La Magie Dans l’Inde antique Victor Henry Éditions Virtuelles Indes Réunionnaises - 2012 Indes réunionnaises Le portail des cultures indiennes de la Réunion, de l’Inde et de la diaspora www.indereunion.net Cette édition électronique a été réalisée par Jean-Marc Simonet, ancien professeur des Universités, bénévole. Courriel: [email protected] À partir du livre de Victor Henry (1850-1907) Professeur de sanscrit et de grammaire comparée des langues indo-européennes à l’Université de Paris La Magie dans l’Inde antique Nouvelle Edition Éditions Ernest Leroux, Paris, 1909. « Une année d’enseignement védique à la Sorbonne (1901-1902) » Table des matières Préface Note bibliographique Introduction Chapitre Ier. — Notions générales sur la magie hindoue § ler — L’Atharva-Véda § 2. — Le Kauçika-Sûtra § 3. — Les bénéficiaires de la magie § 4. — Les opérateurs § 5. — Les opérations § 6. — Les ingrédients et accessoires Chapitre II. — La divination § 1er — Divination générale § 2. — Les épousailles et la postérité § 3. — La prévision du temps § 4. — L’issue d’un combat § 5. — Retrouver un objet perdu § 6. — Divination simulée Chapitre III. — Charmes de longue vie § 1er — Sacrements § 2. — Autres cérémonies § 3. — Amulettes Chapitre IV. — Charmes de prospérité § 1er — La maison § 2. — Le feu et l’eau § 3. — Le bétail § 4. — L’agriculture § 5. — Les voyages et le commerce § 6. — Le jeu Chapitre V. — Charmes sexuels § 1er — L’amour et le mariage § 2. — Les rivalités § 3. — La constance § 4. — Les réconciliations § 5. — La virilité § 6. — La fécondité et la postérité mâle § 7. — La grossesse et l’accouchement Chapitre VI. — Rites de la vie publique § 1er — En paix § 2. — En guerre Chapitre VII. — Rites antidémoniaques § 1er — Nirrti § 2. — La plèble démoniaque § 3. — Exorcismes par représailles § 4. — Autres exorcismes Chapitre VIII. — Charmes curatifs § 1er — La fièvre § 2. — Les vers intestinaux § 3. — Les affections cutanées § 4. — Les blessures et l’hémorrhagie § 5. — Les effets du venin § 6. — Les affections héréditaires ou chroniques § 7. — Cas divers Chapitre IX. — Rites expiatoires Chapitre X. — Rites de magie noire § 1er — La liturgie démoniaque § 2. — L’imprécation pure et simple § 3. — Les envoûtements § 4. — Autres ensorcellements § 5. — Le serment Conclusion § 1er — Magie et mythe § 2. — Magie et religion § 3. — Magie et science Additions et corrections Préface Retour à la Table des Matières Ne pas croire à la magie n’est point une raison de la dédaigner. Elle a tenu, dans la constitution des sociétés primitives et dans le développement même de l’esprit humain, une place dont tous à peu près sont d’accord et que d’aucuns seraient plu- tôt portés à surfaire qu’à ravaler. Dans ce livre, résumé d’une année d’enseignement védique à la Sorbonne (1901-1902), je ne pouvais prétendre ap- porter à la sociologie que le résultat de l’une des enquêtes partielles sur lesquelles elle fondera ses conclusions futures ; et aussi me suis-je interdit toute digression que mon titre ne justifiât. Peut-être me sera-t-il permis d’en dépasser quelque peu les limites en avant-propos, ne fût-ce qu’à dessein de les mieux préciser, de mon- trer, veux-je dire, par combien de points elles confinent à la mentalité de notre race, par combien peu à celle du sauvage-type, récent produit d’une généralisation séduisante et périlleuse. Le XIXe siècle, incomparablement ; plus qu’aucun de ses devanciers, aura bien pVI mérité de l’histoire : de celle des faits, par l’exhumation des civilisations dispa- rues ; de celle des idées et des institutions, par l’avènement tardif du sens histori- que, dont la philosophie du XVIIIe est encore si extraordinairement à court. Et les deux progrès, sans aucun doute, sont connexes : si l’on a compris qu’un état men- tal ou social est nécessairement conditionné par l’état mental ou social qui l’a pré- cédé, celui-ci, par son antécédent, et ainsi en remontant toujours jusqu’à la barba- rie la plus lointaine qu’il nous soit donné d’atteindre ; que dès lors rien n’est indif- férent du passé de l’humanité à qui tente de s’expliquer son présent et d’augurer de son avenir ; si, en un mot, l’on voit poindre à l’horizon l’espoir d’une sociolo- gie rationnelle et scientifique, que l’antiquité n’a jamais pu concevoir, on le doit, en grande partie, à ce recul qui lui a manqué, aux documents de toute sorte qu’elle nous a légués d’elle-même, et surtout à ceux que nous avons arrachés à la profon- deur de ses tombes. Sous le sol de l’Égypte et de l’Assyrie dormaient d’immenses archives, insoupçonnées durant des milliers d’ans : elles nous ont appris à ne plus dater d’hier la vie intellectuelle et morale dont nous vivons ; car nous avons re- trouvé, chez ces hommes d’autrefois, non seulement nos infirmités matérielles, pVII les victoires et les révolutions sanglantes et inutiles, — ce dont nous nous serions bien doutés sans l’apprendre d’eux, — mais, — ce qui est autrement suggestif à quiconque ne vit pas seulement de pain, — nos aspirations et nos terreurs, nos su- perstitions et notre religiosité, les rudiments de nos sciences et l’écho anticipé des idées dont nous sommes fiers. A la navrante bouffonnerie d’un Voltaire, à l’optimisme grotesque d’un Rousseau, la voix des morts a imposé silence : on aperçoit l’homme tel qu’il est, tel qu’il fut et sera toujours, misérable et grand, courbé sous la servitude de la mort dont seul parmi les vivants il a conscience, mais vaguement conscient aussi de l’éternité de cet univers dont il est une par- celle ; l’on entre en communion avec le lent effort des générations innombrables qui a élargi son cœur et son cerveau, l’on se sent le semblable et le frère du contemporain des âges fabuleux où du creux des bois ajustés jaillissait le génie protecteur du foyer, et l’on se prend à aimer les dieux qu’adorèrent nos pères, la religion qui les couva de son aile, la magie qui la première les releva des souffran- ces de la vie par la dignité de la pensée. Au nombre des récentes découvertes qui de proche en proche amenèrent l’homme à se mieux connaître, il faut compter, bien qu’effectuée dans des conditions pVIII très différentes, celle de l’Inde antique 1. Ici il n’a point fallu déterrer ce qui gisait à fleur de sol, mais simplement s’en aviser, ce qui n’exige parfois guère moins de pénétration. Abritée derrière ses hautes montagnes, et entourée d’une mer peu sûre, dont les caboteurs phéniciens n’affrontaient pas volontiers les longs dé- tours 2, l’Inde a fermenté sous son ciel torride, comme une cuve étanche, sans rien emprunter à l’Europe et sans rien lui donner. Sans doute, il est difficile de croire qu’un Pythagore pour sa doctrine de la métempsycose, un Platon pour son mo- nisme idéaliste, ne lui soient redevables d’aucun apport ; mais, en tout état de cause, ils n’en ont pas eu le moindre soupçon, et c’est par infiltration latente que sa philosophie est parvenue jusqu’à eux. Plus tard, avec Alexandre, l’hellénisme envahit la Péninsule : il y créa même des royaumes éphémères, où se fondirent les deux civilisations, et les écrits hindous de ce temps nous montrent les conqué- pIX rants occidentaux empressés à se mettre à l’école de la sagesse hindoue ; mais, soit que ceux-ci n’en voulussent point convenir, soit que leurs devoirs d’élèves aient été perdus, les renseignements qu’ils fournirent sur l’Inde à leurs compatrio- tes d’Europe se réduisent quelques anecdotes éparses, pittoresques et suspectes. Et bientôt cette maigre source tarit ; car les Parthes s’interposent entre ces deux tron- 1 C’est vers la fin du XVIIIe siècle, on le sait, que quelques savants missionnaires jésuites révélèrent à l’Europe la langue sacrée de l’Inde et ses curieuses affinités avec le grec. La remarque en avait déjà été faite 150 ans plus tôt par un voyageur hollandais ; mais nul n’avait pris souci de la vérifier. 2 Ce n’est qu’au moyen âge que l’observation du phénomène des moussons par les navigateurs arabes permit d’abréger de plus de moitié le trajet de Bâb-el-Mandeb au Malabar, en même temps que d’éviter le voisinage du lit- toral, beaucoup plus perfide que la haute mer. çons inégaux du monde hellénique, les Grecs de l’Indus se noient dans le flot in- digène, et recommence pour l’Inde une phase d’isolement de vingt siècles, qui a fini de nos jours. Cette période, à son tour, se subdivise en deux moitiés : durant la première, l’Inde n’a envoyé à l’Europe que des épices, par les marchés de Byzance et d’Alexandrie, et l’idée n’a pu venir à personne de lui demander autre chose ; à partir de l’invasion musulmane, elle a, par l’intermédiaire des Arabes, faiblement rayonné au dehors ; mais, là encore, ceux qui ont reçu ses bienfaits ne s’en sont point doutés, à preuve l’innocente ingratitude qui nous voile, sous le nom de chif- fres arabes, l’inestimable merveille graphique de la numération. Lorsque, à la fin du XVe siècle, les Portugais eurent trouvé la route de mer, quand les Hollandais leur disputèrent l’empire de l’Orient, où Français et Anglais ne tardèrent pas à pX entrer en lice, à tous ces conquérants successifs l’Inde ne fut qu’une proie. Ainsi advint-il que les brahmanes, jaloux de leur science sainte, la purent garder pour eux, jusqu’au jour où l’on soupçonna que ces quasi-antipodes étaient des frères de race et que leurs vieux livres contenaient la clef des langues qui avaient fait l’éducation littéraire de l’Occident. Cette constatation, pour tardive qu’elle fût, est venue, disons-le, à son heure, et l’on doit à peine regretter qu’elle n’ait pas émergé plus tôt. Ni l’antiquité, ni même l’érudite Renaissance, si elle avait eu l’occasion de la formuler, n’était en mesure d’en tirer parti ; il leur manquait précisément ce sens et cette méthode his- torique sans lesquels les faits ne sont que des faits. A supposer le plus grand génie philosophique de la Grèce aux prises avec le sanscrit, le Cratyle nous apprend as- sez à quoi il y eût trouvé matière : jeux de mots ingénieux ou bizarres, spécula- tions à perte d’haleine sur une étymologie imaginaire, spirituelles ironies portant à faux, tout enfin, excepté une vue juste de l’affinité de deux langues et du secours qu’elle offre à l’analyse du langage humain 3. Il est surprenant à quel degré les pXI Grecs, dont la langue comportait plusieurs dialectes littéraires, sans parler des au- tres, et les Latins, qui savaient plus ou moins le sabin, l’osque et l’ombrien, sont restés fermés à toute méthode saine et féconde de comparaison linguistique, bor- nant leurs rapprochements à quelques curiosités piquantes ou futiles, mais tou- jours arbitrairement triées, sans cohésion ni plan. Si le sanscrit ne nous fût parve- nu qu’à travers l’antiquité classique, les coupes sombres qu’elle y eût pratiquées n’en auraient laissé qu’une image irrémédiablement faussée, d’où tout au moins ne se seraient dégagées qu’à grand’peine sa généalogie et celle de ses congénères. Le terrain était vierge, il n’a point fallu démolir pour construire : aussi la construc- tion fut-elle rapide ; et, comme la relation généalogique était indispensable à une 3 Mais plutôt il est infiniment probable que Platon eût dédaigné le juron de ces barbares lointains, ou n’eût fait que l’opposer au verbe des Hellènes, comme un spécimen du langage de ceux qui ne sauraient parler (φάναι) et ne sont capables que d’émettre des sons (φθέγγεςθαι).
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