S R U O M A S E M S, I M A S E M Avant-propos J ’ai tant aimé dans ma vie. Des hommes magnifiques souvent, tant de peau que d’in- tellect. Et de moins beaux aussi, mais attachants parce que plus fragiles. Certains étaient riches de savoir et d’argent, d’autres pauvres d’idées ou de bienveillance, mais tous étaient faits sur mesure pour mon insatiable envie de renouveau et de surprises. Je les ai choisis – ou ils m’ont trouvée – pour combler ce besoin primaire et incessant de semer de la magie dans mon existence. Ils étaient certes fréquentables, bien au- delà de l’intérêt sexuel que j’ai pu leur porter. Dans les années 1970, un climat de liberté régnait et le sexe n’était pas une denrée rare : quand on évolue dans la sphère du cinéma qué- bécois à saveur érotique, qu’on a 20 ans, qu’on est le moin- drement gâtée par une génétique heureuse et un avenir prometteur, il est monnaie courante ! Mais la femme, au-delà de la « star », avait d’abord besoin d’amour véritable. Et je le cherchais continuellement. Qu’ils aient été des hommes à la volonté trempée dans l’acier ou des « têtes légères », de beaux et sinistres ténébreux, de grands artistes, de rassurants hommes d’affaires, je n’en ai Montage Mes amis mes amours.indd 11 2016-12-20 09:11 gardé, à quelques très rares exceptions près, que de bons sou- venirs. L’âge aidant, je peux même affirmer que l’essentiel de mes souvenirs les plus apaisants me vient d’eux. Oui, bien sûr, dans les moments de grande violence lors des séparations, j’ai pu dire : « plus jamais lui » ou « plus jamais un homme comme lui ». Mais aujourd’hui, alors que l’expé- rience domine, je repense à chacun d’eux le sourire aux lèvres et la douceur au cœur, avec un brin de nostalgie entre les deux. Le pardon est tellement libérateur. « L’homme » n’est peut-être plus là à mes côtés pour partager ma vie – je vis seule depuis fort longtemps maintenant –, mais son essence demeure. Et je les revois tous. Une fois par année – parfois plus souvent ou parfois plus rarement, c’est selon –, l’envie de retourner dans le cocon du « nous joyeux » que nous avions créé me submerge. Alors, on se donne rendez-vous. Si j’ai souvent raté les saisons de mes amours, j’en ai tiré beaucoup de connaissances et je me suis réalisée dans cha- cune d’elles. Si tant est que l’on puisse dire que l’on a pleine- ment réussi quelque chose à la presque fin de sa vie, je peux affirmer que mes amours le furent, aussi nombreuses fussent- elles ! Qui aura le culot de me le reprocher ? Si c’est vous, ne lisez pas ce livre. Parce que tous ces moments passés auprès d’eux ont forgé ce que je suis devenue. 12 • Mes amis, mes amours Montage Mes amis mes amours.indd 12 2016-12-20 09:11 Introduction L ongtemps, les femmes ne m’ont pas aimée, et elles ne m’ont que très rarement épaulée ! Chaque fois que je l’affirme, j’ai presque peur d’être lyn- chée. On vit à une époque où la solidarité féminine est presque devenue un signe distinctif de bonne santé morale ou, du moins, une « fratrie » à laquelle toute femme intelligente devrait adhérer de peur de se faire accuser de passer à côté du seul choix sensé. J’admets qu’avec l’âge, la dynamique n’est plus la même et qu’aujourd’hui j’adhère à une certaine soli- darité. Curieusement, mes quelques rares amies de l’époque ont toutes eu un parcours émotif semblable au mien. Comme moi, elles faisaient preuve de rigueur et d’énergie au travail, et elles percevaient de façon lucide et non vindicative leurs amours passées. Le contraire m’aurait attristée. Il est telle- ment apaisant d’oublier ! Oups, je me reprends, il est si apai- sant de pardonner… non d’oublier ! Bref, j’admire les femmes qui donnent l’impression de vivre une grande indépendance, comparable à celle que dégagent les hommes en général. Ça, c’est quelque chose qu’eux m’ont appris ! Montage Mes amis mes amours.indd 13 2016-12-20 09:11 Si l’ostracisme automatique que les femmes affichaient à mon égard à une certaine époque n’est plus vraiment une menace aujourd’hui, les ans ayant terni la belle image du sex symbol que j’étais en me faisant enfin mûrir – mot gentil pour ne pas dire vieillir ! –, je peux tout de même affirmer que ce fut le cas pendant de nombreuses années, particulièrement au moment où j’ai fait mes films, ce qui m’a terriblement isolée. De cet isolement, une brèche s’est créée dans ma vie où les hommes – que des hommes – ont pu se faire une niche confortable. Ce capital de popularité a renforcé, chez cer- taines femmes n’ayant pas accès à ce privilège, la propension à me traiter de femme facile et, sans retenue, de profiteuse et d’entretenue. À cause de ces intrigantes, manifestement peu solidaires, et pour m’en libérer, les hommes ont pu occuper une place importante dans mon quotidien. Et c’est à leur contact, puisque je n’ai eu que cette référence, que j’ai tout appris. D’abord sur eux, évidemment, mais aussi à travers leur regard, leurs réflexions, leurs confidences, j’ai appris ce qu’ils pen- saient véritablement des femmes. Eh oui ! Ça se confie, un homme, quand il ne se sent pas négligé, manipulé, envahi, exploité, ce que je n’ai jamais su faire ! C’est un privilège, car les hommes par nature ne se confient pas souvent à une femme, croyant en cela faire montre de faiblesse. En tout cas, ils ne s’épanchent pas trop, à moins que ce ne soit pour la séduire. C’était peut-être à mon détriment, car je me suis souvent oubliée à leur profit. Certains en ont abusé. J’ai vite compris que si les hommes sont, après tout, des hommes et qu’ils peuvent se révéler trompeurs, menteurs, manipulateurs, « je- m’en-foutistes », infidèles, opportunistes…, ils savent aussi 14 • Mes amis, mes amours Montage Mes amis mes amours.indd 14 2016-12-20 09:11 être attentionnés, charmeurs, aventuriers, drôles, généreux de leur appui, solides, séduisants ou sensuels, amoureux, forts et fragiles, agréables, affectueux, disponibles, reconnais- sants, touchants… indispensables, quoi ! Mais, et ici la nuance est importante, puisque personne ne vit sa vie de la même manière et que vous n’avez pas vécu la mienne, je ne peux certes pas prétendre détenir la vérité. Je ne peux vous donner que MA réalité. Ça vaut ce que ça vaut ! Voici donc l’histoire de quelques-uns de mes apprentissages. Introduction • 15 Montage Mes amis mes amours.indd 15 2016-12-20 09:11 C H A P I T R E 1 Valérie, celle par qui tout commence J e ne saurais raconter certains moments de ma vie privée sans évoquer d’abord ce qui a frappé l’imaginaire de toute une génération. En effet, je suis née aux yeux du public, tout d’abord sur grand écran, à une époque bénie, celle des années 1960, où tout était permis et tout était à faire. Je suis alors devenue le pur produit d’une image totalement inventée. Ce métier, entamé avec un film qui fera scandale pour cause de nudité et auquel on donna le titre de Valérie, aura pour effet de teinter toutes mes rencontres, personnelles ou amoureuses, de son aura sulfureuse. Il me semble donc per- tinent de partager un peu du chemin que la vie m’a fait prendre à travers un métier fabuleux, mais à la fois dur, impi- toyable, exigeant et terriblement jaloux du quotidien, au point d’en gommer toute normalité. Ce faisant, il m’aura aussi permis de vivre ma vie à un rythme accéléré par rapport au rythme normal, et de connaître des expériences humaines Montage Mes amis mes amours.indd 17 2016-12-20 09:11 hors de l’ordinaire. Encore fallait-il la faire accepter à mes amoureux sans pour autant leur donner le privilège d’en pro- fiter au même rythme. Ce monde était mon monde. Le leur tenait dans un quotidien que j’ai essayé de rendre le plus normal possible avant de réaliser… que c’était impossible. Je suis privilégiée. J’ai pu m’en sortir, alors que d’autres y ont laissé tous leurs rêves. Mais certains privilèges coûtent très cher, surtout lorsqu’on met ses rêves en équilibre sur le fil d’une industrie qui peut t’aduler et te tuer en même temps. J’y suis allée les bras ouverts, le cœur léger et jamais, même aujourd’hui où le travail m’abandonne et que l’âge me pousse à la retraite, n’ai-je eu à le regretter. Le « métier » a été mon plus bel amant, mon amour le plus fidèle, ma famille, mes rêves, le récepteur de toutes mes peines, l’enjoliveur du quotidien et personne, pas même un homme, n’aura su me faire sortir de son lit douillet. Pourquoi lui et pas « eux » ? Je n’en sais rien. On est un artiste, je crois, comme une fleur peut être bleue ou rose, comme le nuage prend ses formes selon le vent, comme l’enfant qui rit à tout ce qui l’entoure. Certains diront que ce métier est fait pour entretenir un besoin névrotique de reconnaissance dans un monde où tous cherchent à se démarquer. Ou qu’il a fait son chemin en moi par pur narcissisme, égoïsme ou égocentrisme. C’est possible. Et ce sont pourtant ces reproches, terriblement réducteurs, qui nous forcent à toujours vouloir aller plus loin, car les gens oublient la complexité de la tâche, du travail qui semble facile, alors qu’on vient d’y consacrer 12 heures d’efforts et que tout repart à zéro le lendemain… Je ne saurais ignorer non plus le sentiment de bien-être qui m’habite quand j’ai bien fait mon boulot. Et je le fais, ce boulot, depuis de 18 • Mes amis, mes amours Montage Mes amis mes amours.indd 18 2016-12-20 09:11 nombreuses années. En ce début de 2017, j’entame ma 55e année de nirvana dans le merveilleux monde de la communication. Étais-je vraiment faite pour cette vie ? J’ai toujours cru que ma mère m’y avait précipitée, elle qui aurait tant voulu la vivre. Mais quelque chose dans ma nature profonde a bien dû s’y conformer sans effort particulier en me faisant toute- fois abattre le travail nécessaire pour y parvenir. Je m’y suis habituée, modelée, sans jamais m’en plaindre. J’en ai rede- mandé sans cesse. Plus que de briller, je crois que le désir de communiquer quelque chose – une image, un sentiment, une idée – m’a aidée à me « soumettre » aux fantaisies de ce travail capricieux. En ce sens, la radio m’a comblée. Mais le plaisir à l’état pur me venait de la télévision et de la scène, tandis que le cinéma, par son univers fermé, relève plutôt de l’exploit. C’est pourtant lui qui m’a choisie et permis de me démarquer dès le début. Et ma foi, ce fut d’une bien drôle de façon ! J’ai été projetée dans le genre de cinéma dit « érotique » à l’âge de 21 ans. Je l’ai fait sans en connaître sa nature à carac- tère incendiaire. L’âge, l’époque, mes parents et le curé m’en avaient protégée ! Si j’ai entamé le tournage du film Valérie avec l’illusion d’une liberté assumée – notion innovatrice et hautement valorisée dans le Québec des années 1960 –, je l’ai fait malgré tout avec une grande candeur, appuyée par Denis Héroux. En effet, il ne m’a jamais obligée à « plus » lorsque je me sentais mal à l’aise devant les caméras. Et Dieu sait que ça m’est souvent arrivé, étant naturellement d’une grande pudeur, ce qui peut surprendre vu mon parcours. Je peux donc affirmer que le premier film dit « érotique » réalisé au Québec s’est fait sans aucune intention salace de ma part, puisque je stoppais ce qui m’incommodait et que l’aspect Valérie, celle par qui tout commence • 19 Montage Mes amis mes amours.indd 19 2016-12-20 09:11 subversif du film ne reposait que sur ma nudité, sujet tabou s’il en était un dans ces années-là. Cette direction, je l’ai prise à bras-le-corps, comme un défi envers moi-même. Je ne connaissais ni le métier ni la façon de le faire et je suis entrée dans l’univers du cinéma avec la simple intention de travailler dans un domaine où il n’y avait pas encore d’élus, puisque le cinéma commercial – donc « rentable » – n’existait pas au Québec. La vanité n’était d’ailleurs pas rattachée à l’exercice, ni même la recherche de gloire, puisque je croyais vraiment que cette production ne resterait à l’écran que quelques semaines. Tout au long du tournage, je me suis même demandé si la censure naturelle que l’on imposait à chaque réalisation, qu’elle soit télévisuelle ou théâtrale à l’époque, en permettrait la diffusion. Quand on regarde le film aujourd’hui, on ne peut que se dire : tout ça pour ça ? La surenchère érotique dans les pro- ductions qui ont suivi, étayée par les besoins d’un box-office en appétit, le relègue maintenant au rang des dinosaures. Mais c’est tout de même lui qui a lancé le bal et imprimé dans l’imaginaire des gens de mon âge des images indélogeables, si j’en juge par les commentaires que l’on m’en fait encore aujourd’hui, avec des étoiles plein les yeux ! De sorte qu’il me semble un peu dommage que j’aie à démanteler dans ce cha- pitre les artifices nés des images (finalement pas si libidi- neuses que ça) du film, lesquelles étaient totalement à l’opposé de ce que j’étais en réalité. Si je persiste à le faire, c’est pour exposer quelques-uns des préjugés que j’ai dû affronter. Ils reposaient d’ailleurs tous sur du vent : la légende – cela étant dit sans vantardise – s’étant formée à mon corps défendant. 20 • Mes amis, mes amours Montage Mes amis mes amours.indd 20 2016-12-20 09:11
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