e Mémoire de 4 année : L’évolution de la cause noire aux Etats-Unis sous Barack Obama Soutenu par Victoria Boirin Sous la direction de Marion Aballéa et Justine Faure 2015-2016 UNIVERSITE DE STRASBOURG Sciences Po Strasbourg Victoria BOIRIN L’EVOLUTION DE LA CAUSE NOIRE AUX ETATS-UNIS SOUS BARACK OBAMA 2015-2016 Sous la direction de Marion Aballéa et Justine Faure Where is the Jim Crow section On this merry-go-round, Mister, cause I want to ride? Down South where I come from White and colored Can't sit side by side. Down South on the train There's a Jim Crow car. On the bus we're put in the back— But there ain't no back To a merry-go-round! Where's the horse For a kid that's black? Langston Hughes, 1942, Shakespeare in Harlem Remerciements Je souhaite adresser tous mes remerciements aux personnes qui m’ont apportée leur aide et ont ainsi contribué à la réalisation de ce mémoire. En premier lieu, je remercie Mesdames Justine Faure et Marion Aballéa. En tant que co- directrices de mémoire, elles m’ont aidée dans mon travail, ont procuré des ressources intéressantes, ont apporté conseils et recommandations utiles et ont su rediriger mon travail quand cela était nécessaire. Je remercie Madame Douzou, professeure d’anglais du lycée Descartes à Antony, une des premières à avoir relevé mon intérêt pour la société américaine et m’ayant toujours encouragée à analyser les sources profondes des mouvements de la société américaine. Je remercie Imani Adams, Taylor Wiley, Robert Mann et Kaleb Talbot, rencontrés aux Etats-Unis pendant mon année d’étude à la Louisiana State University et qui ont encouragé et aidé à la réalisation de ce mémoire. Merci plus spécifique à Imani, membre actif du mouvement Black Lives Matter, qui a su piquer mon intérêt et m’a montrée la portée de ce mouvement. Enfin, pour leur soutien et leur présence réconfortante dans les moments de doute je souhaite remercier Cécile, Mathilde, Laurène, Daniel et Jean Philippe. Sommaire Introduction I La condition de la communauté noire : le fardeau de l’histoire américaine A- L’ordre institutionnel racial américain : de l’esclavagisme à l’affirmative action 1) Esclavagisme et ségrégation : la mise en place de l’ordre institutionnel racial américain 2) L’ordre racial récent : « colorblindness » vs « race consciousness » B- L’effritement du Black Power des années 1970 à 1990 1) Des mouvements de contestation de plus en plus disparates et désorganisés 2) Le parti républicain comme frein aux réformes sociales en faveur de la communauté noire C- Les années Clinton et Bush Jr : vers plus d’égalité 1) Clinton : « premier président noir » ? 2) Bush Jr, « le président colorblind » D- Toujours de très grandes inégalités dans les faits : portrait de la communauté noire dans les années 2000 1) De multiples disparités économique et sociale 2) Un manque de représentation politique majeure II L’élection et le double mandat de Barack Obama : entre espoirs et frustrations A- Barack Obama : un parcours à part 1) Un métissage exacerbé 2) La politisation du discours d’Obama B- La campagne de 2008 : le passage à une Amérique post raciale ? 1) Une stratégie claire du camp Obama : la neutralité raciale 6 2) La question raciale remise au centre de la campagne : l’affaire Jeremiah Wright et le discours de Philadelphie 3) La médiatisation d’une Amérique post raciale donnant espoir à la communauté noire C- La « procrastination raciale » de Barack Obama pendant son double mandat 1) La question raciale au cœur des débats malgré le silence d’Obama 2) La mise en place de mesures sociales générales et quelques mesures spécifiques pour la communauté noire III Une Amérique encore plus divisée aujourd’hui ? A- La déception de la communauté noire face aux inégalités persistantes 1) Critique de l’inaction d’Obama par la communauté noire 2) Des disparités approfondies et un système judiciaire questionnable B- La création d’un nouveau mouvement de droits civiques : le Black Lives Matter Movement 1) Le meurtre de Trayvon Martin à l’origine d’un mouvement de contestation 2) Le développement d’un mouvement d’ampleur sur l’ensemble du territoire C- Le renouvellement du Black Power sous de nouvelles formes 1) Un nouveau mouvement littéraire de contestation 2) La réappropriation du Black Power dans l’industrie du divertissement D- L’élection de 2016 : une fracture ouverte entre les communautés 1) La tentative d’attraction du mouvement Black Lives Matter par les candidats démocrates 2) Le camp républicain et Donald Trump : l’anti Obama Conclusion Bibliographie 7 Introduction « Le fait est qu’un homme noir ne peut pas être président des Etats-Unis, compte tenu de l’aversion raciale et de l’histoire même du pays qui est encore bien présente. Par contre un jeune homme remarquable, intelligent et talentueux qui se trouve être noir peut devenir président des Etats-Unis »1. Cette phrase, de l’un des conseillers en communication de Barack Obama, Cornell Belcher, à la journaliste Gwen Ifill pendant la campagne présidentielle de 2008, résume à elle seule l’ambiguïté de l’élection de Barack Obama à la présidence d’une Amérique présentée comme « post raciale » mais dont les fondations racistes ne peuvent être complètement effacées. Les Etats-Unis se sont ainsi construits sur une profonde dichotomie entre la revendication d’un idéal démocratique combatif et la notion, fondamentalement raciste, que les hommes de couleur ne valaient pas la même chose que les hommes blancs. Le système esclavagiste, puis ségrégationniste, extrêmement violent, a alors façonné les relations interraciales dans le pays jusqu’à aujourd’hui. De 1661, date à laquelle l’Etat de Virginie décide d’officialiser l’esclavage et de lui conférer une existence juridique, jusqu’à la fin des années 1960, et l’adoption des législations pour les droits civiques, notamment le Civil Rights Act en 1964 et le Voting Rights Act en 1965, par le président démocrate Lyndon B. Johnson, la population noire a toujours été marginalisée par le reste de l’Amérique. Il aura fallu près de trois cents ans pour que Blancs et Noirs soient mis sur un pied d’égalité juridique en Amérique. Le vote de ces lois ne change cependant ni les mentalités américaines, ni les inégalités entre les communautés en un instant. C’est même à cette période que les mouvements plus violents pour les droits civiques font leur apparition, notamment les Black Panthers avec la figure de Malcolm X qui fait concurrence à celle, plus pacifique, de Martin Luther King. C’est aussi à cette époque, en août 1961, que naît Barack Hussein Obama à Honolulu sur l’île d’Hawaï d’une mère blanche issue du Kansas et d’un père kenyan. Barack Obama a grandi pendant une période où les droits des Noirs ont été reconnus, mais où les inégalités entre les communautés restent criantes. L’influence du parti 1 Gwen Ifill, The Breakthrough: Politics and Race in the age of Obama, New York, Doubleday, 2009, p. 54. 8 républicain à partir de leur retour au pouvoir en 1968 marque un coup d’arrêt à la progression des droits des Noirs, et même si l’on remarque certains progrès sous le mandat du démocrate Bill Clinton, puis dans la représentation gouvernementale sous Georges W. Bush, force est de constater que la communauté noire reste en marge de la croissance américaine et de l’« American Dream ». La question est alors de savoir comment en est-on arrivé à élire un président noir en 2008, seulement cinquante ans après la campagne des droits civiques et si, par cette simple élection, l’Amérique est devenue post raciale comme le préjugeaient certains intellectuels et certains médias. Le terme de « post racial » exprime l’idée selon laquelle la « question de préjugés raciaux et de discrimination ne serait plus pertinente à la vue des dynamiques sociales actuelles »2. Si l’on peut alors se dire que la campagne de 2008 avait un but définitivement post racial, dans le sens où les candidats n’ont évoqué la question que quand ils y étaient forcés, l’Amérique elle-même, n’a pas encore franchi le cap du « post racial » ou « poste racisme »3 et le double mandat d’Obama n’a pas permis de refermer les plaies du passé et les a même accentuées. Ainsi si en 2008, les yeux du monde entier se sont tournés vers les Etats-Unis, et vers ce candidat noir dont la fulgurante ascension donna espoir à l’ensemble d’une communauté et l’ensemble d’un pays après une décennie marquée par le terrorisme, la guerre et des difficultés économiques et sociales, en 2016, les Etats-Unis se trouvent toujours dans une situation délicate et les tensions sociales entre les différentes communautés se sont intensifiées. Selon Ta Nehisi Coates, « Barack Obama gouverne une nation assez éclairée pour envoyer un Afro-Américain à la Maison Blanche, mais pas assez éclairée pour accepter un homme noir comme son président »4. Sur ce fait repose toute la difficulté de Barack Obama à gouverner une Amérique encore profondément divisée, entre une communauté noire portant tous ses espoirs en ce nouveau président, et une partie de la population américaine, méfiante et suspicieuse de l’arrivée d’un homme noir au pouvoir. En ressort une forte ambiguïté dans la politique de Barack Obama, ne voulant jamais se montrer comme trop en faveur de la communauté afro-américaine, et se le faisant reprocher par celle-ci, et étant toujours remis en cause par une partie de la 2 Oxford Dictionaries, définition de post-racial, 2016, disponible sur : <http://www.oxforddictionaries.com/fr/definition/anglais/post-racial>, [consulté le 8 avril 2016]. 3 Ta Nehisi Coates, « There is no post racial America », The Atlantic, juillet-août 2015. 4 Ta Nehisi Coates, « Fear of a black president », The Atlantic, septembre 2012. 9 population qui ne considère son action qu’en fonction de la couleur de sa peau. Le mandat d’Obama a ainsi été marqué par la profonde déception de la communauté noire face à l’inaction de « leur » président, et la résurgence de plusieurs mouvements de contestations tels que le Black Lives Matter movement qui n’auraient peut-être pas existés ou n’auraient pas eu la même ampleur si un homme noir n’avait pas été président. Ce mémoire ne prétend pas être exhaustif sur l’histoire de la communauté noire aux Etats-Unis, j’ai avant tout cherché à identifier les grandes périodes de l’évolution des droits des Afro-Américains dans l’histoire américaine en m’appuyant sur des ouvrages de référence tels que « Les Noirs Américains des champs de coton à la Maison Blanche » de Nicole Bacharan, « L’histoire des Noirs aux Etats Unis » de David Diallo ainsi que les recherches sur l’ordre institutionnel américain de Desmond S. King et Roger M. Smith. J’ai ensuite fait des recherches sur les inégalités factuelles entre les différentes communautés américaines grâce aux sites d’information d’associations pour les droits des Noirs et les rapports statistiques publiés par les ministères américains de la santé et de l’économie notamment. J’ai lu les deux livres de Barack Obama ainsi que plusieurs de ses discours pendant la campagne présidentielle de 2008 pour évaluer l’évolution de ses propos sur la question raciale. Enfin, une grande partie de mon travail s’est fondée sur l’analyse d’articles dans les grands journaux américains tels que le New York Times, le Time et un certain nombre d’articles dans The Atlantic, dont l’un des auteurs réguliers, Ta Nehisi Coates, a été une de mes sources les plus importantes d’information et de recherche, sur la question des inégalités et sur la portée du mouvement Black Lives Matter face à la présidence de Barack Obama. Il s’agit alors simplement, d’étudier de manière critique l’évolution du discours racial aux Etats-Unis et d’expliquer, à l’aube d’une élection présidentielle qui montre déjà les fractures profondes de l’Amérique en termes raciaux, dans quelle mesure l’arrivée de Barack Obama à la présidence marque un tournant important dans l’histoire raciale américaine mais ne parvient pas à répondre à tous les espoirs de la communauté afro-américaine ? Afin de répondre à cette problématique il est nécessaire dans un premier temps de comprendre comment le peuple américain en est arrivé à élire ce premier président noir en analysant l’évolution de l’ordre institutionnel racial américain et la façon dont, 10
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