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Les médias écrits et les accommodements raisonnables. L'invention d'un débat PDF

231 Pages·2008·0.82 MB·French
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1 Les médias écrits et les accommodements raisonnables. L’invention d’un débat Analyse du traitement médiatique et des discours d’opinion dans les grands médias (écrits) du Québec sur les situations reliées aux accommodements raisonnables, du 1er mars 2006 au 30 avril 2007 Par Maryse Potvin, Ph.D. Sociologie Professeure en sciences de l’éducation, Université du Québec à Montréal Chercheure au Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CEETUM) et au Centre Métropolis du Québec Co-auteurs (dans l’ordre) : Marika Tremblay, Geneviève Audet et Éric Martin Rapport remis à M. Gérard Bouchard, à M. Charles Taylor Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles (CCPARDC) Janvier 2008 Les opinions exprimées dans cette recherche n’engagent que la chercheure principale © Maryse Potvin 2 Table des Matières Table des Matières _______________________________________________________________2 1. Introduction _________________________________________________________________4 1.1 Le mandat et les objectifs de la recherche _______________________________________________7 1.2 La démarche, les niveaux d’analyse et les aspects méthodologiques___________________________8 2. Les travaux sur les médias_____________________________________________________11 2.1 Les médias, miroir de la société ?_____________________________________________________11 2.1.1. Médias d’information et démocratie : un modèle en crise?__________________________________________12 2.1.2 Les effets des médias d’information__________________________________________________________16 2.1.3 Les stratégies et procédés utilisés par les médias d’information ______________________________________19 2.1.3 Le traitement médiatique des minorités _______________________________________________________23 2.1.4 Présence du populisme, du racisme ou de la xénophobie___________________________________________26 3. Notre cadre d’analyse__________________________________________________________31 4. Analyse de la couverture médiatique et des discours d’opinion __________________________36 4.1 La couverture médiatique d’ensemble : grandes tendances _________________________________36 a) Portrait statistique de la couverture : tendances générales et par média___________________________________36 b) L’analyse chronologique ____________________________________________________________________38 4.2 Les « accommodements » en général (excluant les cas spécifiques) __________________________42 4.2.1 Analyse de la couverture générale et événementielle : ampleur, chronologie et stratégies____________________43 4.2.2 Analyse des discours d’opinion _____________________________________________________________53 4.3 Les « cas » spécifiques (par ordre chronologique) ________________________________________85 4.3.1 Le jugement sur le port du Kirpan (mars 2006) __________________________________________________85 4.3.1.1 Rappel des faits____________________________________________________________________85 4.3.1.2 Analyse de la couverture générale et de la couverture événementielle______________________________85 4.3.1.3 Analyse des discours d’opinion _________________________________________________________88 4.3.2 La salle de prière à l’École de Technologie supérieure (mars 2006) __________________________________102 4.3.2.1 Rappel des faits___________________________________________________________________102 4.3.2.2 Analyse de la couverture générale et événementielle_________________________________________102 4.3.2.3 Analyse des discours d’opinion ________________________________________________________104 4.3.3 Les fenêtres du YMCA (novembre 2006) _____________________________________________________112 4.3.3.1 Rappel des faits___________________________________________________________________112 4.3.3.2 Analyse de la couverture générale et de la couverture événementielle_____________________________113 4.3.3.3 Analyse des discours d’opinion ________________________________________________________115 4.3.4 Le Service de police de la Ville de Montréal et les Juifs hassidiques (novembre 2006) _____________________124 4.3.4.1 Rappel des faits___________________________________________________________________124 4.3.4.2 Analyse de la couverture générale et de la couverture événementielle_____________________________125 4.3.4.3 Analyse des discours d’opinion ________________________________________________________126 4.3.5 Les cours prénataux au CLSC Parc-Extension (novembre 2006) ____________________________________129 4.3.5.1 Rappel des faits___________________________________________________________________129 4.3.5.2 Analyse de la couverture générale et de la couverture événementielle_____________________________130 4.3.5.3 Analyse des discours d’opinion ________________________________________________________132 4.3.6 Le Code de vie d’Hérouxville (janvier 2007) ___________________________________________________134 4.3.6.1 Rappel des faits___________________________________________________________________134 4.3.6.2 Analyse de la couverture générale et de la couverture événementielle_____________________________135 4.3.6.3 Analyse des discours d’opinion ________________________________________________________137 4.3.7 LA SAAQ et les juifs hassidiques (février 2007)_________________________________________________149 4.3.7.1 Rappel des faits___________________________________________________________________149 4.3.7.2 Analyse de la couverture générale et de la couverture événementielle_____________________________149 3 4.3.7.3 Analyse des discours d’opinion ________________________________________________________150 4.3.8 L’ambulancier à l’Hôpital général Juif (février 2007)______________________________________________151 4.3.8.1 Rappel des faits___________________________________________________________________151 4.3.8.2 Analyse de la couverture générale et de la couverture événementielle_____________________________151 4.3.8.3 Analyse des discours d’opinion ________________________________________________________153 4.3.9 Le port du hidjab au soccer_______________________________________________________________154 4.3.9.1 Rappel des faits___________________________________________________________________154 4.3.9.2 Analyse de la couverture générale et événementielle_________________________________________154 4.3.9.3 Analyse des discours d’opinion ________________________________________________________157 4.3.10. Les cabanes à sucre (mars 2007)________________________________________________________165 4.3.10.1 Rappel des faits __________________________________________________________________165 4.3.10.2 Analyse de la couverture générale et de la couverture événementielle____________________________165 4.3.10.3 Analyse des discours d’opinion _______________________________________________________167 4.3.11 La décision du directeur général des élections (mars 2007) _______________________________________175 4.3.11.1 Rappel des faits __________________________________________________________________175 4.3.11.2 Analyse de la couverture générale et de la couverture événementielle____________________________175 4.3.11.3 Analyse des discours d’opinion _______________________________________________________177 4.3.12 Le port du voile au taekwondo (avril 2007) ___________________________________________________186 4.3.12.1 Rappel des faits __________________________________________________________________186 4.3.12.2 Analyse de la couverture générale et de la couverture événementielle____________________________186 4.3.12.3 Analyse des discours d’opinion _______________________________________________________188 5. Synthèse de l’analyse_________________________________________________________196 6. Éléments d’une conclusion prospective__________________________________________213 BIBLIOGRAPHIE_______________________________________________________________216 ANNEXES __________________________________________________________________223 4 1. Introduction « Les médias ont quelque responsabilité dans le phénomène de brouillage de la conscience citoyenne. Leur idéologie de la dramatisation, et surtout cette tendance à vouloir s’ériger en ‘conscience morale universelle’ en pratiquant interpellations et dénonciations systématiques des pouvoirs publics ne peuvent qu’exacerber le sentiment d’impuissance de la conscience citoyenne ». PATRICK CHARAUDEAU [2005] Le discours politique, Vuibert, p.229. Que s’est-il passé au Québec en 2006 et en 2007 sur les « accommodements raisonnables » ? Les médias ont-ils dérapés ou ce sont surtout les citoyens ou les politiciens qui sont « partis en peur » ? Les médias ne font-ils que refléter les tensions et les contradictions présentes au sein de la société ou les provoquent-ils ? Dans nos sociétés, les médias jouent un double rôle : celui d’entretenir un lien social minimal entre des individus dispersés, aux modes de vie différents et naviguant dans des univers culturels ou sociaux variés, et celui de permettre une communication minimale entre gouvernants et gouvernés. Mais ce rôle de médiateur a été dépassé depuis longtemps par celui de média-acteur : les médias ne font pas qu’assurer le contact mais jouent un rôle propre et autonome en influant sur ce qu’ils sont censés simplement relayer. Pour un certain discours officiel, les médias visent à être représentatifs du changement des mentalités, soucieux de l'objectivité et de la liberté de presse, afin d’assurer le droit du public à une information exacte et complète. Mais de nombreux analystes ont montré que si les médias, comme agents socialisateurs et intégrateurs, se substituent aux appareils traditionnels de transmission des valeurs et des idées (école, famille, État), ils sont avant tout des entreprises guidées par des intérêts pécuniaires au sein d'un vaste marché d'information. Les principes d'objectivité et de liberté de presse, essentiels et incontestables dans un contexte démocratique, serviraient donc souvent de « paravents » pour légitimer toutes sortes de pratiques médiatiques, effleurer la réalité, enlever parfois tout sens critique et, indirectement, justifier l'ordre social et les rapports inégalitaires. Les diverses fonctions attribuées aux médias (informative, éducative ou civique et commerciale) s'opposeraient ou se contrediraient plus qu’elles ne se complèteraient (Marx, 1993). L’arrivée des médias de masse, notamment audiovisuels, a transformé nos sociétés, en particulier les règles du jeu politique et économique. Les journalistes ont forcément acquis un certain pouvoir, même si on ne peut parler de « surresponsabilité » des médias et des journalistes dans la production des faits sociaux. Cette question du « pouvoir des médias » a donné lieu à une vaste littérature, à des approches théoriques qui s’opposent comme à des analyses empiriques variées, ainsi qu’à de nombreuses polémiques, qui se poursuivent. Il n’y a pas d’interprétation univoque. Selon les chercheurs, les effets sont plus ou moins directs, immédiats, ponctuels ou durables, fragmentés ou cumulatifs, forts, limités ou nuls. Certains vont insister sur les effets de renforcement des opinions ou du pouvoir en place, alors que d’autres mettent en valeur les effets de changement ou d’évolution que les médias induisent. Le rôle des médias ou des différents acteurs n’est jamais facile à mesurer dans le déclenchement de « crises » aussi multidimensionnelles et fortes en émotions que celle qu’a connue le Québec en 2006 et 2007 autour desdits « accommodements raisonnables ». Les épisodes de crises naissent d’un « faisceau de conditions » historiques, politiques, symboliques, socio-économiques ou culturelles qui sont activées ou réactivées par différents acteurs pour créer une conjoncture propice à une cristallisation autour d’un « enjeu », objet d’un débat social intense. Les conflits internationaux, la mondialisation, les inégalités mondiales et locales, l’immigration, les enjeux identitaires et politiques propres à la dynamique Québec- 5 Canada, ont également été présents et significatifs dans ce débat public. Ces dimensions ont été mobilisées dans le cadre de la campagne électorale provinciale de 2007, à travers un jeu politique et médiatique de stimulation des conflits, de désignation d’adversaires (voire de boucs émissaires) et de construction d’enjeux parfois artificiels. Dans ce contexte, nombre d’observateurs ont constaté et condamné certaines tendances populistes dans les discours de politiciens sur les « accommodements », discours qui ont « légitimé » l’expression de sentiments de victimisation, d’exaspération, d’injustice ou de menace au sein d’une partie de l’opinion publique. S’il est difficile de mesurer avec exactitude la responsabilité des médias dans l’alimentation de «dérapages » discursifs, ou l’impact réel du discours médiatique sur l’opinion publique et les représentations des lecteurs, il n’en demeure pas moins qu’en décembre 2007, dans le cadre du congrès de la Fédération des journalistes du Québec, de nombreux journalistes ont fait leur Mea Culpa. Jean-Claude Leclerc disait, dès février 2007 dans un article au Devoir, que les médias avaient exagéré. Selon lui, ce débat, considéré comme une « psychose publique », a été une pure fabrication des médias, « les seuls qui ont mis cet enjeu sur la table »1. Avant la fin des audiences publiques de la Commission Bouchard-Taylor, plusieurs journalistes ont commencé àdire qu’il ne se passait rien de concret ou de grave pour justifier un tel alarmisme, alors qu’ils ont abondamment parlé de « crise » pendant des mois. C’est ce que soutiennent par exemple les reportages de l’Actualité du 1er octobre 2007, et de La Presse des 12-13 novembre 2007. Lysiane Gagnon écrit dans La Presse du 22 novembre 2007 : «Que se passe-t-il concrètement dans les écoles et les hôpitaux multiculturels - là où, justement, se poserait le soi-disant problème des accommodements raisonnables? (…) : de fait, il ne se passe pas grand-chose qui puisse justifier l'alarmisme médiatique et les cris d'orfraie de ceux qui voient déjà nos valeurs foulées aux pieds par l'afflux de minorités revendicatrices. Rien non plus qui puisse justifier l'existence de la commission Bouchard-Taylor. (…) Quand on va sur le terrain (…) on voit bien que toute cette histoire était une tempête dans un verre d'eau, et qu'il n'était nul besoin de gaspiller des millions de dollars et les précieux neurones de nos intellectuels pour enquêter sur le sujet. (…) La réalité, c'est que 1) il y a très peu de demandes d'accommodements provenant de minorités religieuses; 2) ces demandes sont parfois agréées, parfois non, dans un climat de savoir-vivre. Cela se fait au jour le jour, de manière pragmatique … ». Pourtant, plusieurs chercheurs et intervenants des milieux scolaires et de la santé ont, à plusieurs reprises au cours de 2006 et au début de 2007, répété que les médias dramatisaient les situations, interprétaient abusivement certains « faits » (associés indûment à des « accommodements raisonnables ») et qu’il fallait dénoncer et freiner le discours populiste montant. Or, les médias n’ont pas mis en saillance ces points de vue. Par exemple, la lettre et la pétition datant de novembre 2006, signées par Marie McAndrew et par 230 chercheurs et représentants d’organismes2 envoyées aux médias mais non publiées, les très minces entrefilets de presse qui annonçaient, en octobre 2006, la mise sur pied du comité sur les accommodements raisonnables par le ministre de l’Éducation (comité Fleury), ainsi que les débats entre 200 praticiens et chercheurs lors des Journées d’études sur les pratiques d’accommodements en éducation, organisées en mars 2007 par les membres du comité Fleury, ont a peine été couverts par les médias. 1 Jean-Claude Leclerc, « Les médias ont-ils exagéré? », Le Devoir, 5 février 2006, p. b6. 2 Seule The Gazette en a parlé. 6 En outre, les articles ou reportages qui montraient des réalités non litigieuses ou non conflictuelles, des réalités « ordinaires » de gens des milieux scolaires, de la santé et des services sociaux, qui gèrent la diversité ou des demandes d’accommodements au quotidien, ont été très rares jusqu’en avril 2007. On peut donc se demander, suivant de nombreux analystes, si les discours médiatiques et les images sur les événements dans l’invention de ce « débat » ont été plus au centre des expériences de la population que les événements eux-mêmes. Le langage des médias ou des personnalités publiques dans cette affaire semblent être devenu une sorte de « réalité politique » des citoyens (Edelman, 1988). Il importe donc de chercher à mesurer, même minimalement, l’influence qu’a pu avoir une partie des médias sur la construction des « affaires » qui ont été abordées sous l’angle des « accommodements raisonnables », l’ampleur, voire la légitimité attribuée à ces « événements », le déclenchement de certaines « affaires », voire de certaines émotions (injustice, peurs, victimisation…) chez les différents publics, ainsi que la banalisation de certaines formes d’intolérance, en octroyant notamment un espace élargi à leur expression. S’il est important de cerner le rôle des médias dans la «construction» de ce type de débat public, il nous est apparu tout aussi urgent d'approfondir et de documenter la question de la responsabilité de l’opinion, c’est-à- dire le discours des publics mais aussi des politiciens. Deux dimensions seront donc analysées dans ce rapport : d’une part, les caractéristiques de la «couverture événementielle» et des stratégies médiatiques à l’égard des «accommodements» dans la presse écrite, entre mars 2006 et avril 2006 ; d’autre part, les types de discours d’opinion que nous avons lus et entendus, autant chez les journalistes, chroniqueurs et intellectuels que chez les «lecteurs». Nous avons voulu identifier les arguments et les thèmes récurrents qui ressortent des discours d’opinion, en dégageant certains mécanismes discursifs, qui montrent la structure d’un discours et ses modes d’expression. Bien sûr, nous avons relevé la présence de dérapages discursifs, en lien avec une rhétorique de type « populiste » ou « racisante ». Certains discours laissaient entendre que les « minorités » ont des privilèges et que la majorité est victime, qu’elle doit rétablir l’ordre (ou imposer un code de vie) en « mettant ses culottes », parce que des limites auraient été dépassées. Certains lecteurs en sont venus à imaginer un complot terroriste, fomenté par des groupes religieux, dressant un scénario catastrophe d’une guerre de religion ou de civilisation dans laquelle nous serions entrés. Cependant, ce ne sont pas toutes les inquiétudes, généralement légitimes, qui se sont traduites par des discours populistes, voire racisants. Certains auteurs des articles analysés ont exprimé des réserves ou des critiques à l’égard de décisions relatives à des « accommodements », réels (au sens juridique) ou présumés, sans faire preuve de racisme, d’ethnocentrisme ou de xénophobie. Un même thème ou argument peut être abordé sous des angles différents, et s’exprimer sur un mode racisant ou non-racisant. Cependant, nombre d’observateurs ont soulevé qu’un espace d’expression de l’intolérance, voire du racisme, a été ouvert dans ce débat, l’attribuant à certaines logiques ou stratégies médiatiques, ou même politiques. Pourquoi détecter et montrer la présence de ces mécanismes dans certains discours produits ou diffusés par les médias ? D’abord, parce que nous croyons qu’en mettant largement « en saillance » et « en scène » ce type de discours, les médias ont peut-être contribué à la montée de l’exaspération et de l’intolérance, ou encore à l’impressionnisme entourant la « multiplication » desdites demandes d’accommodements. Ce qui a eu un impact sur la cohésion sociale, et questionne leur rôle civique et éducatif auprès des publics. Ensuite, parce que les discours sont des indicateurs d’un « climat social », qui est toujours socio-historiquement situé. Ils servent à cerner l’état des rapports sociaux dans un contexte donné. L’analyse des discours, dans leurs 7 structures et modes d’expression, permet donc de saisir les enjeux qui se concrétisent dans les sphères du social et du politique. Notre analyse ne vise donc pas à identifier des « responsables » de dérapages populistes ou racisants, mais à mesurer le climat social, en dégageant les arguments et les positionnements des différents acteurs au sein de ce débat. Une grande partie de ce rapport est volontairement descriptif afin de dégager le plus d’éléments possibles du corpus permettant au lecteur d’évaluer ce qui s’est passé et ce qui s’est dit, dans la presse écrite surtout, sur les « accommodements » au Québec, entre mars 2006 et avril 2007, donc avant le début des travaux de la Commission Bouchard-Taylor. L’objectif est aussi de saisir l’effet « crescendo » que plusieurs ont observé. Le rôle des médias, qui a pris différentes formes, est largement documenté à partir de faits et de données qui se veulent les plus objectifs possibles. 1.1 Le mandat et les objectifs de la recherche Ce rapport fait état des résultats de la recherche sur le traitement médiatique et l’analyse des discours d’opinion sur les situations reliées aux « accommodements raisonnables » survenues en 2006-2007, recherche commandée par la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles. Le rapport présente d’abord les paramètres de notre démarche méthodologique et analytique. Il expose ensuite un ensemble de travaux théoriques sur les médias, leurs procédés, stratégies et effets sur la vie politique et l’opinion publique, ainsi que leur traitement des minorités. Enfin, l’analyse du corpus d’articles porte sur la couverture médiatique d’ensemble et sur les discours d’opinion, autant dans le « débat général » sur les accommodements que sur une douzaine d’« affaires » fort médiatisées, dont trois cas judiciarisés d’accommodements raisonnables. La conclusion dégage l’ensemble des grands constats de cette analyse. Nous avons analysé le traitement médiatique et les discours d’opinion dans les grands médias québécois sur les situations reliées aux accommodements raisonnables, du 1er mars 2006 au 30 avril 2007 et ce, en deux volets : (cid:2) La couverture médiatique générale et événementielle de situations désignées (souvent indûment) par les médias comme des «accommodements raisonnables», en considérant un certain nombre de dimensions: ampleur et étendue de la couverture, stratégies utilisées, biais dans la présentation des faits ou des points de vues, rôle des médias dans le «déclenchement» du débat. (cid:2) L’analyse du discours des articles d’opinion (éditoriaux, chroniques, lettres d’intellectuels et lettres de lecteurs) publiés dans la presse écrite, afin de dégager l’existence ou non de dérapages ou de biais dans l’analyse des situations. Plus précisément, notre objectif est de dégager les grandes thématiques récurrentes des discours d’opinion afin de saisir en quoi ces discours nous éclairent sur la redéfinition pluraliste de la société et sur l’état des «frontières ethniques» au Québec d’une part, et s’ils comportent ou non certains mécanismes de la «rhétorique racisante» ou populiste d’autre part3. Pour ce faire, nous avons d’abord recensé la littérature existante sur les modèles d’Agenda Setting, de « Framing » et de « priming », et sur les stratégies médiatiques, le traitement médiatique des minorités, le 3 Ces mécanismes ont été systématisés sous forme de «grille d’analyse» dans quelques-uns de nos travaux antérieurs (Potvin, 1999, 2000, 2002, 2004, 2007, 2008). 8 racisme et les médias, puis analysé chronologiquement les événements afin de voir si le déclenchement de certaines «affaires» et l’alimentation soutenue du «débat» par les médias pendant toute la période couverte ont contribué à provoquer un effet crescendo ayant mené à la création de la Commission en février 2007. L’objectif est de saisir la part de responsabilité des médias dans la détermination et le maintien continue du débat, notamment par la récurrence des sujets d’information, reliés souvent indûment aux «accommodements», l’amalgame de différentes problématiques (immigration, multiculturalisme, et autres) dans ce débat, la mise en priorité et la visibilité parfois excessive accordée à ces questions, et la mise en scène des événements et du débat dans son ensemble. 1.2 La démarche, les niveaux d’analyse et les aspects méthodologiques Notre analyse couvre le «débat général» sur les accommodements raisonnables et une douzaine «d’affaires» catégorisées (souvent indûment) comme des accommodements raisonnables par les médias, tels que traités principalement par la presse écrite (articles événementiels, éditoriaux, chroniques et lettres de lecteurs), à travers cinq grands quotidiens : Le Devoir, La Presse, Le Journal de Montréal, Le Soleil, The Gazette. En outre, nous avons jeté un regard sur deux blogues qui ont participé à ce débat durant la période couverte. Quelques rares reportages ou entrevues effectuées dans les médias électroniques (surtout la radio) font également partie du corpus. Notre analyse étant rétrospective, nous n’avons pu avoir accès aux émissions radiophoniques ou télévisées de type « tribune libre », faute de moyens4. En outre, peu de reportages télévisuels étaient accessibles sur le WEB au moment de notre cueillette de données (juillet à septembre, 2007), même si certains étaient annoncés sur les sites. Nous avons donc analysé seulement une dizaine de reportages et d’entrevues radiophoniques, accessibles gratuitement sur le WEB et répertoriés selon les dates des événements5. Il s’agit pour l’essentiel d’entrevues effectuées par Paul Arcand (à 98, 5 FM) et par Gilles Proulx auprès d’acteurs impliquées dans certaines « affaires ». Parmi les «affaires» reliées aux accommodements, nous avons sélectionné 12 cas, soit : Trois cas d’accommodements raisonnables, au sens juridique : (cid:3) Le jugement sur le port du Kirpan à l’école, (cid:3) la décision de la Commission des droits sur les salles de prière à l’ETS (cid:3) la décision de la Commission des droits sur l’ambulancier expulsé de l’hôpital juif Neuf «faits divers» catégorisés par les médias comme des cas d’accommodements raisonnables : (cid:3) les fenêtres givrées du YMCA (cid:3) le Directeur général des élections et le niqab (cid:3) la «fiche culturelle» SPVM sur les rapports avec les juifs hassidiques (cid:3) les cours prénataux du CLSC Parc-Extension (cid:3) le code de vie de Hérouxville (cid:3) la SAAQ et les juifs hassidiques 4 Chaque tranche de 30 minutes d’émissions de télévision coûte entre 50$ (à Radio-Canada) et 150$ (à TQS), pour une simple écoute (généralement sur place). 5 La liste des émissions est jointe à l’annexe I. 9 (cid:3) le port du hidjab au soccer (cid:3) le port du hidjab au taekwondo (cid:3) les musulmans à la cabane à sucre Pour chaque «affaire», notre attention a d’abord porté sur la couverture générale et événementielle et ensuite sur les réactions et discours des éditorialistes, chroniqueurs, intellectuels et lecteurs. Nous avons donc deux types de discours : d’une part, l’ensemble des éditoriaux et chroniques parus dans les cinq quotidiens mentionnés, de même que les articles signés par des intellectuels (généralement des universitaires et personnalités publiques), dans les sections réservées à cet effet ; d’autre part, les «lettres ouvertes», qui renvoient à l’opinion des lecteurs. Pour identifier les éditoriaux et les lettres ouvertes sur le sujet, nous avons procédé à une recherche par mots clés6 (ex: kirpan, accommodement raisonnable, etc.) à l’aide du logiciel de la banque de données «Biblio branchée», qui répertorie La Presse, Le Devoir et Le Soleil. Toutefois, ces banques de données ne reproduisent pas intégralement la mise en page des journaux lors de leur publication, puisqu’il manque les photos, la grosseur des titres, les articles adjacents, etc. Elles ne permettent donc pas d’analyser entièrement les procédés et stratégies de « mises en scène » des événements. Le Journal de Montréal a donc été parcouru à l’aide de microfilms, alors que les archives de The Gazette ont été parcourues sur son site web. Nous avons choisi de lire les commentaires sur certaines «affaires» dans des blogues largement fréquentés. Le pouvoir de diffusion que possède Internet change la donne dans un monde où les blogues prennent une place grandissante, qu’on dit liés à une sorte de pouvoir de la «société civile» et d’entités individuelles ou organisationnelles. Nous nous sommes intéressés à deux blogues populaires de journalistes, soit ceux de Patrick Lagacé et de Richard Martineau. Par contre, cette recherche n’est pas exhaustive puisque les commentaires ne sont souvent conservés que pendant 30 jours. Pour chaque « affaire » analysée, nous resituons les faits et le contexte de manière très synthétique, en puisant parfois dans l’analyse effectuée par Marc Rioux et Rodolphe Bourgeoys7, pour le compte de la Commission. Par la suite, nous avons présenté les données du corpus selon trois niveaux d’analyse, dont les composantes seront explicitées dans notre « cadre d’analyse » : Niveau d’analyse 1 : la couverture générale et événementielle, et les cadres, procédés médiatiques ou stratégies identifiables. Niveau d’analyse 2 : la description des réactions dans la presse d’opinion, c’est-à-dire le positionnement (favorable, défavorable, neutre), explicite ou implicite, de l’auteur et les grands thèmes qui se dégagent des deux types de matériaux discursifs (journalistes-intellectuels et lecteurs). Cette partie sur les discours d’opinion s’appuie donc sur une analyse thématique, faisant ressortir les principaux thèmes, arguments, et enjeux, leur récurrence et ce qu’ils éclairent sur la société québécoise ou canadienne. Niveau d’analyse 3 : la présence de « dérapages » dans les discours d’opinion des éditorialistes, chroniqueurs, lettres d’intellectuels et lettres de lecteurs, « dérapages » identifiés à partir de mécanismes discursifs (souvent inconscients, mais explicites ou implicites) qui constituent des modalités d’expression, parfois très émotives, de certains thèmes ou arguments d’un discours. 6 Pour les articles ayant traités de manière générale du débat sur les «Accommodements» nous avons utilisé les mots- clés suivants: accommodements et accommodement raisonnable. Pour les différentes «affaires», les mots clés utilisés sont indiqués au moment de l’analyse de l’événement. 7 Marc Rioux et Rodolphe Bourgeoys, « Pratiques d'accommodement : études de cas(version préliminaire)). 10 Avant de présenter plus en détail les éléments de notre cadre d’analyse, nous exposons d’abord quelques études théoriques et empiriques sur les médias qui servent de fondements à notre démarche. Ces analyses questionnent le rôle des médias, leurs logiques (commerciale, civique, éducative), leurs effets sur la vie politique et les l’opinion publique, leur traitement de certains groupes, ainsi que les procédés et stratégies médiatiques les plus fréquents.

Description:
Analyse du traitement médiatique et des discours d'opinion dans les grands médias. (écrits) du 4.3.12 Le port du voile au taekwondo (avril 2007)
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