G R A N D O R I E N T D E F R A N C E Conférence publique du 27 août 2014 à Reims L’Europe, un espoir pour les générations futures COMPTE RENDU DES INTERVENTIONS GRAND ORIENT DE FRANCE COMPTE RENDU DES INTERVENTIONS de la Conférence publique L’EUROPE, UN ESPOIR POUR LES GENERATIONS FUTURES du 27 août 2014 à Reims SOMMAIRE Allocution d’ouverture de Monsieur Arnaud ROBINET 01 Député - Maire de Reims Intervention de Madame Véronique DE KEYSER 04 Ancien Député européen Intervention de Monsieur Michel WIEVIORKA 13 Sociologue Conclusion de Monsieur Kader ARIF 19 Secrétaire d’État aux Anciens Combattants et à la Mémoire Allocution de clôture de Monsieur Daniel KELLER 23 Grand Maître, Président du Conseil de l’Ordre du Grand Orient de France Prise de parole de Monsieur Arnaud ROBINET Député-Maire de Reims Allocution d’ouverture du colloque : L’EUROPE, UN ESPOIR POUR LES GENERATIONS FUTURES Monsieur le Ministre, Monsieur le Grand Maître du Grand Orient de France, Mesdames, Messieurs, Je suis heureux de vous accueillir aujourd’hui à Reims et vous remer- cie tout particulièrement de m’avoir proposé d’introduire cette séquence de votre colloque dédié à « L’Europe : un espoir pour les générations futures ». Avant toute chose, vous me permettrez de saluer la décision du Grand Orient de France et tout par- ticulièrement son Grand Maître, Daniel KELLER d’avoir choisi Reims, cité martyre, comme ville hôte de ce colloque public, que vous avez souhaité intitulé : 1914-2014 : Regards sur la Guerre et la Paix. Je sais que les échanges des tables rondes de ce matin ont été riches et je ne doute pas que Véronique de KEYSER et Michel WIEVIORKA apporteront leur pierre à votre réflexion. « Nous avons gagné la guerre ; maintenant, nous devrons gagner la paix, et ce sera peut-être encore plus difficile ». Tels étaient les propos de Georges CLEMENCEAU, le 11 novembre 1918, qui résonnent en nous, encore aujourd’hui, comme un impérieux devoir de mémoire. 1.7 millions de morts, davantage de blessés, de gueules cassées, des vies brisées dans chacune des familles, une France exsangue et à terre économiquement ; voilà le terrible constat de l’après- guerre. Il aurait été surprenant que ceux qui avaient participé à cette tragédie rêvent d’autre chose que de la paix. Lorsqu’on a vécu l’enfer, on aspire à l’insouciance. Or, cette paix que l’on imaginait acquise au lendemain de la Grande Guerre, comme encrée à tout jamais, n’aura été que l’amorce de la guerre la plus meurtrière de notre histoire. La der des der ne fut qu’un mirage. N’oublions jamais d’où, nous autres Européens, venons. Les guerres font partie intégrante de l’histoire européenne et de son patrimoine, mais notre territoire n’a cessé d’avancer, d’évoluer. Reims apparaît ainsi comme le parfait exemple de cette Europe qui avance, qui surmonte les difficultés. Compte rendu de la Conférence publique - L’Europe, un espoir pour les générations futures 1 Reims, haut lieu de sanglants combats, ville martyre de la Première Guerre mondiale, symbole de l’horreur des combats renaît de ses cendres, pour être aujourd’hui, la 12ème ville de France. Comment ne pas associer Reims à l’Europe, lorsqu’en 1962, ici même, au sein de la cathédrale Notre-Dame, le général de GAULLE et Konrad ADENAUER décident de sceller la réconciliation entre la France et l’Allemagne. Reims est une ville historique de l’Europe. L’Europe géographique est désormais une réalité. L’Europe économique et politique se veut effective ; cependant l’Europe de 2014 connaît une crise identitaire. Plus de 50 ans après le Traité de Rome, nous constatons que l’Europe n’est plus en odeur de sainteté. Un réel désamour de l’Union Européenne intervient, et le constat des dernières élections n’en n’est que le parfait exemple. En France, près de 6 Français sur 10 ne se sont pas déplacés le 25 mai dernier, avec les résultats que nous connaissons tous. A l’heure où l’euroscepticisme européen s’amplifie, la tenue d’un colloque sur cette thématique est plus que nécessaire, afin de démystifier une Europe anxiogène. Toute action visant à lui redonner un nouvel élan, à créer une adhésion doit être encouragée. A cet effet, je tiens tout particulièrement à remercier Véronique de KEYSER et Michel WIEVIORKA ainsi que, bien évidemment, Monsieur le Ministre Kader ARIF de nous faire l’honneur de leur présence ici à Reims afin de partager avec nous leurs connaissances et leur enthousiasme. Car la question qui nous anime ici et nous préoccupe tous, est bien de savoir où en est l’Europe aujourd’hui ? Sommes-nous les contemporains de son déclin, ou bien sommes-nous les acteurs du passage de témoin d’une Europe nouvelle à la génération future? Lorsque Robert SCHUMAN et Jean MONNET entrevoient la naissance de l’Europe, c’est avant tout pour répondre à une nécessité économique, la paix n’étant selon eux, qu’une résultante des échanges mercantiles. Or, aujourd’hui, l’Union européenne se trouve à nouveau dans une conjoncture économique délicate. L’Europe à 28 doit définir une ligne directrice. La montée de l’euroscepticisme est façonnée par les doutes que les citoyens européens ont sur le réel pouvoir d’action d’une Europe, que l’on perçoit parfois comme impuissante, abstraite ou inutile. Il est nécessaire que l’Union européenne cesse d’avancer tête baissée, les yeux bandés, elle doit se projeter. Aussi, je ferai parfaitement mien vos récents propos, monsieur le Grand Maître, lorsque vous indiquez dans une tribune « L’Europe doit se réinventer. Nous devons regarder l’Europe avec des yeux différents. » Il en est de notre responsabilité, en tant qu’élus, d’avoir un rôle de pédagogie, de véhiculer et protéger les valeurs et l’intérêt d’une Europe politique, économique mais aussi sociale. La nouvelle génération, celle qui définira l’Europe de demain, ne porte plus les stigmates d’une Europe où la guerre sévissait. Pour autant, les valeurs portées par les pères fondateurs de l’Union, 2 Compte rendu de la Conférence publique - L’Europe, un espoir pour les générations futures devront être sauvegardées, cette génération montante devra « moderniser » cette Europe, lui trouver un nouvel élan, une nouvelle essence qui lie pas moins de 500 millions de personnes. Soyons en sûr, l’Europe n’est pas une option, l’Europe est une nécessité. Je vous remercie. Compte rendu de la Conférence publique - L’Europe, un espoir pour les générations futures 3 Intervention de Madame Véronique DE KEYSER Ancien Député européen L’EUROPE, UN ESPOIR POUR LES GENERATIONS FUTURES1 1. LA RÉCONCILIATION ET LE GRAND MARCHÉ De 1945 à aujourd’hui, l’Europe a bénéficié d’une stabilité sans précédent. Car elle a reposé, dès l’origine, sur un projet de paix. Il était bâti sur des prémices économiques d’abord, politiques ensuite. Nous vivons aujourd’hui dans un espace partagé de prospérité, de sécurité et de libre circulation des personnes et des biens. Mais on oublie trop souvent qu’à l’origine de cette prospérité, il y a eu un pari fou : l’intégration de l’Allemagne dans cet espace et ce qu’on a appelé, la réconciliation des peuples. En fait, cette réconciliation a pris bien plus longtemps qu’on ne le pense. De la même manière que pour l’abolition de la peine de mort, adoptée par des esprits éclairés sans qu’elle ne reflète nécessairement les passions du peuple, la réconciliation a été une décision de cœur et de raison, prise par les Pères fondateurs de l’Europe pour garantir l’avenir. C’est-à-dire, bâtir la paix. Il faudra beaucoup de temps pour que nombre de citoyens, qui n’avaient jamais appelé les Allemands autrement que les Boches, fassent enfin la distinction entre Allemands et Nazis et tournent la page de la haine. La paix se construit et elle a un prix. Et j’en parle avec émotion dans cette ville martyre de Reims, symbole de la résistance civile en 1914, qui essuya pendant 1 051 jours, le bombardement de 1 600 à 2 000 obus quotidiens et devra pourtant revivre vingt cinq ans plus tard, le même cauchemar. En ces temps de commémoration des deux guerres mondiales qui ont montré, tour à tour, la grandeur de l’héroïsme, les dangers du nationalisme et la fragilité de la paix, la question du prix de la paix est d’importance. L’élargissement. Un des principaux leviers utilisé par l’Europe pour garantir la paix a été l’élargisse- ment. Ce dernier a eu pour objectif économique d’accroître la zone de libre échange en permettant aux entreprises européennes d’étendre leur marché, mais pour objectif géopolitique plus discret de faire reculer les frontières de l’Union et d’englober des pays qui étaient potentiellement des zones conflictuelles. Ce fut le cas, après la sanglante guerre de Yougoslavie, pour le grand projet d’intégra- tion des Balkans décidé à Thessalonique en 20032. Projet toujours inachevé plus de 10 ans après, puisque le Kosovo, la Bosnie, la Serbie, le Monténégro, l’ancienne république de Macédoine, pour des raisons différentes, n’ont toujours pas rejoint l’Union. Mais il est certain que c’est la perspective d’adhésion de la Serbie qui a empêché une nouvelle guerre avec le Kosovo au moment de la décla- ration d’indépendance de celui-ci, dont la souveraineté n’est toujours pas reconnue par certains pays européens. Cette stratégie d’intégration successive, un peu à l’instar de la réconciliation initiale, n’a pas initiale- ment été portée par les peuples. Mais elle a été acceptée et après des craintes souvent illusoires, elle a été assimilée. Aujourd’hui cependant les citoyens questionnent leurs politiques. Jusqu’où l’élar- gissement est-il possible sans affaiblir politiquement l’Europe ou sans créer, comme avec l’Ukraine 1 Colloque 1914-2014 organisé à Reims par le Grand Orient de France, le 27 août 2014. 2 Conseil européen de Thessalonique les 19 et 20 juin 2003, Doc/03/3 23/06/2003. 4 Compte rendu de la Conférence publique - L’Europe, un espoir pour les générations futures un nouveau risque de conflit ou de guerre froide avec la Russie ? Y répondre est un des chantiers de demain. Qui a vocation de faire partie de l’Europe ? Jusqu’où pouvons-nous reculer nos frontières pour assurer un maximum de sécurité aux citoyens européens, sans affaiblir la cohérence politique et la rapidité de décision qui, toutes deux peuvent faire pièce à la guerre ? Jusqu’où pouvons-nous élargir l’Europe sans risquer une fracture avec son opinion publique ? Car si de nombreuses craintes relatives à l’élargissement se sont révélées sans fondement, la question du dumping social est bien réelle et douloureusement vécue en ces temps de crise. J’y reviendrai plus tard. Mais ces facteurs expliquent pourquoi, pour beaucoup de citoyens désormais, la géopolitique de la paix par l’élargis- sement ne va plus de soi. Les échanges commerciaux.L’Europe peut-elle défendre la paix, sans défense commune, ou si peu3, et sans service d’intelligence propre ? Par la seule grâce d’échanges volontaires et d’une bonne coordination entre les Etats-membre, appuyés, si nécessaire, par le bras armé de l’Otan ? Sous l’égide de l’ONU qui en garantit la légitimité internationale, ce schéma reste d’actualité. Mais le Conseil de Sécurité, comme l’OTAN, ne sont pas exempts de relents de guerre froide. Le Conseil de sécurité de l’ONU reste paralysé par des vétos hérités des antagonismes Est-Ouest. On le voit dans le conflit israélo-palestinien, avec le véto américain. On l’observe aussi dans la guerre de Syrie, avec les résistances de la Russie et de la Chine. Idem pour l’OTAN. Ce n’est pas pour rien que la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN a toujours été considérée avec appréhension par les alliés occidentaux : c’est agiter un chiffon rouge devant Vladimir Poutine, qu’on peut aimer ou ne pas aimer, mais qui reste un partenaire stratégique important, en particulier du point de vue énergé- tique. C’est pourquoi, même si l’Europe ne renonce pas à renforcer des mécanismes d’action rapide mi-civils, mi-militaires, comme les soldats de la paix4, elle cherche plutôt à s’imposer comme soft power et elle le fait d’abord à travers le commerce international. Celui-ci est-il facteur de paix ou de guerre ? Facteur de paix, lorsqu’il refrène les ardeurs va-t’en guerre de certains et que par sa complexité et ses intrications multiples, il empêche les simplifications abusives. Facteur de guerre lorsque des intérêts économiques puissants convergent soudain pour utiliser le recours à la force en se légitimant par l’humanitaire. En Afrique et au Moyen Orient par exemple, le pétrole, les ressources extractives ont été le réservoir inépuisable de conflits où les droits de l’homme n’ont souvent servi que d’alibi. Et le commerce des armes, qui circulent sans frein dans des régions contrôlées par des groupes terroristes, contribue à une instabilité dangereuse pour l’Europe et pour le monde. Mais commençons par les intérêts croisés, concrétisés à travers des accords commerciaux et des partenariats stratégiques. Ils créent des liens solides avec les pays partenaires. Bien souvent, ces intérêts convergents permettent d’éviter un affrontement direct, ce qui n’empêche pas d’utiliser le commerce comme arme dissuasive, à travers des sanctions économiques. Prenons l’exemple du conflit ukrainien, hypersensible pour l’instant et dangereux pour la paix. Il est clair que les intérêts commerciaux européens notamment sur le plan énergétique, ont tempéré bien des velléités d’affron- tement avec la Russie. La puissance de Gazprom, à laquelle l’Allemagne est sensible - mais elle n’est pas la seule - a poussé l’Europe à la retenue et à la recherche de solutions diplomatiques. Les échanges commerciaux entre Russie et France vont dans le même sens : ainsi les frégates, fleurons de la technologie française, que la France s’apprêtait à livrer à la Russie, font aujourd’hui partie de l’arsenal dissuasif. Ces tractations commerciales, parfois difficiles à comprendre dans un cadre conflictuel patent, permettent d’éviter ou de retarder la polarisation des puissances et les antago- nismes sanglants. Mais les embargos et les sanctions économiques sont à manier avec prudence 3Il y des missions européennes qui font partie de la PSDC (Politique européenne de Sécurité et Défense Commune), comme par exemple au Kosovo, en Somalie, au Sahel, mais l’envoi de soldats pour constituer l’effectif reste une décision nationale ‘régalienne’ qui échappe à l’Europe en tant que telle. 4Qui peuvent aussi intervenir dans des catastrophes naturelles ou technologiques. Compte rendu de la Conférence publique - L’Europe, un espoir pour les générations futures 5 car ils ont généralement un effet dévastateur sur les populations. Les paysans français, hélas, en paient les frais aujourd’hui : ils souffrent de l’embargo russe sur les produits agricoles, qu’il s’agisse du porc, du blé, des fruits et des légumes. Les sanctions contre l’Irak dans le passé, contre l’Iran, contre la Syrie, ont ruiné les plus pauvres des citoyens de ces pays, sans affaiblir les gouvernements qu’elles ciblaient. Il n’empêche que la multiplication des liens commerciaux de l’Union a renforcé ses possibilités d’action tout en faisant d’elle une grande puissance économique mondiale. Si pendant longtemps cette puissance économique s’est édifiée sans être questionnée par le citoyen, à l’instar de l’élargissement, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Depuis le Traité de Lisbonne, le com- merce international n’est plus seulement aux mains du Conseil et de la Commission. Le Parlement européen en a obtenu la co-décision, ce qui veut dire que la signature de chaque accord commercial exige l’aval des députés qui représentent les citoyens européens. Tout accord fait donc l’objet d’un débat politique où la notion de réciprocité et de juste échange, l’amélioration des droits de l’homme, rentrent en ligne de compte. C’est grâce à ce débat que l’Accord Commercial Anti-contrefaçon (ACTA) a été refusé par le Parlement en juillet 2012, sous la pression de la société civile5. C’est le même pouvoir du Parlement qui fait aujourd’hui du Partenariat Transatlantique du Commerce et de l’Inves- tissement (TTPI) un grand moment de démocratie européenne, où syndicats et citoyens font et feront entendre leur voix. Mais il est temps d’aborder le volet politique de la paix. Il se cristallise autour de la stratégie européenne de sécurité de 2003. La stratégie européenne de sécurité de Javier Solana. Entre adhésion à l’Union européenne et échanges commerciaux, la paix s’est construite, pierre à pierre, avec des crises, certes, comme au moment de la guerre de Yougoslavie, mais crises qui ont été surmontées. L’une d’entre elles pourtant a failli faire vaciller la construction européenne. C’est la guerre d’Irak en 2003. Cette guerre a non seulement divisé l’Europe, mais elle a aussi gelé sa relation avec les USA, l’allié de toujours. C’est pour tenter de cicatriser les plaies qu’en mai 2003, les ministres des Affaires Etrangères européens chargent le Haut Représentant pour la Politique étrangère et de Sécurité commune, l’Espagnol Javier Solana, d’élaborer un document de réconciliation. C’est à dire, de mettre sur pied une doctrine européenne de sécurité. Javier Solana, un homme habile qui avait auparavant occupé le poste de Secrétaire général de l’Otan, réussit l’exploit. Six mois plus tard, il présente une pièce maîtresse au Conseil qui l’adopte en décembre 2003. Sa stratégie repose sur la prévention et la gestion des conflits, et laisse une place prépondérante à la politique et à la diplomatie préventive. Révisée en 2008, cette stratégie n’a jamais été vraiment retouchée. Le texte, court, identifie d’abord les nouvelles menaces qui pèsent sur l’Europe. Il en distingue cinq : le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, les conflits régionaux, la déliques- cence des états et la criminalité organisée. Ensuite, il définit des objectifs correspondant à ces risques : construire une politique de voisinage forte, faite de coopération commerciale et de soutien à la démocratie, faire face aux menaces y compris parfois en dehors du voisinage direct de l’Europe (la ligne de défense recule), fonder l’ordre international sur un multilatéralisme efficace. Enfin, il propose des moyens : politiques (culture de sécurité, prévention des conflits et cohérence des politiques internes et externes de l’Union), humanitaires (renforcement de l’axe humanitaire de l’Union dans le monde) et stratégiques (coopération avec des partenaires comme les USA, la Russie, le Japon, la Chine, le Canada et l’Inde). Depuis Solana, cette stratégie n’a jamais été revue mais n’a jamais été pleinement atteinte. Parfois pour des raisons tantôt externes à l’Union, tantôt internes. 5Une société civile qui jugeait qu’il favorisait les grandes entreprises au détriment des citoyens. 6 Compte rendu de la Conférence publique - L’Europe, un espoir pour les générations futures La politique et la diplomatie européennes étaient le talon d’Achille de l’Union, déjà privée d’une véritable défense européenne. Ces deux dimensions, politique et diplomatique, vont être considéra- blement renforcées par le Traité de Lisbonne en 2007. Ce dernier a prévu la création du Service Européen d’Action Extérieure6(SEAE) et celle d’un Haut Représentant aux Affaires Etrangères et à la Politique de Sécurité dépendant à la fois du Conseil et de la Commission. Le Haut Représentant est la voix du Conseil mais il est aussi automatiquement Vice-Président de la Commission. La décentralisation du SEAE sur le terrain se fait par le biais de délégations de l’Union européenne dirigées par des ambassadeurs sous la dépendance directe du Haut Représentant. Le double chapeau du Haut Représentant, à la fois au Conseil et à la Commission, permet au Parlement d’en avoir un contrôle partiel, pour ce qui est de la PSDC, mais aussi indirectement de la politique étrangère par la voie budgétaire6et celle des interpellations en plénière. Cathy Ashton est la première à avoir occupé la fonction de Haut Représentant et c’est aussi une femme. Elle a eu la lourde tâche de créer la fonction et de monter, à partir de rien, l’énorme Service Européen d’Action Extérieure. Cathy Ashton, très proche de Tony Blair n’a rien d’une théoricienne, mais elle est pragmatique. Elle n’a pas touché à la stratégie de sécurité de Solana mais elle a discrètement ajouté quelques pierres à la paix et à la multipolarité du monde, notamment dans son action au Kosovo et dans la persévérance de ses négociations vis-à-vis de l’Iran et de la Chine. Mais elle n’a pu, face à la rivalité entre les ténors gouvernementaux du Conseil à laquelle il faut ajouter les égos des Présidents des trois grandes institutions, faire entendre réellement sa voix. N’est-il pas ahurissant que ce soit la Chancelière allemande, Angela Merkel, qui ait fait à la fin de ce mois d’août 2014, le trajet jusqu’à Kiev pour assurer les Ukrainiens… du soutien de l’Union européenne ? Si la diplomatie européenne est en construction, la politique de voisinage, première ligne de défense européenne, est en ébullition. Elle se limitait au sud de la méditerranée en 2003, elle s’étend depuis 2004 vers l’Est, à travers le partenariat oriental, jusqu’à être l’interface avec la Russie. La politique de voisinage : une ceinture d’explosifs à l’Est comme au Sud.La stratégie de Solana n’a jamais été revue, mais le monde a changé et certains conflits ont flambé comme des torches. Pour ce qui est de la politique de voisinage au Sud, la vague des printemps arabes n’a servi ni la démo- cratie ni la paix, sauf en Tunisie et dans une moindre mesure au Maroc qui tire son épingle du jeu. La guerre de Lybie s’est répercutée au Mali et a contribué à l’essaimage de groupes terroristes et d’armes dans toute la région du Sahel. Une stratégie européenne du Sahel a été mise en place, combinant développement de cette région pauvre et lutte contre le terrorisme, mais en dépit des fonds alloués à cette stratégie qui sont impor- tants, la coordination des instruments financiers européens et la coopération avec les acteurs locaux restent difficiles. La guerre de Syrie dure toujours et les djihadistes, présents en Syrie et dont l’exis- tence a trop longtemps été déniée par l’Europe, étendent leur emprise. Ils massacrent aujourd’hui les minorités chrétiennes au Kurdistan irakien. Le Liban, la Jordanie sont au bord de l’implosion, et l’Europe peine à peser dans le conflit israélo-palestinien dont les traces sanglantes, en cette fin d’été collent encore dans toutes les mémoires. En même temps que le Moyen Orient s’embrase, le voisinage vers l’Est a pris avec l’Ukraine, un virage tragique. Faute de parvenir à faire de l’Ukraine un trait d’union entre Russie et Europe, cette dernière n’a pas su à temps compenser pour les Ukrainiens la perte du marché russe, une perte qui se serait chiffrée en milliards d’euros. Mais peut-on demander à l’Europe, qui réduit pour la première fois ses perspectives budgétaires pour les 7 prochaines années, d’excéder dans ses propositions à l’Ukraine, le chiffre de 6 milliards qu’elle propose comme garantie jeunesse, pour créer de l’emploi aux jeunes Européens en difficulté ? 6Qui comprend 5 000 fonctionnaires provenant de la Commission européenne (1/3), de la diplomatie des Etats-membres (1/3), et d’un re- crutement externe (1/3) Compte rendu de la Conférence publique - L’Europe, un espoir pour les générations futures 7 L’Europe a joué un rôle essentiel au Kosovo et en Serbie. Elle a contribué à restaurer de la stabilité en Somalie et à éviter un affrontement direct entre Soudan et Sud-Soudan, même si ce dernier reste aujourd’hui le théâtre d’affrontements sanglants. Elle a amélioré ses relations avec la Chine. Elle a négocié intelligemment avec l’Iran. Mais elle n’a pu empêcher que sa ceinture de voisinage soit devenue une ceinture d’explosifs. Si elle n’est pas désamorcée, cette ceinture minée entrainera son cortège de martyrs et de réfugiés et plus de pauvreté encore. Mais il est clair que l’Europe seule ne peut pas la désamorcer et que c’est une fois de plus, une vision multilatérale du monde qu’il faut privilégier. Les influences croisées de pays comme les Etats-Unis, l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie mais aussi celles de l’Iran, la Chine, la Russie, obligent malgré des différences idéologiques profondes, à des coopérations et un dialogue à géométrie variable. Pascal Boniface et Hubert Védrine rappellent dans leur Atlas des crises et des conflits de 20147, l’insuffisance de multilatéralisme aujourd’hui et à quel point, le jeu des alliances rigides a précipité la guerre de 1914. Un exemple concret de la flexibilité souhaitable ? Un des pivots de la tragédie qui se déroule aujourd’hui dans le Kurdistan irakien est la possibilité de constituer en Irak un gouvernement inclusif, réunissant sunnites et chiites une politique d’ouverture que l’ancien Premier ministre Noudir Al Malaki n’a jamais voulu appliquer. Son remplacement par un chiite du même parti (Dawa), mais plus ouvert, Haidar Al Abadi, a été approuvé dernièrement par Paris, Rome, Washington …et par Téhéran ! Mais ce dialogue à géométrie variable ne peut s’ériger en doctrine – en acceptation d’un monde multipolaire en somme- qu’avec un socle de valeurs solides et partagées en Europe. D’accord pour l’Europe de se positionner tantôt avec les Etats-Unis, tantôt avec l’Iran et de préférence avec les deux, si l’Europe est forte et sûre d’elle. Sûre de ses valeurs, sûre des méthodes qu’elle veut employer, sûre des défenses qu’elle va déployer. Sûre de sa rapidité de décision, car une des faiblesses majeures de l’Europe est le temps qu’il lui faut pour parler d’une seule voix. 8 On en revient à l’élargissement : quelle est notre cohérence politique ? Il reste un long travail d’inté- gration à faire, mais ce constat ne doit pas biaiser notre jugement. L’Europe a fait des pas immenses dans la construction d’une paix durable. Elle a reçu en 2012, le prix Nobel de la paix pour ses efforts. Ce prix a soulevé quelques sarcasmes : ils sont immérités. Quelles que soient les faiblesses qui subsistent dans la mise en œuvre de sa stratégie de sécurité, le chemin tracé par l’Europe depuis un demi-siècle dans un monde où la violence économique se combine à la violence des armes, ce chemin est impressionnant. Et le citoyen européen, qui avait accepté l’Europe comme allant de soi, qui avait considéré la paix comme un dû, rentre dans la boucle de décision et ne reste plus passif. Il questionne l’élargissement. Il intervient, via le Parlement, dans la signature des accords commerciaux, grignote à travers le budget européen et la politique de sécurité et de défense commune, quelques influences encore trop minimes dans la diplomatie préventive de l’Europe, bref, un peu comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, le citoyen européen participe à la construction de la paix. Du coup, sa responsabilité est engagée : le pouvoir décisionnel qu’il a conquis, à travers le Parlement européen et les organisations de la société civile, lui permettrait aussi, éventuellement, d’affaiblir le projet européen en ouvrant de nouveaux espaces à la guerre. 7Boniface,P&H.Védrine (2014) . Atlas des crises et des conflits. Armand Colin Fayard. 8Saluons la rapidité de l’adoption d’une position commune pour la livraison d’armes aux Kurdes cet été, et le rôle moteur qu’a joué la France dans cette décision. Mais rappelons aussi que la mise en place au Mali d’une mission de défense européenne s’est discutée stérilement pendant des mois. La France, devant l’avance des rebelles et de leurs exactions sur les populations civiles s’est finalement décider à intervenir. L’Europe a applaudi mais la France est restée bien seule. 8 Compte rendu de la Conférence publique - L’Europe, un espoir pour les générations futures
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