MY FAIR LADY de Frederick Loewe d’après Pygmalion de George Bernard Shaw LIVRET EN TRADUCTION FRANÇAISE Adaptation de Jean Liermier Traduction d’Olivier Cautrès Liste des personnages Eliza Doolittle Freddy Eynsford-Hill Mrs. Eynsford-Hill colonel Pickering des passants Henry Higgins trois Cockney dont Harry et Jamie le barman Alfred P. Doolittle une femme un homme Mrs. Pearce Mrs. Hopkins les domestiques et femmes de chambre Mrs. Higgins Charles Lord et Lady Boxington une marchande de fleurs le laquais Zoltan Karpathy la Reine de Transylvanie My fair Lady À Covent Garden, Eliza Doolittle est une petite vendeuse de fleurs à la sauvette. Affublée d’un terrible accent cockney, elle accepte de suivre les leçons du phonéticien Henry Higgins pour assouvir son rêve de travailler dans un magasin de fleurs. Elle y arrive si bien qu’elle se fait accepter dans la haute société et réussit à rendre Higgins amoureux. Remarques pour la lecture : -les didascalies sont en italique -les chansons sont identifiables pas leur titre laissé en anglais et par le retrait du texte à gauche -le célèbre air « The rain in Spain » est en partie laissé en anglais ACTE I SCÈNE 1 À la sortie du Théâtre, Covent Garden Eliza (au sol, panier de fleurs renversé) Aïeuh !! Freddy Je suis affreusement désolé. Eliza (gémissant) En v’là des fâçons, dis donc ! Eun’ paire d’bouquets d’violettes dans la boue. Eun jour entier d’salaire. Regarde où tu t’tailles, vieux ! Mrs. Eynsford-Hill Appelez un taxi, Freddy. Voulez-vous que j’attrape une pneumonie ? Freddy Je suis désolé, mère. Je l’appelle tout de suite. (à Eliza) Désolé. Il sort. Pickering entre en tenue de soirée et cherche un taxi. Eliza (à Mrs. Eynsford-Hill) C’est vot’ gars ? Si vous qu’faisiez vot-devouaire qu’eune mère d’vrait faire, i-s’rai t’i assez béta pour fiche en l’air les fleurs d’eune pov’fi’lle et s’carapater ? Vous allez t’y les payer, vous, hein, oui ou non ? Mrs. Eynsford-Hill Occupez-vous de vos affaires, ma fille. Eliza (marmonnant) M’n bouquets d’violettes dans la boue ! Pickering Taxi, taxi ! Eliza (à Pickering) Alo-ons, coeurache, min Cap’tane, et achi-ite eune flar à eune’ pov’ fi. 2 Arrivent deux Cockneys. Pickering Je suis navré, je n’ai pas de monnaie. Eliza J’peux vous rend’ s’eune d’mi-couronne. T’nez, pr’nez-en pour deux pennies. Pickering (cherchant dans sa poche) Vraiment, je n’ai rien… ah ! Voilà trois demi-pennies, si cela peut vous servir. Eliza (déçue mais prenant l’argent) M’ci, m’sieur. Passant 1 (voyant la scène, à Eliza) Hé, tu ferais mieux de faire attention et de lui filer une fleur. Il y a un gars, là, derrière le pilier, qui n’arrête pas de noter ce que tu dis. Eliza (terrifiée) J’rein fait d’mal en parlant au gentleman. J’ai l’drouait d’vende des fleurs du moment qu’j’rste loin du bord du trottouaire. J’suis eune fille respectable ! Aidez-moi, j’lui ai jamais parlé qu’pour lui d’mander d’m’acheter des fleurs. Passant 2 C’est quoi c’te dispute ? Passant 3 C’est quoi tout ce bruit ? Passant 1 Il y a un flic qui va la remettre à sa place… Tous fixent le pilier derrière lequel semble être le policier. Eliza (à Pickering) Oh, m’sieur, l’laissez pas m’arrêter. V’savez pas c’qu’ça veut dire pour moi. Y vont salir ma réputation et m’laisser dans la rue pour avoir parlé à des m’sieurs. Higgins (voyant Eliza) C’est bon, c’est bon, c’est bon. Personne ne vous veut de mal, petite idiote ! Pour qui me prenez-vous ? Eliza (à Higgins) Sur la Bible, jamais dit un mot… Higgins Oh, taisez-vous. Ai-je l’air d’un policier ? 3 Eliza Alors, pourqouais qu’vous écrivez mes paroles ? Comment que j’saurais q’vous notez bien mes mots ? Montrez-mouais c’qu’z’avez écrit à mon sujet. Higgins ouvre son carnet et le met sous les yeux d’Eliza. Eliza C’est quouais, çâ ? C’est pas d’l’écriture c’truc, j’ peux pas lire. Higgins JE peux. (reproduisant la prononciation d’Eliza) « Alo-ons, coeurache, min Cap’tane, et achi-ite eune flar à eune’ pov’ fi. » Eliza C’est pasque qu’j’l’ai appelé Cap’tane. Y’a pas d’mal à ça ! (à Pickering) Oh, M’sieur, l’ laissez pas m’accuser pour çâ. Vous… Pickering Accuser ! Je ne vous ai pas accusée. (à Higgins) Vraiment, Monsieur, si vous êtes un policier, et à moins que je ne vous le demande, il est inutile de me protéger contre les importunités d’une jeune femme. Il est clair que cette fille ne me voulait pas de mal. Passant 2 Ce n’est pas un flic. C’est un gentleman. Regardez ses bottes. Higgins (au Passant 2) Et comment se porte-t-on chez-vous, à Selsey ? Passant 2 (avec suspicion) Qui a dit que j’étais de Selsey ? Higgins Peu importe. Je le sais. (à Eliza) Comment vous retrouvez-vous si loin à l’Est en étant née à Lisson Grove ? Eliza (révoltée) Oh ! Quel mal y-a-t-il d’avouaire quitté Lisson Grove ? (en larmes, ramassant son panier) C’tait même pas un endrouait bon pour les cochons et j’d’vais payer cher pour la semaine. Bouh ! Higgins Vivez où ça vous chante mais cessez de pleurnicher. 4 Pickering Venez, venez ! Il ne peut pas vous embêter. Vous avez le droit de vivre où vous voulez. Eliza (pour elle) J’suis eune bonne fi’ll, c’est vrai. Passant 1 (à Higgins) Et moi ? D’où je viens ? Higgins Hoxton. Passant 1 Pas mal ! Vous connaissez absolument tout. Passant 3 (désignant Pickering) Dites-lui alors d’où il vient, puisque vous voulez dire la bonne aventure… Higgins (fixant Pickering) Cheltenham, Harrow ; Cambridge, en passant par l’Inde. Pickering Tout à fait exact. Passant 1 Bon dieu, si c’est pas un flic, c’est un sacré fouineur, voilà ce que c’est. Pickering Puis-je savoir, Monsieur, si c’est votre métier ? Pour le music-hall ? Higgins J’y ai pensé. Un jour peut-être… Eliza C’est pas un gentleman, l’a pas à embêter eune pov-fi’lle. Pickering Comment faites-vous, si je puis me permettre ? Higgins La phonétique. La science de la parole. C’est ma profession. Et également ma passion. N’importe qui peut détecter un Irlandais ou un habitant du Yorkshire à son accent. Moi, je peux localiser un homme à six miles près… je peux le situer dans un périmètre de deux miles à Londres. Parfois même, de deux rues. Eliza D’vrait avouair honte, l’pove type ! 5 Pickering On peut en vivre ? Higgins Oui et plutôt bien. Eliza Qu’il s’occupe d’ses oignons et m’fiche la paix… Higgins (exaspéré) Femme ! Cessez immédiatement vos jérémiades ou cherchez un autre endroit pour vous y adonner ! Eliza J’ai l’droit d’être ici si j’veux, comme voeus. Higgins Une femme qui émet des sons aussi déprimants « and disgusting » n’a aucun droit d’être où que ce soit. Elle n’a pas le droit de vivre. Souvenez-vous que vous êtes un être humain doté d’une âme et du don divin de la langue, « that your native language is the » langage de Shakespeare, de Milton et de la Bible… « and don’t sit there crooning like a bilious pigeon. » Eliza Aoooooooooow ! WHY CAN’T THE ENGLISH >Higgins Regardez-la, ce produit du ruisseau, condamnée à chacun de ses mots. Elle mériterait la potence… Higgins …pour meurtre de la langue anglaise. Eliza Aaoooww! Higgins (l’imitant) « Aaoooww! » Ce son criard ! >Higgins Les Anglais appellent ça l’éducation élémentaire. Pickering Allez Monsieur, vous avez choisi un piètre exemple. 6 Higgins Ah oui ? >Higgins Écoutez comment à Soho, avalant tous les H, ils mettent l’anglais à leur sauce. Vous, Monsieur, vous êtes allé à l’école ? >Jamie Quoi, vous croyez qu’je suis berné ? >Higgins Il confond berné et borné ! Dans le Yorkshire ou en Cornouailles, pire qu’un chœur qui chante faux... ...on dirait des poules qui caquètent, exactement comme elle ! Eliza Gnarf ! Higgins « Gnarf ! » Je vous le demande, Monsieur, qu’est-ce que c’est que ce mot ? >Higgins C’est ça qui la rabaisse et non sa crasse ou sa détresse. Si on apprenait l’anglais aux enfants, cela mettrait fin à la lutte des classes. Si vous parliez comme elle vous seriez peut-être marchand de fleurs. Pickering Je vous demande pardon ! >Higgins L’Anglais est jugé à sa façon de parler : dès qu’il ouvre la bouche, il est critiqué. Jamais on n’obtiendra une langue unique. Ah, si enfin les Anglais voulaient bien donner l’exemple à ceux dont le langage écorche les oreilles ! Irlandais et Écossais vous mènent au bord des larmes. Parfois on peine à croire qu’on entend de l’anglais ! Higgins Quand aux Américains, cela fait des années qu’ils ne le parlent plus ! 7 >Higgins Si on apprenait l’anglais aux enfants ! Le Norvégien parle bien, le Grec connaît ses classiques. Le Français, lui, connaît sa langue en long, en large et en travers. Higgins Le Français se moque de ce qu’il dit, pourvu que cela soit bien dit ! >Higgins L’Arabe apprend sa langue à la vitesse de la lumière et l’Hébreu à l’envers, c’est épouvantable ! Mais bien parler anglais ? On passe pour dérangé. Ah ! Si les Anglais pouvaient apprendre à parler ! Higgins (à Pickering) Vous voyez cette créature avec son anglais approximatif qui la maintiendra dans le caniveau jusqu’à la fin de ses jours ? « Well, sir », en six mois je pourrais faire passer cette fille pour une duchesse dans une garden-party d’ambassade. Je pourrais même lui trouver une place comme femme de chambre ou comme vendeuse, ce qui exige le meilleur anglais. Eliza Qu’e qu’c’est qu’veu dites ? Higgins Oui, espèce de feuille de chou écrasé… vous, qui êtes une offense incarnée de la langue anglaise, je pourrais vous faire passer pour la Reine de Saba. Pickering Taxi ! Eliza Waouh ! Vous croaiyez ça, Cap’taine ? Pickering Taxi ! (il s’arrête et se retourne) Oh, bien, tout est possible. Je suis moi-même un spécialiste des dialectes indiens. Higgins Comment ça ? Vraiment ? Connaitriez-vous le colonel Pickering, auteur du Sanskrit parlé ? Pickering Je SUIS le colonel Pickering. 8 Higgins J’allais en Inde pour vous rencontrer. Pickering Et vous, qui êtes-vous ? Higgins Henry Higgins, auteur de L’alphabet universel de Higgins. Pickering Je suis venu d’Inde pour vous rencontrer. (lui tendant la main) Higgins ! Higgins (lui tendant la main) Pickering ! Où logez-vous ? Pickering Au Carlton. Higgins Non. Vous logerez chez moi au 27-A Wimpole Street. Venez, nous continuerons la discussion en dînant. Pickering C’est entendu. Eliza Ach’tez-mouai eune fleur, gentil m’sieur. J’n’ai pas l’sous pour ma logeuse… Higgins Menteuse ! Vous disiez pouvoir rendre sur une demi-couronne. Eliza V’d’vriez boeuffer vos o-ongles. Tenez… (lui jetant le panier) Prenez tout ce fichu panier pour six pence. On entend des cloches sonner. Higgins Un avertissement ! Il jette quelques pièces dans le panier d’Eliza et sort avec Pickering. Eliza (s’exclamant à chaque pièce qu’elle ramasse) Waouh ! Wo ! Oooo ! 9 Jamie Vous n’auriez pas besoin d’un majordome, Eliza ? Eliza Dans tes rêves ! WOULD’NT IT BE LOVERLY >Harry C’est pas marrant par ici. Je m’irais bien à Paris. Mmmmm ! >Cockney 3 Madame veut ouvrir un château à Capri. Mmmmm ! >Jamie Moi je choisis la mer comme le docteur a dit ! >Jamie, Harry, Cockney 3 Mmmmm ! Mmmmm ! Ne s’rait-ce pas exquis ? Cockney 3 Tu vas où c’t été Eliza ? À Biarritz ? >Eliza Je veux juste me trouver un toit à l’abri du froid avec un énorme fauteuil. Oh, ne s’rait-ce pas exquis ? Plein de chocolats, plein de charbon pour bien chauffer. Chaud à la tête, aux mains, aux pieds oh, ne s’rait-ce pas exquis ? Exquis de faire abso-lu-ment rien. J’bougerais pas avant le printemps. La tête sur mes genoux, un chéri doux et tendre qui prend bien soin de moi. Oh, ne s’rait-ce pas exquis ? Exquis, exquis, exquis, exquis ! >Jamie, Harry, Cockney 3 Je veux juste me trouver un toit à l’abri du froid avec un énorme fauteuil. >Eliza Oh, ne s’rait-ce pas exquis ? 10
Description: