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Mythocratie : storytelling et imaginaire de gauche PDF

217 Pages·2010·3.671 MB·French
by  CittonYves
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Yves Citton MYTHOCRATIE Stohytelling ET IMAGINAIRE DE GAUCHE Éditions Amsterdam L'éditeur tient à remercier Benoit Laureau pour toute l'aide a apporté à la réalisation de ce livre. © Paris 2010, Éditions Amsterdam. Tous droits réservés. Reproduction interdite. Éditions Amsterdam 31 rue Paul Fort, 75014 Paris www.editionsamsterdam.fr Abonnement à la lettre d'information électronique d'Éditions Amsterdam : [email protected] Éditions Amsterdam est partenaire des revues Multitudes et Vacarme et de La Revue internationale des livres et des idées www.revuedeslivres.net Diffusion et distribution : Les Belles Lettres ISBN : 978-2-35480-067-3 Sommaire Introduction Doux pouvoir et scénarisation 11 Chapitre I Reformuler notre imaginaire du pouvoir 19 Chapitre II Modéliser la circulation du pouvoir 37 Chapitre III L'activité de scénarisation 6 5 Intermède illustratif La scénarisation par là-haut 91 Chapitre IV Les attracteurs et l'infrapolitique 101 Chapitre V Nouvelles revendications d'égalité 135 Intermède littéraire Du mythe interrompu à l'épopée en chantier 159 Chapitre VI Renouveler l'imaginaire de gauche 171 Remerciements 201 Bibliographie 203 Index 213 Table des matières détaillée 219 En nous dotant de paroles enchanteresses (deAKzripîovç fivdovç), nous inventerons les moyens de te libérer de tes peines. Eschyle, Euménides, v. 81-83 Je dis aux gens qu'ils ont tout essayé, mais qu'ils doivent mainten- ant essayer la mythocratie. Ils ont eu la démocratie, la théocratie. La myth ocratie, c'est ce que vous n'êtes jamais devenus de ce que vous devriez être. Sun Ra Pour Phil Watts en partage amical de nos mythes communs Introduction « Doux pouvoir » et scénarisation Nul n'est encore parvenu à déterminer ce que peut un récit. Certains s'offusquent des « mythes » dont on nous berce ; d'autres dénoncent « les histoires » qu'on nous raconte ; d'autres encore veulent croire qu'il suffit de trouver la bonne « story » pour mener les ânes aux urnes, les moutons au supermarché et les fourmis au travail. Plutôt que des dénonciations ou des recettes de cuisine, cet ouvrage propose une interrogation sur les pouvoirs propres des récits, doublée d'un récit sur 1 a nature mythicme du pouvoir : mvtho-cratie. Pour ce faire, onarticulera trois champs de réflexion, qu'il serait trop ambitieux de prétendre analyser séparément, mais qu'on espère saisir par ce qui les traverse. D'une part, on tentera de faire le point sur l'imaginaire du pouvoir caractérisant les développe- ments récents incpî,A* * Spinoza, deGabriel larde, de Michel _Foucault et de Gilles Deleuze. inTagira de se donner les moyens derèperer et de compreriHréTes fonctionnements d'un pouvoir apparemment « doux » {soft power), qui insinue, suggère et stimule, plus qu'il n'interdit, ordonne ou contraint - un pouvoir qui « conduit des conduites » en circulant au gré des flux de désirs et de croyances que canalisent nos réseaux de communication « médiatique ». On s'efforcera par ailleurs de faire la part de réalités, de fantasmes et de potentiels émancipateurs enveloppés dans les pratiques de narration et de storytelling. On s'appuiera ici sur diverses disciplines 11 Mythocratie (au carrefour de l'anthropologie, de la sociologie, de la narratologie et de la sémiotique) pour tenter de comprendre en quoila struc- turation narraf'vf* constitue une^ précondition nécessaire à l'action Jmmaine, en même temps qu'un horizon appelé à opérer l'intégration de nos divers gestes quotidiens. Ce sera l'occasion de se demander pourquoi et comment les ressources du storytelling ont pu être accaparées par des idéologies réactionnaires (« de droite »), et sous quelles conditions elles peuvent être réappropriées par des politiques émancipatrices (« de gauche »). Au point de rencontre entre pratiques de narration et dispositifs de pouvoir, on essaiera enfin de définir un type d'activité très parti- culier, la scénarisation. Raconter une histoire à quelqu'un, cela revient en effet non seulement à articuler certaines représentations d'actions selon certains types d'enchaînements, mais cela amène également à conduire la conduite de celui qui nous écoute, au gré de ces articula- tions et de ces enchaînements. En mettant en scène les agissements des personnages (fictifs) de mon récit, je contribue - plus ou moins efficacement, plus ou moins marginalement - à scénariser le compor- tement des personnes (réelles) auxquelles j'adresse mon récit. Cette activité de scénarisation demande à être analysée à la fois dans ses vertus propres, liées à la nature du geste narratif, et dans ses réper- cussions au sein de nos dispositifs médiatiques. Passer de la problé- matique de la narration à celle de la scénarisation implique de se demander à travers quelles structures de communication et avec quels effets possibles une histoire peut affecter un public et orienter ses comportements ultérieurs. Les intuitions générales qu'essaie d'affiner cet ouvrage à propos de ce pouvoir de scénarisation sont des plus communes. Nous entre- voyons tous que sa distribution ne correspond que très partiel- lement aux distributions des pouvoirs politique, juridique ou économique. Nous savons tous que les décisions des responsables du journal télévisé d'inclure ou non telle nouvelle, telle question ou tel interlocuteur à leur sommaire jouent un rôle proprement déter- minant dans le fonctionnement quotidien et dans les orientations générales de nos démocraties médiatiques. Nous sentons tous que ce qui est dit (et ce qui est pensé) dans nos débats politiques, ce qui est acheté dans nos supermarchés, ce qui nous mobilise pour 12 Introduction travailler, pour obéir, pour accepter, pour résister ou pour inventer un autre monde possible, dépend non seulement de ce que nous voyons et entendons du monde qui nous entoure, mais aussi des diverses façons dont est mis en scène (scénographié, scénarisé) ce qui nous parvient de ce monde. Autour de quels nœuds se constitue ce pouvoir de scénarisation ? Par quelles accroches capture-t-il notre attention ? Quels en sont les points de levier ? Quelles inégalités structurent sa distribution ? Quels obstacles excluent la plupart d'entre nous de l'accès à ses effets multiplicateurs ? Sur quelles nouvelles revendications d'égalité déboucherait sa prise en compte par notre imaginaire commun du pouvoir ? Comment des politiques émancipatrices (« de gauche ») peuvent-elles se le réapproprier, sans cynisme ni fausse honte ? Comment définir « la gauche » à partir d'un certain mode dénon- ciation, non moins qu'à partir d'une liste de revendications ? Telles sont les questions qui seront posées dans les six chapitres de ce livre. Au fil de ces développements, un intermède littéraire entrouvrira la question des formes d'écriture envisageables au sein d'un imaginaire « de gauche », tandis qu'un intermède illustratif sollicitera quelques épisodes de Jacques lefataliste et son maître, le roman de Denis Diderot publié entre 1778 et 1780, pour incarner dans une situation concrète les divers ressorts, mécanismes et enjeux du pouvoir de scénario sation. tes personnages de Mme de La Pommeraye, de Jacques et dunarrateur apparaissent en effet comme mettant déjà en actes et en paroles les subtilités délicieusement retorses de la scénarisation, avec bien plus de grâce, de légèreté, de précision et de virtuosité que ne peuvent l'espérer nos lourdeurs théoriques. Autant dire que le pouvoir de scénarisation^décrit dans les pages qui suivent n'a rien de nouveau en soi. On peut facilement le foire remonter au-delà des mises en scène du pouvoir royal attribuées à Louis XTV ou de la scénographie des Triomphes d'empereurs romains. Les humains se sont entre-scénarisés depuis qu'ils se parlent, se séduisent, se battent et se racontent des histoires. Mais si le pouvoir de scénarisation en tant que tel est aussi vieux que l'humanité, ses conditions d'exercice, ses canaux de diffusion, son degré de concentration, l'intensité et la précision avec lesquelles il peut espérer influencer les comporte- ments humains évoluent en revanche constamment. Nos modes actuels de régulation sociale se distinguent en ce qu'ils s'appuient plus 13 intensément que jamais sur le pouvoir de scénarisation. En ce sens, étudier les phénomènes de scénarisation relève aujourd'hui d'une urgence inédite, même si leur repérage peut s'illustrer à l'aide d'un récit vieux de plus de deux siècles. Au seuil d'une telle réflexion, il vaut toutefois la peine de préciser que - bien entendu - tout pouvoir n'est pas devenu doux. Les chapitres qui suivent pourraient légitimement être accusés de naïveté ou d'idéalisme si l'on prétendait y donner la théorie du pouvoir. « Le » pouvoir, en ce début de troisième millénaire, c'est aussi (et toujours) des bombes qui détruisent des maisons et des vies au nom de la sécurité des Etats, des soldats ou des policiers qui tirent sur des foules, des résistants qui sont battus et emprisonnés sans procès, des fermetures d'entreprises décidées unilatéralement parce que les taux de profit ne sont pas optimaux, des interdits imposés aux femmes (ou aux plus gays d'entre nous) sous couvert de sacralité religieuse, des conditions de travail néo-esclavagistes auxquelles sont soumis des travailleurs sans papiers, des violences physiques, symboliques ou légales tournées contre des modes de vie alternatifs et marginaux, sans compter toutes les petites brimades, humiliations, rigidités, absurdités qui sont le lot quotidien de tout appareil bureaucratique. Sans doute est-ce de cela - de ce hard power — qu'il faudrait parler d'abord si l'on prétendait parler « du » pouvoir (en général et sous toutes ses formes). Il ne s'agira donc nullement de dénier, de relativiser ou de déclarer obsolète cette réalité massive du hard power, mais de faire remarquer comment il se trouve souvent relayé par d'autres formes de pouvoir, apparemment plus « douces ». De fait, le pouvoir de scénarisation vient souvent dédoubler ces formes de pouvoir « dur » : le specta- culaire déploiement de commandos « antiterroristes » en formation de combat contre une ferme habitée par une dizaine de jeunes non armés àTarnac en novembre 2008, l'emprisonnement de l'un d'eux pendant près de six mois sur la base d'un dossier vide, la révélation des filatures menées plusieurs mois en amont, tout cela pour réprimer ou prévenir un « crime » dont l'essence paraît être de se vouloir « autonomes » - voilà qui tient à la fois d'une violence traumatique, imposée par la force des mitraillettes sur quelques individus parti- culiers, et d'un travail de scénarisation adressé à l'ensemble de la population, pour rassurer les obéissants et effrayer les insoumis. 14

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