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Pour vos cadeaux PDF

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Description:

Elle ne lira pas ces lignes, notre miraculée des bom­bardements de Nantes, la jeune veuve d'un lendemain de Noël, qui traversait trois livres sur ses petits talons, ne laissant dans son sillage qu'un parfum de dame en noir. Même si sa vie ne se réduisait pas à cette silhouette chagrine, comprenez, il m'était impossible d'écrire sous son regard. Cet air pincé par lequel se manifestait son mécontentement, j'avais dû l'affronter pour avoir ravivé, en dépit d'une prudence de Sioux, une rivalité amoureuse vieille de cinquante ans à propos d'un homme mort depuis trente. À présent qu'elle régnait dans son magasin et qu'éclatait son grand rire moqueur, je n'allais pas lui gâcher son triomphe tardif.
J. R.

Jean Rouaud compose là un portrait de mère en sacrifice parmi les plus majestueux de la littérature contemporaine.
Jean-Claude Lebrun

Jean Rouaud est né en 1952 à Campbon (Loire-Atlantique). Il a obtenu en 1990 le prix Goncourt pour Les Champs d'honneur.
Pour vos cadeaux constitue le quatrième volet d'une suite romanesque qui commence par Les Champs d'honneur (sur la figure du grand-père), se poursuit par Des hommes illustres (sur la figure du père), Le Monde à peu près (sur le deuil du père), et qui se clôt avec Sur la scène comme au ciel (la cérémonie des adieux), l'ensemble composant une sorte de livre des origines.

Extrait

Elle ne lira pas ces lignes, la petite silhouette ombreuse, dont on s'étonnait qu'elle pût traverser trois livres sans donner de ses nouvelles - ou si peu, figuration muette, condamnée au silence par le ravissement brutal de l'époux et un chagrin si violent qu'elle crut qu'il aurait raison d'elle, de sa vie, un chagrin à couper le souffle, qui étouffe aussi sûrement qu'autrefois un oreiller appliqué sur le visage d'un enragé, ce dont s'accommodait même l'Eglise, pourtant tatillonne dès qu'il s'agit de décider à la place de Dieu du terme de la vie d'un homme, mais la souffrance des mordus était à ce point atroce que la parole divine était priée de mettre une sourdine à ses principes, et le regard divin de détourner un moment les yeux, le temps que le corps entré en agonie, hurlant, la bave aux lèvres, retrouve sous cet éteignoir de plumes la paix du sommeil le plus profond. Et qu'il fût définitif, ce n'était que la conséquence de l'attente vaine d'un signe de compassion dont on estimait en cette circonstance particulière qu'il eût été dans l'ordre de la charité qu'il se manifestât.
Elle ne lira pas ces lignes, notre enragée de mort et de chagrin, et donc d'amour peut-être, victime d'une morsure d'amour, car, enfin, c'est la perte d'un homme qui la plonge dans cet état, et pas de n'importe quel homme comme tous les autres hommes, non, de son homme premier et dernier, le seul qu'elle ait accueilli en elle, celui avec lequel elle partagea l'intimité des corps. Même si Nine doute que notre mère fût une grande amoureuse, mais cela, on ne le sait pas, la nuit des amants réserve des surprises, et d'ailleurs c'est Nine encore qui raconte comment elle demandait à sa grande fille, quand elles dormaient ensemble, de lui tenir la main, comme faisait le disparu. Ainsi, elle avait besoin, avant d'affronter l'aveuglant sommeil, de ce réconfort, de cette assurance, ainsi que l'on s'assure en montagne, et donc, à la lumière de cet aveu tardif de Nine, longtemps refoulé car, ce que lui demandait notre mère, c'était de prendre littéralement la place du mort, voilà nos deux parents liés par les mains comme des encordés, et du coup l'on comprend que le premier à dévisser entraîne l'autre dans sa chute au coeur des ténèbres. Elle ne lira pas ces lignes, bien sûr. Vous l'imaginez découvrant ces commentaires sur sa vie amoureuse ? C'est que vous ne l'avez pas connue. Ce n'est pas Heddy Lamar. Elle est celle à qui, jeune fille, un théologien sévère et sentencieux décommandait la lecture de Henry Bordeaux. Henry Bordeaux, le même, écrivain français (Thonon-les-Bains, 1870 - Paris, 1963) qui «s'attacha à exalter l'ordre moral, incarné dans l'esprit de famille et dans une foi traditionnelle». Et sans doute, à la lumière de cette note, le prélat censeur avait-il raison, mais on se dit que, pour la liberté de penser de notre maman, ce ne devait pas être tout rose. En quoi il n'y a pas lieu de s'étonner, quand on sait qu'elle est née en mil neuf cent vingt-deux, le cinq juillet, à Riaillé, Loire-Inférieure, c'est-à-dire dans ces terres de l'Ouest labourées par la Contre-Réforme, encore sous le choc des prônes menaçants de Louis-Marie Grignon-de-Montfort, lequel, s'il lutta férocement contre le jansénisme, n'encourageait pas pour autant à goûter aux plaisirs de la vie, et des régimes d'austérité du terrible abbé Rancé, celui dont Chateau­briand à la demande de son confesseur dut raconter la vie en rémission de ses péchés (ceux du vicomte), et qui s'installa quelque temps à l'abbaye voisine de La Meilleraye, le temps de mettre tout le monde au pas, avant de repartir serrer la vis ailleurs, en emportant ce qu'il faut bien appeler son doudou, puisqu'il la traînait partout : la tête coupée de son ancienne maîtresse.

Quatrième de couverture

Jean Rouaud s'avance sans masques et sans couronne, il est le fils abandonné. Sa mère n'est plus, ce livre est tout entier pour elle, Il a son souffle, son rythme cardiaque, anxieux, précipité. Un portrait aussi merveilleux qu'une icône se détache de ces pages. (Dominique Bona, Le Figaro) Le formidable portrait de ce formidable petit bout de femme qui aurait dû ne pas survivre au colosse mort et qui trouve une énergie irréfragable, insoupçonnée, pour plus que survivre : renaître de cette mort. (Jean-Baptiste Harang, Libération) Son écriture, au savoir-faire à la fois modeste et épatant de justesse, permet à Jean Rouaud de fabriquer de la fiction - de la densité, donc, du mystère quotidien, du nondit significatif - avec des riens. (Jorge Semprun, Le journal du dimanche) Instiller du sens, débusquer la cohérence secrète qui évite aux choses de basculer dans l'absurde, suggérer toujours une épaisseur et une richesse : Jean Rouaud ne cesse pas de tenir son ambitieux programme. De façon continûment admirable. (Jean-Claude Lebrun, L'Humanité) Le récit part de la mort de la mère, du vide qu'elle creuse, pour remonter vers d'autres nuits qui ont précédé la naissance de l'auteur, C'est la vie comme si on la regardait la tête en bas, Comme lorsqu'on naît, C'est neuf et très beau. (Pierre Lepape, Le Monde) --Ce texte fait référence à l'édition Broché .





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