyen Âge est 1. Nous pensons ici aux nombreuses études centrées sur al-Andalus ou sur la Sicile médiévale et la cour de Frédéric II, mais aussi sur d’autres lieux plurilingues et multiculturels de réflexion philosophique et théologique comme l’Angleterre ou la cité d’Antioche. Sur les traductions, citons les nombreuses études de Marie-Thérèse d’Alverny, de Charles Burnett et de Roshdi Rashed et, parmi elles, M.-T. d’Alverny, La transmission des textes philosophiques et scienti- fiques au Moyen Âge, éd. C. Burnett, Aldershot, 1994 ; C. Burnett, The Introduction of Arabic Learning into England, Londres, 1997, et les références à plusieurs de ses articles aux notes 2, 18, 23 et 31 ; R. Rashed, Histoire des sciences arabes, t. 1, Astronomie théorique et appliquée ; t. 2, Mathématiques et physique ; t. 3, Technologie, alchimie et sciences de la vie, Paris, 1997. Voir aussi les études et les documents iconographiques réunis dans Lumières de la sagesse. Écoles médié- vales d’Orient et d’Occident, éd. E. Vallet, S. Aube et T. Kouamé, Paris, 2013 (ouvrage réalisé à l’occasion de l’exposition présentée à l’Institut du monde arabe, Paris, de septembre 2013 à janvier 2014). Sur les traductions du grec à l’arabe, nous renvoyons aux ouvrages de A. Badawi et D. Gutas, cités plus loin à la note 15, ainsi qu’à la note 13, et à F. E. Peters, Aristoteles Arabus : The Oriental Translations and Commentaries of the Aristotelian Corpus, Leyde, 1968. 2. A History of Twelfth-Century Western Philosophy, éd. P. Dronke, Cambridge, 1998 (1ère édition, 1988), avec Jean Jolivet, « The Arabic Inheritance », p. 113-148 et Charles Burnett, « Scientific Speculations », p. 151-176 ; A. de Libera, Penser au Moyen Âge, Paris, 1991 et idem, La philosophie médiévale, Paris, 1993. Sur les traductions d’Aristote en latin, voir la base de données Aristoteles Latinus Database - online (2014), Brepols. Les études sur les apports arabes à la civilisation européenne ont suscité des controverses récentes, du moins en France : voir à ce sujet Les Grecs, les Arabes et nous. Enquête sur l’islamophobie savante, éd. P. Büttgen, A. de Libera, M. Rashed et I. Rosier-Catach, Paris, 2009. 3. Voir notamment D. Metlitzki, The Matter of Araby in Medieval England, New Haven, 1977 ; M. Menocal, The Arabic Role in Medieval Literary History, Philadelphie, 1987 ; D. A. Trotter, Medieval French Literature and the Crusades (1100-1300), Genève, 1988 ; Y. Foehr-Janssens, Le temps des fables. Le Roman des Sept Sages ou l’autre voie du roman, Paris, 1994 ; C. Gaullier-Bougassas, La tentation de l’Orient dans le roman médiéval. Sur l’imaginaire Trajectoires européennes du Secretum secretorum du Pseudo-Aristote (xiiie-xvie siècle) éd. Catherine Gaullier-Bougassas, Margaret Bridges et Jean-Yves Tilliette Turnhout, 2015, (Alexander Redivivus, AR. 6) pp. 5-26 © F H G DOI 10.1484/M.AR.5.103383 6 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette en effet l’une des périodes où les contacts intellectuels de l’Europe avec le monde arabo-musulman ont été les plus intenses, particulièrement au cours des xiie et xiiie siècles, avec le grand mouvement des traductions en latin de textes arabes, scientifiques et philosophiques. Dans le même temps, durant ces deux siècles, l’Occident médiéval se réapproprie l’héritage aristotélicien, en grande partie à partir des traductions arabes, et de nombreux traités apo- cryphes arabes attribués à Aristote sont aussi traduits en latin4. La traduc- tion partielle par Jean de Séville du texte auquel ce volume est consacré fait connaître à l’Occident médiéval latin l’un des premiers libri naturales attribué au Stagirite. De tous les textes faussement prêtés à Aristote, le Sirr-al-asrar5 [Secret des secrets] est sans doute celui qui a connu le plus grand succès, tant en Orient qu’en Occident, et durant des siècles. Le nombre de manuscrits arabes actuel- lement répertoriés, une cinquantaine6, est certes bien moins important que médiéval de l’Autre, Paris, 2003 ; R. R. Marsan, Itinéraire espagnol du conte médiéval, viiie-xve siècle, Paris, 1974 ; J. Abu Haidar, Hispano-Arabic Literature and the Early Provençal Lyrics, Londres, 2001 ; A. Galmés de Fuentes, Romania arábica : estudios de literatura comparada árabe y romance, 2 t., Madrid, 1999 et 2000 ; idem, La épica románica y la tradición árabe, Madrid, 2002 ; D’Orient en Occident : les recueils de fables enchâssées avant les Mille et une nuits de Galland (Barlaam et Josaphat, Calila et Dimna, Disciplina clericalis, Roman des sept sages), éd. M. Uhlig et Y. Foehr-Janssens, Turnhout, 2014. Impossible pour nous de ne pas citer ici, hors du champ des études médiévales, Edward Said, précurseur de la critique dite postcoloniale, qui publia son Orientalism en 1978. 4. Un répertoire d’œuvres médiévales faussement attribuées au Stagirite, souvent d’origine arabe, a été publié par C. B. Schmitt et D. Knox, dans Pseudo-Aristoteles Latinus. A Guide to Latin Works Falsely Attributed to Aristotle Before 1500, Londres, 1985. Il mentionne une cen- taine de textes ; celui qui a connu la diffusion la plus large et la plus complexe est de très loin le Secretum secretorum (ibidem, p. 54-75). 5. Nous adoptons pour les analyses de ce volume des translittérations simplifiées de l’arabe. 6. Sur les manuscrits arabes, voir la seule édition du texte, sous sa version longue, qui existe et qui a été réalisée par A. Badawi, Fontes graecae doctrinarum politicarum islamicarum, Pars Prima, Al-Usul al-yunaniya li-n-nazariyat as-siyasiya fi l-Islam, Le Caire, 1954, et les études et listes de M. A. Manzalaoui et M. Grignaschi dans respectivement « The Pseudo-Aristotelian Kitāb Sirr al-asrār. Facts and Problems », Oriens, 24/4 (1974), p. 147-257 et « L’origine et les métamorphoses du Sirr-al-’asrâr », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 43 (1976), p. 7-112. Après de premières études au xixe siècle par R. Foerster et M. Steinschneider, le texte arabe a en effet dû attendre A. Badawi pour bénéficier d’une édition en 1954. Auparavant il a pu être connu par la traduction anglaise de I. Ali dans l’édition glosée de la traduction latine de Philippe de Tripoli par Roger Bacon : Secretum secretorum cum glossis et notulis, éd. R. Steele, Opera hactenus inedita Rogeri Baconi, Oxford, 1920, t. 5, p. 176-266. L’édition de A. Badawi a relancé la recherche avec les études de M. A. Manzalaoui et M. Grignaschi. Au-delà de leurs deux articles déjà signalés, mentionnons, parmi d’autres, M. A. Manzalaoui, « The Secreta un texte aussi célèbre qu’énigmatique 7 celui des manuscrits de ses traductions en latin et dans les langues vernacu- laires européennes, ce qui laisse penser à une diffusion moins large dans le monde musulman. C’est néanmoins difficile à apprécier, car les nombreuses et précises citations ou réemplois du Sirr-al-asrar dans des œuvres arabes savantes et souvent très célèbres, ainsi que ses traductions en perse et en turc, invitent à nuancer l’impression que peut donner ce chiffre par ailleurs sans doute incertain. À l’encontre de l’affirmation de Philippe de Tripoli, dans le prologue de sa traduction en latin, selon laquelle le texte était peu répandu chez les Arabes, l’un des témoignages peut-être les plus éclatants nous est apporté par le prestigieux historien Ibn Khaldun (né en 1332 à Tunis, mort au Caire en 1406), qui, dans les prolégomènes à son histoire universelle, écrit que le Sirr-al-asrar était très connu et très lu à son époque, bien que lui-même émette des doutes sur l’authenticité de son attribution à Aristote7. La multi- plicité des références au texte dans de nombreuses œuvres arabes et le contenu divers des citations attestent aussi la pluralité des lectures dans le monde mu- sulman, pluralité qu’encourage au reste l’hétérogénéité apparente des disci- plines traitées, principalement la politique, la philosophie et une cosmogonie, l’astronomie et l’astrologie, l’onomancie, la médecine, la physiognomonie, les sciences occultes de la magie et de l’alchimie. Cette hétérogénéité résulte sans doute de l’écriture du texte en plusieurs étapes et de sa progressive amplifica- tion. Elle est aussi la conséquence probable de la théorie du pouvoir politique qui semble avoir été d’emblée développée, avec, notamment sous l’influence d’écrits hermétiques, l’instrumentalisation de nombreuses sciences au profit du calife. Le double titre fréquent dans les manuscrits médiévaux est Kitab- as-siyasah fi tadbiri-r-ri’asati-l-ma ruf bi-Sirri-l-asrar [Le Livre de la politique secretorum. The Mediaeval European Version of Kitāb Sirr-ul-Asrār », dans Bulletin of the Faculty of Arts, University of Alexandria, 15 (1961), p. 83-107, M. Grignaschi, « La diffusion du Secretum secretorum (Sirr-al-’asrâr) dans l’Europe occidentale », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 47 (1980), p. 7-70 et idem, « Remarques sur la formation et l’inter- prétation du Sirr al-’asrār », dans Pseudo-Aristotle, The Secret of Secrets. Sources and Influences, éd. W. F. Ryan et C. B. Schmitt, Londres, 1982, p. 3- 25. R. Forster consacre une centaine de pages au texte arabe dans son ouvrage Das Geheimnis der Geheimnisse. Die arabischen und deutschen Fassungen des pseudo-aristotelischen Sirr al-asrār /Secretum secretorum, Wiesbaden, 2006, p. 2-112. 7. Sur ces citations et réemplois, et sur l’influence de l’œuvre dans le monde musulman, voir en dernier ressort R. Forster, Das Geheimnis der Geheimnisse, op. cit., p. 30-48, p. 37 sur Ibn Khaldun. On se reportera aussi à M. A. Manzalaoui, « The Pseudo-Aristotelian Kitāb Sirr al- asrār », art. cit., p. 238-245. 8 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette sur la manière de gouverner, connu sous le nom de Secret des secrets8]. Il met en avant le statut de speculum regis, mais ce qui semble être originellement un deuxième titre, Sirr-al-asrar, s’est imposé comme le titre majeur et de nom- breuses preuves existent du grand intérêt porté aux sciences occultes, même dans les manuscrits de la version courte du texte9. Ce dernier présente ainsi un mélange, étrange à nos yeux modernes, de réflexions philosophiques, de développements scientifiques, tantôt très obscurs tantôt très concrets, et de conseils pratiques, pour une vision finalement très pragmatique du pouvoir, dont la finalité essentielle est la recherche de la toute-puissance et de la gloire. Que savons-nous au juste aujourd’hui de cette œuvre complexe, pour ne pas dire « cosmopolite », qui, à travers ses traductions, a ensuite circulé en Europe au moins jusqu’au xvie siècle dans les cours – papale, impériale, royales et seigneuriales –, dans les universités et jusqu’aux foyers de la bourgeoisie européenne, non seulement sous forme de traductions ou bien d’éditions nou- velles en latin – Roger Bacon, Engelbert d’Admont – mais également en ins- pirant des œuvres littéraires et parfois philosophiques telles que l’Alexander d’Ulrich von Etzenbach dans la Bohême de la fin du xiiie siècle, la Confessio amantis de John Gower ou le Regimen of Princes de Thomas Hoccleve dans l’Angleterre du début du xve siècle, en suscitant encore au xvie siècle l’intérêt de certains humanistes et leur réécriture latine de l’œuvre – nous pensons à Alexandre Achillini –, et en contribuant de bien des façons à modifier l’image que l’on se faisait de son destinataire intra-diégétique, Alexandre10 ? Attribué à Aristote, tirant sans doute l’une de ses origines des lettres du philosophe à Alexandre, grecques ou plus vraisemblablement arabes, et s’appuyant dans ses premiers discours sur quelques emprunts à l’Éthique à Nicomaque, le texte arabe se compose à partir d’une multiplicité d’influences philosophiques et surtout il véhicule toute une pensée néo-platonicienne fortement influencée par l’hermétisme hellénistique tel que se l’approprie et le repense le monde arabe, directement ou indirectement, via la culture perse11. Nous trouvons ainsi de forts échos du concept platonicien du roi- 8. Cité avec sa traduction d’après M. Grignaschi, « L’origine et les métamorphoses », art. cit., p. 8. 9. Voir M. Grignaschi, « Remarques sur la formation », art. cit., p. 7. 10. C’est l’argument avancé ici par la contribution de S. J. Williams, dont l’étude sur le Secretum secretorum, l’identité de ses traducteurs latins et les conditions de sa réception, sera par ailleurs souvent citée dans ce livre. 11. Sur les échos de l’Éthique à Nicomaque, sur l’influence de la pensée néo-platonicienne et notamment le concept du roi-philosophe, voir M. A. Manzalaoui, « The Pseudo-Aristotelian Kitāb Sirr al-asrār », art. cit., p. 201-202, 160-162 et 196-201. un texte aussi célèbre qu’énigmatique 9 philosophe, une évocation de l’âme universelle dans la section de cosmogonie, un exposé sur les correspondances entre microcosme, macrocosme et corps politique, sur les pouvoirs alchimiques, sur les influences occultes des éléments naturels et l’art de les utiliser grâce aux talismans. La présentation d’Aristote et de son apothéose dans le prologue évoque d’ailleurs précisément celles d’Hermès et d’Esculape dans des traités hermétiques arabes. Des emprunts importants à l’Encyclopédie des Frères de la Pureté ont renforcé cette influence néo-platonicienne12. Qu’en est-il maintenant des circonstances de l’écriture du texte ? La date précise, le lieu et le nom de l’auteur nous échappent. Ce qui est certain, c’est que le Sirr-al-asrar, sous une forme première, existait avant 941 (date du plus ancien manuscrit conservé d’un fragment du texte), qu’une rédaction en huit livres est évoquée très précisément dans un ouvrage du médecin de Cordoue Ibn Gulgul en 987, et que nous conservons deux versions, l’une dite courte, en huit ou sept livres, et l’autre longue en dix livres. Le prologue l’attribue à Yahya ibn al-Bitriq, savant, probablement melkite, qui vivait à Bagdad au temps du calife abbasside al-Mamun. Il appartenait au groupe des traducteurs les plus célèbres du calife, et peut-être au cercle d’al- Kindi13. Cette attribution du Sirr-al-asrar est actuellement presque unani- mement remise en cause, de même que son statut de traduction, qui apparaît comme une fiction puisque aucun texte grec équivalent n’existe ni ne semble avoir existé. Le Sirr-al-asrar est bien une œuvre originale de la culture arabe, écrite à partir d’influences tant grecques qu’arabes, perses et indiennes14. Mais la mise en scène inventée par l’auteur ou les auteurs du prologue nous ren- seigne sur le prestige philosophique qu’il(s) souhaite(nt) lui donner en l’im- putant à Aristote et en la liant aussi à Hermès et Esculape, avant de conforter cette stratégie de promotion en prétendant la traduction en arabe due à l’un 12. Sur le rapprochement d’Aristote avec Hermès et Esculape, M. A. Manzalaoui, ibidem, p. 189-191 et sur l’Encyclopédie des Frères de la Pureté, ibidem, p. 175-176 et M. Grignaschi, « L’origine et les métamorphoses », art. cit., p. 13-27, 51. Les Frères de la Pureté, les Ikhwan al-Safa, sont des représentants de l’ismaélisme, une branche majeure du chiisme, qui écrivirent, sans doute dans la ville de Bassora (actuel Irak) et au xe siècle, leur Encyclopédie pour exposer la doctrine ismaélienne, en cherchant à harmoniser le néo-platonisme et la révélation coranique et à légitimer leurs imams. 13. Voir F. Micheau, « Yahya (ou Yuhanna) b. al-Bitrik », Encyclopédie de l’Islam. Nouvelle édition, éd. P. J. Bearman, T. Bianquis, C. E. Bosworth, E. van Donzeil et W. P. Heinrichs, Leyde, 2005, t. 11, p. 267-268 ; G. Endress, « The Circle of al-Kindi. Early Arabic Translations from the Greek and the Rise of Islamic Philosophy », dans The Ancient Tradition in Christian and Islamic Hellenism, éd. G. Endress et R. Kruk, Leyde, 1997, p. 43-76. 14. Voir M. A. Mazalaoui, « The Pseudo-Aristotelian Kitāb Sirr al-asrār », art. cit, passim. 10 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette des plus grands savants de la cour abbasside. Le Sirr-al-asrar est ainsi intégré au large mouvement des traductions en arabe de la science et de la philosophie grecques qui voit le jour à Bagdad au ixe siècle dans un contexte politique et culturel très ouvert à des influences multiples, tant celles de l’hellénisme que celles du monde perse et de l’Inde15. Les ambitions savantes du calife al- Mamun sont bien connues, notamment à travers le récit de son rêve, que rap- porte le Firhist d’al-Nadim : ce dictionnaire bibliographique qui date de 987 environ, ne mentionne pas le Sirr-al-asrar, mais présente Yahya ibn al-Bitriq parmi les traducteurs d’al-Mamun. Aristote serait apparu en songe au calife pour lui demander de commander des traductions de ses traités en arabe. Ce serait en réponse à cette vision qu’al-Mamun a alors envoyé en mission à Constantinople de nombreux savants, dont Yahya ibn al-Bitriq, pour rappor- ter des manuscrits et ensuite traduire les œuvres majeures de la pensée grecque. Nous gardons de Yahya ibn al-Bitriq des traductions de plusieurs traités d’Aristote, dont les Météorologiques, Du ciel et de la terre et le Livre des ani- maux. Deux autres traducteurs très célèbres des œuvres d’Aristote, authen- tiques ou apocryphes, sont les chrétiens nestoriens Hunayn ibn Ishaq et son fils Ishaq ibn Hunayn. On attribue aussi à ces deux savants la traduction en arabe de textes hermétiques supposés avoir été écrits par Aristote, exactement comme on le fait pour Yahya ibn al-Bitriq et le Sirr-al-asrar16. Si le ixe siècle est le grand moment de la translatio de la philosophie et de la science grecques dans le monde arabo-musulman, qui va à son tour les trans- mettre à l’Europe occidentale, il voit aussi se développer l’écriture de miroirs du prince, souvent très influencés par les traditions perses, et de collections de sentences de philosophes. Parmi ces dernières, il convient de citer celle de l’auteur que nous venons d’évoquer, Hunayn ibn Ishaq, Kitab adab al-falasifa ou Nawadir al-falasifa [Anecdotes de philosophes], car elle accorde une place importante à Aristote et à Alexandre et sera traduite en castillan sous le titre de Libro de los buenos proverbios au xiiie siècle, et influence auparavant, au xie siècle, l’écrivain égyptien Mubassir ibn Fatik dans Mukhtar al-hikam wa-ma- hasin al-kalim [Choix de maximes et de dits sages], texte à son tour transposé en castillan dans les Bocados de oro, puis en latin et dans différentes langues européennes. Ces deux œuvres reflètent la connaissance d’une version sans 15. A. Badawi, La transmission de la philosophie grecque au monde arabe, Paris, 1968, p. 75-108 sur Aristote, et D. Gutas, Greek Thought, Arabic Culture. The Graeco-Arabic Translation Movement in Baghdad and Early ‘Abbasid Society (2nd-4th/8th-10th centuries), Londres et New York, 1998, p. 75-104 sur al-Mamun. 16. A. Badawi, ibidem, p. 99-108.
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