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Mona Ozouf - Portrait d'une historienne PDF

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Antoine de Baecque , Patrick Deville Mona Ozouf - Portrait d'une historienne Précédé de « Y a-t-il une crise du sentiment national ? », par Mona Ozouf Flammarion © Flammarion, 2019. ISBN numérique : 978-2-0814-7480-2 ISBN du pdf web : 978-2-0814-7482-6 Le livre a été imprimé sous les références : ISBN : 978-2-0814-7035-4 Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. Présentation de l’éditeur : Sur invitation du romancier Patrick  Deville et emmenés par l’historien Antoine de Baecque, des historiens, des chercheurs et des auteurs de tous horizons – Michelle  Perrot, Nicole  Le  Douarin, Pierre  Nora, Michel  Winock, Jacques  Revel, Pierre  Birnbaum, Chantal  Thomas… –  conversent. Ils se sont réunis pour échanger autour – et en présence – de l’historienne Mona Ozouf. Avec complicité, les historiens dialoguent, abordant avec Mona Ozouf son ancrage breton, ses années étudiantes et ses amitiés (« la bande à Furet », « les dames du Femina »…). Ils retracent aussi son parcours intellectuel : la Révolution française et sa descendance politique, le féminin et le littéraire, la nation et l’école de Jules Ferry… Autour de ces thèmes majeurs de la vie et de l’œuvre de Mona  Ozouf se tressent débats, échanges scientifiques et souvenirs émaillés d’anecdotes. De ces rencontres est né ce livre en forme de conversation – à moins que ce ne soit l’inverse. Plus encore que la richesse et la fécondité d’une œuvre, et la place profondément originale qu’elle occupe au carrefour de l’histoire, de la littérature et des idées en France, c’est en effet l’amitié qui cimente ce portrait d’une historienne emblématique de la vie intellectuelle française. Historienne spécialiste de la Révolution française, Mona  Ozouf a reçu le grand prix Gobert de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre en 2004. Antoine de Baecque est historien et critique de cinéma. Il est l’auteur, entre autres, de La Traversée des Alpes : essai d’histoire marchée (Gallimard, 2014). Patrick Deville est écrivain. Il est l’auteur de nombreux romans, dont Taba-Taba (Seuil, 2017). Dernières parutions d’Antoine de Baecque La Traversée des Alpes. Essai d’histoire marchée, Gallimard, 2014  ; « Folio », 2018. Histoires d’amitiés, Payot, 2014. En d’atroces souffrances. Pour une histoire de la douleur, Alma, 2015. Les Nuits parisiennes, XVIIIe-XXIe siècle, Seuil, 2015. Une histoire de la marche, Perrin, 2016. Esprit d’automne. Histoire d’un festival, Gallimard, 2016. Les Godillots. Manifeste pour une histoire marchée, Anamosa, 2017. Les Talons rouges, Stock, 2017. La Révolution terrorisée, CNRS, 2017. Jean-Pierre Melville, une vie, Seuil, 2017. Histoire des crétins des Alpes, La Librairie Vuibert, 2018. Dernières parutions de Patrick Deville Équatoria, Seuil, 2009 ; « Points », 2013. Kampuchéa, Seuil, 2011 ; « Points », 2012. Peste et choléra, Seuil, 2012 ; « Points », 2013. Viva, Seuil, 2014 ; « Points », 2015. Sic transit, Seuil, 2014. Minuit, « Points », 2017. Taba-Taba, Seuil, 2017 ; « Points », 2018. Mona Ozouf Y A-T-IL UNE CRISE DU SENTIMENT NATIONAL ? La certitude qu’il est possible de tenir ensemble les trois grandes instances du temps, passé, présent, futur, nourrit ordinairement le sentiment national et en assure la stabilité. Lorsque cette liaison devient brumeuse, il est tentant de parler de crise. Toutefois, il y a crise et crise. Certaines peuvent être salutaires, bénéfiques, telles que le sont, pour un être comme pour un pays, les crises de croissance. C’est de cette façon, et précisément pour conforter chez les enfants la sécurité de l’appartenance, que l’école républicaine réintégrait les épreuves de la patrie dans un récit historique sans doute traversé de secousses, mais orienté au total vers le mieux-être, la justice, le progrès collectif. Aujourd’hui, c’est l’acception pathologique de la crise qui fait le fond de la rumeur publique. Et les questions surgissent alors  : quelles ont été, quelles sont encore les menaces qui, dans nos sociétés, pèsent sur l’existence d’un sentiment national au point de nous faire croire, sinon à sa disparition, du moins à son altération profonde ? Et y a-t-il malgré tout des raisons de croire à la résistance de ce sentiment, voire à sa revitalisation ? Ce ne sont pas des questions simples. Elles enferment un mystère que Vidal de La  Blache, le grand géographe, a parfaitement exprimé : « Comment un fragment de surface terrestre, qui n’est ni une péninsule ni une île, et que la géographie physique ne saurait proprement considérer comme un tout, s’est-il élevé à l’état de contrée politique et est devenu une patrie ? » Ces questions touchent la forme politique dans laquelle les Européens ont vécu pendant des siècles, et intéressent donc toutes les sociétés démocratiques. Avant même d’entrer dans les deux interrogations que j’ai rappelées (repérer ce qui a été détruit, indiquer ce qui est susceptible de survivre ou de revivre), il faut nous arrêter à l’expression de « sentiment national » et nous demander ce que nous avons à l’esprit quand nous en usons. Ceci est d’autant plus indispensable que l’épithète «  national  » est aujourd’hui employée à tout-va à l’extrémité droite de l’éventail politique, pour désigner ce « Front » qui ne peut être que « national », ou la « préférence » (la « préférence nationale »), qui doit l’être : un usage prescriptif donc, qui fait figure de bannière rassembleuse, destinée à tracer une ferme frontière entre les nationaux et les éléments réputés inassimilables de la communauté  : hier les juifs, aujourd’hui les immigrés de fraîche date. Cette expression impérieuse, pourtant, ne manque pas d’ambiguïtés. On peut nourrir des doutes sur la texture même de ce sentiment ; on peut aussi, et ceci n’a pas manqué de nourrir les controverses des historiens, hésiter sur la date de son apparition dans l’histoire, problème qui n’est pas sans rapport avec la date de sa disparition ou de sa mise en sommeil supposée par ce « encore » (« le sentiment national peut-il exister encore aujourd’hui ? ») qui est au cœur de notre sujet. Quelle est donc, d’abord, la teneur exacte du «  sentiment national » ? Ouvrons le Dictionnaire de l’Académie française de 1694 au mot « Nation » : se dit de « tous les habitants d’un même État, d’un même pays, qui vivent sous les mêmes lois et usent d’un même langage ». Voilà une définition apparemment neutre, descriptive et non prescriptive, qui fait de la nation une des grandes divisions de l’espèce humaine, mais qui n’en est pas moins largement imaginaire : les Français du XVIIe siècle étaient loin de vivre selon des lois homogènes et de tous parler la même langue. En outre, cette définition se charge immédiatement d’affectivité : c’est sous le signe d’une quadruple ressemblance (politique, géographique, juridique, linguistique) qu’est définie la nation. Elle suggère l’idée d’un individu inséré dans une communauté qui le sécurise et le protège, lui inspire une manière spécifique de « vivre-ensemble » et l’autorise à user d’un «  nous  »  : «  nous autres Belges  », «  nous autres Français  »… mais aussi «  nous autres Bretons  », «  nous autres Basques », car le sentiment d’appartenance ne se borne pas à l’espace national.   On le voit assez dans le vocabulaire. Autour du mot « nation » bourgeonnent des mots voisins mais non pas interchangeables, qu’il n’est pas inutile de considérer un peu  : pensons à «  pays  » et à « patrie ». Entre ces mots existe une différence d’échelle, mais aussi de charge affective. Différence d’échelle d’abord  : «  pays  » désigne la proximité humaine la plus élémentaire – la paroisse, le canton, le clocher. On dit communément  : «  J’ai rencontré “un pays”  » pour désigner quelqu’un de son village, quelqu’un avec qui on est allé à l’école ou avec qui on a fait son service militaire. «  Pays  », c’est aussi un territoire particulier, caractérisé par la forme des champs, la pierre ou la brique d’un bâti, la couleur des volets, la lumière, tout ce qui nourrit le sentiment, si mystérieux et si évident pourtant, d’être chez soi : le paysage, équivalent visuel du pays, est sans doute la plus immédiate des composantes du sentiment national. Les poètes y ont souvent contribué  : songeons à Lamartine dans son canton bourguignon, entre la vigne et la maison ; ou à Du Bellay évoquant « le toit de ma pauvre maison qui m’est une province et beaucoup davantage  ». Différence d’échelle, donc, mais aussi de degré du sentiment. Car plus l’assise territoriale qui voit se déployer le sentiment est étroite, plus l’affectivité s’y investit. C’est ce qui explique la nuance de satisfaction soulagée avec laquelle on confie que l’on « rentre au pays », ou la souffrance qui accompagne le « mal du pays », identifié comme une véritable pathologie. Le mot « patrie » est très voisin, presque indiscernable du mot «  pays  ». Ainsi, chez Charles d’Orléans en exil, plein de la souvenance nostalgique du « pays de France » : c’est la patrie qu’il évoque. À l’inverse, quand Chateaubriand parle dans le Génie du christianisme de «  cette langueur d’âme qu’on éprouve loin de sa patrie », c’est encore le mal du pays qu’il décrit. Et quand Danton dit superbement qu’«  on n’emporte pas sa patrie à la semelle de ses souliers », c’est toujours la terre qu’on a foulée, celle du « pays », que, selon lui, on ne saurait emporter. Par ailleurs, le mot « patrie » a partie liée avec le sentiment d’extrême proximité. Étymologiquement, elle est en effet la « terre du père », même si, de façon un peu étrange, probablement dictée par le féminin du mot, elle est souvent évoquée comme la « mère-patrie ». Malgré tout, pays et patrie n’ont pas tout à fait le même statut. Victor Hugo le dit très bien lorsqu’il remarque que ces deux mots, pays et patrie, résument la guerre de Vendée : « Querelle, dit-il, de l’idée locale contre l’idée universelle, paysans contre patriotes.  » «  Paysans  », c’est-à-dire ceux dont l’horizon étroit est le pays  ;

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