Chapitre I Nickel et développement en Nouvelle-Calédonie Gaël Lagadec Cécile Perret Anne Pitoiset INTRODUCTION Le début du troisième millénaire se voudrait l’avènement une nouvelle ère pour la Nouvelle-Calédonie: celle de la métallurgie. Les projets, qui mûrissaient dans les bureaux d’études, éclosent brusquement en 2001. En quelques mois, les quatre premières sociétés mondiales de nickel ont manifesté leur intérêt pour le nickel calé- donien, non plus pour l’exporter mais pour le transformer sur place. Coup sur coup les principaux intervenants mondiaux du nickel1 se lancent dans la construction d’usines métallurgiques.En avril2001, le Canadien International Nickel Company Limited (INCO), présent sur le territoire depuis 1902, annonce le lancement de la construction d’une usine de traitement des latérites2par hydrométallurgie3dans le sud (à Goro). Fin juin, c’est au tour de la Société Le Nickel (SLN)4, filiale du groupe Eramet5,d’annoncer l’extension de la capacité de son usine de Doniambo6– située dans la rade de Nouméa avec accès direct pour les minéraliers – et l’augmen- tation du rendement de la mine de Tiébaghi. Dans le Nord, le Canadien 1. Les groupes Inco,Falconbridgeet Erametreprésentent aujourd’hui les deux tiers de la produc- tion occidentale hors Russie. Vient ensuite le groupe australien Western Mining Corporation (ITSEE, 2000, p.198). 2. Latérites: minerai de nickel basse teneur (entre 1,5 % et 2 % de nickel contenu) (ITSEE, 2000, p.196). 3. L’hydrométallurgie recouvre l’ensemble des procédés d’extraction de métaux par mise en solu- tion (solvant acide ou basique) et par des traitements de lixiviation (lessivage) et d’électrolyse. 4. La SLN dispose de sites miniers (Thio, Kouaoua, Népoui-Kopéto, Tiébaghi et Kaala Gomen) et de l’usine métallurgique de Doniambo (ITSEE, 2000, p.210). 5. Eramet– dont le P.-D.G. est Yves Rambaud – et le japonais Nisshin Steel sont tous les deux actionnaires de la SLN respectivement à hauteur de 60 % et de 10 %. 6. L’usine de Doniambo dispose actuellement d’une capacité de production de plus de 60000 tonnes par an et sa production pour l’année 2000 est évaluée à 57500 tonnes de métal. 22 GAËLLAGADEC, CÉCILEPERRET,ANNEPITOISET Falconbridge7, associé à la Société des Mines du Sud Pacifique (SMSP), travaille d’arrache-pied à l’étude de faisabilité d’une usine pyrométallurgique8, qui serait installée au pied du massif du Koniambo. Fin juillet, le Russe Norilsk Nickel9, premier producteur mondial de nickel, entre dans le jeu et annonce qu’il s’associe à la firme australienne Argosy Minerals, dont le partenaire calédonien n’est autre que la Société des Mines de Tontouta (SMT)10 pour lancer un projet de construction d’usine métallurgique sur la côte est. La question que nous soulevons dans ce chapitre est la suivante: la mise en place de ces différents projets est-elle susceptible d’accroître la richesse de la Nouvelle- Calédonie ou d’améliorer le bien-être de la majorité des individus du pays en générant un véritable développement du territoire? 1. L’HISTOIRE DU NICKEL CALÉDONIEN 1.1. Le premier boom du nickel Le nickel suscite un premier vent de folie en 1873, lorsque le colon Pierre Coste met au jour des filons au Mont Dore, à Houaïlou, Bourail, Canala et Thio (voir la chro- nologie présentée en annexes). Quatre ans plus tard, la crise plonge les petits mineurs dans la détresse11et fait la fortune de gros propriétaires – comme Jean-Louis Hubert Hanckar et John Higginson, esquissant la structure d’une industrie qui perdurera pendant des décennies. En 1877 s’installe à la pointe Chaleix, à Nouméa, la première usine de fusion qui produira jusqu’à 4000 tonnes de fontes et de mattes de nickel12. Un an plus tard Jules Garnier, John Higginson et Jean-Louis Hubert Hanckar, forts du soutien financier du baron de Rothschild, s’allient pour fonder la Société le Nickel (SLN). La SLN possède alors trente-sept mines et des participations dans une ving- 7. Falconbridgese trouve parmi les plus gros producteurs de nickel, cuivre, cobalt et des métaux du groupe du platine (ITSEE, 2000, p.198). Son président est Oyvind Hushovd. 8. La pyrométallurgie est la technique traditionnelle d’extraction des métaux. Elle vise l’obten- tion de métaux à partir de leurs minerais ou de concentrés de minerais au moyen de techniques utilisant le feu. 9. NorilskNickelest l’une des sociétés d’État russes avec Severonickel et Yuzhuralnickel (ITSEE, 2000, p.198). 10. LaSociété des Mines de Tontoutaest présidée par Louis Ballande. 11. Les déclarations de concessions se multiplient. Faute de moyens, la plupart des concessionnai- res déclarent forfait et revendent – à bas prix – leurs mines aux gros propriétaires que sont John Higginson et Jean-Louis Hubert Hanckar. 12. Les mattes de nickel sont des composés métalliques contenant en moyenne 75 % de nickel et 20 % de soufre. Elles sont aujourd’hui principalement destinées à l’usine Eramet de Sandouville. Les ferronickels sont des composés métalliques contenant en moyenne 25 % de nickel et 70 % de fer. Ils sont vendus sous forme de grenailles ou de lingots (ITSEE, 2000, p.210). NICKELETDÉVELOPPEMENT 23 taine d’autres. En 1910, André Ballande, qui a fondé un an plus tôt la Société des Hauts fourneaux de Nouméa, inaugure le 10juillet, à Doniambo, une usine de fusion, qui tout comme celle de la pointe Chaleix, se trouve à proximité d’un port. La crise mondiale de 1929 n’épargne pas le territoire et elle se traduit par la fusion des deux concurrents. Le Nickel de Rothschild absorbe les Hauts Fourneaux de Ballande. L’usine de Doniambo est modernisée. Entre1967 et 1971 la Nouvelle-Calédonie connaît une nouvelle effervescence, dont les conséquences seront lourdes. Sous l’effet conjugué de la croissance des pays industriels, de la guerre du Vietnam et d’une longue grève chez le Canadien INCO, les cours du nickel sur le marché mondial s’envolent. L’usine de Doniambo s’agran- dit, la SLN ouvre de nouveaux centres miniers, la main-d’œuvre métropolitaine afflue. En 1969 le nickel est déclaré métal stratégique par la France qui reprend en main le contrôle de la recherche minière, dont elle fait une priorité. L’État attribue des avantages fiscaux aux projets les plus importants. La Nouvelle-Calédonie «est placée sous haute surveillance» afin de garantir aux industriels une stabilité politique et de les protéger contre toute ingérence éventuelle d’investisseurs étrangers. Une partie de l’autonomie acquise après la Seconde Guerre mondiale est perdue, les Mélanésiens se sentent abandonnés, trahis. C’est ainsi que germeront les premiers mouvements indé- pendantistes13. La chute des cours du nickel qui intervient brutalement en 1972, puis le choc pétro- lier de 1973 plongent le territoire dans le désarroi et la crise. Les Kanaks venus travailler à l’usine de Doniambo de la Société Le Nickel regagnent leurs tribus, une partie des métropolitains repart, l’autre s’installe en Nouvelle-Calédonie, modifiant durablement l’équilibre ethnique et politique du territoire. La violence des événe- ments des années 1980 masque un temps les enjeux économiques, mais ceux-ci sont vite replacés au centre du débat lors de la signature des accords de Matignon. Le rééquilibrage entre les trois provinces, Sud, Nord et Îles constitue la pièce maîtresse du dispositif. 1.2. La dernière décennie Aux mineurs indépendants qui, à la fin du siècle dernier extrayaient à la pioche le précieux minerai ont succédé de grandes sociétés minières très mécanisées. On en compte aujourd’hui sept, dont les deux plus importantes sont la SLN14– dans laquelle l’État est majoritaire – et la SMSP, entreprise à capitaux publics, aujourd’hui contrô- lée par la province Nord. L’histoire récente du nickel calédonien s’est en fait déroulée en trois actes. 1. Au premier, on assiste à la création, en 1990, de la Société de Financement et d’Investissement de la province Nord, la Sofinor, dont l’objectif est l’acquisition 13. Voir à ce sujet Pitoiset, 2000. 14. Effectif: 2700 personnes environ. 24 GAËLLAGADEC, CÉCILEPERRET,ANNEPITOISET de la Société des Mines du Sud Pacifique (SMSP), qui appartenait jusqu’alors au groupe Lafleur15. Comme le soulignait Raphaël Pidjot, alors directeur général de la Sofinor, au-delà d’une simple acquisition d’entreprise, la reprise de la SMSP devait permettre d’élever le patrimoine minier au rang de bien commun apparte- nant à la collectivité. En moins de cinq ans la SMSP devient le premier exportateur calédonien de minerai de nickel. 2. Le second voit l’importance du nickel dans les affaires calédoniennes confirmée lors de la signature, le 1erfévrier 1998, de l’accord de Bercy, préalable indispen- sable à la conclusion trois mois plus tard de l’accord de Nouméa. À Bercy, l’État français, le territoire de la Nouvelle-Calédonie, Erametet sa filiale la SLN fixent les modalités de l’échange des massifs du Koniambo et de Poum. L’attribution du massif du Koniambo à la SMSP est subordonnée à plusieurs conditions: (i) l’achèvement des études de faisabilité du projet métallurgique, (ii) la décision de construire l’usine du Nord et (iii) la réalisation avant le 31 janvier 2007 d’un programme d’investissements d’un montant minimum de 100 millions de dollars américains. La SMSPéchange avec la SLN les massifs de Poum et du Koniambo. 3. Le troisième acte est celui de la reconquête de la maîtrise de la richesse de leur sous-sol par les Calédoniens. Depuis plusieurs décennies beaucoup souhaitaient en effet s’impliquer dans la gestion de leur principale ressource minière et de la seule usine d’envergure du pays. C’est désormais chose faite. Après d’âpres discussions, les signataires de l’accord de Nouméa et les présidents des trois Provinces concluent, le 17 juillet 2000, un accord créant la Société Territoriale Calédonienne de Participation et d’Investissement (STCPI)16, chargée de détenir les intérêts publics dans le capital d’Eramet et de la SLN. Le capital de la SLN est aujourd’hui détenu à 60 % par Eramet, à 30 % par la STCPI et à 10 % par Nisshin Steel. Pour l’État, le coût financier de ce transfert est de 1,04milliard de francs français, auxquels il convient d’ajouter un milliard de francs déjà donnés à la SLN pour compenser l’échange des massifs. 15. Après plus d’une année de négociations, la Sofinor acquiert 85 % de la Société Minière du Sud Pacifiquemoyennant 1,8milliard de francs CFP. La SMSPa pour principale activité un contrat de tâcheronnage, pour la SLN, sur les sites de Ouazenghou et Taom. Elle n’a pas de domaine minier en propre. 16. La STCPI est une société par actions simplifiées (SAS) dont le capital est détenu à 50 % par Promosud, émanation de la province Sud, et à 50 % par Nordil, regroupement de circonstance de la province Nord et de celle des Îles. Elle est présidée par André Dang, actuel président de la SMSP.Les seuls actifs financiers de la STCPI sont une participation de 30 % dans le capi- tal de la SLN, pouvant à tout moment être portée à la minorité de blocage de 34 %, et une part de 8 % dans le capital d’Eramet, ainsi que les produits financiers qui en résulteront ( w w w.adecal.Nouvelle-Calédonie/lettre_août.htm). L’équilibre des forces n’est cependant qu’apparent puisque Nordil dispose d’une voix prépondérante en cas d’égalité en assemblée générale à la majorité simple et qu’elle désigne le président de la STCPI. Toutefois pour les décisions prises à la majorité qualifiée les partenaires doivent impérativement parvenir à un accord. De plus, rééquilibrage oblige, les dividendes versés par Erametet la SLN sont distri- bués aux provinces à raison de 50 % pour la province Nord, 25 % pour la province des Îles Loyauté et 25 % pour la province Sud. NICKELETDÉVELOPPEMENT 25 À ce jour, la société russe Norilsk17 est le numéro un mondial du nickel, avec une production annuelle de 223000 tonnes. Viennent ensuite INCO, avec une production de 146000 tonnes, Falconbridge, avec une production de 87000 tonnes, et Eramet avec un peu moins de 60000 tonnes. Les trois grands projets métallurgiques calédo- niens concernent les entreprises (i) INCO, (ii) la SLN et Eramet et (iii) la SMSP et Falconbridge. Ils sont présentés dans le tableau 1. Tableau 1 Les grands projets actuels Nom de la société INCO SLN/Eramet SMSP/Falconbridge (1) Projet Usine métallurgique Accroître la capacité Usine métallurgique de production de l’usine de Doniambo, rénover un four électrique,développer la mine de Tiébaghi Minerai traité Latérites (2) Garniérites (3) Garniérites Procédé Hydrométallurgie Pyrométallurgie Pyrométallurgie Objectif annuel 54000 tonnes de 75000 tonnes de 60000 tonnes de de production nickel nickel alors que sa nickel 5400 tonnes de capacité actuelle est de cobalt 60000 tonnes (80 % de ferronickels et 20 % de mattes) Montant de 1,4milliard 180millions 1,5milliard l’investissement de dollars américains de dollars américains de dollars américains Montée en production 3etrimestre 2004 Fin 2003 ou Fin 2005 début 2004 Emplois directs créés 800 210 à 230 750 Emplois induits 1500 2000 ou indirects estimés Localisation Baie de Prony Doniambo (Nouméa) Région de Koné-Voh Province Sud Province Sud Province Nord (1) La SMSPdétient 51 % du capital. Elle apporte son domaine minier, son expertise profession- nelle et son implantation locale. Falconbridge détient 49 % du capital. Le Canadien apporte une technologie qu’il maîtrise et se porte garant du financement qui sera supporté par la future société d’exploitation commune. (2) Latérites: entre 1,5 % et 2 % de nickel contenu. (3) Garniérites: entre 2,2 % et 3 % de nickel contenu. 17. Norilsk est aussi le premier producteur mondial de palladium et le troisième producteur de platine. Cette société produit également chaque année 10 % du cobalt et 3 % du cuivre mondial. 26 GAËLLAGADEC, CÉCILEPERRET,ANNEPITOISET D’après André Dang, la «tendance actuelle de l’industrie du nickel veut que les métallurgistes les plus compétitifs soient ceux qui disposent d’usines et d’un domaine minier intégré18». 2. LES EXPORTATIONS DE PRODUITS PRIMAIRES COMME MOTEUR DE LA CROISSANCE 2.1. Le développement par les exportations On considère généralement que le succès économique rencontré par les pays du Sud- Est asiatique est le résultat de politiques de promotion des exportations. Selon Suárez (1993, p. 66) «la croissance asiatique repose sur des exportations de produits manu- facturés accompagnées d’une restructuration permanente de la production, de l’acquisition progressive d’avantages comparatifs dynamiques ainsi que sur l’action décisive de l’État sur la politique commerciale et le taux de change». Peut se poser la question de la transférabilitéd’un tel modèle aux biens non manufacturés, c’est-à- dire aux produits primaires (staple products). On connaît au moins deux cas, mais relativement anciens, de croissance et de développement économique impulsés par les exportations de produits primaires; il s’agit de l’Australie (deuxième moitié du dix-neuvième siècle et début du vingtième) et du Canada (fin du dix-neuvième siècle et première moitié du vingtième). Selon la staple theoryla croissance économique générale de certains pays est déter- minée par leurs exportations de produits primaires. Cette théorie vaut pour les pays à peuplement récent dont le marché domestique est limité et qui ont un avantage comparatif concernant les produits primaires. Il s’agit donc de pays où le facteur ressources naturellesest abondant par rapport au facteur capital et au facteur travail (les produits primaires étant naturellement des biens à forte intensité de ressources naturelles). Ces pays doivent donc se spécialiser dans la production de produits primaires, leurs exportations dictant ensuite le rythme de la croissance économique. Une condition nécessaire pour que le secteur exportateur joue un rôle moteur sur la croissance globale est que sa propre croissance ne soit pas bridée par des contraintes économiques qu’imposeraient d’autres secteurs (essentiellement en termes d’appro- visionnement). Le secteur exportateur doit donc autant que possible être indépendant des autres secteurs économiques du pays. Le rôle moteur sur la croissance se divise en deux effets: un effet direct, correspondant à la part des exportations de produits primaires dans le PIB national (l’augmentation des exportations se traduit naturelle- ment par une augmentation égale du PIB), et un effet indirect qui correspond à la diffusion de la croissance du secteur exportateur aux autres secteurs de l’économie. 18. «André Dang, P.-D.G. de la SMSP: Nous faisons un geste fort envers la SLN», Les Nouvelles calédoniennes, mardi 17avril 2001. (http://www.nouvelles-caledoniennes.nc/webpress4/Articles/20010417/A8262.asp) NICKELETDÉVELOPPEMENT 27 Le mécanisme de transmission de la croissance du secteur exportateur aux autres secteurs correspond à trois types de liaisons (Sid Ahmed, 1988, p.724-725). Il existe (i) un effet de liaison amont, qui correspond à l’investissement domestique induit résultant de la demande de facteur de production du secteur d’exportation. Il existe également (ii) un effet de liaison aval, qui correspond à l’investissement induit dans les industries domestiques utilisant la production de l’industrie d’exportation comme facteur (la disponibilité de ce facteur augmente comme son coût diminue – le coût total des industries l’utilisant diminue, leur marge augmente et permet donc ou stimule de nouveaux investissements). Enfin existe (iii) un effet de liaison de la demande finale, qui correspond à l’investissement domestique induit par la demande de biens de consommation destinée à satisfaire les besoins des employés des indus- tries d’exportation19. L’augmentation de la masse salariale versée par le secteur en croissance augmente le pouvoir d’achat global et génère donc de nouveaux débou- chés pour les secteurs produisant des biens de consommation – ces débouchés appellent ensuite des investissements supplémentaires. Notons qu’on retrouve, avec la première liaison, l’argument traditionnel en faveur des pôles de croissance: la consommation du pôle stimule la productivité de sa périphé - rie20 en consommant les biens intermédiaires produits par la périphérie. Cet argument a un aspect spatial, au moins sous-jacent, qui tend à signifier que la polari- sation géographique des activités économiques dans un territoire donné est bénéfique à la croissance globale du territoire. Cet aspect est donc clairement opposé à l’objec- tif annoncé de rééquilibrage du territoire calédonien. Concernant l’industrialisation de l’Australie, ce sont les États de Victoria et de Nouvelle-Galles du Sud qui ont connu la croissance initiale impulsée par les exportations de produits primaires – croissance dont a bénéficié l’ensemble de l’Australie. Pour que la croissance se pérennise et se transforme en développement économique21 il faut que l’économie arrive à répondre aux opportunités d’investissement suscitées par la hausse des exportations. Dans ce cas la diffusion d’une croissance initialement localisée, doit se traduire par une diversification des secteurs exportateurs. Ainsi, un 19. Si on considère cet effet au sens large, on tient compte également du revenu (profit) des propriétaires du capital. 20. C’est-à-dire les autres secteurs de l’économie. 21. Les indicateurs de richesse d’un pays, qui rendent compte du volume de ressources dont dispose une société ou de leur évolution – notion de croissance – ne fournissent aucune indi- cation sur leur distribution. La notion de développement économique inclut (i) la façon dont les revenus se répartissent plus ou moins équitablement d’un groupe social à l’autre, (ii) la part des ressources consacrée à des services d’éducation et de santé ou (iii) les effets de la produc- tion et de la consommation pour les individus dans leur milieu quotidien. Des pays qui disposent de revenus moyens similaires peuvent ainsi présenter des différences sensibles en terme de qualité de vie des individus: accès à l’éducation, accès à la santé, accès à l’emploi, accès à l’eau salubre, pureté de l’air et de l’eau, absence d’agitation sociale ou de criminalité, etc. La question sous-jacente est la suivante: l’objectif est-il d’accroître la richesse nationale ou d’améliorer le bien-être de la majorité des individus d’un pays donné? 28 GAËLLAGADEC, CÉCILEPERRET,ANNEPITOISET secteur dont la production est utilisée comme bien intermédiaire par le secteur expor- tateur va produire davantage en réponse à la croissance du secteur qu’il approvisionne. Dans ce cas son coût moyen diminue et sa compétitivité augmente. Ce gain de compétitivité peut permettre au secteur considéré de devenir concurrentiel au niveau mondial. Il peut aussi devenir un secteur exportateur. Le processus est alors cumulatif, puisque le nouveau secteur exportateur va lui-même consommer des facteurs issus d’autres secteurs dont il renforcera la compétitivité vial’augmentation de l’échelle de production, et ainsi de suite. Plus le nombre de «fournisseurs» du secteur exportateur initial est élevé et meilleure sera la diffusion de la croissance économique. Il peut donc suffire d’une hausse brutale, mais relativement ponctuelle, des exportations pour enclencher le processus cumulatif de croissance. L’impulsion initiale peut être une augmentation de la demande mondiale ou bien l’apparition d’un progrès technique, d’inventions nouvel- les, améliorant les conditions d’exploitation de la ressource naturelle. En revanche, si la diversification échoue la source de croissance générée par les exportations de produits primaires finira par se tarir. À plus court terme, une offre de produits primai- res en augmentation constante ne peut qu’entraîner une baisse du cours de ces produits (et donc une baisse de leur rentabilité). L’exploitation des ressources natu- relles vérifie en effet des rendements décroissants, puisqu’on exploite en priorité les ressources les plus accessibles22, et donc les plus rentables23 (on retrouve ici le concept d’épuisement de la rente). Une telle situation peut non seulement entraîner le secteur exportateur dans une crise économique, mais encore cette crise peut se transmettre à l’ensemble de l’économie nationale, puisque la totale polarisation de l’activité économique ne permet pas à d’autres secteurs de compenser les difficultés rencontrées par les exportations24. Dans le cas contraire (diversification réussie), à l’étape de diversification des expor- tations succède «l’étape de maturité», dans laquelle le marché domestique prend 22. Par exemple dans le cas du pétrole, on exploite d’abord (toutes choses égales par ailleurs) les gisements les moins profonds. Les réserves les moins accessibles (sous la mer, à plusieurs milliers de mètres de profondeur, et donc les plus coûteuses à exploiter) ne seront pas exploi- tées avant que tous les autres types de réserves ne le soient. 23. Il s’agit là d’un résultat général de la théorie de l’exploitation optimale des ressources naturel- les non renouvelables: les gisements (l’exploitation de chaque gisement vérifiant un coût moyen constant) doivent être exploités selon un ordre de coût moyen croissant. Il s’agit simplement de l’application du principe d’actualisation: toutes choses égales par ailleurs, plus une activité est coûteuse et plus elle doit être reportée à un futur lointain. Ce résultat a été discuté et invalidé dans un cadre d’équilibre général, notamment par Amigues, Favard, Gaudet et Moreau (1997 a et 1997 b). Les études de ces auteurs sont cependant réalisées dans un cadre d’économie du bien-être; si on considère simplement un critère de rentabilité (c’est-à-dire ce qui guide les investissements), il n’y a pas de remise en cause du principe d’exploitation des ressources naturelles selon l’ordre des coûts moyens croissants. 24. Cette situation, qui a prévalu pour de nombreux pays en développement, a été analysée par Watkins, qui lui a donné le nom de staple trap(Watkins, 1963, p.151). NICKELETDÉVELOPPEMENT 29 suffisamment d’importance, de sorte que l’export n’est plus le seul débouché (Sid Ahmed, 1988, p. 727). La demande intérieure vient alors assister les exportations dans le rôle de moteur de la croissance. La croissance économique, auto-entretenue, est alors pérennisée. Dans le cas de l’Australie, il semble que les effets directs ne puissent seuls expliquer le processus de croissance (Sid Ahmed, 1988, p. 728). Ce sont donc les effets indi- rects, tels que décrits par la staple theory, qui permirent aux exportations de tirer la croissance et d’industrialiser le pays. Notons que le cas du Canada, qui a également connu une croissance impulsée par les exportations de produits primaires25, est moins exemplaire du fait de l’influence exercée par la proximité de l’économie américaine (Sid Ahmed, 1988, p. 728-729). Le schéma n° 1 (Lagadec et Perret, 2000, p. 134) résume les mécanismes sous-tendant la staple theory: Schéma n° 1 Les mécanismes de la staple theory Avec CMle coût moyen, I l’investissement global dans l’économie, inputsles biens intermédiaires (ici consommés par le secteur exportateur), Ples prix, ples profits (ici des industries hors secteur exportateur), et Xles exportations. La flèche (1)représente l’effet direct des exportations sur la croissance économique. Les autres flèches en gras correspondent aux effets de liaison26amorçant les effets indirects représentés par les autres flèches. Les flèches en pointillés représentent l’effet de diversification de la 25. Mise en place d’une politique d’exploitation des ressources naturelles à partir de la fin des années 1860. 26. La flèche (2) correspond à l’effet (i), (3) correspond à (ii) et (4)à (iii). 30 GAËLLAGADEC, CÉCILEPERRET,ANNEPITOISET base productive: les secteurs initialement fournisseurs de biens intermédiaires au secteur exportateur deviennent à leur tour exportateurs. Ces flèches représentent la possibilité d’un effet vertueux de croissance par les exportations27: les exportations stimulent la croissance, qui stimule les exportations (dans d’autres secteurs), et ainsi de suite. 2.2. La validité de la théorie On constate que la Nouvelle-Calédonie remplit a priori les conditions de fond pour que les exportations puissent jouer un rôle moteur dans la croissance (notamment facteur ressources naturelles abondant par rapport au capital et au travail). Pour le territoire, la part du minerai de nickel, des ferronickels et des mattes est effectivement extrêmement élevée par rapport au total des exportations que cela soit en valeur ou en volume (cf.tableaux 2 et 3). Tableau 2 Évolution des exportations calédoniennes (en valeur) 1994 1995 1996 1997 1998 1999 Minerai de Nickel 7253 11532 12032 14486 8804 8583 Ferronickels 25198 29382 28868 31577 21695 29445 Mattes 5995 6889 7518 7022 5919 8764 Autres 3260 3377 3053 4527 4709 5596 (dont réexportations) Total 41706 51180 51471 57612 41127 52388 Unité: million F CFP Source: ITSEE (1998, p.22) et ITSEE (2000, p. 245). 27. À long terme l’épuisement des ressources non renouvelables risque d’entraîner un taux de croissance négatif de l’économie. Pour contrecarrer ce risque, il est nécessaire de substituer aux ressources naturelles des inputsreproductibles. Le risque de dépression dépend donc des élas- ticités de substitution entre les ressources non renouvelables et les facteurs de production reproductibles. Il est cependant difficile de faire des études empiriques sur ce point du fait de la forte intégration verticale dans les industries des ressources naturelles (qui fait qu’il n’y a pas de prix de marché disponible pour les ressources naturelles non renouvelables). Une étude de Halvorsen et Smith contourne ce problème et étudie le cas de l’industrie canadienne des mines de métaux. Les auteurs montrent, à partir d’une étude économétrique, que l’élasticité de substitution entre les ressources non renouvelables et les facteurs de productionreproductibles est égale à l’unité. Ce résultat positif laisse donc présager une continuation de la croissance dans le long terme, malgré l’épuisement progressif des gisements de ressources non renouve- lables (Halvorsen et Smith, 1986, p.402-403). Pour que les inputs puissent se substituer à la ressource, il est nécessaire que leur productivité soit de plus en plus importante. C’est le progrès technique qui permet une telle tendance. (Lagadec et Perret, 2000, p.135).
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