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les femmes dadaïstes et les arts appliqués PDF

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Itinéraires Littérature, textes, cultures 2012-1 | 2012 Genres et avant-gardes « Fait à la main » – les femmes dadaïstes et les arts appliqués Ruth Hemus Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/itineraires/1251 DOI : 10.4000/itineraires.1251 ISSN : 2427-920X Éditeur Pléiade Édition imprimée Date de publication : 1 septembre 2012 Pagination : 65-77 ISBN : 978-2-296-55776-5 ISSN : 2100-1340 Référence électronique Ruth Hemus, « « Fait à la main » – les femmes dadaïstes et les arts appliqués », Itinéraires [En ligne], 2012-1 | 2012, mis en ligne le 01 septembre 2012, consulté le 19 avril 2019. URL : http:// journals.openedition.org/itineraires/1251 ; DOI : 10.4000/itineraires.1251 Itinéraires est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. « Fait à la main » – les femmes dadaïstes et les arts appliqués Abstract This article proposes that the reclamation and subversion of applied and domestic arts, programmatically transferred into the domain of art, is a persistent gender-based formal strategy that runs alongside prevailing conceptual and technological developments in the avant-garde arts. It takes as its focus two Dada women, Sophie Taeuber and Hannah Höch, and argues that references to handicrafts such as needlework not only constitute an important part of their œuvre, but also make an important contribution to the Dada enterprise. It subsequently locates them within of a history of women’s art that highlights and transgresses both aesthetic genres and gender boundaries. Keywords : Dada, Sophie Taeuber, Hannah Höch, Women artists, gender Mots clés : Dada, Sophie Taeuber, hannah höch, femmes artistes, genre Dans les histoires consacrées à l’avant-garde historique, on met souvent l’accent sur la technologie et l’industrie comme inluences principales dans le développement de formes esthétiques nouvelles. Dans ce modèle répandu, la raison d’être de l’artiste est compromise par l’arrivée de la photographie, sa créativité est dépassée par les machines et son existence humaine est menacée par l’industrie. Ain d’aller aussi vite que le monde moderne, il renonce donc à la peinture à l’huile et se tourne vers les photo- graphies, les objets trouvés et les objets industriels. Ses découvertes – le photomontage, le collage et le readymade – visent à représenter les réalités de la vie moderne de manière moins idéaliste et plus adaptée à sa vitesse et à ses crises. Selon cette analyse, ces œuvres constituent également une dénonciation de la compétence élitiste et de la formation académique en faveur d’une démarche ouverte et démocratique. L’importance des changements rapides dans la technologie, surtout dans le domaine de la photographie, et ses effets sur la pratique de l’art sont indéniables. Comme l’écrit André Breton en 1921, « l’invention de la 66 « fait à la main » – les femmes dadaïstes et les arts aPPliqués photographie a porté un coup mortel aux vieux modes d’expression 1 ». Ce qu’il faut souligner, cependant, c’est la gamme de réactions des artistes de l’avant-garde face à ces technologies, qui ont été plus variées et nuancées qu’on ne l’écrit habituellement. La rupture avec le passé n’a été ni soudaine ni simple. Entre la fabrication industrielle moderne, d’une part, et la peinture à l’huile académique, d’autre part, une variété de voies est possible. Une tendance importante mais peu reconnue est l’emploi de techniques artisa- nales. Employées de manière aussi diverse que la peinture à l’huile tout au long de l’histoire, les techniques des métiers artisanaux et domestiques font partie de façon omniprésente du débat sur le rôle de l’art, en particulier sur sa place dans la vie quotidienne. Mais, liées surtout au genre féminin, ces activités ont toujours occupé une position moins privilégiée dans les histoires de l’art. Quant à l’avant-garde historique, ce sont surtout des femmes, elles aussi à la recherche de nouvelles stratégies esthétiques, qui se sont tournées vers l’artisanat. Tout en employant des matériaux dits domestiques comme le tissu et le il, ainsi que des savoir-faire dits traditionnels comme le tissage et la broderie, elles ne sont pourtant pas revenues en arrière. Au contraire, elles ont questionné ces techniques et elles les ont sciemment renouvelées, en les replaçant dans le domaine de l’art, ain de tenter une démocratisa- tion des arts plus complète que ce qu’aurait tenté une avant-garde sans femmes. Notons, tout de suite, qu’il est hors de question d’insister sur une équivalence simple et réductionniste entre les femmes et l’artisanat. Au contraire, ce sont parfois des références à l’artisanat dans le domaine de l’art qui ont donné lieu à des innovations uniques. Cet article traite de deux femmes dadaïstes, Sophie Taeuber et hannah höch qui, justement, ont réussi à emprunter des éléments de l’artisanat et à les utiliser aux côtés de techniques nouvelles comme le photomontage et l’abstraction, des innova- tions souvent associées aux hommes. De cette manière, elles ont contesté les frontières à la fois du genre (artistique) et du genre (sexuel). Le dadaïsme a souvent été dépeint en tenant compte de ses protago- nistes masculins et de sa démarche nihiliste. Cependant, on ne peut oublier ni sa fécondité ni sa diversité 2. À Zurich, par exemple, Sophie Taeuber a participé aux activités dadaïstes du Cabaret Voltaire aux côtés de son mari, Jean Arp. Sa productivité a été remarquable. Il sufit de noter la large palette de ses activités : danse, peinture, sculpture, collage, tapisse- rie, broderie ou marionnettes. Sa gloire ayant été parfois éclipsée par celle de son mari, son importance dans le développement de l’art abstrait a été 1. André Breton, « Max Ernst » [1921], Les Pas perdus [1924], repris dans Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 244. 2. Pour une étude récente de cinq femmes dadaïstes, voir Ruth hemus, Dada’s Women, New Haven & London, Yale University Press, 2009. À noter aussi Nadia Sawelson-Gorse, (dir.), Women in Dada: Essays on Sex, Gender and Identity, Cambridge (Mass.), MIT Press, 2001. ruth hemus 67 reconnue tardivement par l’histoire de l’art, mais on ne peut à présent plus nier que ses compositions géométriques font partie intégrante de la trajec- toire de l’abstraction picturale et constituent une approche essentielle dans l’art européen du xxe siècle 3. Reste à souligner qu’à côté de son travail de peinture, Taeuber n’a cessé tout au long de sa carrière d’innover avec d’autres matériaux. Si l’intérêt de ces œuvres a été mis en évidence par certains, d’autres les ont pourtant ignorées ou les ont même déclarées sans importance. Prenons le cas de ses tapisseries. Même si le genre de la tapisserie peut se prévaloir d’une tradition très ancienne et prestigieuse – comme en témoignent par exemple la tapisserie de Bayeux ou la tapisserie de l’Apo- calypse à Angers –, il occupe une place inférieure dans la hiérarchie de l’art du xxe siècle. Dans son analyse de l’œuvre de Taeuber, Yve-Alain Bois écarte ainsi ses œuvres textiles comme mineures : « il n’y a pas de gloire à dessiner un motif qui recouvre toute la surface d’une tapisserie, par exemple, mais le même geste est d’une signiiance historique majeure s’il s’agit d’une peinture 4 ». Au lieu de valoriser cette œuvre, Bois exclut, d’un seul coup, une partie considérable, riche et originale de l’œuvre de Taeuber, et fait preuve en même temps d’un point de vue exclusif. Sa thèse souffre de son insistance sur les termes majeur et mineur, signes d’une histoire de l’art hiérarchique, qui ne servent qu’à souligner l’impossibilité d’incorporer des œuvres de femmes dans un cadre qui ne leur convient pas. L’intérêt de Taeuber pour les arts appliqués était profond. Formée au sein du département de textile à l’École des arts appliqués de St. Gall, et ayant bénéicié de brefs séjours dans des écoles progressistes en Allemagne, elle employait une variété de matériaux dans ses œuvres d’art bien avant son adhésion au dadaïsme. Citons simplement son mari, Jean Arp, qui note : « Dans les travaux que Sophie Taeuber m’a montrés peu après notre première rencontre, elle avait employé la laine, la soie, le tissu et le papier 5 ». Taeuber était en effet un artisan habile. Selon Emmy hennings : Elle savait réaliser des travaux manuels d’art appliqué, la broderie et la tapisserie avec une exactitude admirable. À cette époque, j’ai vu des broderies ornées de perles de sa main, ainsi que des tapisseries avec des arabesques de couleurs vives, dont l’expressivité visuelle était telle qu’on ne pouvait plus guère parler d’art appliqué. C’était beaucoup plus que cela 6. 3. Michel Seuphor, notamment, l’a reconnue comme une pionnière de l’abstraction dans L’Art abstrait : ses origines, ses premiers maîtres (Paris, Maeght, 1949). 4. Yve-Alain Bois, « Sophie Taeuber-Arp against Greatness », dans Catherine de Zegher, Inside the Visible: an Elliptical Traverse of 20th Century Art in, of, and from the Feminine, Cambridge (Mass.) et Londres, MIT Press, 1996, p. 413. [Toutes les traductions sont les miennes]. 5. Jean Arp, Unsern täglichen Traum. Erinnerungen, Dichtungen und Betrachtungen aus den Jahren 1915-1954, Zurich, Arche, 1955, p. 10. 6. Emmy hennings, « Zur Erinnerung an Sophie Taeuber-Arp », dans Georg Schmidt (dir.), Sophie Taeuber-Arp, Basel, holbein, 1948, p. 16. 68 « fait à la main » – les femmes dadaïstes et les arts aPPliqués Si hennings, elle aussi, tend à attribuer un statut inférieur aux créations non-peintes de Taeuber, ses mots évoquent tout de même l’habileté de sa collègue, qui justement voulait s’attaquer à la distinction culturelle construite entre art et artisanat. Un exemple précoce de l’œuvre de Taeuber, la tapisserie à l’aiguille Composition ovale à motifs abstraits de 1916 7, renouvelle une tradition très ancienne tout en brouillant les distinctions traditionnelles entre l’art et l’artisanat. Sa forme ovale, peu commune, offre une voie alternative au cadre carré – la fenêtre – de l’art traditionnel. En bas de la composition se trouve une grille, base habituelle de l’organisation de l’espace pictural rationnel et structuré, employée aussi pour la tapisserie. Cette grille géomé- trique est à la fois mise en lumière et interrompue par des formes circulaires et ovales qui forment un contraste. Il est possible de décrypter dans cette œuvre quelques traces iguratives, notamment le demi-cercle d’un soleil, en haut, et un corps humain, juste à droite du centre, composé d’une colonne verticale simple pour le torse, une forme ovale à trois couches pour la tête, et deux demi-cercles qui évoquent des bras posés sur les hanches. Pourtant, cette composition est essentiellement abstraite. Les lettres s.h.t. situées dans le quart supérieur droit font référence à l’artiste (Sophie henriette Taeuber) et rappellent l’incorporation de lettres et de mots dans l’œuvre d’art telle qu’elle est employée par les cubistes et les dadaïstes. Une gamme d’oranges et de bruns rappelle également la palette sourde des couleurs cubistes. Dans cette œuvre, l’imitation de la réalité et l’illusion de la perspective sont rejetées en faveur de l’autonomie plastique. Taeuber a travaillé pendant une longue période, de 1916 à 1929, comme professeur à l’École des arts appliqués de Zurich, où elle a enseigné dans la classe de textile la broderie et le tissage 8. Avec cette activité, elle se confronte aux fonctions diverses des arts appliqués, y compris leur rôle dans la vie scolaire, la vie quotidienne, la vie culturelle et la vie professionnelle des femmes. Arp raconte, par exemple : Il fallait un courage considérable pour enseigner à l’École des arts appli- qués de Zurich en 1915, si l’on avait l’intention de lutter contre la couronne de leurs. La couronne fut un monstre, et Sophie Taeuber a lutté contre elle comme le chevalier St. Georges contre le dragon. Des foules de jeunes illes venues de tous les cantons de Suisse se pressaient à Zurich avec le désir brûlant de broder sans cesse des couronnes de leurs 9. 7. Ovale Komposition mit abstrakten Motiven, Archive Stiftung hans Arp und Sophie Taeuber-Arp, Rolandswerth. 8. Élève de l’École des Arts et Métiers à St. Gall en 1908-1910, elle fréquente les Ateliers d’apprentissage et d’essai pour les arts libres et appliqués de Wilhelm von Debschitz à l’École des Arts Appliqués de Munich et l’École des Arts décoratifs de hamburg en 1911-1913. 9. Jean Arp, Unsern täglichen Traum, op. cit., p. 73. ruth hemus 69 Selon Arp, Taeuber était bien consciente des limites de certaines techniques, professions et valeurs, et de leur lien avec les femmes, dont les attentes étaient faibles. Elle cherchait volontairement à les secouer, et inalement à les renverser. Un deuxième exemple de l’œuvre de Taeuber, Composition avec Carrés, Cercle, Rectangles, Triangles de 1918 10, s’oppose de manière eficace et constructive à l’idée que les arts appliqués seraient des moyens de décoration peu élaborés, voire réactionnaires. L’œuvre se distingue par son exclusion de tout élément iguratif. La couronne lorale a disparu, remplacée par les formes géométriques les plus simples organisées dans un dessein précis. Un grand carré rouge, placé dans le centre, ressort sur le bleu foncé du fond. À chaque point de ce grand carré se trouve une petite composition de formes : un carré, trois rectangles, un cercle, trois triangles. Les couleurs sont franches, les formes précises, tout à fait comme dans ses œuvres peintes. Quant à la couture, les points sont exacts. Loin de mettre en lumière l’action de la main, cette fois, c’est comme si le il avait remplacé la peinture d’un seul coup, nettement. Alors que dans maintes œuvres artisa- nales, le grain est souligné, dans cet exemple nous voyons presque une substitution de ce qui était peint par le il. Tout préjugé concernant la tapis- serie comme genre est mis à mal. Elle n’est ni narrative, ici, ni féminine. En revanche, tout ce qui compte, à première vue, comme pour Composition ovale à motifs abstraits, ce sont les formes et les couleurs. Il n’est pas rare que l’œuvre de femmes artistes soit décrite au moyen d’adjectifs tels que délicat, personnel et féminin. L’œuvre des femmes dadaïstes devrait poser, à cet égard, un problème insurmontable pour le critique d’art conformiste. Ces œuvres étant rarement narratives ou igura- tives, le critique est privé de son outil habituel, c’est-à-dire le recours à un sujet ou une histoire des femmes. Il se tourne alors vers le choix des matériaux, y trouvant un point de faiblesse. Comme Arp le remarque au sujet de l’héritage de Taeuber : Parfois on a qualiié ses œuvres d’art appliqué. La bêtise autant que la méchanceté sont à l’origine de cette appellation. L’art peut aussi bien s’ex- primer au moyen de la laine, du papier, de l’ivoire, de la céramique, du verre que par la peinture, la pierre, le bois, l’argile 11. L’opposition d’Arp au terme « art appliqué » prend place dans une indus- trie culturelle où les arts appliqués ont un statut inférieur. Dans ce système hiérarchisé, l’usage du terme s’oppose à la catégorie de l’art et suscite une dévalorisation de celui qui s’y consacre. Pourtant, ce n’est pas au 10. Komposition mit Quadraten, Rechtecken, Dreiecken und einem Kreis, Archive Stiftung Hans Arp und Sophie Taeuber-Arp, Rolandswerth. 11. Jean Arp, « Jalons » [1950], Jours Effeuillés [1966], cité dans Sophie Taeuber. Rythmes plastiques, réalités architecturales, Clamart, Fondation Arp, 2007, p. 90. 70 « fait à la main » – les femmes dadaïstes et les arts aPPliqués terme arts appliqués qu’il faudrait s’opposer, mais à la catégorisation elle- même, trop étroite et tranchée. Ce point nous mène, dans le contexte d’alors, à une autre opinion, selon laquelle les œuvres artisanales ne seraient point dadaïstes. Dans sa thèse sur l’avant-garde, Dietrich Scheunemann met ainsi en évidence le rappro- chement entre l’art et la technologie et il le met même au cœur de l’avant- garde et de l’entreprise dadaïste 12. C’est un jugement qui surprend, si l’on accepte le principe, noté par Arp dans la citation ci-dessus, de l’intégration de matériaux et d’objets quotidiens à l’œuvre d’art, principe qui a joué un rôle essentiel dans l’art visuel des dadaïstes. Si l’artiste peut employer tout objet, tout outil et tout matériel, sans hiérarchie et sans convention, il faudrait sûrement inclure les œuvres qui utilisent du il, du tissu, de la laine et de la dentelle, aux côtés des objets tirés de la photographie et de l’indus- trie. La démarche de Taeuber, d’ailleurs, n’est pas une simple adhésion à un principe dadaïste : elle en est une extension. En intégrant l’artisanat aux beaux-arts, Taeuber lance un déi aux catégories esthétiques restrictives, met en lumière des activités considérées comme « mineures », associées à la femme et supposées de statut inférieur. C’est un geste aussi radical, démocratisant et révolutionnaire que celui de ses collègues masculins. Alors que certains parlaient de l’intégration de l’art dans la vie, Taeuber, en jonglant pour concilier son activité artistique avant-gardiste et son travail dans une École d’arts appliqués, s’est heurtée à la question de la place de l’art dans la vie quotidienne. Membre du groupe Das Neue Leben 13, ainsi que du Schweizerischer Werkbund, elle fait face à des questions clés : comment maintenir des techniques traditionnelles et populaires, tout en garantis- sant des produits fonctionnels et esthétiques ? En 1927, elle fait paraître un livret, Anleitung zum Unterricht im Zeichnen für textile Berufe (Guide pour l’enseignement du dessin dans les métiers du textile), dans lequel elle traite de l’application industrielle, du fonctionnalisme et du décor, et dans lequel elle déclare : « La découverte de l’essence du matériau vint s’ajouter à celle de la signiication de la fonction de l’objet 14 ». Il s’agit, ici, d’un point commun entre les principes du dadaïsme et les théories de Taeuber dans sa pratique professionnelle : le matériau est au cœur de toute produc- tion et de tout acte créatif. Elle s’intéresse, également, à la reproduction industrielle. Dans des développements plutôt progressistes dans les écoles 12. Dietrich Scheunemann, « From Collage to the Multiple. On the Genealogy of Avant- Garde and the Neo-Avant-Garde », dans Avant-Garde / Neo-Avant-Garde, Amsterdam et New York, Rodopi, 2005, p. 15-48. Directeur de ma thèse à l’université d’Edinbourg, Scheunemann n’accepte pas l’idée que l’interrogation de l’artisanat joue un rôle important dans le dadaïsme. 13. Fondé en 1918, ce groupe eut pour objectif l’intégration de l’artisanat dans l’art, le dessin et la production. Arp, Janco, Richter, Eggeling, Giacometti et Tzara en étaient aussi membres. 14. Sophie Taeuber, Anleitung zum Unterricht im Zeichnen für textile Berufe [1927], cité et traduit dans Sophie Taeuber, op. cit., p. 107. ruth hemus 71 des arts a ppliqués, elle constate que, « par le truchement du travail manuel, on en vint également à considérer le travail effectué avec des machines » et que « la machine effectue ce que la main de l’homme n’est pas capable de faire » 15. Ses positions théoriques démontrent qu’elle n’était pas parti- sane d’une esthétique démodée où tout est fait à la main, mais championne d’un avenir qui comprend la main et la machine. Quant à l’aspect du genre (sexuel), lui aussi l’occupe. L’artiste Max Bill raconte : « Elle s’efforça de donner à ses élèves une idée des problèmes de l’époque, de manière que les jeunes illes qui suivent ses cours ne s’égarent pas dans un artisanat dépourvu de sens, mais deviennent des membres utiles de la société 16. » À la même époque, à Berlin, une autre femme, hannah höch, construi- sait une carrière d’artiste, tout en continuant à exercer une activité profes- sionnelle, et elle réussit à produire des innovations importantes à partir de ces expériences. Compagne pendant une période de l’homme marié qu’était alors Raoul hausmann, elle fut la seule femme à accéder au cercle dadaïste berlinois. Les rapports n’allaient pas sans complications. hausmann l’effa- cera d’ailleurs presque de ses mémoires en afirmant qu’« elle ne fut jamais membre du Club 17 ». De nos jours, höch est pourtant la femme dadaïste la plus connue. Elle est appréciée surtout pour ses contributions au photo- montage, technique clé de dada à Berlin, où l’artiste sélectionne, coupe, fragmente et recompose dans de nouvelles compositions des photographies de presse. Les représentations de femmes, parfois humoristiques, parfois troublantes, qui sont le résultat de son travail, la rendent unique parmi ses congénères masculins. Les corps féminins fragmentés, les signes de la mode populaire, l’attention au genre sexuel et à l’ethnicité, tous présents dans son œuvre, sont d’un intérêt majeur pour les recherches féministes. Un aspect de son œuvre moins examiné mais tout aussi notable est son incorpora- tion, dans des collages et des photomontages, de matériaux dits féminins, associés à l’artisanat et la domesticité. höch est exemplaire car son engage- ment dans les techniques artisanales coexiste avec des recherches ayant trait à la technologie 18. Un premier exemple de ce déi lancé aux frontières séparant trop souvent artisanat et technologie, dans la vie comme dans l’art, est le photomontage Chefs d’État 19. Réalisée entre 1918 et 1922, cette œuvre 15. Ibid. 16. Jean-Louis Faure et Claude Rossignol, Sophie Taeuber-Arp, catalogue de l’exposi- tion, Musée d’art moderne de Strasbourg, 26 mars-12 juin 1977, Strasbourg, Dernières Nouvelles de Strasbourg, 1977, p. 9-10. 17. Raoul hausmann, Am Anfang war Dada, Giessen, Anabas, 1972, p. 153. 18. Pour une analyse détaillée de l’œuvre de höch voir Maud Lavin, Cut with the Kitchen Knife: The Weimar Photomontages of Hannah Höch, New Haven & London, Yale University Press, 1993. 19. Staatshäupter, Stuttgart, Institut für Auslandsbeziehungen. 72 « fait à la main » – les femmes dadaïstes et les arts aPPliqués correspond bien à d’autres exemples de photomontages réalisés par höch et par ses collègues masculins dans les années 1920 et 1930. Composée de fragments tirés de magazines, elle s’attaque à des conventions esthétiques autant qu’à la situation politique. Tout en démontrant que la politique ne fut pas le domaine exclusif des hommes, elle se distingue néanmoins par des détails qui sont autant de signatures de sa créativité propre. höch y représente deux hommes politiques, le président Ebert et le ministre des Finances Noske. Une photographie de ces deux hommes en maillots de bain avait paru sur la couverture du magazine BIZ le 24 août 1919, et fut fortement tournée en ridicule. Ayant découpé l’image dans la presse, höch l’a employée à deux reprises : en 1919, dans un photomontage Dada Runds- chau et trois ans après, en 1922, dans Chefs d’État. Dans cet exemple, elle a choisi une maquette de broderie comme arrière-plan. La maquette comprend un papillon, des feuilles et des leurs, ainsi qu’une femme allon- gée sous une ombrelle. Cette sélection a pour résultat de se moquer des hommes politiques, dont le statut et la virilité sont menacés par la juxtapo- sition de matériaux et de symboles féminins. Un autre effet, par ailleurs, est l’introduction de la sphère féminine (naturelle et domestique) dans la sphère publique et masculine. En somme, höch parvient à allier stratégie esthétique et commentaire politique. Un deuxième exemple, moins connu, met l’accent sur la créativité dans différentes parties de la vie, de manière plus explicite. Modèle pour un monument à un chemisier en dentelle important 20, créé en 1922, anoblit de manière humoristique la tâche pratique de la fabrication d’une chemise, un objet quotidien et banal. Composée de fragments de maquettes de couture, employés comme éléments collés, l’image inale est abstraite et géométrique. Tout en faisant des allusions à l’artisanat dans cet exemple, höch n’emploie en fait pas réellement de compétences ou de techniques artisanales. Au lieu de coller un morceau de tissu, c’est le patron qu’elle colle. Son matériel, ici, n’est ni peint, ni dessiné, ni même du tissu, c’est du matériel imprimé, déjà fabriqué. Elle a pris une maquette (dessinée, sans doute, auparavant, de sa main), qui a été par conséquent imprimée, elle l’a découpée et en a collé les fragments ain de créer un nouveau dessin abstrait. Cette œuvre est, inalement, un photomontage, qui évoque, à première vue, le dessin machi- nal ou graphique. De nombreux contrastes sont ainsi manifestés : entre le matériel réel (le papier imprimé) et le matériel évoqué (la dentelle) ; entre le processus (la maquette) et le résultat (la chemise); entre la singularité et la reproduction ; entre la banalité (une chemise) et la majesté (le monument). La question se pose encore : pourquoi, à une période où elle utilisait ce qu’elle a nommé des photomatter 21 pour dépeindre la femme moderne, 20. Entwurf für das Denkmal eines bedeutenden Spitzenhemdes, hamburger Kunsthalle. 21. höch désigne ainsi des fragments d’images découpés dans des journaux et des magazines. ruth hemus 73 le loisir, le consumérisme et l’industrie, höch aurait-elle choisi des patrons et des modèles pour le tissu et la dentelle comme matériel ? Tout d’abord, son choix de matériaux autres que peints se situe dans le principe dadaïste d’élargir la panoplie de matériaux disponibles pour l’artiste, y compris des objets quotidiens, banals et trouvés. Ce principe a été articulé par Raoul hausmann dans son exposé intitulé « Les nouveaux matériaux dans la peinture » (Das Neue Material in der Malerei) dès 1919. Les choix divers de höch correspondent dans ce contexte plus clairement aux œuvres de Kurt Schwitters, qui a utilisé toutes sortes d’objets quotidiens, par exemple des billets de transport, des reçus, des fragments de journaux, etc. Il vaut la peine de noter que la déinition ou l’interprétation de ce qu’est la vie quotidienne varie selon l’individu et selon son expérience particulière. Les sélections de höch font référence, souvent, aux sphères domestiques et féminines. Un deuxième point d’accord entre le choix (dit féminin) de maquettes de couture et les principes dadaïstes est le concept de l’artiste comme travailleur ou monteur. höch a travaillé trois jours par semaine, pendant une dizaine d’années, entre 1916 et 1926, comme dessinatrice pour Ullstein, maison de publication berlinoise. Elle y a réalisé des motifs pour papier peint, des patrons de robes, et des modèles de dentelle et de broderie. Vendus dans de grands magasins, ces patrons et modèles ont été également présen- tés dans des magazines comme Die Dame. Les fragments de maquettes inclus par höch dans ses œuvres d’art ne se réfèrent donc pas seulement aux loisirs populaires et plutôt traditionnels des femmes, mais aussi au monde du travail et du commerce. C’est ainsi que le principe de l’artiste comme monteur, décrit dans les manifestes et les théories des dadaïstes à Berlin, passe du domaine théorique au domaine réel dans le cas de höch. Loisir et travail, production individuelle et à large échelle, créativité domestique et professionnelle coexistent dans son œuvre. Modèles et images de dentelle et de tissu, mais aussi éléments collés, reviennent dans l’œuvre de höch tout au long de sa carrière. Si le collage Mes proverbes domestiques 22 de 1922 est peu typique de son travail, il réunit malgré tout certains de ses points forts. Il comprend des références visuelles et linguistiques : des fragments de revues, des photographies, le dessin d’un enfant, des slogans écrits à la main, par des philosophes, les noms de collègues dadaïstes et son portrait. Il y a aussi des modèles de brode- rie, la photographie d’un morceau de dentelle, et même la r eprésentation d’une aiguille et de points, c’est-à-dire les indices de sa main, de l’arti- sanat. L’aspect autobiographique n’est point à nier 23. Il convient aussi de 22. Meine Haussprüche, Berlinische Galerie, Landesmuseum für moderne Kunst, Photo- graphie und Architektur. 23. Pour une analyse détaillée, voir un essai de Janina Nentweg dans Ralf Burmeister, Hannah Höch: Aller Anfang ist Dada!, Berlinische Galerie, Ostildern / Museum Tinguely, Basel, hatje Cantz, 2007, p. 50.

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