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Multilinguales, 5 PDF

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Multilinguales  5 | 2015 Varia La réduction de la valence verbale : le cas de la passivation en amazighe Reduction of Verb Valence: the Case of Passivization in Amazighe Lhassane Andam Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/multilinguales/1002 DOI : 10.4000/multilinguales.1002 ISSN : 2335-1853 Éditeur Université Abderrahmane Mira - Bejaia Édition imprimée Date de publication : 1 juin 2015 Pagination : 65-85 ISSN : 2335-1535 Référence électronique Lhassane Andam, « La réduction de la valence verbale : le cas de la passivation en amazighe », Multilinguales [En ligne], 5 | 2015, mis en ligne le 01 juin 2015, consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/multilinguales/1002 ; DOI : https://doi.org/10.4000/multilinguales. 1002 Ce document a été généré automatiquement le 10 décembre 2020. Multilinguales est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International La réduction de la valence verbale : le cas de la passivation en amazighe 1 La réduction de la valence verbale : le cas de la passivation en amazighe Reduction of Verb Valence: the Case of Passivization in Amazighe Lhassane Andam 1 Nous nous proposons dans cet article de procéder à la description des tours passifs en amazighe1 en général et plus particulièrement en tachelhite, variété dialectale en usage dans le Souss et le Haut Atlas au Maroc. Le passage d’une construction active à une structure passive a une incidence syntaxique sur la relation entre le prédicat verbal et le nombre d’arguments que celui- ci appelle. L’insertion de la morphologie passive engendre la réduction de la valence2 verbale. L’objectif essentiel est de rendre compte du paradoxe des rôles et des fonctions dans les constructions passives. L’approche que nous adoptons ici s’appuie essentiellement sur les critères développés dans Milner (1986), Cadi (1994, 2006) et Dik (1989, 1997), entre autres. Les deux premiers chercheurs, qui s’inscrivent dans l’optique de la Grammaire Générative et Transformationnelle (GGT), préconisent une analyse transformationnelle basée sur la dérivation du tour passif à partir d’une structure active. Quant au dernier, qui n’est autre que le chef de l’école néerlandaise d’obédience fonctionnelle, il opte pour une analyse en termes de perspective. 2 Ce travail s’articule en trois axes. Dans le premier, nous allons présenter la morphologie passive et ses fonctions sans oublier le passif des verbes transitifs indirects et l’emploi intransitif des prédicats dits symétriques. Dans le second, nous essaierons de mettre l’accent sur le paradoxe des fonctions et des rôles lors de la transformation passive. Dans le troisième, le problème du passif sera reconsidéré dans une optique fonctionnelle où il est traité comme une inversion de la perspective sans pour autant qu’un processus transformationnel soit envisagé. Multilinguales, 5 | 2015 La réduction de la valence verbale : le cas de la passivation en amazighe 2 Le morphème du passif et ses fonctions 3 En amazighe, la forme verbale passive est discernable par sa marque caractéristique, à savoir tt-. Soulignons que ce morphème peut varier et ce, en fonction du contexte de son apparition. Les formes essentielles sont les suivantes : tt-, ttu-, ttuy- et tty-. Les contextes phoniques dont elles sont tributaires peuvent être déterminés ainsi : i. les deux premiers allomorphes apparaissent généralement devant une forme verbale basique à initiale consonantique comme l’illustrent les exemples3 (1a-b) : a. ittvza wanu. il-a été creusé ÉA4-puits « Le puits a été creusé » *(1) b. tettubna5 tmzgida. elle-a été construite ÉA-mosquée « La mosquée a été construite ». ii. les autres s’emploient quand le verbe est à initiale vocalique. Nous illustrons ces cas de figure par les exemples suivants : a. ittyasay usgrs. il-a été pris ÉA-sac « Le sac a été pris ( = volé) ». *(2) b. ttuyannaynt trbatin v tama n tvbalut. ont été vues-elles ÉA-filles dans côté de ÉA-source « Les filles ont été vues près de la source ». Il faut souligner que ces deux dernières variantes, en l’occurrence tty- et ttuy-, s’emploient indifféremment devant un verbe à initiale vocalique, mais la première forme est plus fréquente que la seconde. 4 L’incorporation des allomorphes tt-, ttu-, tty- et ttuy- à une tête verbale transitive fait que la phrase a une structure thématique passive. L’analyse de la transformation passive nous conduit d’abord à nous interroger sur la fonction de la particule du passif : « Le morphème de la passivation a deux fonctions : une fonction syntaxique et une autre sémantique », précise Oussikoum (2013 : 71). 5 Sur le plan syntaxique, le tour actif renferme généralement une tête verbale munie de deux arguments, en l’occurrence le sujet et le complément d’objet direct (COD) alors que dans la construction passive correspondante, le prédicat verbal passif est accompagné d’une seule dépendance thématique6, à savoir le sujet. Aussi faut-il souligner que le verbe passif réduit d’une unité le nombre de ses dépendances thématiques. 6 Au niveau sémantique, la structure active et sa correspondante passive expriment l’action et l’état résultant de cette action, respectivement. Les constructions passives se caractérisent essentiellement par la promotion de l’objet et l’élimination pure et simple Multilinguales, 5 | 2015 La réduction de la valence verbale : le cas de la passivation en amazighe 3 du sujet sous-jacent, en l’occurrence l’agent. Considérons les tours (3a-b) en guise d’illustration. a. yumÇ umucc tavËÄat. il-a attrapé ÈA-chat ÉL-souris « Le chat a attrapé la souris ». *(3) b. tettyamaÇ tvËÄat. elle-a été-attrapée ÉA-souris « La souris a été attrapée ». 7 Dans (3a), nous avons la forme simple du verbe amÇ « prendre/attraper ». Ce dernier est un prédicat bivalent, en ce sens qu’il est accompagné de deux arguments, l’agent- sujet umucc « le chat » et le patient-objet tavËÄat « la souris ». 8 En (3b), la forme verbale est dérivée par le biais de l’incorporation de la morphologie passive. Il s’ensuit que le patient devient le sujet de la phrase, l’accord avec le verbe prouvant cette fonction, et l’agent, c’est-à-dire le sujet du tour actif correspondant reste absent. En ce sens, le passif sous-entend un sujet indéterminé. Sur le plan syntaxique, le rôle de l’affixe du passif est de réduire d’un rang la valence intrinsèque d’un verbe (Tesnière, 1959). 9 En vue de préciser le rôle sémantique du morphème du passif, nous considérerons les exemples cités en (4a-b). a. yut ṭṭalb pmmu unamir. il-a frappé fqih pmmu unamir « Le fqih a frappé (puni) pmmu unamir ». *(4) b. ittut pmmu unamir. il-est/a été frappé pmmu unamir « pmmu unamir est/a été frappé (puni) ». 10 Dans l’énoncé (4a), le prédicat yut « il a frappé » a pour sujet ÏÏalb « le fqih » qui représente « le participantactif du procès » (Oussikoum, 2013 : 72). Ce nominal partage les mêmes traits d’accord (nombre, genre et personne) avec l’indice de personne incorporé au verbe, à savoir y- « il ». 11 Dans la phrase passive correspondante (4b), l’affixe du passif traduit le processus tout en évinçant le sujet véritable. L’indice de personne spécifié par les traits [+ masc.], [+sing.] et [+ 3e pers.] ne renvoie plus à l’agent, mais au participant passif pmmu unamir qui devient le sujet lexical explicite du prédicat passif ittut « il est/a été frappé ». 12 En principe, seuls les prédicats transitifs directs admettent la passivation. Cependant, les locuteurs amazighophones transposent au passif des constructions qui renferment des verbes transitifs indirects, à savoir les verbes suivis d’un complément d’objet indirect (COI) introduit par la préposition i « à ». Considérons la séquence (5) qui Multilinguales, 5 | 2015 La réduction de la valence verbale : le cas de la passivation en amazighe 4 comporte le prédicat ivrs « il a égorgé » qui est construit avec un syntagme prépositionnel et qui exprime un procès : ivËs pmad i tfunast. *(5) il-a égorgé pmad à ÉA-vache « pmad a égorgé la vache ». 13 Le tachelhite admet des constructions de type V + S + Prép. + O, dans lesquelles l’objet est indirect du point de vue de la syntaxe mais direct du point de vue de l’interprétation sémantique. Autrement dit, nous avons un prédicat transitif indirect vu que le verbe est séparé de son complément par un élément-ligature, ici la préposition i « à », mais du point de vue sémantique, ce syntagme prépositionnel désigne bien le patient de l’action comme s’il s’agissait d’un COD. La passivation de ce type de phrase est possible dans ce dialecte. Mais, elle entraîne forcément la suppression du fonctionnel i « à » comme il est visualisé dans la construction (6). Ce qui n’est pas le cas en tamazighte des Ayt Mguild. En témoigne la structure (7) : tettuvËas tfunast. (tachelhite) elle-est/a été égorgée ÉA-vache *(6) « La vache est/a été égorgée ». a. ittvËs i upuli. (tamazighte des Ayt Mguild) « Il a été égorgé au mouton » *(7) b. * ittvËs upuli. 14 Dans Taïfi (2000), il est précisé, lors de l’analyse des constructions V + Prép. + N, que certains verbes transitifs indirects admettent contre toute attente la passivation, que le COI garde sa préposition dans la phrase passive (7a), que la suppression de i « à » rend l’énoncé agrammatical (7b) et que la passivation est ressentie plus comme un tour impersonnel que comme une véritable passivation. 15 Notons que les structures de type Verbe + Prép. + Objet présentées et analysées par Taïfi (1995) ont été reprises par Sabia (1997). Ce dernier considère le passif des verbes transitifs indirects en amazighe comme un cas de transitivité inachevée. Nous ne mettons pas en doute le jugement d’acceptabilité d’une phrase telle que (7a) dans le parler des Ayt Mguild, mais ce dernier serait l’un « des îlots où le phénomène s’est le plus maintenu » (Ibid. : 13). La phrase (7b), jugée agrammaticale chez les Ayt Mguild, reste attestée dans l’aire tachelhitophone. 16 Le passif impersonnel évoqué supra existe bien dans d’autres parlers du Moyen Atlas tels le parler des Ayt Wirra. Nous l’illustrons par le tour (8) que nous empruntons à Oussikoum (Ibid. : 72) : ittuffella i tcirratin *(8) (Il a été entendu aux filles) « On a entendu les filles ». Multilinguales, 5 | 2015 La réduction de la valence verbale : le cas de la passivation en amazighe 5 D’après ce chercheur, le prédicat verbal ittuffella « il a été entendu » est accompagné d’un « sujet postiche », à savoir le morphème i- « il » qui ne représente qu’un simple élément formel sans aucun statut sémantique. Aussi suggère-t-il de considérer l’énoncé en question comme un exemple qui illustre le passif dit « impersonnel ». 17 Le préfixeintransitivant/passivant tt- est la marque spécifique du passif en amazighe. Il existe, cependant, un nombre important de verbes simples qui peuvent apparaître dans des contextes où ils ont une valeur passive. Ces verbes, dits neutres ou symétriques, peuvent fonctionner comme : a. verbes transitifs dans des énoncés bivalents où le premier argument est sujet et le second est COD : tËÇa faÄma tagdurt. *(9) elle-a cassé faÄma ÉL-jarre « faÄma a cassé la jarre ». b. verbes intransitifs, le COD de l’énoncé précédent devient sujet- patient et le sujet- agent se voit exclu : *(10) tËÇa tgdurt. elle-est/a été cassée ÉA-jarre « La jarre est/a été cassée ». L’emploi intransitif des prédicats verbaux dits réversibles est à rapprocher de la construction passive. Considérons les phrases suivantes : ikrz igr. a. il-a labouré ÉL-champ « Il a labouré le champ ». ikrz yigr. b. *(11) il-est/a été labouré ÉA-champ « Le champ est/a été labouré ». ittukraz yigr. c. il-a été labouré ÉA-champ « Le champ a été labouré ». 18 La seule différence observable entre les deux dernières structures concerne leprédicat verbal (11b) : le verbe apparaît sous sa forme simple et semble correspondre à (11c) dont le verbe est déterminé par l’incorporation du morphème du passif tt-. 19 Dans les deux cas, c’est le COD igr « le champ » [+ÉL] de l’énoncé actif (11a) qui est devenu le sujet syntaxique et le patient sémantique yigr [+ÉA]. (11b-c) illustrent la possibilité pour un prédicat verbal simple (à sens passif) de coexister avec la forme dérivée du verbe correspondant. À ce propos, Cadi (1987) souligne que « si le passif Multilinguales, 5 | 2015 La réduction de la valence verbale : le cas de la passivation en amazighe 6 simple a recours à une forme dérivée, c’est qu’il n’a pas encore acquis son entière autonomie par rapport à l’actif » (p. 109). 20 Le problème auquel nous nous heurtons ici est de voir s’il faudrait considérer la forme verbale simple ikrz « il est/a été labouré » utilisée dans l’énoncé (11b) comme une véritable forme passive au même titre que la forme verbale dérivée de la construction (11c). 21 Il y a lieu d’être prudent, car répondre par l’affirmative nous conduira à admettre l’existence de deux passifs en amazighe. Nous préférons quand même maintenir la « valeur passive du verbe simple » sans pour autant postuler une équivalence et une correspondance parfaites entre les deux formes simple et dérivée. En effet, nous ne perdrons pas de vue qu’au niveau morphologique, la première forme est pareille à l’emploi transitif du verbe en question tandis que la seconde se caractérise par le préfixe tt-, l’indice spécifique du passif. Sur le plan sémantique, Chaker (1995) affirme que la forme simple exclut toute référence, directe ou indirecte, à l’agent alors qu’avec la forme préfixée, ce dernier est absent, mais reste quand même envisagé. La différence qui s’établit entre les deux formes, selon l’auteur (Ibid.), est celle qui existe entre : a. un prédicat d’existence (le verbe simple) qui pose l’existence d’un procès‑verbal, attribué au premier déterminant, et ; b. un verbe dont le premier déterminant est explicitement posé comme un patient subissant un procès effectué par un agent extérieur, non mentionné. Il s’agit, selon la terminologie classique des sémitisants, d’un “passif à agent inconnu” […]. Avec la marque du passif, l’agent est absent mais cependant envisagé alors que le verbe simple exclut toute référence, même vague ou implicite, à un actant extérieur » (p. 74). 22 Sans nous appesantir sur ce point, nous admettons que la véritable forme verbale passive est bien celle qui est discernable par sa marque caractéristique, à savoir le préfixe tt- (ou l’une de ses variantes). Son incorporation à une tête verbale transitive fait que la phrase a une structure thématique et argumentale passive. Le rôle thématique du COD n’est plus saturé dans sa position canonique. La position de l’objet est remplie par une catégorie vide et la position de l’argument sujet est non- thématique. Les deux positions se trouvent alors étroitement corrélées. Il en découle un paradoxe des fonctions et des rôles (Cadi, 2006). La géométrie des rôles et des fonctions 23 La définition du passif qui prévaut depuis toujours en grammaire traditionnelle et qui continue à s’imposer chez les générativistes est celle du « renversement » de l’actif : c’est une opération qui consiste à promouvoir le COD dans le site propre au sujet et à réduire ce dernier à un simple terme périphérique (complément d’agent) en français par exemple ou encore à l’effacer purement et simplement comme c’est le cas de la langue amazighe. 24 Il faut rappeler qu’en amazighe le passif ne repose pas sur un échange symétrique entre le sujet et le COD. La relation entre les constructions active et passive est de nature asymétrique : la passivation d’une phrase entraîne la conversion du COD en sujet et l’effacement du sujet de l’actif.L’amazighe ne dispose que d’un passif sans complément d’agent. Il semblerait qu’on perde un argument en cours de route – le sujet de l’actif –, ce qui rend malaisé l’analyse classique par renversement (Ibid.). Multilinguales, 5 | 2015 La réduction de la valence verbale : le cas de la passivation en amazighe 7 25 Notre objectif ici est de mettre en évidence ce qui permet au COD de devenir sujet sans que l’interprétation change. La passivation telle qu’elle a été définie supra consiste à effacer le sujet et à assurer le placement de l’objet dans la position réservée à l’argument indirect. Le prédicat verbal muni du marqueur tt- se comporte alors comme un verbe intransitif, voire comme un prédicat inaccusatif7. La position de l’objet n’est plus un site où le cas objectif peut être assigné. À ce propos, Rouveret (1987) avance le principe suivant : « l’adjonction de la morphologie passive à la tête verbale V retire à cette tête la capacité d’assigner le Cas Objectif » (p. 210). 26 En amazighe, la catégorie tt-V n’assigne pas le Cas Objectif, car l’affixe tt- neutralise le trait [-N] retirant ainsi à V son statut de marqueur casuel. Devenant une position non- casuelle, la position de l’objet ne constitue plus un site approprié pour l’apparition d’un item lexical. Le nominal qui y figure en structure profonde la quitte obligatoirement et monte par conséquent dans la position occupée par le sujet où il sera marqué pour le Nominatif. Afin de mieux préciser les caractéristiques du passif, considérons les structures suivantes : mÄln middn amttin. a. ont enterré-ils gens ÉL-mort « Les gens ont enterré le mort ». *(12) ittumÄal umttin. b. il-a été enterré ÉA-mort « Le mort a été enterré ». 27 Dans la construction (12a), le prédicat mÄln « ils ont enterré » distribue les rôles thématiques agent pour l’argument indirect middn « les gens » et patient pour l’argument direct amttin « le mort ». Dans (12b), le verbe fléchi est morphologiquement à la forme passive. Sa passivation engendre la réduction du nombre d’arguments réalisés en surface, en ce sens que seul l’argument objet est réalisé dans la position consacrée au sujet après l’absorption du sujet véritable par la morphologie passive. Nous pouvons dire avec El Moujahid (1993) qu’en amazighe le passif « est de type exclusivement “inachevé”. Le système ne connaît pas de construction où l’argument sujet se réalise par stratégie d’adjonction prépositionnelle, comme en anglais, en français et en arabe moderne » (p. 378). 28 Compte tenu de l’échange asymétrique qui caractérise les tours actif et passif, il faut noter qu’en amazighe, les fonctions en jeu sont le sujet et le COD. Les deux constructions sont réalisées respectivement par deux configurations syntaxiques positionnelles : V-S-O et Verbe passif-S. Le sujet se présente comme une position obligatoire dans toute proposition en vertu du Principe de Projection Étendue. La deuxième fonction, à savoir celle de l’objet qui fournit le sujet du tour passif, est à son tour nécessaire quand on sait qu’elle intervient dans l’interprétation du passif. 29 Dans la structure (12b), le nominal umttin « le mort » occupe une position qui ne lui est pas naturelle. Il figure dans la position associée au premier argument du verbe. Le fait qu’il soit marqué pour le nominatif et qu’il s’accorde avec le prédicat montre clairement qu’il est localisé, en surface, dans la position occupée normalement par le sujet. Mais, il ne faut pas oublier qu’au niveau thématique, il dépend de la position de Multilinguales, 5 | 2015 La réduction de la valence verbale : le cas de la passivation en amazighe 8 l’objet. C’est ainsi qu’il reçoit le rôle thématique de patient. L’item lexical en question reçoit son rôle sémantique, en structure profonde, dans la position de l’objet et son cas, à la suite du déplacement, c’est‑à‑dire en surface, dans la position où figure le sujet. Les deux positions remplies par le sujet et l’objet se trouvent de ce fait impliquées et corrélées. 30 La confrontation des structures active et passive (12a-b) permet de formuler le constat suivant : dans la première, la géométrie des rôles et celle des fonctions se correspondent tandis que, dans la seconde, elles ne coïncident pas. En termes plus clairs, nous pouvons dire que les termes middn « les gens » (12a) et umttin « le mort » (12b) ont la même fonction, en l’occurrence la fonction sujet. Cependant, ils n’ont pas le même rôle : dans le premier cas, nous avons l’agent alors que dans le second, il s’agit de la fonction sémantique de patient. Il faut souligner également que le constituant amttin « le mort » est COD dans (12a) tandis que dans (12b), il devient sujet de la phrase et prend la marque de l’ÉA. Mais, ce nominal porte toujours le même rôle en dépit de la différence des fonctions. Ainsi, l’analyse de Milner (1986) met en évidence que les fonctions syntaxiques (sujet et objet) ne se superposent pas aux rôles thématiques impliqués par le verbe. Notons que les fonctions sémantiques en question ne coïncident pas avec la place d’argument. Les propriétés des rôles « sont des propriétés positionnelles » (Milner, Ibid. : 20), elles peuvent être identifiées par l’examen des seules propriétés observables dans des configurations positionnelles. À ce propos, nous faisons nôtres les propos de Milner qui considère le tour passif comme « un cas où la géométrie des rôles et la géométrie des fonctions sont différentes. Plus précisément, il n’y a pas d’argument matérialisé dans la position de complément d’objet. Pourtant, cet argument existe bien, avec ses propriétés de rôle, dans une autre position » (p. 20). 31 Dans sa tentative de donner une solution au problème du passif, la théorie du Gouvernement et du Liage8 fait appel aux notions de « catégorie vide », et de « coindexation ». La phrase passive (13a) est représentée par (13b) : ittukraf uvyul. a. il-a été attaché ÉA-âne « L’âne a été attaché ». *(13) ittukraf uvyuli [e]i. b. « L’âne a été attaché ». 32 L’une des conséquences de l’adjonction du marqueur du passif à la tête verbale transitive est d’ôter à la position occupée par le sujet passif le statut de position thématique. Le verbe passif modifie le site de réalisation de l’argument direct. Dans l’exemple précédent, le nominal uvyul « l’âne » reçoit le rôle correspondant au COD du verbe krf « attacher », à savoir la fonction de patient qu’il supporte dans la phrase active. Afin de rendre compte de la distribution des rôles thématiques dans (13a), nous devons admettre qu’une position objet est présente aussi bien à l’actif qu’au passif, d’où la représentation (13b) et que le nominal figurant dans la position sujet reçoit son rôle thématique de cette position vide. Pour formaliser le lien qui unit les deux positions, nous nous servons de la coindexation comme l’illustre (13b). Dans cette configuration, la catégorie vide [e]i est co‑indexée au nom uvyuli. Ce dernier reçoit son rôle de l’élément nul auquel il est associé. Le sujet du tour passif conserve donc les propriétés Multilinguales, 5 | 2015 La réduction de la valence verbale : le cas de la passivation en amazighe 9 de la position coïncidente où se trouve la catégorie vide. La représentation (13b) constitue, de ce fait, une structure où « la non coïncidence et la coïncidence se lisent directement et simultanément » (Ibid. : 21). 33 Il reste maintenant à expliciter le statut de l’élément nul qui occupe la position de COD. C’est à sa faveur que cette dernière est récupérable. Comme nous l’avons souligné, le passif consiste en l’effacement du sujet actif et en la promotion de l’objet en position sujet. Il s’agit donc du déplacement d’un terme portant le rôle thématique de la position interne vers celle de l’argument indirect (le sujet), lequel déplacement doit entraîner en conséquence l’apparition d’une trace dans la position objet. Cette trace ne peut être identifiée selon le mécanisme proposé par Chomsky (1982) que comme une trace anaphorique assujettie au Principe A du Liage9. Elle occupe une position argumentale et se trouve liée à un antécédent dans une position également argumentale. L’apparition de cet élément nul est dictée par le Principe de Projection. Dans les énoncés donnés en (13), le verbe krf « attacher » est sous‑catégorisé pour un COD. Ledit principe stipule que ce verbe manifestera cette caractéristique dans toutes les structures grammaticales où il figurera. 34 L’examen des structures passives nous a permis de constater l’existence de deux stratégies assurant le marquage thématique d’un argument : (i) soit il est réalisé dans une position thématique ; (ii) soit il se trouve en relation formelle avec une position thématique. Dans une phrase active, le COD reçoit son rôle de la position qu’il occupe. Dans une structure passive, il est réalisé dans un site non thématique (position sujet). Il doit alors être mis en relation avec la position objet vide. Le moyen approprié dont nous disposons pour opérer cette connexion est le concept de chaîne. Cette notion se définit comme « la séquence de positions coindicées assurant la transmission d’un th‑rôle d’une position thématique vide à un contenu [+argument] réalisé dans une position non-thématique » (Milner, 1986 : 48). 35 Ainsi, dans (13b), la séquence uvyuli, [e]i) est identifiable comme un argument discontinu reliant la position du COD et celle du sujet. Le nom uvyuli est marqué pour le Nominatif. La chaîne porte le th-rôle (rôle thématique) de patient correspondant à la position de la catégorie vide [e]i. Le sujet passif obtient ce th-rôle par l’appartenance à cette chaîne. Passivation ou inversion de la perspective 36 En Grammaire Fonctionnelle (GF), les items lexicaux sont traités comme des prédicats. Ces derniers, qu’ils soient basiques ou dérivés ne sont pas considérés isolément. Ils font partie d’une structure ou d’un cadre prédicatif comportant les arguments qui leur sont associés. 37 Comme le souligne Jadir (2003), les règles de formation des prédicats entraînent généralement des changements dans la forme du prédicat-input et dans la structure des cadres prédicatifs. La passivation qui nous intéresse ici est un processus qui réduit la valence du prédicat par l’élimination de l’argument agent du prédicat basique. En nous référant à Dik (1997), nous formulons cette règle comme suit : Multilinguales, 5 | 2015

Description:
indirects en amazighe comme un cas de transitivité inachevée. Nous ne .. DIK S., Studies in Functional Grammar, New York, Academic Press, 1980.
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