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Les mythologies individuelles : récit de soi et photographie au 20e siècle PDF

287 Pages·2012·4.115 MB·French
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ft 370 L e s M La mythologie individuelle surgit au 20e siècle en même temps que le culte du moi. En hybridant récit de soi et y t photographie, l’individu moderne met en scène l’histoire h o de son identité. Le terme apparaît d’abord dans le monde de l o l’art lorsque Harald Szeemann désigne sous ce nom les œuvres g i de Christian Boltanski et Jean Le Gac. Mais les photo-récits e s autobiographiques ont marqué tout l’imaginaire du 20e siècle, i n de Nadja d’André Breton aux aventures de Sophie Calle, en pas- d i sant par le consacré album de famille. Caractérisé par l’écriture v fragmentaire, l’archive et sa dimension intime, ce dispositif nar- i d u ratif en images conduit à reconsidérer le rôle de Mythologies de e Roland Barthes dans ce processus de construction de soi par l l e l’image. Cet essai retrace la généalogie, l’invention et la diffusion s d’une nouvelle façon de se raconter qui interroge directement la représentation de l’identité depuis l’apparition de la photogra- phie. Magali Nachtergael est maître de conférences en littérature fran- MMM aaa çaise, culture et arts contemporains à l’Université Paris XIII- ggg aaa Nord. lll iii NNN aaa ccc hhh ttt Les Mythologies individuelles eee rrr ggg aaa eee lll Récit de soi et photographie au 20e siècle Magali Nachtergael ISBN 978-90-420-3483-9 9 789042 034839 Les Mythologies individuelles FAUX TITRE 370 Etudes de langue et littérature françaises publiées sous la direction de Keith Busby, †M.J. Freeman, Sjef Houppermans et Paul Pelckmans Les Mythologies individuelles Récit de soi et photographie au 20e siècle Magali Nachtergael AMSTERDAM - NEW YORK, NY 2012 Photographie de couverture: ca. 1979, anonyme. The paper on which this book is printed meets the requirements of ‘ISO 9706: 1994, Information and documentation - Paper for documents - Requirements for permanence’. Le papier sur lequel le présent ouvrage est imprimé remplit les prescriptions de ‘ISO 9706: 1994, Information et documentation - Papier pour documents - Prescriptions pour la permanence’. ISBN: 978-90-420-3483-9 E-Book ISBN: 978-94-012-0760-7 © Editions Rodopi B.V., Amsterdam - New York, NY 2012 Printed in The Netherlands Je ne suis pas spécialiste de la Photo : je ne suis spécialiste que de moi-même. Roland Barthes, fiche du 17 janvier 1980. Introduction On entend souvent dans les médias le terme de « mythologie » quand il est question de l’histoire personnelle d’un individu public. Tel président, tel écrivain mais plus généralement toutes les personna- lités dont la vie bénéficie d’une couverture médiatique, se trouvent affublés d’une « mythologie », un récit plus ou moins authentique, très fragmentaire, censé retracer l’histoire de leur identité. La mythologie, dans ce sens contemporain, apparaît comme la légende dorée de certains individus et repose essentiellement sur des représentations chimériques fabriquées par les médias de masse. Que ce soit en va- cances, au travail, en famille ou dans un décor quelconque, les individus élus se trouvent régulièrement mis en exposition dans un décor à la mise en scène soigneusement formatée par les magazines. Fortement codé culturellement et socialement, ce cadre s’est étendu au cours du 20e siècle grâce au développement des moyens de communi- cation et à la diffusion massive de récits illustrés de photographies, notamment les premiers photoreportages et les micro-biographies. Évoluant dans cet univers médiatique, l’individu a été mis en vedette, développant autour de sa personne de nouveaux petits mythes de papier glacé. Dans la vie quotidienne des masses, un simulacre de la grande mythologie est apparu dans les albums de familles où se sont écrites tout au long du siècle nos légendes personnelles. Des journaux aux albums, la ligne tracée est la même, bien que le retentissement diffère : le 20e siècle a permis à l’individu de se fabriquer, à travers un récit en images, sa mythologie individuelle. 8 LES MYTHOLOGIES INDIVIDUELLES La presse qui a lancé ce modèle narratif dans l’espace public dif- fuse des illusions à but lucratif. Sans faillir, son succès résiste au temps et se propage aujourd’hui sur les écrans. Totalement investis dans la construction d’un univers imaginaire collectif, les mass- médias alimentent ces mythes individuels, tout en leur donnant l’apparence de récits documentés. Paradoxalement, la presse avoue sans trop de résistance que ce travail narratif est une construction tout à fait factice qui répond à des techniques de communication bien rodées. Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, il était question d’image de marque, aujourd’hui, on préfère le mot storytelling1. Remplacer « mythologie » par un terme anglais ne change pas le fond du problème, qui concerne un nouveau type de narration se déroulant comme un diaporama infini. Car avec l’invention de la photographie, l’espace visuel hante notre quotidien. Depuis le 19e siècle, les photo- graphies sont entrées dans la vie des individus pour façonner leur histoire et alimenter leurs archives intimes. Aujourd’hui, ce médium domine de façon écrasante l’espace de la représentation, au point que plus personne ne lui prête une réelle attention. Omniprésent, il caracté- rise pourtant notre imaginaire contemporain. Culture de masse et individualisation Bien entendu, le jeu des images, qu’il soit public ou privé, s’organise selon des codes esthétiques. Ces derniers se forment au gré des inventions techniques, des pratiques artistiques et des dominations culturelles. La mythologie en images de l’individu répond à une esthétique propre à son temps, celle d’un 20e siècle qui a vécu le passage de la modernité industrielle et encombrée d’objets à une postmodernité virtuelle et dématérialisée. Si l’on considère ce chan- gement majeur de régime sociétal, on ne peut ignorer dès lors que ses effets ne touchent plus seulement la culture collective mais aussi les identités. Si la modernité reposait sur la culture de masse, la postmo- 1 Cf. Christian Salmon, Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, La Découverte, 2007, et Storytelling saison 1, Les Prairies ordinaires, 2009. INTRODUCTION 9 dernité inaugure quant à elle une culture individuelle de masse, issue de l’individualisme libéral dominant depuis les années cinquante. En se pliant aux normes de consommation, de la mise en scène du quoti- dien et du développement personnel, l’individu conforme son identité à des normes éthiques mais aussi esthétiques. Vivre ne suffit plus pour exister pleinement, il faut désormais savoir faire évoluer le spectre de son moi dans les sphères de la représentation. Ce phénomène de « survie augmentée » a été dénoncé par Guy Debord dans son pamphlet La Société du Spectacle puis thématisé par Jean Baudrillard dans La Société de consommation2 : le spectacle du quotidien se veut un prolongement de l’identité et fournit des indica- tions précieuses sur l’intimité de chacun. Il convient donc de façonner les images qui témoignent de cette intimité, afin de donner une image de soi en adéquation avec ses aspirations sociales. Mais cette passion pour la représentation de soi a contaminé progressivement une frange toujours plus grande de la population, au point que les images de la vie privée sont devenues un enjeu juridique majeur. Dans ce contexte où la photographie nous fait pénétrer toujours plus loin dans l’intimité des individus, comment la « mythologie individuelle » se trame-t- elle ? La notion de mythe individuel a-t-elle encore un rapport avec les récits fondateurs des civilisations ? Peut-on vraiment créer de toutes pièces un mythe qui se rapporterait aux individus dans leur nombre et leur multiplicité ? Et que vaut une telle mythologie en dehors de la sphère personnelle ? Aujourd’hui, si la terminologie semble banale et admise dans le vocabulaire courant, il est temps de se préoccuper des origines esthétiques de ce phénomène culturel majeur et de ses effets sur la représentation de l’individu contemporain. Bien loin de la « mythocritique », nous n’irons pas débusquer le retour des figures mythiques, même si l’essor fulgurant des super- héros durant le siècle remplace assez littéralement les traditionnelles divinités antiques. Au contraire, il s’agit de comprendre en quoi ces 2 Guy-Ernest Debord, La Société du spectacle, Buchet-Chastel, 1967, p. 150 et Jean Baudrillard, La Société de consommation, ses mythes, ses structures, Denoël, Folio Essais, 1970. 10 LES MYTHOLOGIES INDIVIDUELLES petites mythologies génèrent une nouvelle conception de l’individu en société. Ces représentations en images, portées par un individu mo- derne qui se place au centre de son univers, en font à la fois le sujet et la figure de son histoire personnelle. L’individu devient le héros de sa propre vie et en compose le récit. Dans cette perspective, le terme de mythologie est à entendre comme concept unificateur de représenta- tions variées de l’histoire semi-imaginaire et semi-réelle d’une figure centrale. La réactualisation du terme par Roland Barthes en 1957 dans son recueil Mythologies nous donne la clef pour comprendre ce nouveau phénomène. Roland Barthes, décrypteur des mythes modernes et auteur de sa propre mythologie, reste en la matière une référence centrale, malgré les réserves à l’encontre de son propos théorique sur « Le Mythe, aujourd’hui ». Il emporte notre adhésion lorsqu’il opère une critique de la mythologie médiatique petite-bourgeoise de son temps, lorsqu’il décrit le « Tour de France » comme une épopée, le bifteck et les frites comme des attributs de l’identité française ou les soucoupes volantes comme les nouveaux phénomènes inexpliqués du monde contemporain. On reconnaît à ses descriptions des ressorts mythologiques réactualisés. Toutefois, les notions de sacré, de rituel, d’intemporalité et d’imaginaire collectif, évacuées par Barthes, restent essentielles. Il faut les comprendre au présent et reconnaître les nou- velles formes sous lesquelles elles se propagent dans la vie publique. Les mythologies entre modernité et postmodernité Revenir en arrière sur les traces des premières expérimentations de l’image de soi, sur le quotidien et la mythologie modernes, nous amène pour commencer à placer le curseur au début des années vingt. Au temps où Walter Benjamin remarque l’essor de la presse illustrée, les jeunes surréalistes parisiens décident de documenter leur vie et d’illustrer, comme le déclare Aragon dans Le Paysan de Paris, une nouvelle mythologie moderne. André Breton sera le premier à publier un récit personnel illustré de documents, fondant en même temps que le mythe surréaliste de Nadja, celui de sa propre vie. Cette expérience fondatrice ne cesse par la suite de se reproduire sous d’autres formes après la guerre, jusqu’au théoricien des mythologies modernes, Ro-

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