LES COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES DANS LE MONDE GRÉCO-ROMAIN ESSAIS DE DÉFINITION BIBLIOTHÈQUE DE L'ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES SCIENCES RELIGIEUSES VOLUME 117 BREPOLS CENTRE D'ÉTUDES DES RELIGIONS DU LIVRE LES COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES DANS LE MONDE GRÉCO-ROMAIN , ESSAIS DE DEFINITION Sous LA DIRECTION DE NICOLE BELAYCHE ET SIMON C. MIMOUN! BREPOLS La Bibliothèque de !'École des Hautes Études, Sciences Religieuses La collection Bibliothèque de !'École des Hautes Études, Sciences Religieuses, fon dée en 1889 et riche de plus de cent volumes, reflète la diversité des enseignements et des recherches qui sont menés au sein de la Section des Sciences Religieuses de l'École Pratique des Hautes Études (Sorbonne, Paris). Dans l'esprit de la Section qui met en œuvre une étude scientifique, laïque et pluraliste des faits religieux, on retrouve dans cette collection tant la diversité des religions et aires culturelles étu diées que la pluralité des disciplines pratiquées: philologie, archéologie, histoire, droit, philosophie, anthropologie, sociologie. Avec le haut niveau de spécialisation et d'éru dition qui caractérisent les études menées à l'E.P.H.E., la collection Bibliothèque de !'École des Hautes Études, Sciences Religieuses aborde aussi bien les religions an ciennes disparues que les religions contemporaines, s'intéresse aussi bien à l'origi nalité historique, philosophique et théologique des trois grands monothéismes - judaïsme, christianisme, islam - qu'à la diversité religieuse en Inde, au Tibet, en Chine, au Japon, en Afrique et en Amérique, dans la Mésopotamie et l'Égypte anciennes, dans la Grèce et la Rome antiques. Cette collection n'oublie pas non plus l'étude des marges religieuses et des formes de dissidences, l'analyse des modalités mêmes de sortie de la religion. Les ouvrages sont signés par les meilleurs spécialistes français et étrangers dans le domaine des sciences religieuses (chercheurs enseignant à l'E.P.H.E., anciens élèves de !'École, chercheurs invités ... ). © 2003 Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. Ail rights reserved. No part of this book may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2003/0095/30 ISBN 2-503-52204-1 Printed in the E.U. on acid-free paper AVANT-PROPOS PAR Nicole BELAYCHE et Simon C. MIMOUNI Les contributions figurant dans cet ouvrage représentent les résultats et les conclusions d'un groupe de recherche qui a commencé ses travaux en 1997, sous la direction de Sylvie Honigman et Simon C. Mimouni, et les a poursuivis, à la suite du départ de Sylvie Honigman en 1999, sous la direction de Nicole Belayche et Simon C. Mimouni. Ce groupe s'inscrivait dans le cadre d'un programme du « Centre d'études des Religions du Livre » (UMR 8584, EPHE-CNRS, direction Philippe Hoffmann) et a bénéficié de l'aide de l'équipe de recherche « Centre Gustave Glotz. Recherches sur les mondes hellénistique et romain» (UMR 8585, CNRS-Paris I-Paris IV EPHE, direction Jean-Louis Ferrary). Les questions de définition de la notion de « communauté religieuse » dans le monde gréco-romain et de ses modalités (constitution/formation/fonctionnement) ont été au centre des problématiques abordées par ce groupe de recherche. A côté des communautés et de leur dimension sociologique et institutionnelle, l'intérêt du projet a été de se focaliser aussi, dans la mesure où les sources le permet tent, sur les lieux de culte, en croisant autant que possible documentation littéraire, épigraphique et archéologique. Grâce à une équipe à la fois diverse et ramassée, faisant appel à des compétences internationales, les travaux présentés ont couvert plusieurs mondes culturels de la Méditerranée hellénistique et romaine (communautés religieuses grecques, romaines, ne juives, chrétiennes, manichéennes) sur une longue durée (du siècle avant notre ère au VIe siècle de notre ère). Cette ampleur géographique, chronologique et théma tique a permis d'aboutir à des conclusions significatives sur les « marqueurs » défi nissant une communauté religieuse. Ainsi, le vocabulaire a-t-il été précisé, la place des rituels d'entrée évaluée et les modes de formation analysés. Nous remercions l'ensemble des membres du groupe de recherche qui, tout au long des quatre années d'échanges fructueux, ont éclairé de leurs connaissances et de leurs intelligences une problématique tout aussi difficile que délicate. 5 EN GUISE D'INTRODUCTION EN QUÊTE DE MARQUEURS DES COMMUNAUTÉS « RELIGIEUSES » GRÉCO-ROMAINES Nicole BELAY CHE Université de Rennes II « Quel que soit le nom, quelle que soit la destination que nous donnions à des hommes réunis en un corps ... » Trajan à Pline, Lettres 34, 1 Les sociétés gréco-romaines étaient constituées d'un foisonnement de groupe ments ou communautés1: l'appartenance associative était un des modes privilégiés de l'intégration professionnelle et sociale et offrait un cadre aux manifestations évergétiques2. Cette floraison n'était pas - comme dans les sociétés occidentales contemporaines - inversement proportionnelle à la solidité du tissu communautaire civique. Au contraire : dans le même temps où prospéraient les associations depuis l'époque hellénistique, l'orgueil civique était au plus fort et nourrissait l'attache ment à l'autonomie locale3. En outre, l'exclusivisme communautaire n'existait pas dans le monde païen4. Même lorsque les communautés suivaient des règles de sé paration, comme dans l'association de Zeus hypsistos à Philadelphie d'Égypte5, cel les-ci ne concernaient que la vie communautaire des membres. Même pour les Juifs, l'appartenance religieuse n'empêchait pas d'autres liens communautaires, en particulier civiques, par lesquels, par exemple, les aristocrates palestiniens membres des boulai locales étaient en charge des affaires religieuses. Les Institutes de Gaius énumèrent les caractéristiques légales des collegia (droit de posséder des biens - donc d'avoir un lieu de réunion -, d'avoir une caisse, un agent ou un syndic - donc une «raison sociale» -)6. Mais, on peut appeler communauté aussi bien une association de ce type, dont le statut est reconnu même 1 Voir par exemple à Ostie ILS 6146. 2 Voir O.M. VAN NIIF, The Civic World of Professional Associations in the Roman East, Amsterdam, 1997, p. 82-85; G. BowERSOCK, « Les Euemerioi et les confréries joyeuses », dans Comptes Rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 1999, p. 1241-1256; et A.I. BAUMGARTEN, « Graeco-Roman Voluntary Associations and Ancient Jewish Sects », dans M. GOODMAN (Ed.), Jews in a Graeco-Roman World, Oxford, 1998, p. 108. Pour la relation avec le culte des empereurs, P.A. HARLAND, « Honours and worship: Emperors, imperial cuits and associations at Ephesus (first to third centuries C.E.) », dans Studies in Religion / Sciences Religieuses 25, 1996, p. 319-334. 3 Voir les agônes de cités en Asie Mineure, M. SARTRE, L'Orient romain. Provinces et socié tés provinciales en Méditérranée orientale d'Auguste aux Sévères (31 avant J.-C.-235 après J. C.), Paris, 1991, p. 190-198 et pour l'Occident, C. LEPELLEY, Les cités de l'Afrique romaine au Bas-Empire, t. 1, Paris, 1979, en particulier p. 298-318. 4 Voir P. BRUNEAU, Recherches sur les cultes de Délos à l'époque hellénistique et à l'époque impériale, Paris, 1970, p. 586-587 pour les Apolloniastes, les Hermaïstes et les Poseidoniastes. 5 Voir plus bas, n. 38. 6 Gaius, Institutes 3. 9 En quête de marqueurs si elle est privée, et des groupements plus informels d'individus rassemblés autour d'un maître ou d'une croyance, comme par exemple la première communauté des disciples autour de Jésus, ou celle qui continue autour de Jacques à se réunir dans la «chambre haute » à la façon d'une famille7. En tant que groupe de Juifs/Ju déens couverts par la réglementation reconnue à l'ethnos, cette première commu nauté jérusalémite n'avait pas besoin d'autorisation particulière, quand bien même elle affichait des caractéristiques associatives manifestes (hiérarchie, repas en commun, fonds commun ... ). Par-delà des structures organisationnelles très sembla bles8, les natures de ces groupes étaient donc diverses et assurément multiples. Une association délienne, qui pour une fois explicite son identité, illustre la nature complexe de ces associations. « Le koinon/synodos [selon les inscriptions] des Poséi doniastes bérytains marchands, armateurs et entrepositaires » affiche dans sa déno mination même une définition quadruple : en tant que structure (une association) et en rapport avec ses trois fondements (religieux, ethnique et professionnel)9, selon une imbrication caractéristique du monde antique10. Ce cas explique notre diffi culté à ordonner les associations grecques ou romaines selon des critères autres que celui de leur nature structurelle de groupe. Le mot et la chose Pour les autorités romaines, une communauté devait entrer dans la visibilité de la loi quand son nombre11, des réunions régulières, une hiérarchie interne, une caisse commune, faisaient de cette structure une entité calée sur des formes politi ques 12, dont on pouvait donc craindre les agissements13 et vis-à-vis desquelles le 7 Ac 1, 13. Certaines communautés s'appellentjamilia comme un collège de Silvain en Sa bine, AÉp. 1929, 161. 8 Voir J.P. WALTZJNG, Étude historique sur les corporations professionnelles chez les Romains depuis les origines jusqu'à la chute de l'Empire d'Occident, t. I-IV, Louvain, 1895-1900; F. Po LAND, Geschichte des griechischen Vereinswesens, Leipzig, 1909; F.M. DE ROBERTIS, Storia delle corporazioni e del regime associativo ne! mondo romano, t. I, Bari, 1934, p. 266-267 et F.M. DE ROBER ns, Il fenomeno associativo nel monda romano : dai collegi della Repubblica alle corporazioni del Basso Impero, Naples, 1995. 9 !Délos 1520 et 1519. Voir P. BRUNEAU, op. cit., Paris, 1970, p. 622-630 (l'auteur les appelle (p. 621) des « associations à caractère religieux groupant des commerçants phéniciens de Dé los») et M.-F. BASLEZ, Recherches sur les conditions de pénétration et de diffusion des religions orientales à Délos (11"-r' s. avant notre ère), Paris, 1977, p. 206-212. 10 Voir J.-M. FLAMBARD, «Éléments pour une approche financière de la mort dans les classes populaires du Haut-Empire », dans F. HINARD (Ed.), La mort, les morts et l'au-delà dans le monde romain, Caen, 1987, p. 210. 11 La communauté judéo-chrétienne de Jérusalem autour de Jacques comptait 120 mem bres, Ac 1, 15. 12 Voir les plaques de marbre inscrites offertes au sanctuaire dolichénien de !'Aventin à Rome par des patroni et des candidati sur le modèle des relations patrons/clients, G.M. BEL LEU - U. BIANCHI (Ed.), Orientalia Sacra Urbis Romae Dolichena et Heliopolitana, Rome, 1996, p. 115-125, n° 13 et 14. 13 Trajan a refusé la création pourtant utile d'un collegium fabrorum (vigiles du feu) pour lutter contre les incendies à Nicomédie par crainte d'associations factieuses malgré les précau tions de Pline, Lettres 10, 34 : « ta province, et surtout cette ville, sont la proie de sociétés de ce genre». Voir A.N. SHERWIN-WHITE, The Letters of Pliny. A Historical and Social Commen- 10
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