Direction de l’énergie nucléaire Avancées des recherches sur la séparation-transmutation et le multi-recyclage du plutonium dans les réacteurs à flux de neutrons rapides Juin 2015 Décret n° 2013-1304 du 27 décembre 2013 pris pour application de l'article L. 542-1-2 du code de l'environnement et établissant les prescriptions du Plan national de gestion 1 des matières et des déchets radioactifs 2 SOMMAIRE GENERAL INTRODUCTION .............................................................................................................................................................. 5 SYNTHESE DES RESULTATS .............................................................................................................................................. 7 1. LES SYSTEMES NUCLEAIRES DE 4EME GENERATION ........................................................................................ 19 1.1. ENJEUX DES SYSTEMES NUCLEAIRES DE 4EME GENERATION A NEUTRONS RAPIDES ................................... 23 1.2. LE MARCHE DES RNR DE 4EME GENERATION ................................................................................................ 41 1.3. ETUDES DE SCENARIOS DE TRANSITION VERS DES RNR DE 4EME GENERATION DANS LE PARC FRANÇAIS .. 49 2. MULTI-RECYCLAGE DU PLUTONIUM ET SEPARATION-TRANSMUTATION DES ACTINIDES MINEURS ............. 99 2.1. RECHERCHES POUR LE MULTI-RECYCLAGE DU PLUTONIUM .................................................................... 103 2.2. RECHERCHES SUR LA SEPARATION ET LA TRANSMUTATION DES ACTINIDES MINEURS ........................... 151 2.3. RECHERCHES SUR LES REACTEURS A SELS FONDUS A SPECTRE RAPIDE DE TYPE RRSF ............................. 201 3. LE DEMONSTRATEUR TECHNOLOGIQUE ASTRID DE REACTEUR A NEUTRON RAPIDE DE 4EME GENERATION REFROIDI AU SODIUM ............................................................................................................................................. 217 3.1. INTRODUCTION ......................................................................................................................................... 221 3.2. RETOUR D’EXPERIENCE DES RNR-NA EN FRANCE ET DANS LE MONDE .................................................... 227 3.3. DOMAINES D’AMELIORATION PRIORITAIRES ET LES AVANCEES DE R&D ASSOCIEES ............................... 235 3.4. CAHIER DES CHARGES ET LES OBJECTIFS DE SURETE D’ASTRID ................................................................ 257 3.5. EXIGENCES A RESPECTER ET LES CHOIX DE BASE D’ASTRID ...................................................................... 267 3.6. OPTIONS DE CONCEPTION D’ASTRID PAR GRANDS DOMAINES ................................................................ 275 3.7. INSTALLATIONS ASSOCIEES POUR LE CYCLE D’ASTRID .............................................................................. 313 3.8. DEMARCHE DE QUALIFICATION DES OUTILS DE CALCUL ET DES OPTIONS DE CONCEPTION D’ASTRID ... 319 3.9. ORGANISATION INDUSTRIELLE ET PARTENARIATS DE R&D ...................................................................... 331 3.10. DEFINITION DU PLANNING ET DES COUTS ................................................................................................ 339 3.11. CONCLUSION ............................................................................................................................................. 343 3 4 INTRODUCTION La loi du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs définit des orientations pour la gestion des combustibles nucléaires usés. Deux principes directeurs, complémentaires, y sont énoncés : le premier est le bien-fondé d’une politique de traitement-recyclage des combustibles usés, pour réduire la quantité et la nocivité des déchets radioactifs ultimes conditionnés de manière adaptée ; le second est que, pour ces déchets ultimes de haute activité et à vie longue, le stockage réversible en couches géologiques profondes est la voie de référence. Institué par la loi de 2006, le Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) dresse le bilan des modes de gestion existants de ces matières et déchets, recense les besoins prévisibles d'installations d'entreposage ou de stockage, et précise les capacités nécessaires pour ces installations et les durées d'entreposage. Pour les déchets radioactifs qui ne disposent pas encore d'un mode de gestion définitif, le PNGMDR détermine les objectifs à atteindre. A ce titre, il organise aussi la mise en œuvre des recherches et des études sur la gestion des matières et des déchets radioactifs, en fixant des échéances pour la mise en œuvre de nouveaux modes de gestion, la création d'installations ou la modification des installations existantes de nature à répondre aux besoins et aux objectifs précédemment définis. Dans ce cadre, le CEA coordonne les travaux de recherche menés par les établissements publics (Andra, CEA, CNRS, Universités) avec leurs partenaires industriels (AREVA, EDF) sur le multi-recyclage du plutonium et la séparation/transmutation des éléments radioactifs à vie longue, et en lien avec ceux menées sur les nouvelles générations de réacteurs nucléaires. Le CEA a remis au Gouvernement en décembre 2012, conformément aux demandes notifiées dans la loi 2006-739 du 28 juin 2006, complétée par les décrets PNGMDR du 16 avril 2008 puis du23 avril 2012, un dossier présentant les résultats des travaux menés sur la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue, en relation avec les recherches menées sur les nouvelles générations de réacteurs nucléaires. Par décret du 27 décembre 2013, le CEA est appelé à remettre au ministre chargé de l'énergie, pour le 30 juin 2015, « un rapport présentant les avancées des recherches sur la séparation-transmutation et le multi- recyclage du plutonium dans les réacteurs à neutrons rapides ». Ce document, préparé par le CEA, en réponse à la demande, a été élaboré en collaboration avec EDF et AREVA ainsi qu’avec la contribution du CNRS. Il aborde successivement dans ses différentes parties: les principes directeurs qui fondent les recherches sur les systèmes de 4ème génération et en particulier leur capacité à assurer une gestion durable des matières et des déchets, les différents systèmes à l’étude, et les scénarios de déploiement possibles de ces systèmes en France ; les résultats des recherches coordonnées par le CEA sur le multi-recyclage du plutonium et la séparation-transmutation des éléments radioactifs à vie longue ; les choix proposés pour le démonstrateur technologique Astrid1, réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium (RNR-Na), les actions de recherche menées et le calendrier envisageable pour mener à bien sa réalisation. 1 Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration 5 SYNTHESE DES RESULTATS 1. Pour une gestion durable des matières : pourquoi (multi)recycler ? Le combustible nucléaire usé, déchargé des réacteurs à eau au terme de son irradiation, présente les caractéristiques suivantes : environ 95% d’uranium résiduel ; 4% de produits de fission : les fragments issus de la fission de l’uranium 235 (235U) et du plutonium 239 (239Pu) ; 1% d’éléments dits « transuraniens » : essentiellement du plutonium (dont la plupart des isotopes présents sont fissiles), les autres, dits « actinides mineurs » parce que d’abondance moindre, ne représentant que 0,1%. La stratégie de traitement-recyclage des combustibles usés, mise en place par la France il y a plus de 30 ans, constitue une première étape majeure dans la gestion durable des matières et des déchets radioactifs. Il s’agit de traiter les combustibles usés, pour récupérer les matières valorisables (uranium et plutonium), tandis que ses autres composés (produits de fission et actinides mineurs) constituent les déchets ultimes. Ainsi : l’intégralité du plutonium récupéré par traitement est recyclée en combustibles MOX (pour mélange d’oxyde d’uranium et de plutonium), aujourd’hui utilisable par 24 des 58 réacteurs du parc actuel ; l’uranium récupéré peut être ré-enrichi et rechargé en réacteur (actuellement, 4 réacteurs du parc le permettent) ; les déchets ultimes (produits de fission et actinides mineurs, seulement 4 à 5% du contenu des combustibles usés) sont aujourd’hui confinés dans une matrice de verre, coulés dans des conteneurs en acier et entreposés en puits, en attendant d’être stockés en couches géologiques profondes. Cette stratégie présente des atouts importants en termes d’économie de ressources, de maîtrise de l’inventaire en plutonium, de diminution de la quantité de déchets produits (ne contenant pas de quantités significatives de plutonium) et de conditionnement sûr de ces déchets. Elle participe ainsi en premier lieu aux objectifs définis par la loi du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, mais présente aussi certaines limites, pour les raisons évoquées plus loin, liées à la physique des neutrons lents, qui ne permet pas la mise en œuvre industrielle d’un recyclage récurrent (ou multi- recyclage) du plutonium et de l’uranium dans les réacteurs à eau actuels : le mono-recyclage mis en œuvre dans le parc actuel permet de recycler annuellement environ 10 tonnes de plutonium dans les combustibles MOX, lesquels sont, après déchargement, entreposés dans l’attente d’une valorisation ultérieure. Une valorisation plus aboutie de ces matières, passant par la possibilité d’un recyclage, constitue un enjeu important des systèmes nucléaires de 4ème génération, ainsi que cela est illustré ci-après. 7 Valorisation des réserves conventionnelles mondiales d’uranium en réacteurs à neutrons thermiques (à gauche) et en réacteur à neutrons rapides (à droite). La figure ci-dessus indique le potentiel de valorisation énergétique (exprimé en Gtep) des ressources conventionnelles identifiées en combustibles fossiles ; on y trouve en rouge la valorisation des ressources en uranium, respectivement dans la partie gauche, dans les systèmes nucléaires actuels, et dans la partie droite, en cas de multi-recyclage de l’uranium et du plutonium. 2. Pour une gestion durable des matières : pourquoi les réacteurs à neutrons rapides ? Les réacteurs à neutrons rapides (RNR) présentent plusieurs atouts déterminants vis-à-vis de la gestion des matières en complémentarité des filières existantes de réacteurs à neutrons thermiques dont fait partie l’actuelle filière des réacteurs à eau pressurisée (REP) du parc français : les RNR peuvent utiliser sans limitation le plutonium produit par les réacteurs à eau (ou par eux- mêmes) en tirant ainsi parti de son potentiel énergétique, assurant par là une gestion plus rationnelle et pérenne ; en permettant de valoriser dans son ensemble l’uranium extrait du sous-sol (tous ses isotopes, dont l’238U, isotope largement majoritaire), les RNR multiplient par un facteur voisin de 100, l’énergie que l’on peut extraire d’une masse donnée d’uranium naturel. L’ordre de grandeur des réserves énergétiques mondiales s’en trouverait alors profondément modifié ; il s’agit d’un atout considérable pour la production d’énergie à long terme ; les RNR ont la capacité, une fois constitué le stock nécessaire à leur démarrage, de se passer totalement d’uranium naturel. Ils n’ont besoin que d’un appoint d’238U (l’isotope non fissile de l’uranium, aujourd’hui non valorisé par les réacteurs à eau, et très majoritairement présent dans l’uranium appauvri issu des opérations d’enrichissement). Ainsi, alors que le parc nucléaire français consomme environ 8 000 tonnes d’uranium naturel chaque année et laisse de côté 7 000 tonnes d’uranium appauvri, un parc de RNR de puissance équivalente ne nécessiterait chaque année qu’environ 50 tonnes d’uranium appauvri (ou d’uranium issu des opérations de retraitement des combustibles MOX ou URE). Le stock d’uranium appauvri dont dispose la France sur le seul site de Pierrelatte, soit environ 250 000 t, lui assurerait une indépendance énergétique quasi inépuisable pour un parc de RNR ; 8 le spectre des neutrons rapides ouvre aussi la possibilité de transmuter les actinides mineurs et permet donc d’envisager, si cela était décidé, une réduction de l’inventaire de ces radionucléides dans les déchets et de limiter par-là l’emprise du site de stockage profond des déchets nucléaires. Les RNR apparaissent donc comme un maillon essentiel d’une stratégie de cycle fermé, en permettant de tirer parti de la façon la plus aboutie des matières présentes dans les combustibles usés. 3. Les réacteurs à neutrons rapides de 4ème génération Le Forum International « Génération IV » (GIF) a jeté les bases de la réflexion sur les systèmes nucléaires avancés au début des années 2000. Les principaux critères ont été définis (sûreté, économie, résistance à la prolifération et « durabilité », laquelle pointe l’intérêt du recyclage en RNR) et six systèmes identifiés comme particulièrement prometteurs. Il faut noter que la maturité technologique des concepts retenus par le GIF est très variable. Pour le CEA, au vu des objectifs qui lui ont été assignés par la loi de 2006, l’effort se concentre en premier lieu sur les technologies de réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium (RNR‐Na), qui allient une maturité significative et un important potentiel de progrès. Le Groupe permanent d’experts pour les réacteurs nucléaires du 10 avril 2014 a confirmé qu’« à ce jour, parmi les différents systèmes nucléaires envisagés par le GIF, seul le système RNR-Na présente une maturité suffisante pour que la réalisation d’un prototype industriel de réacteur de 4ème génération soit envisageable dans la première moitié du XXIème siècle. » Les RNR‐Na présentent des caractéristiques techniques favorables, notamment en termes de sûreté et de radioprotection, et sont les seuls à bénéficier d’un retour d’expérience industriel substantiel. La vingtaine de prototypes ou de démonstrateurs ayant été construits dans le monde cumulent plus de 400 années.réacteur de fonctionnement dont environ 100 années.réacteur pour les quatre RNR‐Na de puissance significative ayant fonctionné durablement de manière industrielle. En France, le réacteur Phénix arrêté en 2009, après plus de 35 années de fonctionnement, représente un patrimoine de connaissances très important. Sur la base des enseignements tirés des réacteurs précédents en France et à l’international, les acteurs français CEA, AREVA et EDF ont établi en 2007 un programme de recherche et développement visant à renforcer les points forts et à réduire les points de faiblesse de cette filière par des innovations technologiques importantes, ce qui a permis de lancer en 2010 les études de conception du démonstrateur technologique Astrid de RNR‐Na de 4ème génération. 9 4. Le programme Astrid Le démonstrateur technologique Astrid est destiné en premier lieu à démontrer à une échelle suffisante les avancées technologiques obtenues en qualifiant au cours de son fonctionnement les options innovantes, notamment dans les domaines de la sûreté et de l’opérabilité. Astrid est un démonstrateur d’intégration technologique, d’une puissance électrique de 600 MWe environ, permettant une démonstration de sûreté et de fonctionnement à l’échelle préindustrielle de RNR‐Na de 4ème génération. L’objectif est une mise en service au cours de la décennie 2020, en fonction des décisions qui seront prises par les Pouvoirs publics. L’exploitation d’Astrid pendant une dizaine d’années doit ensuite permettre le déploiement de réacteurs commerciaux, que l’on peut envisager au plus tôt au cours de la décennie 2040. © AREVA Vue en coupe du bloc réacteur du démonstrateur technologique Astrid Grâce aux innovations identifiées sur Astrid, il est possible d’atteindre des objectifs de sûreté équivalents à ceux fixés aux réacteurs EPR, tout en tenant compte du retour d’expérience de Fukushima et des spécificités liées à l’utilisation du sodium. Les innovations résident en particulier dans : un nouveau design du cœur du réacteur, naturellement résistant aux transitoires accidentels ; l’étude d’un circuit tertiaire sans eau de manière à supprimer les risques de réaction chimique entre le sodium et l’eau, ou bien de dispositions innovantes pour prévenir et contenir de telles réactions ; un récupérateur de cœur fondu intégré à la cuve du réacteur ; des dispositions d’inertage et de détection précoce de fuites qui réduisent fortement les risques de feu de sodium ; l’intégration à la conception des besoins d’inspection en service pendant la durée de vie du réacteur ; des moyens multiples et redondants d’évacuation de la puissance résiduelle ; le réacteur peut utiliser l’atmosphère comme moyen de refroidissement, même en cas de perte des alimentations électriques et de la source froide en eau. Contrairement aux réacteurs précédents (Phénix et Superphénix), Astrid ne sera pas surgénérateur mais iso-générateur, sans couvertures fertiles radiales, de manière à stabiliser le stock de plutonium sans l’accroître. 10
Description: