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Sergueï Eisenstein. Dessins secrets PDF

183 Pages·1999·128.197 MB·French
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Cet ouvrage a été réalisé avec la collaboration des Éditions Athéneum, Paris. Les prises de vue des dessins sont de Jacques Vasseur ISBN 2-02-033612-X ©Vladimir Alloy pour les dessins © ÉDITIONS DU SEUIL, 19 99 pour la présente édition Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause. est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. S. M. él5éN5TéiN AVEC DES TEXTES DE jEAN-CLAUDE MARCADÉ ET GALIA ACKERMAN Ouvrage publié avec le concours du Centre National du Livre SéUIL LES DESSINS SECRETS , DE SA MAJESTE EISENSTEIN À LÉONIDE PLIOUCHTCH, MARIE-l.J\URE BERNADAC, BERNARD MARCADÉ L'auteur du Cuirassé Potemkine fut un puissant génie dont l'envergure fit en notre siècle un homme de la Renaissance. Son œuvre, contradictoire, a le souffle de l'épopée, dont elle partage le goût pour le merveilleux, pour la lutte des forces du Bien contre celles du Mal, la mythification des êtres et du monde. Ayant vécu à l'époque exaltante de la révolution de 19 1 7, qui visait à transfigurer la société et ·à la délivrer de toutes les aliénations provoquées par le capitalisme, Sergue"f Mikhallovitch Eisenstein, S. M. Eisen stein, Sa Majesté Eisenstein, connut des moments d'enthousiasme romantique, de liberté d'expression, d'élan créateur pendant la première moitié des années vingt, mais aussi les tracasseries de l'appareil dictatorial et inquisitorial, mis en place petit à petit par le Parti communiste de ru. R. S. S., la censure et la Terreur stalinienne des années trente, auxquelles il survécut sans être envoyé au goulag ou fusillé, comme son maître Meyer hold, mais dont on peut imaginer qu'elles ont contribué à sa mort prématurée d'un infarctus, en 19 48, à l'âge de cinquante ans. Eisenstein a été metteur en scène de théâtre, peintre de décors théâtraux, cinéaste - un des plus grands qui aient jamais existé -, théoricien, critique et dessi- 7 nateur. Malgré ces expressions multiples, il reste en tant que créateur un personnage énigmatique, non seulement parce que beaucoup de ce qu'il a produit reste inédit, mais aussi parce qu'il ne s'est jamais livré et que l'on n'entrevoit que quelques facettes au détour de tel ou tel trait de son art, sans être sûr qu'on ait saisi ce personnage dans sa «vérité», du moins dans son authenticité. Eisenstein échappe à notre désir, sans doute impudique, d'en savoir plus sur lui. Naoum Kleiman, qui vit depuis des décen nies avec la vie et l'œuvre du maître, qui a la haute main sur l'immense documenta tion qui se trouve aux Archives nationales de Russie (R. G. A. L. 1.), à Moscou, termine la préface des Mémoires du cinéaste qu'il vient de publier en russe dans leur état, semble-t-il, le plus complet possible, par cette remarque : « Le lecteur ne trouvera pas dans ce livre bien des choses qu'aujourd'hui nous aurions voulu savoir d'Eisenstein lui-même. Il a laissé beaucoup de zones d'ombre- à cause des conditions de l'époque. Sur un certain nombre de sujets, il ne désirait pas écrire, considérant, à la suite de Pouchkine, qu'une célébrité, comme n'importe quel être humain, a le droit à une vie privée qui ne soit pas sujette à des débats publics désin voltes. Sur beaucoup de choses, il n'a tout simplement pas eu le temps d'écrire, car il se pressait d'accomplir "ce qui était fixé et dont il était investi", tout en réalisant dans le même temps son plan tragique libérateur'.» On peut considérer, d'une certaine manière, les Dessins secrets d'Eisenstein comme ses« confessions», celles qu'il n'a pas faites dans ses Mémoires. Ce que l'auteur de l'Ancien et le Nouveau (La Ligne générale}, du Pré Biéjine ou d'Ivan le Terrible a sug géré dans ses films sur cette «vie privée» dont parle Naoum Kleiman, des flashes dans tel ou tel cadre, ce qui est le non-dit de son œuvre littéraire, voici que l'immense fonds de ses dessins nous en entrouvre tout un pan, expression de fantasmes et de désirs inavoués ailleurs. On savait que l'érotisme, un érotisme très violent, était présent dans de nombreux dessins publiés ou publiables, en particulier dans les « Dessins mexicains» de 1931-1932z 8 LA PLACE DU DESSIN DANS L'ŒUVRE D'EISENSTEIN Le dessin fut une activité essentielle de la création d'Eisenstein. «Alors que rédiger une phrase lui demandait des heures, en une heure il couvrait une grande feuille de dessin )), écrit sa biographe et amie américaine Marie Seton, et elle poursuit: « Les idées visuelles arrivaient si rapides qu'il était capable de dessiner des carica tures fort compliquées, des blasphèmes très spirituels ou des croquis en vue de la mise en sç:ène d'un film ou d'une pièce avec la promptitude et l'économie de moyens d'un grand artiste. Sa main maladroite possédait une sûreté de touche, une rapidité et une délicatesse, et il était passionnant de la voir à l'œuvre. De ces dessins seuls suNécurent ceux auxquels il attribua quelque léger mérite. Il jetait ses moindres créations à la cor beille et abandonnait généreusement des chefs-d'œuvre à n'importe qui. Ces mer veilleux produits de son imagination la plus intime étaient surtout dessinés à la plume et au crayon puis relevés de traits rouges et bleus plus épais. Tous ces dessins, sauf les cro quis de travail, exprimaient des émotions qu'il ne pouvait pas articuler avec des mots : y déversant sa colère, illustrant une secrète plaisanterie, une pensée pathétique ou amère, ou une notation autobiographique soudaine3 )) Eisenstein a dessiné depuis toujours. À dix ans, il s'intéresse à Daumier; auquel il portera la plus grande admiration jusqu'à la fin de sa vie (en revanche, il détestait Gus tave Doré!). Tout jeune, il éprouve un vif penchant pour les travestissements de carna val de Jacques Callot et pour le dynamisme « préfuturiste)) de son trait. Comme le fait remarquer Inga Karetnikova, «n'ayant jamais pris aucune leçon de dessin ou de pein ture, Eisenstein s'initie aisément aux genres les plus différents, depuis la caricature jus qu'aux décors de théâtre ))4 Ses dessins du tout jeune âge étaient déjà célèbres, comme en témoigne son ami d'enfance, l'acteur Maxime Strauch: 9 «Le dessin était l'occupation préférée, la véritable passion de Sérioja [diminutif de Sergueï]. Il pouvait rester des heures entières et dessiner sans se lasser tout ce qui lui venait à l'esprit: des saynètes de genre, des figures isolées, des visages [. .. ]. C'est avec un esprit d'invention inépuisable et un humour énorme qu'il ébauchait ses dessins qui rappelaient Wilhelm Busch et Olaf Gulbransson dans la revue Simplicissimus5 )) À Saint-Pétersbourg-Pétrograd, où il fait des études d'ingénieur architecte depuis 191 5, il ne cesse de dessiner. Ses dessins paraissent dans les quotidiens de la capitale septentrionale, la Gazette de Saint-Pétersbourg et les Nouvelles de la Bourse. !lies signe «Sir Gay)), calembour sur son prénom« Sergueï )) ! Lironie veut que ce mot de gay, qui ne voulait dire alors que «gai)), «joyeux n, ait pu devenir dans la seconde moitié du x1xe siècle générique des homosexuels ... Pendant huit ans, de 19 1 5 à 19 23, date à laquelle il se consacre entièrement à son travail de metteur en scène de cinéma en produisant Le Journal de Gloumov, Eisenstein exécute des caricatures politiques, puis des esquisses de costumes et de décors, non seulement lors de son passage dans l'armée Rouge ( 191 9), mais surtout, entre 19 21 et 19 23, au Proletkoult, au célèbre théâtre expérimental l'Atelier de Foreg ger (M. A. S. T. F O. R.) et dans les Ateliers nationaux supérieurs du Théâtre de Meyer hold. Dans ses projets de costumes et de décors, le futur créateur de La Gréve part d'un certain réalisme dans l'esprit du style des peintres du Monde de l'art (Alexandre Benais, Alexandre Golovine, Soudelkine) au cuba-futurisme, qui est le style dominant de l'avant-garde russe à la fin des années dix. Yakoulov, Alexandra Exter, Alexandre Vesnine marquent le style du Théâtre de chambre (Kamerny) de Talrov, tandis que Lioubov Popova et Varvara Stépanova inaugurent le constructivisme au Théâtre de Meyerhold : la profusion romantique chez les premiers et l'ascétisme des architectures scéniques chez les seconds. Eisenstein oscille entre les deux. On peut dire que son tra vail de dessinateur-décorateur pour Le Mexicain, d'après Jack London ( 19 20-1 921 ), pour Soyez bons pour les chevaux ou Macbeth ( 1921-1922), en collaboration avec 10 S. Youtkevitch, pour Le Chat botté ( 1921-1922), d'après Ludwig Tieck, ou pour La Maison des cœurs brisés ( 1922), de Bernard Shaw (non réalisé), est une page écla tante de l'art théâtral russe soviétique du début des années vingt. C'est pendant cette période, où il expérimente les données de la révolution esthé tique russe dans tous les domaines, que se forge un des principes fondamentaux de tout l'art d'Eisenstein-dont nous trouvons l'expression dans les dessins inédits publiés aujour d'hui - celui du montagé. Mais c'est au Mexique en 1931-1932 que se fit le retour au dessin, au «paradis perdu et retrouvé de l'art graphique», comme l'écrit l'artiste lui-même7 Il dessine alors de façon frénétique, paroxystique. En une nuit, bloqué à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, il aurait exécuté deux cents dessins pour Macbeth8 Cette folie graphique a été comparée à l'écriture automatique des surréalistes9 ou à «une ébauche d'auto psychanalyse)) 10 D'après Marie Seton, il aurait envoyé à son «protecteur)) américain Upton Sinclair une pleine malle de dessins qui auraient provoqué un scandale parmi les douaniers quand ils vérifièrent le contenu de l'envoi ... Vingt-deux œuvres traitant des stigmates de Werther, de Macbeth et de Salomé furent exposées à la Galerie John Becker à New York du 15 octobre au 7 novembre 1932, après le retour précipité de l'artiste en U. R. S. S. Ces dessins furent jugés «dia boliques, terriblement sanglants, d'un dynamisme féroce, effrayants et blasphéma teurs )) 11. Religion, sexe, folklore, mythes archafques font un mélange détonant où se mêlent, selon le grand exégète d'Eisenstein, Barthélemy Amengual, «l'irréligion (blas phèmes, démystification, caricatures et érotisme))) 12, où sont stigmatisés le catholicisme colonialiste, impérialiste, destructeur de la culture nationale, un «dieu charlatan)), un «dieu prestidigitateur)), un «dieu saltimbanque». Eisenstein érotise la religion-théâtre «jusqu'au délire (envie de pénis, inceste, retour au sein maternel)», et Amengual de conclure: « La fantasmagorie de tous ces dessins est foncièrement homosexuelle 13. )) Il , LES DESSINS EROTIQUES L:ensemble des Dessins secrets reproduits dans ce livre est un choix fait dans l'an cienne collection d'Andrei Moskvine qui en contient quatre fois plus; il n'a jamais été publié à cause de la charge érotique qui s'y manifeste de façon plus évidente, plus vio lente, plus «exhibitionniste>> que dans ce que nous connaissions déjà par les dessins mexicains. On savait que l'artiste avait produit dans les nombreuses séries dont il aimait multiplier les variations, des dessins particulièrement suggestifs à la limite de la pornographie. Viktor Chklovski raconte même qu'il a refusé le cadeau d'une telle œuvre érotico-pornographique concernant les mœurs animales. Sans doute s'agis sait-il de la série exécutée d'après le conte érotique La Renarde et le Lièvre, rapporté par le célèbre folkloriste russe du x1xe siècle Alexandre Afanassiev, qui colligea huit tomes de Contes populaires russes ( 1855-1863), lesquels furent la source de quel ques œuvres d'art importantes au x:xe siècle (entre autres Noces et L'Histoire du soldat, d'Igor Stravinsky). Alexandre Afanassiev avait aussi colligé des Contes secrets russes, qui furent publiés anonymement à Genève après 18 60, ne pouvant être publiés en Rus sie à cause de leur contenu considéré comme pornographique. Les choses n'ont guère changé en U. R. S. S. en ce qui concerne la sexualité; malgré une certaine libé ration dans ce domaine pendant les années vingt le naturel est revenu au galop et le vieux puritanisme de façade a pris le dessus, avec sa censure de tout ce qui n'est pas dans la norme et le« normal». On peutjuger de cela en constatant que les dessins de la présente édition ont dû attendre, pour les premiers - réalisés en 1931 -, près de soixante-dix ans pour qu'on ose les sortir des coffres et les offrir au public, et encore à un public occidental. 12 , FREUD-LEONARD DE VINCI Le secret dont Eisenstein entourait sa vie personnelle a suscité les hypothèses les plus diverses en ce qui concerne sa vie sexuelle et ses inclinations dans ce domaine. On a mis en avant une homosexualité latente, dont on a relevé des traces dans les films 14, d'autres ont parlé de bisexualité, enfin d'« impuissance», cette dernière étant due soit à une mala die dans l'enfance (version russe-soviétique hagiographique), soit à des inhibitions (Marie Seton), ce qui apparaît comme la thèse la plus courante. Marie Seton, sa biographe amé ricaine, parle ainsi des sentiments très profonds d'Eisenstein pour Péra Attachéva, une secrétaire du service photographique qui était amoureuse de lui depuis au moins 19 26, et qui deviendra officiellement sa femme après le retour définitif d'Europe du cinéaste en 1932 (on prétendit qu'il fut obligé d'épouser Péra Attachéva, avec laquelle il ne vécut d'ailleurs jamais sous le même toit, à la suite d'un chantage exercé par les organes sovié tiques ad hoc) : «Bien qu'il la privât de ce qu'elle désirait le plus, il l'aimait d'un sentiment que rien ne pouvait détruire. li l'aimait même d'une si profonde affection qu'un moment de sa vie vint où elle prit à ses yeux plus d'importance que son œuvre même. Il était pourtant impos sible qu'il ne la blessât point. Car il était au-dessus de ses forces de se libérer d'images incestueuses : il voyait sa mère en elle, ou encore une sœur. Ce genre d'imagination lui fai sait redouter l'union charnelle, et il s'y mêlait la crainte de l'impuissance (deux peurs pro bablement liées, comme on peut le penser en lisant la communication de E. B. Strauss sur les aspects psychiatriques de l'impuissance) 15 » L:impuissance est une façon commode pour une femme d'expliquer l'insensibilité d'un homme pour ses charmes. Surtout quand on nie, comme le fait Marie Seton, toute homosexualité« active» chez l'objet de son adoration. Quand Eisenstein se rend en 19 29 à Berlin pour la première de L'Ancien et Le Nou veau (La Ligne générale}, il se plonge dans la vie intellectuelle de la capitale (c'est là que 13

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