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Sexe et Caractère PDF

108 Pages·2008·1.267 MB·French
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Sexe et Caractère Otto Weininger (1880-1903) – 1903 ________ Éditions de l’Évidence — 2008 Sommaire Avant-propos de l’Église Réaliste 3 Sexe et Caractère – 1903 Extraits – Otto Weininger (1880-1903) Chapitre 11 : Érotique et Esthétique. 5 Chapitre 12 : La Femme, ce qu’elle est et ce qu’elle signifie dans l’Univers. 22 Chapitre 13 : Les Juifs. 64 Chapitre 14 : La Femme et l’Humanité. 91 Annexes ♀ - ♂ 106 La Paresse 107 ________ 2 Sexe et Caractère – Otto Weininger Avant-propos Otto Weininger (né le 3 avril 1880 et décédé le 4 octobre 1903) est un philosophe et écrivain autrichien. En 1903, il publie Geschlecht und Character (Sexe et Caractère), livre qui devint populaire après son suicide à l'âge de 23 ans. Otto Weininger est le fils de Adelheid et Léopold Weininger, orfèvre juif d'ascendance hongroise. Étudiant doué, il s'inscrit à l'université de Vienne une fois son baccalauréat en poche. Il étudie surtout la philosophie et la psychologie mais aussi les sciences naturelles et la médecine. Il apprend également de nombreuses langues étrangères (l'italien, le français et le norvégien car il admire Henrik Ibsen). À l'automne 1901, Weininger essaye de trouver un éditeur pour Eros et Psyché, ouvrage qu'il soumet pour l'obtention de sa thèse en 1902. Il rencontre Sigmund Freud, qui ne recommande cependant pas son texte à un quelconque éditeur. Sa thèse est acceptée et Weininger reçoit son titre de Docteur. Le 21 juin 1902, il se convertit au protestantisme. Après avoir voyagé quelque temps à travers l'Europe, il retourne à Vienne. En juin 1903, après deux ans et demi de travail acharné, son livre Sexe et Caractère - une investigation fondamentale est publié par Braumüller & Co, éditeurs viennois. Cet ouvrage est, selon l'auteur, une tentative « d'éclairer les relations sexuelles par une lumière nouvelle et décisive ». Le 3 octobre 1903, Weininger loue une chambre au 15 Schwarzspanierstraße, dans la maison où Beethoven mourut. Le lendemain, il est retrouvé inconscient, allongé entièrement habillé sur le sol, la poitrine gauche percée par une plaie que lui avait causée une balle en plein cœur. Il est emmené à l'hôpital où il décède à l'âge de 23 ans. August Strindberg écrivit à l'ami intime de Weininger, Artur Gerber, le 8 décembre 1903 : « Quel homme étrange et mystérieux, ce Weininger ! Né avec la culpabilité, comme moi ! […] Le fait qu'il parte montre pour moi qu'il avait parfaitement le droit de le faire. » Sexe et Caractère Otto Weininger (1880-1903) ________ 4 Érotique et Esthétique Les arguments qu’on cite toujours pour tenter de justifier la haute idée qu’on se fait de la femme ont ainsi, à quelques exceptions près encore, été soumis à un examen auquel ils n’ont pas résisté. Il y a peu d’espoir sans doute de pouvoir véritablement entrer en discussion sur ce terrain. Le destin de Schopenhauer laisse songeur à cet égard, lui dont l’opinion au sujet des femmes ne cesse aujourd’hui encore d’être rapportée au fait qu’une jeune fille vénitienne qu’il fréquentait le quitta pour le plus séduisant Byron : comme si c’était celui qui a eu peu de succès auprès d’elles qui devait avoir mauvaise opinion des femmes plutôt que celui qu’elles ont rendu heureux. La méthode qui consiste, plutôt que d’opposer des raisons à des raisons, à taxer le détracteur des femmes de misogynie, a de grands avantages. La haine empêche de bien voir son objet, et prétendre d’un homme qu’il a en haine l’objet sur lequel il prononce un jugement fait peser sur lui le soupçon d’insincérité ainsi que d’incertitude dans les idées, qui fait remplacer les raisons solides par l’hyperbole et le pathos. Cette manière d’argumentation ne manque jamais son but, qui est de dispenser le défenseur de la femme d’aborder la véritable question. Elle est l’arme la plus sûre de cette écrasante majorité d’hommes qui ne VEULENT PAS être au clair sur ce qu’est la femme. Car il n’est pas possible d’avoir vraiment réfléchi sur les femmes et de continuer de s’en faire une haute idée ; il n’y a que deux catégories d’hommes : ceux qui méprisent la femme et ceux qui ne se sont jamais posé de questions à son sujet. C’est sans doute une mauvaise habitude que d’aller rechercher, dans une discussion théorique, quelles peuvent être les motivations psychologiques de l’adversaire. Pour autant que la controverse ait un objet, les adversaires ont à se soumettre à l’idée tout impersonnelle de vérité sans tenir compte de ce qu’ils sont en tant que personnes. Mais lorsque d’un côté, le raisonnement logique est poursuivi rigoureusement jusqu’à sa conclusion et que de l’autre on ne fait rien de plus que se dresser violemment contre cette seule conclusion, sans considération des arguments qui y conduisent, on pourra se permettre, dans certains cas, de confondre l’autre partie en lui montrant clairement quels sont les motifs de son entêtement, en l’obligeant à en prendre conscience au lieu de continuer à s’aveugler sur une réalité qui ne correspond pas à ses désirs. C’est pourquoi on me permettra, après toute cette longue suite de déductions logiques et objectives, de prendre l’affaire par un tout autre bout, et pour une fois, d’examiner la personnalité du défenseur de la femme et 5 Sexe et Caractère – Érotique et Esthétique de rechercher quels sentiments lui dictent ses prises de positions : dans quelle mesure celles-ci proviennent de convictions profondes et bien assurées et dans quelle mesure elles sont au contraire l’expression d’un désarroi. Les objections qu’on fait au détracteur de la féminité ont toutes leur source sentimentale dans le rapport érotique qui lie l’homme à la femme. Ce rapport érotique est un rapport tout différent du rapport simplement sexuel à quoi se réduisent les relations entre les sexes dans le règne animal et qui, à en juger par l’extension qu’il y a, est encore et de loin celui qui joue chez l’homme le plus grand rôle. Il est absolument faux de prétendre que sexualité et érotisme, instinct sexuel et amour, sont une seule et même chose, dans le second cas embellie, affinée, “sublimée”, même si tous les médecins l’affirment et même si ce fut là l’idée de Kant et de Schopenhauer. Avant d’en venir aux raisons pour lesquelles il convient de faire à mon avis une séparation nette entre les deux, je voudrais dire ceci. L’opinion de Kant en cette matière ne saurait être retenue, pour la raison bien simple que Kant a ignoré l’amour aussi bien que l’instinct sexuel, à un point où peut-être aucun homme ne l’a fait avant et après lui. Il était trop au-dessus de ces passions et trop pur pour s’exprimer sur elles avec autorité : la seule maîtresse dont il se soit vengé est la métaphysique. Quant à Schopenhauer, il ne comprenait pas l’érotisme supérieur et n’avait le sens que de la sexualité. Il est facile de s’en apercevoir. Son visage montre peu de bonté et beaucoup de cruauté (ce qui n’a rien pour étonner : il faut être peu accessible à la pitié pour concevoir une éthique de la pitié ; les hommes les plus capables de pitié sont également ceux qui se tiennent le plus rigueur de l’être ; ainsi Kant et Nietzsche). Or seuls sont capables d’un violent érotisme les hommes portés à la pitié et à la compassion ; ceux qui ne prennent “aucune part à rien” sont incapables d’amour. Non que de telle natures soient nécessairement sataniques, au contraire ; elles peuvent même être hautement morales, sans pour autant se soucier de ce que pensent ou ressentent leurs voisins, et sans imaginer avec la femme de rapport autre que sexuel. Ainsi de Schopenhauer. Comme homme, il était torturé par l’instinct sexuel, mais n’a jamais aimé ; on ne saurait s’expliquer autrement le caractère unilatéral de sa célèbre “Métaphysique de l’amour sexuel”, qui enseigne que la fin inconsciente de tout amour réside dans la génération. Cette vue, comme je crois pouvoir le montrer, est fausse. Certes, un amour absolument libre de toute sensualité ne se rencontre pas dans l’expérience. L’homme, si élevé qu’il soit, reste un être sensible. Mais ce qu’on peut affirmer et qui réduit cette idée à néant est que l’amour en tant que tel et sans même qu’aucune volonté d’ascèse vienne s’y mêler, se pose en ennemi de tout ce qui dans une relation se rapporte au coït, qu’il s’éprouve même lui-même comme en étant la négation. L’amour et le désir sont deux états si différents, qui s’excluent à tel point l’un l’autre, qui sont si opposés, 6 Sexe et Caractère – Érotique et Esthétique qu’aux instants où un homme aime vraiment, l’union physique avec l’être aimé lui est une idée impensable. Le fait qu’aucun espoir n’est absolument libre de crainte n’empêche pas que l’espoir et la crainte sont des sentiments opposés. On trouve ce même rapport entre l’amour et l’instinct sexuel. Plus un homme est érotique, moins sa sexualité l’importunera, et vice versa. Même s’il n’y a pas d’adoration qui soit absolument pure de tout désir, cela ne permet pas d’identifier deux choses qui ne représentent au plus que des phases successives dans une vie d’homme suffisamment riche et différenciée. Qui prétendrait aimer une femme qu’il désire ment, ou n’a jamais aimé. C’est pourquoi également parler d’amour dans le mariage apparaît presque toujours comme une hypocrisie. L’attraction sexuelle croît avec la proximité physique, l’amour a besoin de l’aliment de la séparation et de la distance. Et alors que l’amour véritable survit à tous les éloignements, que le passage des ans est impuissant à le faire oublier, un seul geste vers la bien-aimée le plus fortuit et le plus involontaire peut, réveillant l’instinct, suffire à le tuer. Pour l’homme supérieurement différencié, le grand esprit, la femme qu’il aime et la femme qu’il désire sont deux êtres totalement différents. L’amour “platonique” existe donc bel et bien, ou mieux encore, il n’y a d’AMOUR que “platonique”. Tout le reste est bestialité. Il y a d’un côté Tannhäuser et de l’autre Wolfram. D’un côté Vénus et de l’autre Marie. “Vers toi, amour céleste, retentit, “Dir, hohe Liebe, töne Enthousiaste, mon chant ; Begeistert mein Gesang, Toi qui tel un ange Die mir in Engelschöne Pénétra au fond de mon âme Tief in die Scele drang ! Tu t’approches, comme par Dieu Du nahst als Gottgesandte : envoyée, Ich folg’ aus holder Fern’, Je sors d’un charmant lointain, So führst du in die Lande Tu me mènes vers des contrées Wo ewig strahlt dein Stern.” Où rayonne éternellement ton étoile.” 2 2 Toutes les traductions de l’allemand sont de Frau K. ; celles du latin et du grec sont de l’Édition de l’Évidence. 7 L’objet d’un tel amour ne saurait être la femme dont le portrait vient d’être fait, dépourvue de toutes les qualités qui donnent sa valeur à un être, et de la volonté de les acquérir. On a discuté avant moi la question de savoir si le sexe féminin devait être réellement considéré comme beau, et contesté plus encore qu’il représente la beauté même. Si la femme nue peut être belle dans l’art, elle ne l’est pas dans la réalité, ne serait-ce que parce que l’instinct sexuel rend impossible à son égard cette contemplation désintéressée qui est la condition de tout jugement esthétique. En outre, le corps nu de la femme donne l’impression de quelque chose d’inachevé, qui cherche encore sa perfection à l’extérieur de soi, ce qui est incompatible avec la beauté. La femme nue est plus belle dans ses parties que dans son tout. C’est debout que ce caractère qu’a le corps féminin d’avoir sa fin non pas en lui, mais hors de lui, apparaît le plus nettement ; il est naturellement atténué en position couchée. L’art a bien senti cela, et dans les représentations de nus debout ou en vol, n’a jamais montré la femme seule, mais toujours entourée d’autres personnages, et essayant de voiler sa nudité. Mais la femme n’est pas parfaitement belle dans ses parties non plus, même lorsqu’elle représente le type idéal de son sexe. Considérons ses organes génitaux. Si tout amour de l’homme pour la femme s’expliquait réellement par une cérébralisation de l’instinct de détumescence, si cette affirmation de Schopenhauer était juste, selon laquelle “seul l’intellect de l’homme obnubilé par l’instinct sexuel a pu voir le beau sexe dans le sexe petit, étroit d’épaules, large de hanches et court de jambes” s’il était vrai que “toute la beauté de la femme a sa clé dans l’instinct sexuel”, les organes génitaux de la femme seraient ce qu’on devrait aimer le plus chez elle et la partie la plus belle de son corps. Or aucun homme ne trouve beaux ces organes, et la raison en est qu’ils blessent la pudeur masculine. La stupidité canonique de notre temps a supposé que la pudeur pouvait aussi provenir de l’habillement et que derrière la résistance manifestée devant la nudité de la femme se cacherait quelque chose de contraire à la nature qui ne serait en fait que de la paillardise refoulée. Mais un homme dissolu ne se défend plus du tout contre la nudité, car il ne la remarque même plus comme telle. Il n’aime plus, il ne fait que désirer. Tout amour véritable est pudique, comme toute véritable compassion. Il n’y a d’impudique que la déclaration d’amour, et cela dans la mesure même où celui qui la fait est, à l’instant où il la fait, convaincu de sa sincérité. La déclaration d’amour sincère représente la pire forme objective pensable de l’impudicité ; imaginé-t-on un homme qui avouerait qu’il est consumé de désir ? On aurait là l’idée du discours impudique, tout comme on a, dans la déclaration d’amour, l’idée de l’action impudique. Mais en fait, ni l’une ni l’autre ne se trouve jamais réalisée, car toute vérité est pudique. Il n’existe pas de déclaration d’amour qui ne soit un mensonge ; et la bêtise des femmes se montre bien dans la crédulité qui est la leur devant tout ce qui se présente à elles comme une protestation d’amour. 8 Sexe et Caractère – Érotique et Esthétique C’est dans l’amour de l’homme, toujours pudique, qu’est la mesure de ce qui est trouvé beau et de ce qui est trouvé laid chez la femme. Les choses se passent ici tout autrement que dans la logique, où le vrai est la mesure de la pensée et la valeur de vérité, son créateur ; tout autrement que dans l’éthique aussi, où le bon est critère du devoir et la valeur que constitue le bien, guide de la volonté de bien faire. Dans l’esthétique, la beauté est créée par l’amour ; il n’y a en esthétique aucune sorte de contrainte normative d’aimer ce qui est beau, et le beau ne se présente pas à l’homme comme quelque chose qui réclame d’être aimé (c’est pour cela que le goût est individuel et qu’il n’y a pas de goût absolu). Toute beauté est une projection, une émanation, du besoin d’aimer ; et ainsi la beauté même de la femme n’est pas différente de l’amour, n’est pas un objet à quoi l’amour regarde, mais EST l’amour de l’homme et fait un avec lui. La beauté vient de l’amour, tout comme la laideur, de la haine. Et c’est encore cela qu’exprime le fait que la beauté ni l’amour n’ont quoi que ce soit de commun avec l’instinct sexuel, que l’un comme l’autre sont étrangers à tout désir. La beauté est intouchable, insaisissable, et on ne peut la confondre avec rien ; ce n’est qu’à distance qu’on peut la voir comme de tout près, et tout essai de s’en approcher l’éloigne. L’instinct sexuel, qui cherche l’union physique avec la femme, annihile sa beauté ; on cesse d’adorer la beauté d’une femme que l’on a possédée. En quoi consistent donc l’innocence et la moralité de la femme ? Je partirai de l’examen de quelques phénomènes qui accompagnent les premières manifestations de l’amour. La pureté du corps est en général chez l’homme signe de moralité et de droiture. Or on observe que des hommes qui par ailleurs n’ont jamais été propres, aussitôt amoureux deviennent très pointilleux sur ce chapitre. On voit aussi combien chez un grand nombre d’hommes l’amour commence par des accusations portées contre soi-même, des tentatives de mortification et d’expiation. L’amour semble être l’occasion d’un examen de conscience moral et d’une purification intérieure. Ce phénomène ne peut avoir sa source dans l’être aimé lui-même : la femme aimée est trop souvent une ingénue, trop souvent une femelle, trop souvent une coquette pleine de lubricité, et l’homme qui l’aime est bien le seul à percevoir en elle des qualités supraterrestres. Faut-il croire après cela que dans l’amour c’est cette personne concrète qui est aimée, et son rôle n’est-il pas plutôt de servir de point de départ à un mouvement d’une tout autre envergure ? Dans tout amour, c’est lui-même que l’homme aime et rien d’autre. Non pas sa subjectivité, non pas ce qu’il représente réellement en tant qu’être faible et vulgaire, lourd et d’esprit vétilleux, mais ce qu’il veut être tout entier et doit être tout entier, son essence véritable et profonde, en un mot son essence intelligible, libre des misères de la nécessité et de la condition terrestre. Vivant dans l’espace et le temps, cet être se trouve mêlé aux scories du sensible, il ne se présente pas dans la pureté, la splendeur, de son origine ; aussi 9 Sexe et Caractère – Érotique et Esthétique profondément qu’il puisse descendre en lui, son moi est troublé et souillé, et nulle part il ne voit ce qu’il cherche en toute limpidité et à l’état immaculé. Et pourtant, il n’a pas de besoin plus pressant, n’aspire à rien si ardemment, qu’à être absolument et totalement lui-même. Et ce but vers lequel il tend, il doit le penser en dehors de lui- même pour pouvoir mieux en approcher. Il projette donc son idéal d’un être absolument valorisé, mais qu’il ne parvient pas à isoler en lui, sur un autre être que lui, et c’est cela que signifie le fait qu’il aime cet être seul. Seul est capable de cet acte celui qui est devenu coupable et est conscient de sa culpabilité, et c’est pourquoi l’enfant ne peut aimer. Ce n’est que parce qu’ainsi l’amour présente ce but inatteignable qui est celui de tout être humain comme étant atteignable, non par soi- même, mais par autrui, montrant à l’homme qui aime combien il était éloigné encore de cet idéal, qu’il peut en même temps réveiller le désir d’une purification, et par là cet élan de nature tout à fait spirituelle qui ne souffre d’être contrarié par aucun rapprochement physique avec la femme aimée ; et c’est pour cela aussi qu’il est la manifestation la plus puissante et la plus haute de la volonté de valeur, qu’il exprime plus que tout au monde l’essence de l’être humain, balancé entre l’esprit et le corps, le moral et le sensible, et qui a part autant à l’animalité qu’à la divinité. Dans tout ce qu’il fait, l’homme n’est pleinement et totalement lui-même que lorsqu’il aime3. De là vient que tant d’hommes ne commencent à comprendre qu’au moment où ils sont amoureux toute la réalité des concepts de moi et de toi, qui sont corrélatifs non seulement grammaticalement, mais moralement ; de là encore le rôle que joue, dans toute relation amoureuse, le nom des deux amants. On comprend également par là que ce soit par l’amour que tant d’hommes prennent conscience de leur propre existence, qu’il ne leur faille pas moins pour être entièrement et pleinement convaincus d’avoir une âme4 ; que l’amant, tout en ne voulant à aucun prix profaner son amour en s’approchant de trop près de celle qu’il aime, cherche à l’apercevoir de loin pour s’assurer de son – et de sa propre – existence ; ou qu’on voie des empiristes inébranlables se transformer en d’exaltés mystiques aussitôt qu’ils aiment, ainsi Auguste Comte lorsqu’il eut fait la connaissance de Clotilde de Vaux. Il existe psychologiquement, non seulement chez l’artiste, mais chez l’homme d’une manière générale, un : amo, ergo sum. Ainsi l’amour est-il un phénomène de projection, comme la haine, et non pas d’équation comme l’amitié. L’amitié a pour condition l’égalité ; l’amour pose constamment l’inégalité, l’inéquivalence. Aimer consiste à attribuer à un individu les qualités de tout ce qu’on voudrait être et ne parvient pas à être entièrement, à le faire 3 Et non pas lorsqu’il joue (Schiller). 4 V. chap. VIII. 10

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