The Project Gutenberg EBook of Le corricolo, by Alexandre Dumas Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the copyright laws for your country before downloading or redistributing this or any other Project Gutenberg eBook. This header should be the first thing seen when viewing this Project Gutenberg file. Please do not remove it. Do not change or edit the header without written permission. Please read the "legal small print," and other information about the eBook and Project Gutenberg at the bottom of this file. Included is important information about your specific rights and restrictions in how the file may be used. You can also find out about how to make a donation to Project Gutenberg, and how to get involved. **Welcome To The World of Free Plain Vanilla Electronic Texts** **eBooks Readable By Both Humans and By Computers, Since 1971** *****These eBooks Were Prepared By Thousands of Volunteers!***** Title: Le corricolo Author: Alexandre Dumas Release Date: November, 2005 [EBook #9262] [Yes, we are more than one year ahead of schedule] [This file was first posted on September 16, 2003] Edition: 10 Language: French Character set encoding: ISO Latin-1 *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE CORRICOLO *** Produced by Carlo Traverso, Anne Dreze, Marc D’Hooghe and the PG Online Distributed Proofreaders. LE CORRICOLO par ALEXANDRE DUMAS. PREMI¨RE PARTIE. Introduction Le _corricolo_ est le synonyme de _calessino_, mais comme il n’y a pas de synonyme parfait, expliquons la diffØrence qui existe entre le corricolo et le calessino. Le corricolo est un espŁce de tilbury primitivement destinØ (cid:224) contenir une personne et (cid:224) Œtre attelØ d’un cheval; on l’attelle de deux chevaux, et il charrie de douze (cid:224) quinze personnes. Et qu’on ne croie pas que ce soit au pas, comme la charrette (cid:224) boeufs des rois francs, ou au trot, comme le cabriolet de rØgie; non, c’est au triple galop; et le char de Pluton, qui enlevait Proserpine sur les bords du SymŁte, n’allait pas plus vite que le corricolo qui sillonne les quais de Naples en brßlant un pavØ de laves et en soulevant leur poussiŁre de cendres. Cependant un seul des deux chevaux tire vØritablement: c’est le timonier. L’autre, qui s’appelle le bilancino, et qui est attelØ de c(cid:244)tØ, bondit, caracole, excite son compagnon, voil(cid:224) tout. Quel dieu, comme (cid:224) Tityre, lui a fait ce repos? C’est le hasard, c’est la Providence, c’est la fatalitØ: les chevaux, comme les hommes, ont leur Øtoile. Nous avons dit que ce tilbury, destinØ (cid:224) une personne, en charriait d’ordinaire douze ou quinze; cela, nous le comprenons bien, demande une explication. Un vieux proverbe fran(cid:231)ais dit: «Quand il y en a pour un, il y en a pour deux.» Mais je ne connais aucun proverbe dans aucune langue qui dise: «Quand il y en a pour un, il y en a pour quinze.» Il en est cependant ainsi du corricolo, tant, dans les civilisations avancØes, chaque chose est dØtournØe de sa destination primitive! Comment et en combien de temps s’est faite cette agglomØration successive d’individus sur le corricolo, c’est ce qu’il est impossible de dØterminer avec prØcision. Contentons-nous donc de dire comment elle y tient. D’abord, et presque toujours, un gros moine est assis au milieu, et forme le centre de l’agglomØration humaine que le corricolo emporte comme un de ces tourbillons d’(cid:226)mes que Dante vit suivant un grand Øtendard dans le premier cercle de l’enfer. Il a sur un de ses genoux quelque fra(cid:238)che nourrice d’Aversa ou de Neltuno, et sur l’autre quelque belle paysanne de Bauci ou de Procida; aux deux c(cid:244)tØs du moine, entre les roues et la caisse, se tiennent debout les maris de ces dames. DerriŁre le moine se dresse sur la pointe des pieds le propriØtaire ou le conducteur de l’attelage, tenant de la main gauche la bride, et de la main droite le long fouet avec lequel il entretient d’une Øgale vitesse la marche de ses deux chevaux. DerriŁre celui-ci se groupent (cid:224) leur tour, (cid:224) la maniŁre des valets de bonne maison, deux ou trois lazzaroni, qui montent, qui descendent, se succŁdent, se renouvellent, sans qu’on pense jamais (cid:224) leur demander un salaire en Øchange du service rendu. Sur les deux brancards sont assis deux gamins ramassØs sur la route de Torre del Greco ou de Pouzzoles, ciceroni surnumØraires des antiquitØs d’Herculanum et de PompØia, guides marrons des antiquitØs de Cumes et de Ba(cid:239)a. Enfin, sous l’essieu de la voiture, entre les deux roues, dans un filet (cid:224) grosses mailles qui va ballottant de haut en bas, de long en large, grouille quelque chose d’informe, qui rit, qui pleure, qui crie, qui hogne, qui se plaint, qui chante, qui raille, qu’il est impossible de distinguer au milieu de la poussiŁre que soulŁvent les pieds des chevaux: ce sont trois ou quatre enfans qui appartiennent on ne sait (cid:224) qui, qui vont on ne sait oø, qui vivent on ne sait de quoi, qui sont l(cid:224) on ne sait comment, et qui y restent on ne sait pourquoi. Maintenant, mettez au dessous l’un de l’autre, moine, paysannes, maris, conducteurs, lazzaroni, gamins et enfans; additionnez le tout, ajoutez le nourrisson oubliØ, et vous aurez votre compte. Total, quinze personnes. Parfois il arrive que la fantastique machine, chargØe comme elle est; passe sur une pierre et verse; alors toute la carrossØe s’Øparpille sur le revers de la route, chacun lancØ selon son plus ou moins de pesanteur. Mais chacun se retire aussit(cid:244)t et oublie son accident pour ne s’occuper que de celui du moine; on le t(cid:226)te, on le tourne, on le retourne, on le relŁve, on l’interroge. S’il est blessØ, tout le monde s’arrŒte, on le porte, on le soutient, on le choie, on le couche, on le garde. Le corricolo est remisØ au coin de la cour, les chevaux entrent dans l’Øcurie; pour ce jour-l(cid:224), le voyage est fini; on pleure, on se lamente, on prie. Mais si, au contraire, le moine est sain et sauf, personne n’a rien; il remonte (cid:224) sa place, la nourrice et la paysanne reprennent chacune la sienne; chacun se rØtablit, se regroupe, se rentasse, et, au seul cri excitateur du cocher, le corricolo reprend sa course, rapide comme l’air et infatigable comme le temps. Voil(cid:224) ce que c’est que le corricolo. Maintenant, comment le nom d’une voiture est-il devenu le titre d’un ouvrage? C’est ce que le lecteur verra au second chapitre. D’ailleurs, nous avons un antØcØdent de ce genre que, plus que personne, nous avons le droit d’invoquer: c’est le _Speronare_. I Osmin et Za(cid:239)da. Nous Øtions descendus (cid:224) l’h(cid:244)tel de la Victoire. M. Martin Zir est le type du parfait h(cid:244)telier italien: homme de goßt, homme d’esprit, antiquaire distinguØ, amateur de tableaux, convoiteur de chinoiseries, collectionneur d’autographes, M. Martin Zir est tout, exceptØ aubergiste. Cela n’empŒche pas l’h(cid:244)tel de la Victoire d’Œtre le meilleur h(cid:244)tel de Naples. Comment cela se fait-il? Je n’en sais rien. Dieu est parce qu’il est. C’est qu’aussi l’h(cid:244)tel de la Victoire est situØ d’une maniŁre ravissante: vous ouvrez une fenŒtre, vous voyez Chiaja, la Villa-Reale, le Pausilippe: vous ouvrez une autre, voil(cid:224) le golfe, et (cid:224) l’extrØmitØ du golfe, pareille (cid:224) un vaisseau Øternellement (cid:224) l’ancre, la bleu(cid:226)tre et poØtique CaprØe; vous en ouvrez une troisiŁme, c’est Sainte-Lucie avec ses mellenari, ses fruits de mer, ses cris de tous les jours, ses illuminations de toutes les nuits. Les chambres d’oø l’on voit toutes ces belles choses ne sont point des appartemens; ce sont des galeries de tableau, ce sont des cabinets de curiositØs, ce sont des boutiques de bric-(cid:224)-brac. Je crois que ce qui dØtermine M. Martin Zir (cid:224) recevoir chez lui des Øtrangers, c’est d’abord le dØsir de leur faire voir les trØsors qu’il possŁde; puis il loge et nourrit les h(cid:244)tes par circonstance. A la fin de leur sØjour (cid:224) la Vittoria, un total de leur dØpense arrive, c’est vrai: ce total se monte (cid:224) cent Øcus, (cid:224) vingt-cinq louis, (cid:224) mille francs, plus ou moins, c’est vrai encore; mais c’est parce qu’ils demandent leur compte. S’ils ne le demandaient pas, je crois que M. Martin Zir, perdu dans la contemplation d’un tableau, dans l’apprØciation d’une porcelaine ou dans le dØchiffrement d’un autographe, oublierait de le leur envoyer. Aussi, lorsque le dey, chassØ d’Alger, passa (cid:224) Naples, charriant ses trØsors et son harem, prØvenu par la rØputation de M. Martin Zir. il se fit conduire tout droit (cid:224) l’h(cid:244)tel de la Vittoria, dont il loua les trois Øtages supØrieurs, c’est-(cid:224)-dire le troisiŁme, le quatriŁme et les greniers. Le troisiŁme Øtait pour ses officiers et les gens de sa suite. Le quatriŁme Øtait pour lui et ses trØsors. Les greniers Øtaient pour son harem. L’arrivØe du dey fut une bonne fortune pour M. Martin Zir; non pas, comme on pourrait le croire, (cid:224) cause de l’argent que l’AlgØrien allait dØpenser dans l’h(cid:244)tel, mais relativement aux trØsors d’armes, de costumes et de bijoux qu’il transportait avec lui. Au bout de huit jours, Hussein-Pacha et M. Martin Zir Øtaient les meilleurs amis du monde; ils ne se quittaient plus. Qui voyait para(cid:238)tre l’un s’attendait (cid:224) voir immØdiatement para(cid:238)tre l’autre. Oreste et Pylade n’Øtaient pas plus insØparables; Damon et Pythias n’Øtaient pas plus dØvouØs. Cela dura quatre ou cinq mois. Pendant ce temps, on donna force fŒtes (cid:224) Son Altesse. Ce fut (cid:224) l’une de ces fŒtes, chez les prince de Cassaro, qu’aprŁs avoir vu exØcuter un cotillon effrØnØ le dey demanda au prince de Tricasia, gendre du ministre des affaires ØtrangŁres, comment, Øtant si riche, il se donnait la peine de danser lui mŒme. Le dey aimait fort ces sortes de divertissemens, car il Øtait fort impressionnable (cid:224) la beautØ, (cid:224) la beautØ comme il la comprenait bien entendu. Seulement il avait une singuliŁre maniŁre de manifester son mØpris ou son admiration. Selon la maigreur ou l’obØsitØ des personnes, il disait: --Madame une telle ne vaut pas trois piastres. Madame une telle vaut plus de mille ducats. Un jour on apprit avec Øtonnement que M. Martin Zir et Hussein-Pacha venaient de se brouiller. Voici (cid:224) quelle occasion le refroidissement Øtait survenu: Un matin, le cuisinier de Hussein-Pacha, un beau nŁgre de Nubie, noir comme de l’encre et luisant comme s’il eßt ØtØ passØ au vernis; un matin, dis-je, le cuisinier de Hussein-Pacha Øtait descendu au laboratoire et avait demandØ le plus grand couteau qu’il y eßt dans l’h(cid:244)tel. Le chef lui avait donnØ une espŁce de tranchelard de dix-huit pouces de long, pliant comme un fleuret et affilØ comme un rasoir. Le nŁgre avait regardØ l’instrument en secouant la tŒte, puis il Øtait remontØ (cid:224) son troisiŁme Øtage. Un instant aprŁs il Øtait redescendu et avait rendu le tranchelard au chef en disant: --Plus grand, plus grand! Le chef avait alors ouvert tous ses tiroirs, et ayant dØcouvert un coutelas dont il ne se servait lui-mŒme que dans les grandes occasions, il l’avait remis (cid:224) son confrŁre. Celui-ci avait regarde le coutelas avec la mŒme attention qu’il avait fait du tranchelard, et, aprŁs avoir rØpondu par un signe de tŒte qui voulait dire: «Hum! ce n’est pas encore cela qu’il me faudrait, mais cela se rapproche,» il Øtait remontØ comme la premiŁre fois. Cinq minutes aprŁs, le nŁgre redescendit de nouveau, et, rendant le coutelas au chef: --Plus grand encore, lui dit-il. --Et pourquoi diable avez-vous besoin d’un couteau plus grand que celui-ci? demanda le chef. --Moi en avoir besoin, rØpondit dogmatiquement le nŁgre. --Mais pour quoi faire? --Pour moi couper la tŒte (cid:224) Osmin. --Comment! s’Øcria le chef, pour toi couper la tŒte (cid:224) Osmin. --Pour moi couper la tŒte (cid:224) Osmin, rØpondit le nŁgre. --A Osmin, le chef des eunuques de Sa Hautesse? --A Osmin, le chef des eunuques de Sa Hautesse. --A Osmin que le dey aime tant? --A Osmin que le dey aime tant. --Mais vous Œtes fou, mon cher! Si vous coupez la tŒte (cid:224) Osmin, Sa Hautesse sera furieuse. --Sa Hautesse l’a ordonnØ (cid:224) moi. --Ah diable! c’est diffØrent alors. --Donnez donc un autre couteau (cid:224) moi, reprit le nŁgre, qui revenait (cid:224) son idØe avec la persistance de l’obØissance passive. --Mais qu’a fait Osmin? demanda le chef. --Donnez un autre couteau (cid:224) moi, plus grand, plus grand. --Auparavant, je voudrais savoir ce qu’a fait Osmin. --Donnez un autre couteau (cid:224) moi, plus grand, plus grand, plus grand encore! --Eh bien! je te le donnerai ton couteau, si tu me dis ce qu’a fait Osmin. --Il a laissØ faire un trou dans le mur. --A quel mur? --Au mur du harem. --Et aprŁs? --Le mur, il Øtait celui de Za(cid:239)da. --La favorite de Sa Hautesse? --La favorite de Sa Hautesse. --Eh bien? --Eh bien! un homme est entrØ chez Za(cid:239)da. --Diable! --Donnez donc un grand, grand, grand couteau (cid:224) moi pour couper la tŒte (cid:224) Osmin. --Pardon; mais que fera-t-on (cid:224) Za(cid:239)da? --Sa Hautesse aller promener dans le golfe avec un sac, Za(cid:239)da Œtre dans ce sac, Sa Hautesse jeter le sac (cid:224) la mer... Bonsoir, Za(cid:239)da. Et le nŁgre montra, en riant de la plaisanterie qu’il venait de faire, deux rangØes de dents blanches comme des perles. --Mais quand cela? reprit le chef. --Quand, quoi? demanda le nŁgre. --Quand jette-t-on Za(cid:239)da (cid:224) la mer? --Aujourd’hui. Commencer par Osmin, finir par Za(cid:239)da. --Et c’est toi qui t’es chargØ de l’exØcution? --Sa Hautesse a donnØ l’ordre (cid:224) moi, dit le nŁgre en se redressant avec orgueil. --Mais c’est la besogne du bourreau et non la tienne. --Sa Hautesse pas avoir eu le temps d’emmener son bourreau, et il a pris cuisinier (cid:224) lui. Donnez donc (cid:224) moi un grand couteau pour couper la tŒte (cid:224) Osmin. --C’est bien, c’est bien, interrompit le chef; on va te le chercher, ton grand couteau. Attends-moi ici. --J’attends vous, dit le nŁgre. Le chef courut chez M. Martin Zir et lui transmit la demande du cuisinier de Sa Hautesse. M. Martin Zir courut chez Son Excellence le ministre de la police, et le prØvint de ce qui se passait (cid:224) son h(cid:244)tel. Son Excellence fit mettre les chevaux (cid:224) sa voiture et se rendit chez le dey. Il trouva Sa Hautesse (cid:224) demi couchØe sur un divan, le dos appuyØ (cid:224) la muraille, fumant du latakiØ dans un chibouque, une jambe repliØe sous lui et l’autre jambe Øtendue, se faisant gratter la plante du pied par un icoglan et Øventer par deux esclaves. Le ministre fit les trois saluts d’usage, le dey inclina la tŒte. --Hautesse, dit Son Excellence, je suis le ministre de la police. --Je te connais, rØpondit le dey. --Alors, Votre Hautesse se doute du motif qui m’amŁne. --Non. Mais n’importe, sois le bien-venu. --Je viens pour empŒcher Votre Hautesse de commettre un crime. --Un crime! Et lequel? dit le dey, tirant son chibouque de ses lŁvres et regardant son interlocuteur avec l’expression du plus profond Øtonnement. --Lequel? Votre Hautesse le demande! s’Øcria le ministre. Votre Hautesse n’a-t-elle pas l’intention de faire couper la tŒte (cid:224) Osmin? --Couper la tŒte (cid:224) Osmin n’est point un crime, reprit le dey. --Votre Hautesse n’a-t-elle pas l’intention de jeter Za(cid:239)da (cid:224) la mer? --Jeter Za(cid:239)da (cid:224) la mer n’est point un crime, reprit encore le dey. --Comment! ce n’est point un crime de jeter Za(cid:239)da (cid:224) la mer et de couper la tŒte (cid:224) Osmin? --J’ai achetØ Osmin cinq cents piastres et Za(cid:239)da mille sequins, comme j’ai achetØ cette pipe cent ducats. --Eh bien! demanda le ministre, oø Votre Hautesse en veut-elle venir? --Que, comme cette pipe m’appartient, je puis la casser en dix morceaux, en vingt morceaux, en cinquante morceaux, si cela me convient, et que personne n’a rien (cid:224) dire. Et le pacha cassa sa pipe, dont il jeta les dØbris dans la chambre. --Bon pour une pipe, dit le ministre; mais Osmin, mais Za(cid:239)da! --Moins qu’une pipe, dit gravement le dey. --Comment, moins qu’une pipe! Un homme moins qu’une pipe! Une femme moins qu’une pipe! --Osmin n’est pas un homme. Za(cid:239)da n’est point une femme: ce sont des esclaves. Je ferai couper la tŒte (cid:224) Osmin, et je ferai jeter Za(cid:239)da (cid:224) la mer. --Non, dit Son Excellence. --Comment, non! s’Øcria le pacha avec un geste de menace. --Non, reprit le ministre, non; pas (cid:224) Naples du moins. --Giaour, dit le dey, sais-tu comment je m’appelle? --Vous vous appelez Hussein-Pacha. --Chien de chrØtien! s’Øcria le dey avec une colŁre croissante; sais-tu qui je suis? --Vous Œtes l’ex-dey d’Alger, et moi je suis le ministre actuel de la police de Naples. --Et cela veut dire? demanda le dey. --Cela veut dire que je vais vous envoyer en prison si vous faites l’impertinent, entendez-vous, mon brave homme? rØpondit le ministre avec le plus grand sang-froid. --En prison! murmura le dey en retombant sur son divan. --En prison, dit le ministre. --C’est bien, reprit Hussein. Ce soir je quitte Naples. --Votre Hautesse est libre comme l’air, rØpondit le ministre. --C’est heureux, dit le dey. --Mais (cid:224) une condition cependant. --Laquelle? --C’est que Votre Hautesse me jurera sur le prophŁte qu’il n’arrivera malheur ni (cid:224) Osmin ni (cid:224) Za(cid:239)da. --Osmin et Za(cid:239)da m’appartiennent, dit le dey, j’en ferai ce que bon me semblera. --Alors Votre Hautesse ne partira point. --Comment, je ne partirai point! --Non, du moins avant de m’avoir remis Osmin et Za(cid:239)da. --Jamais! s’Øcria le dey. --Alors je les prendrai, dit le ministre. --Vous les prendrez? vous me prendrez mon eunuque et mon esclave? --En touchant le sol de Naples, votre esclave et votre eunuque sont devenus libres. Vous ne quitterez Naples qu’(cid:224) la condition que les deux coupables seront remis (cid:224) la justice du roi. --Et si je ne veux pas vous les remettre, qui m’empŒchera de partir? --Moi. --Vous? Le pacha porta la main (cid:224) son poignard; le ministre lui saisit le bras au dessus du poignet. --Venez ici, lui dit-il en le conduisant vers la fenŒtre, regardez dans la rue. Que voyez-vous (cid:224) la porte de l’h(cid:244)tel? --Un peloton de gendarmerie. --Savez-vous ce que le brigadier qui le commande attend? Que je lui fasse un signe pour vous conduire en prison. --En prison, moi? je voudrais bien voir cela! --Voulez-vous le voir? Son Excellence fit un signe: un instant aprŁs, on entendit retentir dans l’escalier le bruit de deux grosses bottes garnies d’Øperons. Presque aussit(cid:244)t la porte s’ouvrit, et le brigadier parut sur le seuil, la main droite (cid:224) son chapeau, la main gauche (cid:224) la couture de sa culotte. --Gennaro, lui dit le ministre de la police, si je vous donnais l’ordre d’arrŒter monsieur et de le conduire en prison, y verriez-vous quelque difficultØ? --Aucune, Excellence. --Vous savez que monsieur s’appelle Hussein-Pacha? --Non, je ne le savais pas. --Et que monsieur n’est ni plus ni moins que le dey d’Alger? --Qu’est-ce que c’est que (cid:231)a, le dey d’Alger?
Description: