catbak int. déf. 11/03/04 22:04 Page 1 catbak int. déf. 11/03/04 22:04 Page 2 © 2004 pas de copyright pour le texte. couverture (marques de cordes sur de la peau) © 2004 [email protected] pas de copyright non plus. le photocopillage tue l’industrie du livre. le plus tôt sera le mieux. catbak int. déf. 11/03/04 22:04 Page 3 Catherine Baker POURQUOI FAUDRAIT-IL PUNIR? Sur l’abolition du système pénal catbak int. déf. 11/03/04 22:04 Page 4 Le texte de la conférence L'abolition de la prison signifie-t-elle l'abolition du droit, de la justice et de toute société?que j'avais écrit en 1985 et qui a beaucoup circulé sous le titre de Conférence d'Amsterdam a servi de point de départ à ce livre; qu'on ne s'étonne pas d'y retrouver quelques phrases intégralement reprises; sur certains sujets, je suis au regret de reconnaître qu'en vingt ans je n'ai pas beaucoup avancé. C. B. catbak int. déf. 11/03/04 22:04 Page 5 TABLE DES MATIÈRES Questions d’avant-propos 7 Au rythme de l’histoire, la valse des idées 14 Le désir de punir 37 Cruauté toute particulière de la prison 50 Aggravation de la répression 84 Peines de substitution: «Mieux c’est, pire c’est» 107 Pourquoi faudrait-il punir? 129 Pistes abolitionnistes 151 L’ineptie consiste à vouloir conclure (Flaubert) 174 Bibliographie (très) sélective 183 catbak int. déf. 11/03/04 22:04 Page 6 catbak int. déf. 11/03/04 22:04 Page 7 QUESTIONS D’AVANT-PROPOS Est-ce bien de faire du mal à quelqu’un? La punition est-elle nécessaire à la Justice? L’incarcération une solution acceptable au problème de la délinquance? Les pages qui suivent ne répondent pas à ces questions. Elles voudraient amener le lecteur à se les poser. Nous nous interrogerons principalement sur la prison; ce n’est pas sous l’angle de ses conditions de vie que nous l’aborderons, mais sous celui de sa raison d’être, le châtiment. Personne n’ose plus dire comme au XIXe siècle qu’elle permet aux bandits de s’amender. Elle ne sert qu’à une seule chose qu’elle réussit d’ailleurs fort bien: punir. (Nous en reparlerons très bientôt.) Mais punir est-il utile? À qui? Même les plus timides réformateurs se heurtent à cette évidence, adoucir les cruautés de l’incarcération s’oppose forcément à son principe: elle est une peine, elle est faite et uniquement faite pour punir le coupable, pour lui être pénible. Car le droit pénal, par définition, est fondé sur la peine. Une peine est une souffrance qu’on inflige. Est-il raisonnable d’ajouter 7 catbak int. déf. 11/03/04 22:04 Page 8 du mal à un mal? Platon, par la bouche de Socrate, dénonçait déjà dans le Criton l’inadéquation d’une telle réponse. On n’a pas beaucoup avancé depuis. J’entends bien que les victimes réclament la punition du coupable1. On verra que les abolitionnistes insistent particulière- ment pour qu’on rende justice à la victime autant qu’à l’accusé. Aujourd’hui dans un procès, la victime craint d’être jugée. Crainte parfaitement légitime, car jugée elle l’est. Est-elle bonne dans son rôle? Fait-elle la victime comme il faut? Elle est la justification de la cruauté qu’on s’apprête à faire subir à l’accusé: le spectacle de sa souffrance doit être à la hauteur. Dans tous les films pour enfants et dans la plupart de ceux pour adultes, à la fin les méchants sont châtiés et le spectateur en est content. La punition procure une satisfaction certaine. C’est un peu moins vrai dans la littérature où la liberté de fouiller ce qui ne se voit pas a permis à de nombreux romanciers de se mettre et de nous mettre à la place de qui a commis la faute. Quelques cinéastes de génie y sont aussi parvenus. Seuls les plus grands créateurs nous permettent de comprendre le crime qui autrement nous échappe, comme il échappe très souvent aussi dans la réalité à la compréhension du criminel.2 Le châtiment s’ancre dans l’histoire la plus archaïque de l’hu- manité, celle des terreurs religieuses que les hommes ont traduites en dieux et déesses au cœur démoniaque. L’enfer chrétien n’a rien à envier à l’enfer hindou3 et l’affirmation d’un sentiment de culpabilité proprement judéo-chrétien n’est que l’aveu d’une 1 – Nous nous accordons cette licence, nous écrivons jechaque fois qu’avec une certaine familiarité, nous serions tentée de faire quelque aparté du genre «je pense, personnellement…». 2 – Quand nous écrivons les mots «délinquant», «criminel», «voleur», etc., nous les employons toujours pour désigner des personnes qui se désignent comme telles. Ou bien nous précisons avec des adjectifs tels que «supposé». 3 – Les damnés y «sont bouillis, broyés, grillés, sciés en petits morceaux» écrit, par exemple, Séverine Auffret dans Aspects du Paradis, Arléa, 2001. 8 catbak int. déf. 11/03/04 22:04 Page 9 inculture crasse. En Occident, la condamnation terrible de la faute lors d’un jugement de l’âme après la mort s’enracine dans le culte orphique, introduit en Grèce entre le VIIeet le VIesiècle avant notre ère; ses origines se perdent dans les traditions védiques du deuxième millénaire, et il est vraisemblable que l’idée de la faute nous poursuivant dans l’au-delà était déjà à l’époque bien ancienne. L’orphisme a beaucoup influencé les Pythagoriciens puis Platon qui écrit par exemple dans le Gorgias que les âmes doivent comparaître nues devant les juges pour éviter qu’ils ne soient trompés par les apparences. Sous tous les cieux, les humains scandalisés de voir l’éternelle injustice du monde, l’innocent maltraité par la vie, le joyeux scé- lérat prospérer et mourir tranquille, ont cherché à rétablir dans le séjour des ombres l’impossible équité. Mais l’au-delà est sans pitié. Des macérations épouvantables étaient censées apaiser les êtres suprêmes que ce soit chez les Sioux, en Indonésie musulmane ou dans les carmels français. Pas une religion pour sauver l’autre lorsqu’il est question des supplices réservés aux damnés. Chez les Scythes, les Aztèques, les Vikings, au fin fond de Bornéo ou du Malawi, à toutes les époques, sous toutes les latitudes, les dieux réclament vengeance. Nul besoin d’être coupable d’ailleurs pour attirer leur fureur. C’est assez d’être. Ainsi naît la tragédie. Tout châtiment s’inscrit dans cette volonté irrationnelle de se soumettre au tragique. À l’origine, le coupable est celui que les dieux ou le destin désignent comme tel indépendamment même de la faute. Œdipe fait un coupable idéal: il n’est pas dit pourquoi il n’avait pas le droit de coucher avec sa mère, pas dit non plus pourquoi tout le monde avait trouvé très bien qu’il tue l’insolent malotru qui lui barrait la route, mais que ce meurtre est devenu faute quelques années plus tard quand on apprend qu’il s’agissait de son père. On n’explique pas parce que le propre du tabou est d’être affirmé et non raisonné. Œdipe est condamné par ses fils à renoncer à son pouvoir et à rester enfermé dans le palais. Auparavant le roi déchu s’est crevé les yeux. On dit peut-être un peu vite que c’est pour se punir. Pour se punir, il eût fallu qu’il se 9 catbak int. déf. 11/03/04 22:04 Page 10 sentît coupable. Son geste n’est-il pas plutôt l’expression du comble de son désespoir face à l’injustice des dieux? On doit punir. C’est un impératif. De quel ordre? Quelques philosophes (pas autant qu’on pourrait le penser) ont essayé de justifier la punition. Le lecteur pressé ou agacé par les vul- garisations trop sommaires pourra s’abstenir de lire le premier chapitre. Après bien des détours, on en revient aujourd’hui à cette idée (si l’on peut dire) qu’il ne rime à rien de chercher à justifier la punition et qu’il «faut faire confiance à la tradition», quand ce n’est pas à l’instinct. Dans les Lettres à Lucilius, Sénèque écrit qu’«aucun homme raisonnable ne punit parce qu’une faute a été commise, mais pour qu’elle ne le soit plus». Aimable ironie d’un homme aimable entre tous qui mieux que quiconque sait qu’il n’est pas question de raison dans le châtiment. C’est bien l’esprit de vengeance des juges (professionnels ou non) qu’il dénonce dans ses entretiens sur la colère. Si elle n’évite pas les fautes à venir, dit-il, la punition n’a aucun sens1. Par la suite, des penseurs allemands se montreront offusqués d’une telle vision utilitariste. La punition ne doit servir à rien. Rien qu’à punir. Et on se l’est tenu pour dit. En cette époque où une génération a changé totalement de repères (et non pas volontairement, mais parce que les conditions économiques et sociales mises en place par la précédente les rendent caducs), les aînés déboussolés essaient d’imposer à tous, à défaut d’un dogme religieux qui pourrait, lui, susciter dissidences ou hérésies, un signe de ralliement résolument impossible à critiquer: la Loi. Ils s’y réfèrent sans cesse. Le châtiment en est le corollaire indispensable. Chaque fois que quelqu’un dit «La Loi est pour tout le monde» ou «On doit respecter la Loi du pays qui vous accueille» ou «La Loi rend libre» ou «C’est au père d’incarner l’image de la Loi», il convient de le reprendre et de lui faire dire 1 – Lettres à Lucilius. De la colère.XIX-7. 10