Processus morphogénétiques M. Alain P, membre de l’Institut (Académie des sciences), professeur Évolution du système nerveux, robustesse et plasticité robustesse et plasticité Le cours de l’année 2008/2009 s’est intéressé à l’évolution du système nerveux. Il a commencé sur des considérations théoriques portant sur les concepts de robustesseetdeplasticité.Bienentendu,lesquestionsd’évolutionontétéreliéesà celles du développement dans une perspective Evo/Devo.Nousavons introduit la notion d’évolvabilité définie par la capacité de répondre à une modification de l’environnement par la création de formes (au sens large) nouvelles présentant un avantage sélectif. Nous avons discuté l’hypothèse qu’il existe dans le paysage «Génotype vers Phénotype»deszonesneutresauseindesquelleslesmutationsnemodifientpasle phénotype.Cesespacesneutres,synonymesderobustesse,augmententl’évolvabilité enpermettantdenaviguersanscontrainteauseindece«paysage»etd’approcher desrégionsquipeuventpermettredestransitionsparfoisbrutales.Sicesglissements n’étaient pas possibles, alors le système serait trop contraint pour quitter une zone d’adaptation forte. Pour illustrer un propos attribuant une part importante aux phénomènes épigénétiques,nousavonsintroduitlesprotéinesdechocthermiqueetdécrit,chez la drosophile et chez le poisson, comment leur inhibition pharmacologique peut faire apparaître des phénotypes sous-jacents, avec,chez la drosophile, la possibilité d’une fixation, pendant plusieurs générations, du phénotype révélé, y compris après retrait de l’inhibiteur pharmacologique. 292 ALAINPROCHIANTZ À partir de quand peut-on parler de système nerveux? Cette partie du cours nous a amenés à discuter la notion même de système nerveux. Cela a été fait en nous fondant sur la perception lumineuse chez les unicellulaires. Nous sommes partis de l’idée de séparer le stimulus lumineux qui estdépendantdesstructuressensiblesauxphotons,del’analysedecestimulusqui nécessite des centres nerveux. Nousavonscomparélesstructuresdesrécepteursauxphotonschezlesbactéries, leseucaryotesunicellulairesetlesmétazoaires,cequinousapermisd’introduirela question, aujourd’hui encore débattue, de l’origine monophylétique ou polyphylétique de l’œil. Nous avons présenté les thèses en présence et pris parti, avec Walter Gehring, pour une origine monophylétique. Ce point a été rediscuté plus loin dans le cours. Nousavonspris comme exempled’œil «primitif» le cas de Chlamydomonaset de son «eye spot» qui fonctionne comme un appareil visuel avec des protéines photoréceptrices qui, associées à des canaux ioniques, régulent la rotation des flagelles et le mouvement de l’unicellulaire vers la lumière ou, au contraire, dans la direction opposée et ce, en fonction de l’intensité lumineuse. Sans aller jusqu’à parlerdesystèmenerveux,nousavonslàunorganequipermetàl’unicellulairede percevoir une ombre, celle d’un prédateur par exemple, ou de fuir une intensité lumineuse trop forte en mettant en action des canaux ioniques et en activant un système moteur. Il est intéressant de relier ces observations à l’hypothèse de Walter Gehring qui fait remonter la perception de la lumière aux cyanobactéries qui se sont intégrées dans les eucaryotes sous la forme des chloroplastes. Gehring propose que les dinoflagellés, symbiontes connus des cnidaires, auraient pu transférer leurs gènes de photoréception aux cnidaires (de la même façon qu’ils ont incorporé ceux des cyanobactéries).Lasensibilitéàlalumière,néechezlescyanobactéries,seraitpassée aux algues rouges sous la forme de chloroplastes primaires, puis aux dinoflagellés et, de là, aux cnidaires, dont la position est très ancienne dans l’arbre phylogénétique. histoire d’œil Dans cette partie du cours, nous nous avons continué d’explorer l’évolution du système visuel, cette fois-ci chez les métazoaires. Dans un premier temps nous avons présenté les récepteurs de type rhabdomérique et ceux de type ciliaire et utilisé cette distinction pour éclairer un point d’évolution concernant nos propres cellulesganglionnaires(RGCs).NousavonssuiviDetlevArendtetsescollègueset montré que chez les polychaetes on trouve les deux types de récepteurs et que ces récepteurs n’ont pas véritablement disparu chez les vertébrés mais ont donné naissance aux cellules ganglionnaires de la rétine. PROCESSUSMORPHOGÉNÉTIQUES 293 Nous sommes remontés plus haut dans l’évolution pour constater que Ciona intestinalis, le protochordé le plus proche des vertébrés a un organe photosensible (ocelle) qui contient quelques photorécepteurs ciliaires et une large cellule pigmentaire (pratiquement le prototype de Darwin). La lumière chez la Cione est hyperpolarisante (comme chez les vertébrés) et il n’y a qu’une seule opsine. Cequiapermisdeproposerlescenarioévolutifsuivant:unchordéprimitifavec une paire d’organes photorécepteurs du type amphioxus ou Cione (qui en a probablement perdu 1), s’est étendu latéralement et s’est développé en une rétine à2couches,avecdesphotorécepteursciliairescontactantdesneuronesdeprojection (probablement des récepteurs rhabdomériques) donnant un œil de type mixine générantuncomportementcircadienetunecapacitédereconnaîtrelesombres.La suite est l’acquisition d’une lentille (lamproie) et une augmentation de la capacité computationnelleparintroductiondescellulesbipolairesentrelesphotorécepteurs etlesRGCs.CeseraitalorsmiseenplaceuneprojectiondesRGCsverslethalamus (et plus seulement l’hypothalamus). Nous sommes alors revenus sur la controverse sur le caractère monophylétique ou polyphylétique de la vision. Les trois grands exemples sont les vertébrés, les arthropodes et les mollusques (céphalopodes). On a longtemps pensé que les origines des yeux dans ces trois embranchements étaient différentes, du fait des origines différentes des tissus qui composent l’œil, évoquées plus haut. Chez les céphalopodes, c’est l’invagination de l’ectoderme qui est à l’origine de l’œil alors que chez les vertébrés une composante cérébrale est décisive (rétine et épithéliumpigmentaire),inductricedelalentille(ectoderme).Chezlesarthropodes, on a des yeux composés (à facette) d’origine ectodermique comme chez les céphalopodes, mais d’organisation très différente. Chez la praire ou la coquille Saint-Jacques (bivalve) les yeux ne sont pas d’origine céphalique. Pour certains, ces différences suggèrent des origines distinctes et plaident en faveurd’uneévolutionconvergente.Lesyeuxauraientévoluédefaçonindépendante etàplusieursreprises,pourcertainsauteursde40à65fois.C’estassezimpensable. C’est chez Gehring qu’on trouve l’argumentation la plus solide en faveur de l’originemonophylétique.Àpartirdesmutationseyeless(mouche),smalleye(souris) etaniridia(humain),le«même»gènePax6aétécloné.Cetteconservationsuggère fortement que Pax6 a joué un rôle dans le développement de l’œil de Bilateria puisque,siarthropodesetvertébrésenontbesoinpourconstruirel’œil,leurancêtre commun aussi, probablement. On peut donc suivre Gehring quand il propose que tous les yeux des Bilateria remontent au prototype darwinien similaire à celui des planaires mais que la suite repose sur des processus d’évolutiondivergente,convergenteou parallèle. Gehring nousproposedeuxhypothèsesévolutives.Dansunpremierschéma,lesmétazoaires se sont formés par le rassemblement d’une colonie de cellules flagellées et on a assisté à une spécialisation ultérieure en pigmentaires et réceptrices. 294 ALAINPROCHIANTZ Dans un deuxième schéma, Gehring reprend l’hypothèse du symbionte, fondée surChlamydomonas,avecl’intuitionquelaperceptiondelalumièreremonteaux cyanobactéries qui se sont intégrées dans les eucaryotes sous la forme des chloroplastes. Gehring, nous l’avons vu, propose que les dinoflagellés auraient transféré leurs gènes de photoréception aux cnidaires, dont ils sont les symbiontes. Lesétudessurl’expressiondePax6aucoursdudéveloppementsontlimitéesaux arthropodes et vertébrés. L’originedes gènes Pax est antérieure à celle des yeux et du système nerveux puisqu’on les trouve chez les éponges et que les yeux n’apparaissent qu’avec les cnidaires. Mais, même chez les cnidaires, on ne trouve pas d’homologues directs de Pax6. Cependant, Pax B qui a très probablement donné par duplication d’une part Pax4/6 et de l’autre Pax2/5/8 est exprimé dans les yeux des hydrozoaires (Cladonema) et cubozoaires (Tripedalia) qui sont des cnidaires. On peut faire l’hypothèse que PaxB chez ces espèces joue le rôle de Pax6 dans le développement des yeux, mais que l’implication directe de Pax6 ou du «consortium» génétique Pax-Six-Eya-Dachestpostérieureàladivergenceentrelescnidairesetlesorganismes à symétrie bilatérale. Pourconclure,nousnepouvonsoublierquedesorganismesquin’ontpasd’yeux (comme les cnidaires ou, plus proche de nous, les nématodes), expriment aussi les gènes Pax. Mais cela ne saurait être pris comme argument contre une origine monophylétique.Onpeuteneffetproposerquel’inventiondel’œiloudelavision s’est faite à partir d’un perfectionnement de la chémoréception; c’est même probable. les premiers métazoaires En fait, nous nous sommes, dans cette partie du cours, intéressés à l’origine de la multicellularité. En effet, l’association des cellules en ensembles pluricellulaires constitueunetransitionmajeuredansl’histoiredelavieetdeladivisiondutravail au sein d’un organisme. Cette transition est à la fois importante et énigmatique. Elle s’est produite à de nombreuses reprises (algues, plantes terrestres qui en descendent,champignons,animaux,amibes),maisnes’estpasstabiliséedanstous les taxons. Deux mécanismes pouvant conduire à la multicellularité sont discutés par les spécialistes. Le premier consiste à ne pas se séparer après division. Le second consiste à rassembler des éléments dispersés. Dans le premier cas, les cellules sont génétiquement homogènes et l’hétérogénéité ne peut venir que de modifications «accidentelles »dugénome,parexempleunemutationsomatique,ouuneinfection par un pathogène. De ce fait, la différenciation en différents types cellulaires ou en différents groupements, une forme d’organogenèse, relèvera surtout de mécanismes épigénétiques. PROCESSUSMORPHOGÉNÉTIQUES 295 Dansledéveloppementparagrégationcommechezcertainsciliés,myxomycètes, oumyxobactérie,etchezdictyostelium,c’estlaformeindividuellequiprédomine, avec une association épisodique.Dans ce système, la variété génétique vient de l’association d’individus aux génotypes différents et si on pense en terme de compétition,alorselleseraintra-propaguleetnoninter-propagulescommedansle premiercasqui,selonlesévolutionnistes,estprobablementàl’originedelaplupart des organismes multicellulaires. Dans un cas comme dans l’autre, il nous faut rechercher des gènes de la multicellularité qui seraient déjà présents chez les eucaryotes unicellulaires et auraientcommedoublemissiondepermettredetelrassemblements,desmolécules d’adhésion par exemple, et de favoriser la communication intercellulaire et la différenciationcellulaireetspatiale.Ondoitcependants’interrogersurlafonction detelsgènesde«futuremulticellularité»chezdesêtresunicellulaires.Oubiences gènes servaient à autre chose et ont été réutilisés dans une fonction de type «on se rassemble», «on reste ensemble», ou bien ils servaient déjà à une interaction cellulaire.Danscecas,l’originedelapluricellularitésetrouveraitdansl’interaction de deux unicellulaires, par exemple dans leur sexualité. La multicellularité impose le développement d’un codage positionnel pour les cellules. Nous avons introduit ici la notion d’information de position et donné quelques éléments sur l’évolution des gènes qui portent cette information. À cette occasionnoussommesrevenussurl’orthologie(homologieàtraversl’évolution)et laparalogie(homologienéed’uneduplicationd’ungèneaccompagnée,souvent,de l’acquisitiondenouvellespropriétésparundesdeuxgènesissusdelàduplication). Nousavonsprisl’exempled’OtdetOtx2,deuxorthologueschezladrosophile(Otd) etlesvertébrés(Otx2),etd’Otx2etOtx1,deuxparalogueschezlesvertébrés. devant/derrière et dessus/dessous La multicellularité appelle une information de position. Dès que nous avons affaireà2cellulesetquecetassemblageestplusque1+1,unedifférenciationdoit s’ensuivre dont le premier pas est de savoir qui est devant et qui est derrière, qui estdessusetquiestdessous.Enm’entenantàdeuxembranchements(arthropodes etvertébrés),jesuispartid’ungène«del’avant»,c’est-à-direOtx2etsesorthologues que l’on trouve dès les premier métazoaires, en tout cas déjà chez les cnidaires. Lesystèmenerveuxcentralantérieurdelamoucheestcomposédetroisganglions, proto-, deuto- et trito-cerebrum et Otd est exprimé essentiellement dans les deux premiers ganglions. De même Otx2 est exprimé, chez la souris, depuis l’avant du cerveaujusqu’àlafrontièreentremétencéphaleetmésencéphale.Ladélétiond’Otd chez la mouche et d’Otx2 chez la souris conduit au même phénotype de perte du cerveau antérieur. D’où une homologie évolutive (orthologie) des gènes qui se retrouve aussi au niveau des sites d’expression et de la fonction. En effet, si on remplace Otd par Otx2 de souris ou humain, la mouche retrouve la tête. D’où la question: le gène de mouche peut-il remplacer le gène murin? 296 ALAINPROCHIANTZ La réponse est non si on insère juste les séquences codantes. Par contre, si on introduit les séquences régulatrices du gène de souris, avecla séquence codante de la mouche, on récupère un avantsuffisamment développéconfirmant l’homologie fonctionnelle. Cela souligne le rôle très important des séquences régulatrices. Les séquences codantes doivent être exprimées au bon moment, au bon endroit, aux bonnes quantités et pendant la durée adéquate. La comparaison entre développement du système nerveux chez les arthropodes et les vertébrés, faisant apparaître des différences notables, plus l’existence d’un système diffus chez les hémichordés, avait conduit certains, dont PeterHolland,à poser l’hypothèse d’une origine différente du SNC chez les arthropodes et les vertébrés. Ce qui laissait ouverte la question de l’organisation du système nerveux chez Urbilateria (l’ancêtre des animaux à symétrie bilatérale) et plaidait pour un système plutôt diffus considéré comme «moins évolué». Cette hypothèse a été invalidée par l’analyse des annélides dont le système nerveux est très proche de celui des vertébrés quant au patron dorso-ventral (DV) d’expression des gènes de développement. Le caractère premier de la centralisation du système nerveux réside dans la ségrégation entre ectoderme neural et ectoderme non neural au cours du développement précoce. Cette séparation est suivie d’une division de l’ectoderme neural en sous-territoires et de la ségrégation des types neuronaux au sein de ces sous-territoires. La division entre ectoderme neural et non neural à partir d’un ectoderme initialement entièrement non neural correspond à l’induction neurale. Après plus de 50 ans de course à l’inducteur neural, nous sommes arrivés à la conclusionquel’ectodermeaunetendancenaturelleàdonnerdusystèmenerveux et que cette tendance est bloquée par un morphogène (BMP/DPP). L’induction neurale consiste donc à inhiber cette inhibition par l’expression de protéines qui bloquentl’activitéBMP,commelesChordinsouNoggin.SiDPP/BMPbloquela neuralisation,onenconclurafacilementquechezlaplupartdesbilatéréslesystème nerveux se développe du côté du corps qui n’exprime pas DPP/BMP. C’est vrai, nous venons de le voir, chez les vertébrés; ce l’est aussi chez les arthropodesetlesannélides.Cequiposeuneautrequestionpourcequiestdenotre parenté évolutive avec les arthropodes. En effet, chez les arthropodes, DPP/BMP n’est pas exprimé en position ventrale, mais dorsale. Le système nerveux des arthropodesestdoncventraletnondorsalcommechezlesvertébrés,enaccordavec la règle de l’inhibition par les DPP/BMP. En 1875, Anton Dohrn suggère que les vertébrésonthéritéleurSNCd’unancêtreannélideetinverséleuraxeDVaucours del’évolution.Cetteidéed’uneinversion,déjàdéfendueparGeoffroySaint-Hilaire en1822,aétéconfirméeparlesexpériencesrécentessurlespatronsd’expressionde morphogènes (DPP/BMP) et des gènes de développement. D’autres hypothèses existent, celle par exemple de la rotation, chez les vertébrés, de l’axe du corps par rapportàceluidelatête.Bienquerassemblantpeudesuffrages,unetellerotation donneraituneexplicationauphénomènededécussationspécifiquedesvertébrés. PROCESSUSMORPHOGÉNÉTIQUES 297 tracer des bords Les concepts de compartiment et de frontière entre compartiments sont nés des travauxmenés chezla D rosophile. Les frontières ont plusieurs fonctions, elles constituentdesobstaclesàlamigration descellules,desbordsàsuivre pourlamigration desaxonesetdescentresdesignalisation.Cescentresdesignalisationparticipentau «patterning» des tissus embryonnaires en réglant lasécr étion d’oncogènes et de morphogènes,parfoissousunemêmeformemoléculaire(Wnt,FGF,...). CettesegmentationdesvertébrésfutredécouverteparLumsden etKeynesen1989 surlecasdurhombencéphale.Jedis«redécouverte»àcause ducaractèrepionnier de lapr oposition d’Étienne GeoffroySa int-Hilaire en 1822. Mais parler de redécouverte est un peu exagéré. Si, dans un cas comme dans l’autre, lapr emière observation est anatomique, ce qui emportal’ adhésion en 1989 fut le corrélat génétique de l’expression des gènes Hoxet l’orthologie entre les gènes Hoxde la mouche et des vertébrés qui permettait de penser cette orthologie aussi au niveau anatomique. C’est donc le corrélat entre génétique et anatomie ou plutôt une forme de congruence entre orthologie génétique et orthologie anatomique qui autorise en 1989 à étendre aux vertébrés un concept de segmentation jusque là réservé à certains invertébrés, dont les arthropodes. Le cerveau antérieur qui donnera naissance au télencéphale, diencéphale et mésencéphale présente aussi des renflements et constrictions provisoires du neurépithélium,quisuggèrentl’existencede«compartiments».Cetteconfiguration anatomiquecommelepatrond’expressiondenombreuxgènesapermisl’émergence d’une conception neuromérique du cerveau antérieur qui désigne une forme de compartimentation antéro-postérieure (AP). Par ailleurs, une compartimentation DV est aussi présente. Le modèle prosomérique, proposé par Puelles, Rubenstein et collègues dans les années 1990 a eu une réelle influence sur notre façon de penser le développement et l’évolution du cortex. Ce modèle proposait une division du cerveau – le long de l’axe AP – en 6 segments ou prosomères (métamères du prosencéphale): P1 à P3pourlediencéphaleetP4-P6pourl’hypothalamusetletélencéphale.Ilesttout à fait remarquable que ces frontières AP comme DV se situent presque toujours sur les lignes de partage d’expression de gènes de développement. Àce point,nousavonsintroduitl’hypothèsenéedutravaildenotrelaboratoireselon laquellecertainsfacteursdetranscriptionsonteux-mêmesdesmorphogènes,doncdes molécules capables de transduire un signal et que les bords se forment làoù ils se «rencontrent»auseinduneuroépithélium.Cetteidéeaété développéeplustard. Enattendant,nousavonsfourniquelquesinformationssurledéveloppementdu cortex. D’abord, de quels neurones sont composés le cortex? Pour 80% d’entre eux, il s’agit de neurones pyramidaux glutamatergiques, excitateurs, générés dans 298 ALAINPROCHIANTZ la zone ventriculaire (subventriculaire). Les autres 20% sont des neurones GABAergique,inhibiteurs,quisontgénérésdanslesrégionsventrales,leséminences ganglionnaires, médianes, latérales (et caudales), du télencéphale et migrent de façon tangentielle pour rejoindre le télencéphale dorsal. Le télencéphale se forme à partir du prosencéphale, à l’avant de cette structure qui donne aussi, plus postérieurement, le diencéphale et le mésencéphale. La formation du télencéphale se fait vers E8.5 avec l’expression du facteur de transcription Foxg1.Dès l’expression de Foxg1,le télencéphale dorsal se divise en sous régions, à commencer par une région antérieure et latérale qui va donner le néocortex et une région postérieure et médiane qui va donner l’hippocampe, «l’ourlet cortical» et le plexus choroïde. Le télencéphale ventral se divise en une région médiane (MGE) et deux régions latérales et caudales (LGE et CGE), les éminences ganglionnaires. Ces régions donneront les ganglions de la base, et les structures limbiques associées (amygdale et accumbens). MGE produit aussi les neurones GABA à somatostatine ou parvalbumine (PV)etlesinterneuronesNPYdesganglionsdelabaseetducortex (après migration). La CGE produit les interneurones à calretinine etVIP. La LGE produit des interneurones du bulbe olfactif plus des neurones des projections inhibitrices du striatum et des aires limbiques. NousavonsintroduitdansceschémauneautreinteractionentreLhx2etLhx5. Lhx5estexprimédansl’ourletcorticaletsaperteentraînecelleduplexuschoroïde. Lhx2 est exprimé dans la zone ventriculaire, selon un gradient et est fortement réprimé par BMP2/4 (dorsal) ce qui l’excluede l’ourlet cortical. La perte de Lhx2 conduit à une expansion de l’ourlet et du plexus au dépend du néocortex. Ils’agit d’un autre exemple de ces antagonismes qui apparaissent de plus en plus comme représentatifs d’une loi générale. du traçage des bords à une hypothèse sur l’évolution de la signalisation Cetteloipeuts’exprimerdelafaçonsuivante.Audépartnousavons2morphogènes, par exemple dorsal et ventral comme BMP et Shh dans le tube nerveux, plus généralement, A et B. A induit HA et B induit HB, deux homéogènes, mais HA réprime HB et HB réprime HA. Il peut s’ensuivre l’expression de 2 gradients, un gradientdeHAetungradientdeHB.Cesdeuxfacteursdetranscriptionpeuventse trouver exprimés transitoirement dans les mêmes cellules, mais du fait qu’ils sont auto-activateurs et inhibiteurs réciproques (notre loi générale), alors le gagnant prendtoutet,saufélémentderégulationsupplémentairepermettantlaco-existence, unbordseforme.Ilesticiassezclairquecebordadmet,dufaitdesfluctuations,une certainevariabilité,saufàinvoquerunélémentassurantuneplusgranderobustesse. Mais nous savons former un patron avec un seul morphogène. Nous avons mêmeadmisquepourletubenerveuxl’inventiondudeuxièmemorphogène(Shh) répond à un agrandissement de la structure qui rend le premier morphogène PROCESSUSMORPHOGÉNÉTIQUES 299 (BMP) inopérant parce qu’il ne peut pas diffuser assez loin. Dans un tel cas, comment faire un bord sauf à imaginer que le gradient de A se traduit en l’expressiond’homéogènesHA1,HA2,HA3(classeA),commedanslemodèledu drapeaufrançaisdeWolpert,c’estàdireavecdesseuils?Maislesseuilsadmettent un certain niveau de variabilité qui fait que le bord ne peut être net que si on ajouteunehypothèsesupplémentaire.Commedanslecasprécédentnousproposons que pair active pair, impair active impair et que pair et impair s’inhibent réciproquement. Alors le cas précédent devient une variante du second cas avec classe A et classe B. Avant d’explorer plus avant ce modèle, nous avons rappelé que l’expression d’homéogènes, ou d’autres gènes de développement, ne suffit pas à former des bords, il faut évidemment des cibles qui effectuent le travail. Les Ephrins et leurs récepteurs Eph par exemple, mais aussi d’autre effecteur, molécules d’adhésion (NCAM,cadhérines)oulesystèmeNotch-Delta,etd’autresencore.Sionréfléchit un peu à la question, la nature même de ces facteurs qui sont tous, molécules d’adhésioncomprises,desmoléculesdesignalisation,faitquelesbordsnesontpas morts. En fait, c’est là que ça se passe, là que «ça bouge». Les homéoprotéines, cela a été démontré dans notre laboratoire, sont des molécules qui transduisent un signal, au bord justement. On peut étendre cette notion de bord, pour proposer qu’elle s’applique à tout contact entre cellule. Et ces échanges – homéoprotéines comprises – que nous avons explorés à propos des étapes précoces de la formation de ce système nerveux sont, à mon sens, probablementfonctionnelsauniveaucellulaire,toutparticulièrementauniveaude la synapse, un bord parmi d’autres. Cespropositionsnesontpassansconséquencessurleplandel’évolutionpuisque ceshoméoprotéinesexpriméescheztouslesmulticellulaires,dèsledébut,sonttrès probablement–entoutcasc’estl’hypothèsequejeforme–lesplusanciennesdes molécules de signalisation, d’une signalisation pas très robuste, la robustesse ayant résulté de l’invention des autres molécules plus classiques. Mais si les homéoprotéines sont les premières molécules de signalisation, comment ont-elles pu – sans protéines effectrices – exercer leur activité? Nous proposonsquelespremièressignalisationontimpliquél’activitémitochondrialeet une synthèse d’ATP régulée par les homéoprotéines et capable de jouer sur l’état ducytosqueletteetsurlalocalisationdesmoléculesdesurface.C’estlàunschéma parcimonieux impliquant très peu de classes de molécules, des molécules dont noussavonsqueleurexistenceaforcémentprécédél’inventiondelamulticellularité, y compris pour les homéoprotéines dont la fonction première aurait pu être de réguler la conjugaison chez les organismes unicellulaires. Pour revenir un peu en arrière, nous avons comparé le modèle classique des morphogènes à celui que nous proposons, fondé sur le transfert intercellulaire d’homéoprotéines.Danslemodèleclassique,unmorphogènediffuseàpartird’une 300 ALAINPROCHIANTZ sourceetinduitl’expression,engradient(ounon)dedeuxfacteurs(pasforcément detranscription)quis’inhibentréciproquement.Auniveauoùlesdeuxfacteursse rencontrent, leur inhibition réciproque entraîne la formation d’un bord, mais ce bord est initialement irrégulier. S’il s’agit de facteurs de transcription, ils doivent êtretransitoirementco-exprimésdanslesmêmescellules.Larégularisationdemande soit de la mort cellulaire, soit un changement d’identité, soit une migration. Le deuxième modèle que nous avons proposé est que les morphogènes ne diffusent pas énormément mais induisent un homéogène. L’homéoprotéine passe decelluleàcelluleets’auto-induit,onpeutdonclaconsidérercomme«infectieuse». Elle rencontre alors une autre homéoprotéine, qui vient en sens inverse et a la mêmepropriétéd’auto-induction,maislesdeuxsontinhibitricesréciproques,d’où la formation d’un bord. Nous avons alors comparé les deux modèles en réinterprétant les données de la littérature, en particulier celles qui concernent la position des bords et donc la surfacedesterritoiresdanslesystèmenerveuxcentral,danslecadredeshypothèses classiquesetdanslecadredecellesquenousavonsavancéesrécemmentsurlabase de nos propres observations. le début de sapiens Nous avons abordé plusieurs points, mais je ne développerai ici que la partie dédiée à la taille générale du cortex et celle des aires spécifiquement dédiées à différentes modalités, sensorielles, motrices et cognitives. Lesdifférentesespècesprésententdescortexdetaillesdifférentes.L’augmentation de la taille générale (le cas écéhant), peut se traduire, ou non, par l’apparition de nouveaux champs corticaux qui s’ajoutent aux champs préexistants. Mais, en dehorsdel’augmentationdelataillegénérale,oudesonmaintien,onobserveaussi des modifications des tailles relatives des différentes aires et des modifications à l’intérieur d’une même aire. Par exemple, chez platypus (l’ornithorynque), on constatenonseulementuneaugmentationdeS1(airesomato-sensorielleprimaire), mais aussi à l’intérieur de S1, une augmentation de la représentation du bec qui occupe pratiquement 90% de la surface sensorielle. Cette augmentation est en relation avec la densité des récepteurs sensoriels sur le bec et les modifications associées dans le comportement de l’animal. D’autres modificationsaussiremarquablessont rencontrées chezlachauve-souris, dont le cortexauditif est en proportion avec les modifications de lacochlée liées à l’importancedel’écholocalisationchezcet animal.Pourfairebonne mesure,notonsla taille de lamain chezle primates, ou les représentations sensorielles du larynx, des lèvresoudelalangue chezsapiens.Cette dernièresériedemodificationsestenrapport avecledéveloppementdesstructuresoralesetellessontaccompagnéesdemodifications parallèles,danslemêmesens,auniveaumoteurouprémoteur.Les airesditesdeBroca
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