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Les arabesques de la connaissance. Connexions entre le gnosticisme et le soufisme sous la ... PDF

16 Pages·2017·1.06 MB·French
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Les arabesques de la connaissance. Connexions entre le gnosticisme et le soufisme sous la dynastie des Abbassides Silviu LUPAŞCU Key-words: gnôsis, pléroma, Sophia, noûs, sphaīra, ma‘rifa, ’ālam al- ibdā’/’ālam al-amr, hikma, ‘aql, falak al-aflāk L’histoire comparée des religions abrahamiques fait ressortir un problème important d’herméneutique et de théologie mystique : dans quelle mesure des arguments fondés sur des sources primaires gnostiques (IIIe–IVe siècles) et Soūfi (VIIIe–XIIIe siècles) peuvent reconstituer le syncrétisme créateur grâce auquel une série d’idées religieuses (la gnose, la connaissance salvatrice de l’être et des attributs de la divinité ; la plénitude de l’espace ou du royaume de la divinité ; la sagesse divine, l’intellect de l’univers ; la sphère céleste, les sphères célestes) définitoires pour le gnosticisme hellénistique (grec : gnôsis, pléroma, sophia, noûs, sphaīra) ont été assimilées, réécrites et développées dans le cadre de la théologie Soūfi (arabe : ma‘rifa, ’ālam al-ibdā’/’ālam al-amr, hikma, ‘aql, falak al-aflāk), sous la dynastie des Abbassides (750–1258). L’hypothèse concernant la délimitation historique de ce syncrétisme ne vise pas la collision entre les mots-clés appartenant à des espaces religieux différents, mais l’identification de filières de hybridisation spirituelle entre l’espace de la théologie mystique hellénistique et l’espace de la théologie mystique musulmane, dans le contexte de l’histoire de la culture universelle et de l’histoire comparée des religions. L’introduction de ces mots-clés dans la pensée théosophique musulmane indique une tendance subjacente accompagnant la conquête et l’islamisation programmatique de l’Afrique du nord, de la Palestine, de la Syrie, de la Mésopotamie et de la Perse : l’extrapolation des notions préexistentes dans le trésor spirituel de la pensée hellénistique sur des notions correspondantes de la lexicologie arabe, en partant de la traduction à grande échelle de la littérature hellène – hellénistique en arabe aux VIIIe–XIIIe siècles. Par ce procédé syncrétique, l’élite intellectuelle de l’islam primaire-médiéval enrichit la vocation universelle initiale de l’espace religieux musulman avec le patrimoine de la pensée philosophique et théosofique de l’Antiquité, qu’il déconstruit de manière raffinée, par un long processus de sélection  Université « Dunărea de Jos », Galaţi, Roumanie. Cet ouvrage est parru avec le soutien financier du Programme Opérationnel Sectoriel de Développement des Ressources Humaines (POSDRU) 2007– 2013, co-financé par le Fonds Européen Social (FSE), sous le numéro de contract POSDRU 89/1.5/S/61104. „Philologica Jassyensia”, An VIII, Nr. 1 (15), 2012, p. 275−290 BDD-A1060 © 2012 Institutul de Filologie Română „A. Philippide” Provided by Diacronia.ro for IP 45.150.112.115 (2023-02-05 00:47:32 UTC) Silviu LUPAŞCU fécond, de réécriture créatrice, d’homogénéisation et de subordination, tant par rapport à l’idéal théocratique-textuel du Qur’ān que par rapport à la réalité révélée lors des expériences théandriques abritées par les écoles et les communautés Soūfi. La Bibliothèque de Nag Hammadi, la plus importante collection de manuscrits gnostiques rédigés en langue copte d’après des originaux perdus en langue grecque, a été découverte en 1945 dans la proximité du village d’Al-Qasr de la Haute-Égypte. Nag Hammadi Codex comprend cinquante-deux traités, regroupés en treize livres. L’Évangile de la vérité révèle l’antagonisme entre l’« oubli » et la « connaissance ». Le premier est le vide gnoséologique défini comme méconnaissance du Père, et la dernière est le principe ontologique de l’infini qui s’affirme comme révélation du Père : L’oubli ne vient pas du Père, bien qu’il soit apparu à cause de Lui. Mais ce qui vient véritablement de Lui est la connaissance (gnôsis), qui est apparue pour que l’oubli disparaisse et que le Père soit connu. Tant que l’oubli a été créé car le Père n’était pas connu, si le Père devient connu, à partir de ce moment-là l’oubli n’existera plus (Attridge, MacRae [trad.] 1988 : 40). L’homme doué de la connaissance est celui dont le Père a prononcé le nom, celui qui a reçu l’appel de la part du Père de l’espace céleste : Par conséquent, lorsque quelqu’un a la connaissance, il vient d’en haut. S’il est appelé, il entend, il répond et se retourne vers Celui qui l’appelle et s’élève vers Lui. Et il sait comment il est appelé. Ayant la connaissance, il accomplit la volonté de Celui qui l’appelle, il désire lui plaire et acquiert le repos. Le nom de chacun arrive à Lui. Celui qui est voué a avoir la connaissance de cette manière, sait d’où il vient et où il va (Attridge, MacRae [trad.] 1988 : 42). L’accomplissement de la connaissance se dévoile comme la réidentification ontologique du soi avec l’Unité divine : À l’intérieur de l’Unité, chacun arrivera à son propre soi. À l’intérieur de la connaissance, il pourra se purifier en partant de la multiplicité vers l’Unité, il brûlera la matière existente à l’intérieur de soi-même pareillement au feu, et les ténèbres par la lumière, et la mort par la vie (Attridge, MacRae [trad.] 1988: 44). L’Évangile de Philippe situe la connaissance dans la consubstantialité herméneutique de la liberté et de l’amour : Celui qui a la connaissance de la vérité est un homme libre. [...] La vérité est la mère, et la connaissance est le père. [...] En fait, celui qui est véritablement libre par la connaissance est un esclave grâce à l’amour pour ceux qui n’ont pas eu le pouvoir d’accéder à la liberté de la connaissance. La connaissance les rend capables de devenir libres. L’amour (ne clame)1 jamais qu’une chose serait le sien, mais [...] la [...] prend en possession [...]2. L’amour spirituel c’est du vin et de l’arôme. Tous ceux qui en reçoivent l’onction, s’en réjouissent. En présence de ceux qui sont oints, ceux qui se trouvent dans les proximités en profitent également (de l’arôme3) (voir Isenberg [trad.] 1988 : 155). 1 Reconstitution du texte. 2 Trois lacunes dans le texte. 3 Reconstitution du texte. 276 BDD-A1060 © 2012 Institutul de Filologie Română „A. Philippide” Provided by Diacronia.ro for IP 45.150.112.115 (2023-02-05 00:47:32 UTC) Connexions entre le gnosticisme et le soufisme sous la dynastie des Abbassides L’Apocryphon de Jean comprend une réécriture gnostique de la Genèse, 2, 9– 3, 6, dans le contenu de laquelle la connaissance parfaite est désignée comme Epinoïa (« compréhension intérieure »), un don divin de la part « de la Mère et du Père de l’Entier » que l’esprit dépose dans l’être d’Adam dans le but de contrecarrer les maléfices de archontes : Et notre sœur, Sophia, est celle qui est descendue avec innocence, pour corriger sa déficience. Par conséquent, elle a été appelée Vie par la préscience de la souveraineté du ciel, ce qui signifie mère du vivant [...]. Et par elle, ils ont goûté à la connaissance parfaite. Moi, je suis apparu sous la forme d’un aigle au-dessus de l’arbre de la connaissance, qui est Epinoïa de la préscience du monde pur, de sorte que je puisse les enseigner et les réveiller de la profondeur de leur sommeil. [...] Epinoïa s’est révélée à eux comme une lumière (et)4 a réveillé leur pensée (voir Wisse [trad.] 1988 : 118). Le Second traité du Grand Seth décrit l’insoumission de Sophia vis-à-vis du Pléroma divin et l’omniprésence théocratique de la « Connaissance de la grandeur » : […] car les choses existantes au monde ont été préparées par la volonté de notre sœur, Sophia [...], grâce à l’innocence qui n’a pas été prononcée. Elle n’a rien demandé à l’Entier, ni à la grandeur de l’Assemblée, ni au Pléroma. [...] Car ils n’ont pas connu la Connaissance de la Grandeur, qui vient des hauts lieux et d’une fontaine de la vérité et qui n’est pas née de l’esclavage ou de la haine, ni de la peur et de l’amour pour la matière dont le monde est créé (voir Gibbons, Bullard [trad.] 1988 : 363−367). Les deux premiers siècles après Hijra, le système de pensée du soufisme a été édifié dans le milieu spirituel des Écoles de Bassora5, Kūfa6, Bagdad7 et Khurāsān8. La théologie Soūfi s’est formée graduellement dans le milieu ascétique fondé sur la notion de piété musulmane du renoncement (zuhd), dans les communautés des piétistes et ascètes (‘ābid, nāsik, zāhid) qui ont pratiqué le reniement de soi (voir Karamustafa 2007 : 1). L’état actuel des recherches sur l’histoire du soufisme signale que l’un des premiers maîtres qui a porté le surnom de Soūfi a été Abū Hākim de Kūfa (m. 768), et parmi les premiers auteurs qui ont utilisé le mot Soūfi il 4 Reconstitution du texte. 5 Ville située à la frontière entre la Mésopotamie et l’Arabie, résidence d’une colonnie arabe du clan Tamimite. L’École de Bassora a été fondée sur les principes du sunnisme d’influence mu‘tazilite et qadarite. Parmi ses maîtres il y avait Hasan Basrī (643–728), ‘Abd Al-Wāhid Ibn Zayd (m. 793 ; fondateur de l’habitat cénobitique d’Abbādān), Husayn Ibn Mansūr Al-Hallāj (857–922) et Muhammad Ibn ‘Abdallah Al-Niffarī (Xe siècle). 6 Ville située à la frontière entre la Mésopotamie et l’Arabie, résidence d’une colonnie arabe du clan Yéménite. L’École de Kūfa a été fondée sur les principes du shī’isme d’influence murjite. Parmi ses maîtres il y avait Abū Isrāil Mulā’ī (m. 757), Jābir Ibn Hayyān (vers 721–776) et Abū Sa‘īd Al- Kharrāz (m. 899). 7 Parmi les maîtres de l’École de Bagdad il y avait Abū ’l-Hasan Al-Nūrī (m. 907) et Abū ’l-Kāsim Al-Junayd (m. 910). 8 Région du nord-est de la Perse où Ibrāhīm Ibn Adham (m. 778) et Shaqīq Balkhī (m. 809) ont fondé une école Soūfi dont le système de pensée atteindra son apogée par la vie et l’œuvre d’auteurs tels Abū Yazīd Bistāmī (804–874), Abū ’l-Hasan Kharaqānī (963–1034), Farīd-ud-dīn ‘Attār (vers 1120–1220), Muīn-ud-dīn Chishtī (1141–1230), Jalāl-ud-dīn Rūmī (1207–1273) et ‘Azīz-ud-dīn Nasafī (XIIIe siècle). 277 BDD-A1060 © 2012 Institutul de Filologie Română „A. Philippide” Provided by Diacronia.ro for IP 45.150.112.115 (2023-02-05 00:47:32 UTC) Silviu LUPAŞCU y avait Jāhiz de Bassora (m. 869), qui mentionne le nom de certains musulmans pieux, reconnus pour le pouvoir de prêcher (voir Dermenghem [éd.] 1980 : 33–36). Dans leurs écritures, les auteurs Soūfi ont fait la différence entre ‘ilm (« science », « connaissance scientifique »), hikma (« sagesse ») et ma‘rifa (« gnose », « connaissance de Dieu », « connaissance théosophique »). Ils font alterner la hiérarchisation entre ‘ilm et ma‘rifa, alors que al-hikma est considérée comme un don divin, identifiable dans le Qur’ān. Bien que la racine ‘arf soit incluse, sous différentes formes, dans le Qur’ān, le mot ma‘rifa n’est jamais mentionné. Dans ce contexte historique et lexicologique, Dhū’l-Nūn Misrī (vers 796–859)9 a précisé le sens du mot tafwīd (« don de soi du mystique à Dieu ») et a défini pour la première fois la notion de ma‘rifa (« gnose »). De toute son œuvre seulement les apophtegmes édités par ses disciples et admirateurs d’Égypte et de Bagdad ont survécu (voir Massignon 1999 : 206–213). Abū Bakr Muhammad Ibn Ishāk Al-Kalābādhī (m. vers 990–994)10, par exemple, insère dans le Kitāb al-ta‘arruf li-madhhab ahl al-tasawwuf ou le Livre- manuel sur la doctrine Soūfi l’énoncé de Dhū’l-Nūn Misrī conformément auquel la prise de conscience de l’approchement de Dieu, dans les conditions où toute désobéissance à ses commandements est anihilée par la remémoration continuelle de la gloire divine, est une preuve de l’appropriation de la gnose sur la divinité : Un homme a demandé à Dhū’l-Nūn : Par quels moyens as-tu acquis la gnose sur Dieu ? Il a répondu : Si jamais j’étais tenté de commettre un acte de désobéissance, et ensuite je remémorais la gloire de Dieu, j’aurais honte devant Lui (voir Al-Kalābādhī 1991 : XXII, 51). Dans l’opinion d’Émile Dermenghem, Dhū’l-Nūn a opéré la distinction entre trois types de connaissance : une connaissance exercée par la communauté des croyants, une connaissance exercée par les philosophes et les théologiens et « la connaissance des attributs de l’unité (divine) », accessible seulement aux « saints qui voient Dieu avec leur cœur » (voir Dermenghem [éd.] 1980 : 38). Dans les trois chapitres (voir Al-Kalābādhī 1991 : XXI–XXII, LX, 46–51, 132–135) qu’il consacre à la notion de ma‘rifa, Al-Kalābādhī expose les enseignements des grands maîtres Soūfi sur la gnose et la connaissance en tant que voie de la proximité ontologique de l’être humain et de l’Être Divin. Pareil à Dhū’l- Nūn, Al-Junayd (m. 910)11 a affirmé la coexistence de deux types de gnose : « Il y a deux types de gnose : la gnose de la révélation-de-Soi (ta‘arruf) et la gnose de l’enseignement (ta‘rīf) ». Al-Kalābādhī commente cet énoncé du point de vue de la distinction entre la connaissance exotérique et la connaissance ésotérique : Le sens de la révélation-de-Soi est : Il manifeste la cause par laquelle ils Le connaissent, ils connaissent les choses par Lui [...]. Le sens de l’enseignement est : Il 9 Dhū’l-Nūn Misrī est né à Ikhmīm, en Haute Égypte. 10 Maître Soūfi de Kalābādh, Bukhārā, renommé pour le Kitāb al-ta‘arruf, source primaire essentielle à l’étude de l’histoire du soufisme. 11 Abū ’l-Kāsim Ibn Muhammad Ibn Al-Junayd Al-Khazzāz Al-Nihāwandī de Bagdad est célèbre en tant que représentant de la tendance « sobre » du soufisme abbasside. Les titres qui lui ont été conférés par les membres des communautés Soūfi – sayyid al-tā’ifa (« maître de la communauté »), tā’ūs al-fukarā’ (« paon des derviches »), shaykh al-mashāyikh (« cheikh des cheikhs ») – témoignent de l’estime avec laquelle sa vie et son œuvre ont été couronnées dans l’histoire du soufisme. Al-Junayd a décrit l’état d’annihilation de soi du mystique (fanā’) en Présence Divine (voir Arberry 1986 II : 600). 278 BDD-A1060 © 2012 Institutul de Filologie Română „A. Philippide” Provided by Diacronia.ro for IP 45.150.112.115 (2023-02-05 00:47:32 UTC) Connexions entre le gnosticisme et le soufisme sous la dynastie des Abbassides leur dévoile les effets de sa puissance dans les cieux et dans les âmes, c’est alors qu’Il plante en eux une grâce particulière (lutf), et ainsi les choses matérielles témoignent de l’existence du Créateur. Celle-ci est la gnose de la majorité des croyants alors que la première est la gnose des élus. Et aucun homme n’a véritablement connu Dieu que par Dieu lui-même (Al-Kalābādhī 1991 : XXI, 47–48). De cette perspective, Al-Junayd a formulé trois définitions de la gnose dans l’acception Soūfi : C’est le vol plané du cœur entre le fait de déclarer la grandeur de Dieu impossible à comprendre et le fait de déclarer sa puissance impossible à saisir. [...] Elle consiste à savoir que n’importe quoi ton cœur pourrait imaginer, Dieu se trouve, par rapport à cette image, en opposition. Malheur à ceux qui sont en proie à l’aveuglement ! Dieu n’a part en aucun homme et aucun homme n’a part en Lui. Il est une existence qui parcourt la non-existence dans tous les sens. [...] La gnose est la capacité de la pensée d’être témoin aux voies ouvertes du retour (dans le monde de l’au-delà, après la mort), mais aussi à l’impossibilité du gnostique (‘ārif) d’avoir du pouvoir sur sa conduite excessive ou déficitaire. Dans son commentaire, Al-Kalābādhī souligne que le gnostique ne peut pas contrôler l’état de rapprochement théandrique car la connaissance préalable de cet état est circonscrite par l’omniscience et l’omnipotence divines. Son retour aura lieu vers un but fixé par Dieu par un décret émis dans la pré-éternité, de sorte que les éventuels détours de la voie ne soient pas gouvernés par la volonté humaine, mais par la volonté divine (Al-Kalābādhī 1991 : XXI, 133). En même temps Al-Junayd a exprimé le paradoxe apparent de la relation entre la gnose (ma‘rifa) et la connaissance (‘ilm) : « La gnose est la compréhension de sa propre ignorance, quand Sa connaissance arrive. [...] Il est à la fois le sujet (‘ārif) et l’objet (ma‘rūf) de la gnose ». En d’autres mots, la vie adamique et la puissance de connaître de l’âme (nafs) et de l’intellect (‘aql) humain sont illusoires, font partie du domaine ontologique de la réalité irréelle, en comparaison avec l’infini de l’Être Divin, le seul Moi connaisseur, la seule réalité réelle qui se connaît Soi-même en tant que sujet et objet de la connaissance, par la manifestation de la vie et de la connaissance humaine. Le commentaire d’Al-Kalābādhī sur cet énoncé éclaircit la relation entre la gnose et la connaissance en tant qu’attributs théocratiques : Cela signifie que lorsque Dieu révèle la cause par laquelle un homme détient Sa gnose (ma‘rifa), de sorte qu’il connaît Dieu par la révélation-de-Soi qui lui est adressée, alors Lui, Il initie en cet homme une connaissance (‘ilm) : par conséquent, cet homme-là atteint à la connaissance par la gnose, et l’intellect travaille en lui sur la connaissance que Dieu avait initiée en lui (Al-Kalābādhī 1991 : XXI, 50). Dans le même sens, Abū Sa‘īd Al-Kharrāz (m. 899)12 a fait la distinction entre la gnose comme processus intellectuel définitoire pour l’intervalle ontologique dans lequel l’être humain est motivé par la nécessité de la recherche de l’Être Divin et la connaissance comme état ontologique béatifique, instauré après l’expérience mystique de l’union entre l’homme et Dieu : 12 Abū Sa‘īd Ahmad Ibn ‘Isa Kharrāz Baghdādī a été maître des communautés Soūfi de Kūfa et de Bagdad. Dans son ouvrage principal, le Kitāb al-sirr ou Livre du secret, il définit la réalité théandrique comme ‘ayn al-jam‘ ou « l’union essentielle entre la substance divine et la substance humaine » (voir Massignon 1999 : 300–303). 279 BDD-A1060 © 2012 Institutul de Filologie Română „A. Philippide” Provided by Diacronia.ro for IP 45.150.112.115 (2023-02-05 00:47:32 UTC) Silviu LUPAŞCU La gnose (ma‘rifa) de Dieu est la connaissance de la recherche de Dieu, avant son expérimentation effective : la connaissance de Dieu (‘ilm) succède à l’expérience. Par conséquent, la connaissance de Dieu est plus difficilement accessible et plus subtile que la gnose de Dieu (voir Al-Kalābādhī 1991 : XXII, 51). Al-Kalābādhī mentionne aussi l’aphorisme d’un Soūfi anonyme13 qui a défini la gnose comme « invitation adressée au cœur, par différents types de méditations, à faire l’expérience des états extatiques induits par les moments de remémoration déclenchés par les signes successifs de la révélation » (voir Al-Kalābādhī 1991 : LX, 133). Dans le Kashf al-mahjūb, La révélation de ce qui est caché ou Le dévoilement de ce qui est voilé, ‘Alī Ibn ‘Uthmān Al-Jullābī Al-Hujwīrī (vers 990–1072/1077) a défini la connaissance de Dieu (ma‘rifat Allāh) en tant que vie du cœur humain, reçue en don de la part de Dieu, et libération de la pensée humaine de tout ce qui n’est pas Dieu. La valeur humaine de chaque croyant est directement proportionnelle avec la gnose divine qu’elle détient, et ceux qui sont étrangers à la gnose divine ont perdu toute valeur humaine. Les théologiens désignent par la gnose (ma‘rifat) la connaissance juste de Dieu (‘ilm), tandis que les cheikhs Soūfi nomment ma‘rifat le sentiment juste envers Dieu : Par conséquent, lorsque la raison s’est éloignée le plus possible, et les âmes de ses bien-aimés doivent Le chercher, ils restent indigents, dépourvus de leurs propres facultés mentales [...] ; et lorsqu’ils ont épuisé toute méthode de recherche se trouvant à la portée de leur force, la puissance de Dieu devient leur propre puissance, ils trouvent la voie vers Lui par Lui, ils sont libérés des affres de l’absence, ils marchent dans le jardin de l’intimité et acquièrent le repos. [...] Dieu crée la cause par laquelle l’homme connaît Dieu par Lui-même à travers une connaissance qui n’est en liaison avec aucune faculté, une connaissance dans laquelle l’homme n’a qu’une existence métaphorique (voir Al-Hujwīrī 1976 : 267–271). Ce qui est primordial ce n’est pas la gnose, qui contient en soi le péril potentiel de devenir un voile entre l’être humain et l’Être Divin, mais la réalité théandrique manifestée en tant qu’objet de la connaissance : Lorsqu’un homme est condamné à la perte dans la Tablette Préservée, plus encore, dans la volonté et la connaissance de Dieu, comment serait-il possible qu’une preuve ou une démonstration le guide sur la bonne voie ? Le Dieu Très-Haut montre à Son serviteur la voie vers Lui-même tel qu’Il le veut et par les moyens qu’Il veut et lui ouvre les portes de la gnose, de sorte qu’il arrive à un niveau où l’essence même de la gnose lui apparaît étrangère (ghayr), ses attributs deviennent nuisibles, et le voile de sa gnose le sépare de l’objet connu et il comprend que sa gnose est de la présomption. [...] Par conséquent, ne revendiquez pas la possession de la gnose, pour que vous ne périssiez pas par votre présomption, mais adhérez plutôt à sa réalité intrinsèque de sorte que votre salut soit possible ! (voir Al-Hujwīrī 1976 : 273–274). La connaissance intuitive (haqq al-yaqīn) de la vision de Dieu, qui sera révélée dans le Paradis, est le résultat de la contemplation (mushāhadat) (voir Al- Hujwīrī 1976 : 381–382). 13 Derrière l’appellatif « un des grands maîtres Soūfi » se cache souvent, dans les textes propédeutiques du soufisme, Husayn Ibn Mansūr Al-Hallāj, dont le nom était ainsi voilé pour prévenir d’éventuelles répercussions juridiques pour les communautés Soūfi, suite à son exécution publique qui a eu lieu à Bāb Khurāsān, en 913, comme punition pour avoir proféré l’énoncé Anā l-Haqq (« Je suis Dieu./ Je suis la Vérité ») dans la mosquée Al-Mansūr de Bagdad. 280 BDD-A1060 © 2012 Institutul de Filologie Română „A. Philippide” Provided by Diacronia.ro for IP 45.150.112.115 (2023-02-05 00:47:32 UTC) Connexions entre le gnosticisme et le soufisme sous la dynastie des Abbassides L’appropriation de la gnose par le ‘ārif ou celui qui cherche Dieu a toujours été intimement associée, dans l’histoire du soufisme, tant à l’intériorisation spirituelle du Qur’ān, en tant que langage divin, qu’à l’accomplissement paroxystique de l’amour entre l’homme et Dieu. Dans ce sens, Muslim Khawwās (m. vers 815) a affirmé : Au début, pour retrouver de la suavité a ma lecture du Qur’ān, je le lisais comme si c’était Muhammad qui me le dictait. Puis, comme si c’était Gabriel qui l’annonçait à Muhammad. Enfin comme si c’était Allāh même. Et alors toute la suavité de la lecture du Qur’ān m’en fut donnée (voir Massignon1999 : 46, n. 1; voir aussi, Nwyia 1991 : 311). Abū ’l-Hasan Al-Nūrī (m. 907)14 fait une interprétation du Qur’ān, V, v. 5915 dans la perspective de la différence entre mahabba (l’amour du bien-aimé légitime) et ‘ishq (l’amour passionnel de l’amant). Dans son opinion, mahabba exprimée dans le texte qur’ānique désigne la relation d’amour entre Dieu et l’homme arrivé à la fin de son itinéraire spirituel, jouissant de la présence du Bien-aimé dans l’état d’union mystique. Mais l’homme qui surmonte difficilement ou tragiquement l’expérience du rapprochement de Dieu n’arrivera dans la présence du Bien-aimé que par les exigences de l’amour passionnel, son accès à mahabba étant conditionné par ‘ishq, par l’absorption théocratique vers Dieu qui veut être désiré (shawq). À ce niveau ontologique, la proximité initiale entre l’homme et Dieu se dévoile comme éloignement, et la présence initiale s’avère comme absence. Par conséquent, le chercheur gnostique est contraint de recourir au langage de l’amour passionnel pour parcourir le labyrinthe des proximités et des présences divines, au-delà desquelles il connaîtra la réalité réelle de la vérité divine et l’immersion dans l’amour légitime, dans la présence du Bien-aimé (voir Nwyia 1991 : 318–319). L’ontologie théandrique du soufisme se dévoile comme consubstantialité béatifique de la connaissance, du langage et de l’amour. Al-Nūrī ou l’« homme de lumière » avoue dans un important texte hagiographique son identification avec la lumière du royaume de l’invisible : J’ai vu une lumière qui brillait dans le royaume de l’invisible. Je l’ai regardée continuellement, jusqu’à ce que le moment est arrivé où j’étais devenu entièrement cette lumière-là (voir ‘Attār 1990 : 221–230)16. 14 Représentant célèbre de l’École de Bagdad, ami d’Al-Junayd et Al-Hallāj, Abū ’l-Hasan Al-Nūrī a opté pour un soufisme ascétique fondé sur l’acceptation obstinée de la souffrance, sur un dolorisme véhément. Pendant la durée du procès intenté par Gulam Halīl (m. 888), moraliste rigide de l’École hanbalite, contre les adeptes Soūfi, Al-Nūrī a plaidé pour la défense de ceux-ci, avec éloquence et persuasion. Il est l’auteur de l’ouvrage intitulé Maqāmāt al-qulūb ou Les arrêts des cœurs (voir Massignon 1929 : 51 ; voir aussi, Nwyia 1991 : 316–318). 15 Voir Qur’ān, V, v. 59, Arberry (trad., éd.) 1991 : 109 : « Ô, croyants, si l’un de vous rejette sa religion, Allāh amènera certainement un peuple qu’Il aime et qui L’aime, doux à l’égard les véritables croyants et sévère à l’égard des non-croyants, des gens qui combattent sur la voie d’Allāh, sans craindre la médisance des médisants ». 16 D’autres passages décrivent le symbolisme de la lumière dans la biographie spirituelle d’Al- Nūrī : « chaque fois qu’il parlait dans les ténèbres de la nuit, une lumière sortait de sa bouche et toute la maison se remplissait de lumière » ; « il avait le pouvoir de déchiffrer les plus profonds mystères par la lumière de l’intuition » ; « il avait un lieu de refuge dans le désert, où il avait l’habitude de prier toute la 281 BDD-A1060 © 2012 Institutul de Filologie Română „A. Philippide” Provided by Diacronia.ro for IP 45.150.112.115 (2023-02-05 00:47:32 UTC) Silviu LUPAŞCU Paul Nwyia a remarqué que la pensée d’Al-Nūrī décrit une trajectoire réversible entre le plan de l’imaginaire religieux et le plan du langage abstrait, entre la fulguration dénuée du concept et la rhétorique occultée de la parabole (voir Nwyia 1991 : 320). Dans son ouvrage intitulé Maqāmāt al-qulūb ou Les arrêts des cœurs, Al-Nūrī évoque vingts tableaux focalisés sur trois rubriques principales : images de la maison et de la citadelle, images du jardin et des arbres, images de l’eau et du feu (Nwyia 1991 : 324). Al-Nūrī ouvre la série des paraboles extraites de l’univers végétal par un paragraphe qui crée un effet contemplatif de mise-en-abîme entre l’espace mystique qui circonscrit les jardins du Paradis17 et l’espace mystique qui circonscrit les jardins constituées par les cœurs des gnostiques : « Il est sur terre des jardins (basātīn) qui appartiennent à Dieu. Celui qui hume leurs parfums ne désira plus jamais le Paradis. Ces jardins sont les cœurs des gnostiques ». Le croyant lui- même est le jardinier des dix jardins qui se trouvent dans l’espace du cœur, et sa responsabilité est d’éloigner les plantes nuisibles des vices et des hérésies (voir Nwyia 1991 : 334–335). Il est important de souligner que, dans un texte qui traite le même sujet, Abū ‘Abdallāh Ja‘far Al-Sādiq (vers 699/703–765)18 mentionne les « arbres de la gnose » du jardin située dans les cœurs des amis de Dieu, dont les branches embrassent le « Pléroma céleste » : Dieu a fait du cœur de Ses amis le jardin de Sa complaisance, jardin dans lequel Il a planté les arbres de la gnose : ses racines sont implantées dans leur conscience intime, ses branches se dressent en la Présence (divine) dans le Plérôme celeste (voir Abū ‘Abdallāh Ja‘far Al-Sādiq, Tafsīr, 55, 11, cité par Nwyia 1991 : 327, n. 1). L’occurence du syntagme « Plérôme céleste », notion essentielle du gnosticisme hellénistique, dans un texte Soūfi datant du VIIIe siècle, qui concerne la description de l’espace théocratique du cœur, habité par les arbres de la gnose, démontre que la théologie de la gnose (ma‘rifa), définitoire pour le soufisme des VIIIe–XIIIe siècles, doit être comprise par une relation d’interdépendance herméneutique et réécriture syncrétique par rapport à la théologie de la gnose ( ) hellénistique des IIIe–IVe siècles. Henry Corbin a observé que l’ismaélisme fatimide d’inspiration gnostique postule que, dans l’état de « perfection primaire », toutes les intelligences angéliques ou les « formes de lumière » du Plérôme céleste (’ālam al-ibdā’, ’ālam al-amr) accèdent à l’être en même temps et ont un statut égal. Leur hiérarchisation et structuration définitive sur le plan ontologique, dans l’état de « perfection secondaire », sont déterminées par la mesure nuit, et les gens qui sortaient sous le ciel et regardaient dans cette direction-là voyaient une lumière qui s’élevait de son ermitage et brillait dans la nuit ». 17 Voir Qur’ān, XVIII, v. 107–108, Arberry (trad., éd.) 1991 : 300 : « Mais ceux qui croient et accomplissent des actes justes auront comme demeure les jardins du Paradis et ils y habiteront pour l’éternité et ne voudront pas les quitter ». Voir aussi, Qur’ān, XIV, v. 27–28, Arberry (trad., éd.) 1991 : 249 : « Ceux qui croient et accomplissent des actes justes seront reçus dans les jardins sous lesquels coulent des rivières et ils y vivront éternellement, par la volonté de leur Seigneur ». 18 Abū ‘Abd Allāh Ja‘far Al-Sādiq (« celui qui est digne de confiance ») a été le septième et dernier imām reconnu tant par les shī’ites duodécimans que par les shī’ies ismaéliens. Pendant la période de transition entre la dynastie des Omeyyades et la dynastie des Abbassides, il a dirigé les shī’ites qui ont accepté un imāmat Fātimī non-militant. Il est l’auteur d’un Tafsīr ou Commentaire sur le texte du Qur’ān (voir Hodgson 1986 II : 374–375). 282 BDD-A1060 © 2012 Institutul de Filologie Română „A. Philippide” Provided by Diacronia.ro for IP 45.150.112.115 (2023-02-05 00:47:32 UTC) Connexions entre le gnosticisme et le soufisme sous la dynastie des Abbassides dans laquelle elles réussissent à accomplir le tawhīd, le principe fondamental de l’unicité divine. Grâce à la dimension conférée par ibdā’, l’« instauration immédiate » par acte créateur, le Plérôme céleste se définit comme un espace de l’ontologie impérative, générée par le commandement divin « Sois ! » (kun), en contraste avec le monde créé, ’ālam al-khalq (voir Corbin 1964 I : 120–121). De la catégorie des symboles végétaux qu’Al-Nūrī utilise dans le but d’exposer la téologie Soūfi se détache de manière évidente l’image de l’arbre. Cette image extraite du Qur’ān, XIV, v. 29–3019, est investie de la signification de l’« arbre de la gnose » (ma‘rifa) dans deux passages du Maqāmāt al-qulūb. Dans le premier, le symbolisme de l’arbre et celui de l’espace s’imbriquent pour exprimer la présence exhaustive de la connaissance de Dieu dans l’étendue de l’univers : « Quand la pluie de la générosité (divine) tombe sur le cœur, elle y fait pousser l’arbre de la gnose qui donne naissance à cinq branches ; la première atteint le Trône, la seconde, l’Orient, la troisième, le Couchant, la quatrième, l’Horizon droit et la cinquième, l’Horizon gauche. La branche qui atteint le Trône, sa sève est la béatitude et son fruit la conversation intime (avec Dieu) ; celle qui atteint l’Orient, sa sève est la générosité et son fruit le dévouement ; celle qui atteint le Couchant, sa sève est la miséricorde et son fruit la science et l’avertissement qui produit la méditation et l’obéissance ; la branche qui atteint l’Horizon droit, sa sève est l’amour et son fruit le souvenir répété (de Dieu) ; celle enfin qui atteint l’Horizon gauche, sa sève est la sève de la conversion, et son fruit le fruit de la vision » (voir Nwyia 1991 : 337). Dans le second, le symbolisme de l’espace extérieur est métamorphosé dans le symbolisme des espaces intérieurs de l’être humain. L’arbre de la gnose intérieure miroite la présence théocratique de l’espace cosmique par la présence théocratique située à l’intérieur et à la proximité de l’être humain : La gnose dans le cœur du croyant est à l’image d’un arbre qui a sept branches : la première renvoie à ses yeux, la seconde à sa langue, la troisième à son cœur, la quatrième à son âme, la cinquième aux créatures de son Seigneur, la sixième à l’Au- delà et la septième à son Seigneur, le Très-Haut. Or chaque branche porte deux fruits : la branche qui renvoie aux yeux porte les larmes et les sanglots ; celle qui renvoie à la langue, la science et la sagesse ; celle qui renvoie au cœur, le désir et l’attrition ; celle qui renvoie à l’âme, le renoncement et la dévotion ; celle qui renvoie aux créatures, la fidelité et la loyauté ; celle qui renvoie à l’Au-delà, le bonheur et le Paradis ; celle enfin qui renvoie au Seigneur, porte la vision et la proximité (Nwyia 1991 : 337–338). Mawlana Jalāl-ud-dīn Rūmī (1207–1273)20, dans le Mathnawī-i ma‘nawī ou Chants rimés, avec un profond sens spirituel, a transcrit par le biais de l’infini de la connaissance mystique l’arborescence de la cosmologie et de l’anthropologie du vivant infini : « Ô, empereur spirituel, que notre souhait d’avoir la connaissance mystique ne tarisse jamais ! » (voir Rūmī [VI, v. 1320] 1990 : 332). Dans son 19 Arberry (trad., éd.) 1991 : 249 : « Tu ne vois pas la parabole donnée par Allāh concernant le mot juste ? C’est comme un bon arbre, à la racine inébranlable et aux branches qui s’élèvent vers les cieux. Il donne des fruits tout le temps, par la volonté de son Seigneur. Et Allāh donne des paraboles aux humains pour qu’ils s’en souviennent ». 20 Maître du soufisme persan, fondateur de l’ordre Mevlevyya et de l’académie Soūfi de Qonya. Sa famille, originaire de Khurāsān, s’est réfugiée à Qonya devant l’invasion mongole. Son poème monumental intitulé Mathnawī-i ma‘nawī a été surnommé le « Qur’ān du persan ». 283 BDD-A1060 © 2012 Institutul de Filologie Română „A. Philippide” Provided by Diacronia.ro for IP 45.150.112.115 (2023-02-05 00:47:32 UTC) Silviu LUPAŞCU ouvrage exégétique, Seyed-Gohrab a souligné la réécriture de notions fondamentales du gnosticisme hellénistique dans les œuvres des poètes persans des XIIe–XIIIe siècles, en faisant référence notamment à Nizāmī (1141–1209)21, Laylā u Majnūn : la dynamique tyrannique du destin (grec : eιmarméne) ; l’ascension de l’âme vers sa résidence céleste ; l’identité maléfique du monde matériel ; l’impératif du salut par l’effort de contrecarrer les pouvoirs négatifs du cosmos (voir Seyed-Gohrab 2003 : 183–185). ‘Azīz-ud-dīn Nasafī (XIIIe siècle)22 a rédigé avec beaucoup de raffinement littéraire, dans le Kitāb al-insān al-kāmil ou Livre de l’homme parfait (dans les manuscrits supplémentaires intitulés « Le livre des étapes des pèlerins »), un éloge de l’interdépendance entre la connaissance et l’amour : L’amour de Dieu Très Haut procède de la connaissance de Dieu. Celui qui connaît Dieu, aime Dieu. L’amour de Dieu est en proportion de la connaissance de Dieu. Si la connaissance est parfaite, l’amour l’est aussi. Et lorsque l’amour est parfait, le bonheur et le repos dans l’autre monde aussi le sont. [...] La connaissance de Dieu Très Haut est le fondement sur lequel s’élèvent maintes étapes. Une fois la connaissance totalement récoltée, gravir les étapes est chose aisée – que dis-je ! – toutes d’emblée sont gravies. [...] Lorsque le pèlerin fait un pas dans la connaissance, il fait un pas dans l’ascension. Et lorsque la connaissance est accomplie, toutes les étapes sont franchies. [...] Il faut s’appliquer à acquérir la connaissance, car de celle-ci tout le reste découle – tout, sauf la bonté, laquelle s’acquiert par une autre voie. La connaissance est un monde ; la bonté un autre » (voir Nasafī 1984 : 276). L’acte de connaître se révèle comme plaisir de la connaissance qui, outre de dépasser infiniment en intensité tous les plaisirs charnels, préfigure les plaisirs du Paradis : Le plaisir de comprendre est un plaisir à l’extrême délicieux que ne sauraient égaler toutes les jouissances du corps. Connaître et voir la substance et la réité des choses, se connaître soi-même ainsi que son Créateur, est un plaisir intense (Nasafī 1984 : 245). La voie de l’être humain vers la rencontre avec Dieu, vers l’instauration de la réalité théandrique, est marquée de façon tripartite par l’acquisition de la connaissance, l’accès dans l’espace paradisiaque, l’extinction ontologique dans l’espace de l’ego et la revivification en Dieu : 21 Célèbre poète persan, Nizām Ad-Dīn Abū Muhammad Ilyās Ibn Yūsuf Ibn Zakī Ibn Mu‘ayyad, surnommé Nizāmī, est né dans la ville de Ganja en Azerbaidjan. Il a passé toute sa vie en Transcaucasie. Son œuvre impressionante comprend une série de poèmes épiques, rédigés dans le style de mathnawī. Il est aussi l’auteur du poème intitulé Laylā u Majnūn, emblématique pour la théologie de l’amour mystique dans l’islam médiéval. 22 Maître Soūfi persan, membre de l’ordre Kubrāwīya, né à Nasaf, en Transoxanie, au XIIIe siècle. Il a passé sa vie à Khurāsān, dans la région délimitée par Transoxanie et Fārs, Bukhāra et Shīrāz, Nasaf et Abarqūh. Il a étudié le soufisme avec le shaykh Sa’d-ud-dīn Hamū’ī, à son tour disciple du shaykh Najm Al-Dīn Kubrā et du shaykh Sadr Al-Dīn Qonyawī (disciple et gendre de Muhyī Al-Dīn Ibn ‘Arabī). Son œuvre témoigne de la réception des idées d’Ibn ‘Arabī dans l’espace spirituel du soufisme persan : Kitāb al-insān al-kāmil ou Le livre de l’homme parfait ; Maqsad-e aqsā ou Le dernier but ; Zobdat al-haqā’iq ou La quintessence des vérités (voir Nasafī 1984 : 9–10). 284 BDD-A1060 © 2012 Institutul de Filologie Română „A. 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L'histoire comparée des religions abrahamiques fait ressortir un problème lors des expériences théandriques abritées par les écoles et les .. juste de Dieu ('ilm), tandis que les cheikhs Soūfi nomment ma'rifat le .. transformation des coordonnées écliptiques, la géographie astronomique,
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