Mis à la retraite sur requête du Bureau ovale, le général de division Geoff Tyler se voit proposer par l’ancien secrétaire général des Nations Unies de prendre la tête d’une armée privée financée par des célébrités de toutes obédiences. Son objectif : renverser le dictateur d’un État africain. Son effectif : 10 000 soldats dont il faut parfaire la formation. Jusqu’ici tout va bien. Il y a toutefois un détail. Cette armée est presque exclusivement constituée de LGBT. Lesbian, Gay, Bi, Trans…
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ExtraitIl y a des choses qui ne se font pas. Courir dans un cimetière, par exemple. Surtout un cimetière militaire. Cracher sur les tombes, non plus. Encore moins sans prendre le temps de s'arrêter. Geoff, lui, fait ça tous les matins depuis bientôt deux ans.
Il court en tennis et jogging, serviette autour du cou, la foulée sûre et tranquille, et il crache sur une trentaine de tombes en marmonnant des mots que lui seul comprend. Ce sont pourtant des phrases simples.
Salut, vieux salopard.
T'as l'air fin sous ta pelouse, maintenant.
Tiens ? T'es encore là, toi ?
Redis-moi qui c'est qui pète la forme, gros malin.
Alors, fils de pute, toujours calanché ?
Oui, ce sont des phrases simples, car Geoff Tyler est quelqu'un de simple. Il a promis qu'il irait cracher sur les tombes de tous les fumiers qui commettraient l'imprudence de crever avant lui et il tient parole. C'est ainsi qu'on est un homme d'honneur. Et qu'importe si cela défrise les rares oreilles qui ont la déveine d'intercepter un mot ou deux.
Quand cela arrive, Geoff rit. Un petit rire sous cape, jubilatoire. Un rire de revanche sur le destin, de connivence avec le passé. Un rire pour lequel un lieutenant, un balaise tout frais émoulu de l'école, l'a un jour poursuivi et agrippé par le bras.
- Non mais dis donc, mon salaud, tu...
Il n'a pas achevé sa phrase. Geoff lui a retourné le pouce et l'a projeté au sol dans le même mouvement. Quand le type s'est relevé, prêt à en découdre, Geoff lui a planté deux yeux de glace dans le regard et a laissé tomber :
- Mon général.
- Quoi ?
- À un général, on dit mon général, lieutenant, pas mon salaud.
Et il est reparti sans que le jeunot sache faire mieux que demi-tour.
À la retraite. Depuis bientôt deux ans. Dégoûté de tout, mais toujours en pleine forme et toujours aussi vif, le général de division Geoff Tyler crache chaque matin sur les tombes des soldats qui étaient sous ses ordres dans le pire moment de son existence et qui ont eu l'audace d'y laisser leur peau.
Vous m'entendez, fils de putes ! Tant que je suis vivant, je vous interdis de clamser ! Et je jure que j'irai cracher sur la tombe de tous ceux qui lâcheront la rampe !
Dans les heures qui ont suivi, sur trente-quatre, vingt-six sont tombés. Les huit autres sont morts dans d'autres échauffourées, sous d'autres commandements, mais il crache aussi sur leurs tombes, par respect.
Vingt ans après avoir reçu le Grand Prix de l'imaginaire pour Demain, une oasis (rééd. 2006, Au Diable Vauvert), Ayerdhal renoue avec l'Afrique et la dénonciation du pillage de ses ressources naturelles. Par l'ampleur de ses enjeux, Rainbow Warriors va plus loin qu'une mise en perspective des inégalités Nord-Sud. Aussi pourra-t-on, au choix, le lire comme une oeuvre de politique-fiction, une utopie sociale, un roman d'aventure ou d'espionnage en terre africaine, un ouvrage de vulgarisation sur les barbouzeries dont se rendent coupables les Etats occidentaux afin de protéger leurs intérêts...
Entraînement militaire, élaboration de la stratégie de renversement du pouvoir, formation d'un gouvernement provisoire incluant des civils mambésis... On voit qu'Ayerdhal traite son sujet avec sérieux. Bien qu'il sache doser habilement suspense et humour, il ne s'est pas borné à concevoir un thriller, encore moins une satire, même tragi-comique...