LES PIRES AMIS DU MONDE LES RELATIONS FRANCO-AMÉRICAINES À LA FIN DU XX SIÈCLE Du même auteur SERVICES SECRETS. LE POUVOIR ET LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT sous FRANÇOIS MITTERRAND (avec Bernard Violet), La Découverte, 1988. LES GÉNÉRAUX. ENQUÊTE SUR LE POUVOIR MILITAIRE EN FRANCE, La Découverte, 1990. CHARLES HERNU, OU LA RÉPUBLIQUE AU CŒUR, Fayard, 1993. A u CŒUR DU SECRET. 1500 JOURS AUX COMMANDES DE LA DGSE, 1989/1993, (avec Claude Silberzahn), Fayard, 1995. GUERRES DANS LE CYBERESPACE. SERVICES SECRETS ET INTERNET, La Découverte, 1995. (Nouvelle édition, 1997.) © 1922, Éditions Stock. Introduction Cette fin de siècle est déroutante. Depuis la fin de ses guerres coloniales, il y a trente-six ans, la société française vit dans la paix, et n'envoie plus ses armées au combat que pour la garantir chez les autres, s'ils le veulent bien. L'Europe a fermé la parenthèse des soixante-dix ans de communisme d'Etat, et les sociaux-démocrates sont instal- lés au pouvoir dans presque toutes ses grandes capitales, en tentant tant bien que mal de faire coexister l'économie de marché et l'émergence de sociétés plus solidaires, thème de leurs campagnes électorales. L'Europe unie sort lentement des limbes, et trouve son terrain d'entente dans la mise en place d'une monnaie unique, l'euro. Pourtant, les inquié- tudes sont palpables. La société de l'information bâtie à coups de réduction des distances, de réseaux informatiques et de satellites, de délocalisation des industries de main- d'œuvre vers les pays et les continents aux salaires les plus bas, a provoqué la mise en place d'une « mondialisation » de l'économie et de la culture. Les capitaux naviguent à vue, des pans entiers de l'économie mondiale changent de main en un quart d'heure, des guerres exterminatrices incontrô- lables éclatent régulièrement sur des terres déjà meurtries par l'Histoire. Dans la vieille Europe, on mesure chaque jour les effets de la remise en cause des équilibres anciens, et les citoyens, tout comme les dirigeants, s'inquiètent. Parfois, ils s'affolent. De manière réductrice, les opinions publiques aiguillon- nées par les démagogues, notamment en France, estiment souvent que les responsables exclusifs de ce nouvel état du monde sont à chercher aux Etats-Unis. Qui mèneraient une politique machiavélique de prise de contrôle totale de la pla- nète, tirant ainsi profit de leur statut d'« hyperpuissance » unique, bâtie depuis dix ans sur les décombres de la guerre froide. Dans ce monde en devenir, la France tient une place à part. Riche d'une histoire de tempêtes et de conflits san- glants, son unité a été forgée par une langue et une culture propres et par des projets révolutionnaires — tels les droits de l'homme — devenus au fil des siècles des modèles pour le reste de l'humanité. Il n'est pas surprenant que ses élites s'engagent aujourd'hui dans une bataille contre l'uniformati- sation mondiale, contre la nouvelle hégémonie américaine, contre le modèle dominant d'une société planétaire unique, que nous voyons naître sous la conduite volontariste des Etats-Unis, qui entendent effectivement devenir les seuls maîtres de la nouvelle société de l'information, pour leur plus grand profit. L'objet de cet ouvrage est double. Nous avons d'abord cherché à décrire et à analyser les effets et les conditions de la nouvelle concurrence transatlantique, telle qu'elle s'est exacerbée depuis le début des années 90. Dans cette opposi- tion qui s'intensifie chaque jour, les outils militaires nés au cours du siècle perdent progressivement de leur pertinence. Alors qu'un nouveau millénaire pointe son nez, ce ne sont plus les armes — ni leur puissance de destruction, ni leur quantité — qui définissent les équilibres stratégiques. La France les possède toutes, et des plus performantes. A quoi serviront-elles dans les années qui viennent? Dès aujourd'hui, les outils de la puissance sont autres. Ils appar- tiennent à ce qu'il est convenu d'appeler les NTIC (Nou- velles technologies de l'information et de la communica- tion), et à l'usage que les différentes composantes de la société — politiques, entrepreneurs, citoyens — sont dési- reux et capables d'en faire. L'Internet interactif, les réseaux de transmission à hauts débits, les outils de diffusion et d'analyse de flux informationnels chaque jour croissants, les capacités d'observation et de navigation spatiales, sont dès aujourd'hui devenus les moteurs du monde. Ils se trouvent être, simultanément, l'instrument de mesure de la puissance relative de ceux qui savent les développer, et surtout s'en servir. La France, de ce point de vue, ne manque pas de réels atouts. Car, notre second objectif est d'en convaincre le lecteur, nous pensons que notre pays n'est pas dépourvu, loin s'en faut, de moyens pour résister au bulldozer américain et pour faire valoir son projet propre. Sans doute faudra-t-il que les énergies soient mobilisées, et que les élites françaises se per- suadent, enfin, qu'elles ont toutes les raisons de ne point sombrer dans un sombre défaitisme. Les initiatives sont souvent maladroites? Les enjeux du nouvel espace straté- gique sont régulièrement mal compris ? Les morcellements de la société française et les pratiques de ses dirigeants semblent parfois handicaper notre pays dans l'indispensable adaptation à la société de l'information? Certes. Mais il ne faudrait surtout pas croire que la France n'aurait d'autre choix que de s'étioler ou se dissoudre dans la mondialisa- tion. La société de l'information a déjà démontré que les retards se rattrapent très vite, pourvu que la volonté d'agir ainsi soit présente. Les Etats-Unis et leur complexe de supé- riorité renversant ont pris une avance considérable, mais la France peut, et se doit, de revenir dans la course. C'est ainsi qu'elle conservera certaines des positions éminentes qui étaient naguère les siennes, et que ses habitants entreront en confiance dans le prochain siècle. Jean GUISNEL ([email protected]) Morlaix, le 2 janvier 1999 1 Le nouvel ordre américain UNE LOI MONDIALE, ET L'AUTRE PAS C'était il y a longtemps déjà, à la fin du printemps de 1997. Dans une crise brutale de delirium politique, le pré- sident français Jacques Chirac venait tout juste de dissoudre l'Assemblée nationale, puis de s'en voir imposer une autre par les électeurs, exactement contraire à ses souhaits. Après un joyeux éclat de rire international, la France avait repris dans les gazettes mondiales la place qui est généralement la sienne, dans les rubriques gastronomico-touristiques. Rien de nouveau sous le soleil... Pendant ce temps, aux Etats-Unis, neuf sages occupant les plus éminentes fonctions du pouvoir judiciaire prenaient, comme c'est souvent le cas à cette époque de l'année, une impressionnante série de décisions venant clore de longues procédures judiciaires et touchant des problèmes de société extrêmement profonds. Avec des conséquences lourdes sur la vie quotidienne de plus de deux cents millions de citoyens américains. Prenons deux de ces mesures, pas tout à fait au hasard. La première concernait la non-conformité de la loi Brady avec la Constitution américaine. Qu'est-ce que la loi Brady? Tout simplement un texte qui permettait de refuser la vente sans contrôle d'armes à feu, en imposant un délai de cinq jours entre le paiement et la livraison de l'arme — délai mis
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