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Les Apologies de Justin et le Protreptique d'Aristote PDF

19 Pages·2010·0.22 MB·French
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Sophie Van der Meeren-Ferreri, journée d’Agrégation, Lyon 11 mai 2010 Les Apologies de Justin et le Protreptique d’Aristote I. Le sujet de la conférence, le problème philologique, et les précautions nécessaires qu’impose ce problème philologique : Lorsque Monsieur Jean Schneider m’a proposé de mettre en rapport les Apologies de Justin et le Protreptique d’Aristote j’ai volontiers accepté ; mais un problème se pose immédiatement. a. Qu’est-ce que le Protreptique d’Aristote ? Une exhortation (pro-trepo) à la philosophie ; un texte absolument fondateur (dont des étudiants de lettres classiques devraient avoir entendu parler) ; pourtant, les références confiantes de Charles Munier au « Protreptique » d’Aristote, dans l’Introduction, « les modèles littéraires », p. 40-41, sont trompeuses ; il dit en effet : « le Protreptique d’Aristote offre également toute une série de concordances frappantes » ; les parallèles qu’il donne sont en fait audacieux et doivent et être pris avec bp de précautions. Pourquoi est-il difficile de souscrire au jugement aussi affirmatif de Munier (et je semble clore ma conférence avant même de l’avoir commencée). Les raisons qui nous poussent à être extrêmement prudents sont d’ordre philologique. Le protreptique d’Aristote « était » donc une exhortation à la philosophie, « était », dis-je, car dans les faits, c’est un naufrage littéraire : nous n’avons plus qu’un témoignage mettant en scène le cynique Cratès lisant cet ouvrage dans la boutique d’un cordonnier, ainsi qu’un seul fragment de ce texte, transmis par Stobée et par un papyrus ; plus un exemple d’argumentation syllogistique transmis par des commentateurs d’Aristote (dont Alexandre d’Aphrodise). D’après le témoignage, que l’on trouve chez Stobée : il était adressé (ou dédié ?) à un prince de Chypre, Thémison. Le destin de cette oeuvre, c’est-à-dire sa perte, est sans doute lié à son statut littéraire, au statut complexe des écrits aristotéliciens. Le témoignage sur Cratès lisant le protreptique, montre que, comme Cratès était pratiquement un contemporain d’Aristote, le protreptique faisait partie des œuvres publiées du vivant de l’auteur, qui avaient aussi sans doute un statut « exotérique » (destinées à la vulgarisation de l’aristotélisme), à la différence des traités scolaires et bp plus techniques (métaphysique, Ethique NicK, etc), qui furent définitivement publiés bien plus tard. Je n’entre pas dans cette question très complexe des différents statuts littéraires des œuvres d’Aristote. Or à la différence des traités scolaires qui, parce qu’ils intéressaient des disciples de l’école péripatéticienne, continuèrent à être recopiés, les œuvres exotériques (dont le protreptique) finirent peu à peu, par tomber dans l’oubli. Comme beaucoup d’ouvrages de l’Antiquité, on ne sait pas exactement quand il a cessé d’être recopié :mais il est très possible qu’il ait été encore en circulation à l’époque de Justin, puisque Alexandre d’Aphrodise, grand commentateur d’Aristote (150-215) le lisait et l’étudiait ; de même sans doute Cicéron, qui l’a imité, peut-être, dans son propre protreptique, l’Hortensius. Mais l’on sait aussi que ce fut un ouvrage très apprécié, et important, dans la mesure où il faisait une défense de la philosophie : et c’est sans doute une pierre très importante dans la tradition littéraire des protreptiques, tradition dont je reparlerai un peu plus loin. On aurait pu se contenter d’en savoir si peu sur le Protreptique d’Aristote, si des philologues du XIXè, à commencer par l’anglais Bywater, en 1869, n’avait pensé reconnaître d’autres fragments dans une œuvre similaire : le Protreptique à la philosophie du néoplatonicien Jamblique, né à Chalcis, en Syrie, vers 250 ; parmi les nombreuses œuvres de Jamblique : un vaste rassemblement de matériaux (appelé généralement la Synagôgè1) destiné à présenter la philosophie pythagoricienne. Sur les neuf ou dix livres que la Synagôgè comprenait, semble-t-il, seuls quatre nous sont parvenus : le De vita pythagorica2, le Protreptique, auxquels faisaient suite les ouvrages plus spécifiques d’enseignement des mathématiques dont ne sont conservés que les livres III et IV. À l’intérieur de ce programme, le Protreptique servait d’exhortation et d’introduction à la philosophie pythagoricienne. Le Protreptique de Jamblique est une œuvre essentiellement de compilation, citant par ex. de très longs passages de dialogues platoniciens ; mais Bywater remarque justement que les chapitres V à XII sont tissés de doctrines offrant de multiples points communs frappants avec le corpus aristotélicien. Les travaux de Bywater marquèrent le début des tentatives de reconstruction du Protreptique d’Aristote, qui se poursuivront pendant un siècle, et donnèrent lieu à diverses éditions essentiellement basées sur le texte de Jamblique, en particulier celle d’I. Düring, en 1961, la première à être assortie d’un abondant commentaire scientifique, qui fait constamment appel aux doctrines aristotéliciennes. Que contient l’édition Düring citée par Munier (sans h !), note 3 p. 40. ? À part les 3-4 pages de fragments avérés et de témoignages, tout le reste est constitué des chapitres VI à XII de Jamblique, découpés en petites unités, Düring n’hésitant pas à mélanger des morceaux d’un chapitre avec ceux d’un autre, pour aboutir à 110 fragments, numérotés B 1 à B 110. La numérotation des fragments proposée par Düring est encore généralement aujourd’hui celle de référence3 ; Toutefois, malgré le ton indéniablement aristotélicien des doctrines énoncées en ces chapitres centraux du Protreptique à la philosophie de Jamblique, il faut garder présent à l’esprit que jamais l’auteur ne cite Aristote (pas plus qu’il ne cite Platon) ; dès lors, les reconstructions et les éditions du Protreptique d’Aristote qui ont vu le jour depuis la fin du XIXè siècle demeurent donc des édifices subjectifs, reposant sur des bases en partie très fragiles. Il n’est pas rare du tout que parmi les philosophes en général, et parmi les historiens de la philosophie, les spécialistes eux-mêmes ne connaissent nullement le pb philologique, et pensent que derrière tel fragment Düring qu’ils trouvent cité dans un ouvrage sur Aristote, il y a vraiment un extrait du Protreptique. Il règne une grande confusion : les parallèles que Munier propose p. 40 avec le protreptique d’Aristote témoignent de cette confusion et d’une méconnaissance de la question. Mais je ne vais pas m’en tenir à ces doutes aristotéliciens, et je vais passer tout de suite à la question du genre du protreptique, qui nous donnera sans doute, dans un premier temps, plus de points de repères pour opérer des rapprochements avec Justin, et, par la suite, plus de facilité pour reprendre la question aristotélicienne. Je vais donc un peu « naviguer » dans cet exposé entre la question du genre protreptique et celle du protreptique d’Aristote. b. Repartir de la question du genre ou de la tradition du protreptique. 1 Le titre Sunagwgh ; tw`n Puqagoreivwn dogmavtwn est mentionné deux fois par Syrianus dans le commentaire de la Métaphysique, mais ce n’est pas le seul utilisé pour désigner ce vaste ouvrage : cf Larsen, Jamblique de Chalcis, p. 43-44. 2 Qui est plus une Vie pythagoricienne, c’est-à-dire un modèle de vie à suivre, qu’une Vie de Pythagore. 3 Ce n’est pas le lieu ici de traiter de la question complexe de la « reconstruction » du Protreptique perdu d’Aristote. Nous renvoyons à E. Berti, La filosofia2, p. 395-403, Rabinowitz, Aristotle’s Protrepticus et Chroust, « A Brief Account of the Reconstruction of the Protrepticus ». Ce que je vais dire maintenant regarde brièvement la question des « genres » littéraires dans l’Antiquité Concernant non le genre du protreptique, mais celui de l’apologétique chrétienne antique, je ne peux qu’être totalement d’accord avec les réflexions extrêmement intéressantes et importantes qu’a développées sur ce thème, et en plusieurs endroits, J.-C. Fredouille : vous connaissez sans doute ces articles (si vous ne les connaissez pas, je vous invite très vivement à les lire). Prenons celui de la REAug de 1992, « L’apologétique chrétienne antique : naissance d’un genre littéraire » : il montre (p. 222) qu’il n’y a pas de loi du genre de l’apologétique chrétienne, ni, dit-il, de « paradigme » littéraire de l’apologétique chrétienne, (même si l’on peut comparer fructueusement, comme il l’a fait, l’Apologie de Justin à celle de Socrate chez Platon, mais c’est un cas isolé !). En dehors des cas particuliers de l’apologétique et du protreptique, il est toujours très difficile de parler de « genres » littéraires pour l’Antiquité (vous le savez bien) : nous sommes tributaires des classifications des théoriciens de la littérature à partir de la Renaissance ; les anciens raisonnaient très peu en termes de « genres ». Fredouille remarque ainsi que l’Antiquité n’avait pas vraiment attribué de terme générique à l’apologétique, et que derrière ce terme que nous utilisons nous-mêmes modernes se trouvent des situations communicationnelles extrêmement variées : l’apologie peut être un discours contre des païens ; un discours pour des chrétiens ; à destination à la fois des uns et des autres. Peut prendre des formes littéraires diverses : le dialogue, le discours, la pétition, etc ; La situation communicationnelle est très importante : ce n’est plus une question de genre littéraire, mais de genre oratoire, un genre de discours : cette différence, entre genre littéraire et genre discursif, est à mes yeux très significative et éclairante pour la question qui nous occupe : et si l’on s’intéresse à l’apologie en termes de discours, on arrivera mieux à cerner ses spécificités. On trouvera donc, ajoute Fredouille, des points de référence pour l’apologétique dans les genres oratoires : revenir à la théorie des trois genres (on la trouve chez Aristote) : Fredouille montre le rattachement ambivalent de l’apologétique à deux genres : le judiciaire (la défense) et le délibératif (un discours de conseil) : on a là un élément structurel pour l’Apologie de Justin, qui présente, en gros, une première partie qui réfute des accusations (judiciaire), et une partie d’exposé, qui montre le bien-fondé de la religion chrétienne et a donc une fonction de persuasion (délibératif). Les genres discursifs sont donc liés aux fonctions du texte, et ils permettent assez bien d’aborder l’apologétique, qui sert à la fois à défendre et à persuader ou conseiller dans certains cas. Qu’en est-il maintenant du protreptique, qui est, lui aussi, un « genre » difficile à saisir. Il faut distinguer comme pour l’apologétique, entre fonction protreptique du discours et genre littéraire protreptique. Prenons d’abord la « fonction » d’un certain nombre de textes portant ou non le titre de protreptique : parmi les textes « canoniques » : Euthydème, dans lesquels Socrate prononce ses deux célèbres discours qu’il appelle lui-même des protreptiques à la philosophie, mais aussi le Clitophon, peut-être pas de Platon, qui est précisément une réflexion sur le protreptique en philosophie ; Jamblique ; l’Hortensius (aujourd’hui sous forme de framgents) ; mais aussi le Protreptique aux Grecs de Clément et le protreptique à la médecine de Galien ; des textes non intitulés « protreptiques » mais qui ont une « fonction » protreptique : Lettre à Ménécée d’Epicure, certaines lettres de Sénèque : Pour les protreptiques (textes canoniques ou non), je crois que l’on peut distinguer trois grandes fonctions du discours qui permettent de comprendre ce qu’est un protreptique ; et c’est d’ailleurs sur la mise en évidence de ces trois fonctions qui, à mon avis, permettent de clarifier les choses, qu’ont porté plusieurs de mes travaux sur le « genre » protreptique.Voici ces trois grandes fonctions : le protreptique sert souvent d’introduction à un enseignement ou à un corpus de doctrine : introduction (isagogie) ; mais il sert aussi à persuader d’entrer dans une pratique ou un mode de vie : conversion (délibératif) ; mais il a aussi une fonction de propagande: ou revendication d’un statut en face d’autres pratiques concurrentes, dans un contexte de concurrences des pratiques, des professions, des modèles culturels, des modes de vie ; dans ce cadre là, il faut critiquer les pratiques concurrentes et se défendre, et cela rejoint le judiciaire (mais aussi l’épidictique, avec le blâme et l’éloge) (voir Marrou ; I. hadot) Mais comment passe-t-on de la fonction et des effets rhétoriques de ces textes, à un genre littéraire du protreptique ? Par la tradition et l’intertextualité, qui laisse émerger une série de topoi. Dans le corpus de ce que l’on appelle les « apologies », on trouve aussi, certes, des thèmes récurrents ; mais contrairement à l’apologétique qui ne possède pas, explique Fredouille, de paradigme littéraire il y a, semble-t-il, un repère littéraire fondamental pour l’histoire du « genre » du protreptique à la philosophie : c’est l’Euthydème. Un type d’argumentation se retrouve chez Jamblique, citant peut-être Aristote, chez Cicéron dans l’Hortensius , comme une « chaîne » d’intertextualité ou de traditions.  Dans le cas du protreptique, donc, on retrouve des fonctions communes aux discours (introduction, conversion, propagande), et des thématiques, une intertextualité, voire un modèle littéraire et argumentatif, ce qui permet, plus que pour l’apologétique, de parler de « genre ». c. L’intersection entre apologie et protreptique se fait donc selon moi autour des fonctions rhétoriques. Donc des intentions rhétoriques communes entre les apologies, et les protreptiques : au moins deux : défendre et persuader; ce qui explique qu’il y ait des passerelles et des emprunts entre des « genres » si l’on tient à parler de genres, ou entre formes littéraires, qu’il faut toujours considérer comme des formes perméables. Je ne suis donc pas d’accord avec les conclusions de Annewies van den Hoek (Apologetic in Clement of Alexandria, dans « L’apologétique chrétienne gréco-latine à l’époque prénicénienne, Entretiens de la Fondation Hardt, 51, 2005 C’est un article assez intéressant pour mon propos), qui, prenant pour point de départ Clément, déclare que l’apologétique et le protreptique sont des catégories de niveau totalement différent : l’apologétique regarderait les thématiques, la défense d’idées ; en revanche « protreptique » caractériserait un « style », une présentation rhétorique, une formulation, plus positive que l’apologie (qui, parce qu’elle défend, est plus « négative »). Donc, l’apologétique, selon elle, est de l’ordre du contenu, qui peut se subordonner la « forme » protreptique. Selon moi, ce apologie et protreptique sont des formes de discours de même niveau, avec des fonctions communes. Toutes ces précautions (préliminaires) étant prises, on peut maintenant tenter de réaliser une enquête de deux types  1. Qu’est-ce qui permet de rapprocher un texte présumé comme celui d’Aristote (ou d’autres témoins de la tradition protreptique) et l’Apologie de Justin : quels sont les enjeux éventuels de l’emprunt de la forme, du genre ou de la fonction du protreptique païen dans la démarche de Justin ? 2. Voir si on a des parallèles textuels entre les apologies de Justin et les extraits jamblichéens attribués à Aristote. II. Premier point de contact avec le protreptique : le lien fondamental entre philosophie et téléologie a. Un (double) idéal de sagesse, appelé philosophie idéal théorétique, et forme de vie Dans l’histoire de la reconstruction du protreptique aristotélicien, et dans les tentatives de rapprochements pour retrouver le texte original, une grande place à été donnée en effet aux témoins chrétiens : notamment Clément d’Alexandrie ; cela a été fait Bignone, puis Lazzati : l’Aristotele perduto ; travaux qui se caractérisent par un grand optimisme, sans doute exagéré. Les raisons de fond qui peuvent rapprocher le contenu (supposé) du protreptique d’Aristote avec les textes chrétiens : les uns et les autres prônent la recherche de la vérité, qui culminera dans la vie contemplative, et dans l’assimilation à Dieu et à la nature divine :  — à la vie contemplative est lié un idéal de clarté :la sagesse est lumière. D’autre part, on voit que chez Jamblique-Aristote : le sage est le contemplateur, Chez Justin : l’importance de la vie théorétique, liée à l’assimilation, apparaît clairement : voir II, 13, 3, p. 363 : les philosophes (comme Platon, mais aussi Jamblique) ont cherché la participation au divin Logos, cette participation, comme il le dit dans la même phrase, se fait par contemplation de ce qui est apparenté au logos ; § 5 : voir la réalité : mais les philosophes païens l’ont vue de manière indistincte, n’ont pas reçu le véritable moyen de participer au divin et de l’imiter ; D’autre part, chez Aristote aussi l’âme est meilleure que le corps, et l’auteur invite au renoncement à tout ce qui est transitoire ; une forme de mysticisme ; Le Protreptique d’Aristote semble un texte particulièrement religieux. Anne-Marie Malingrey notamment, dans un ouvrage important : « Philosophia », étude d’un groupe de mots dans la littérature grecque des Présocratiques au IVè s. ap. J-C, Paris, Klincksieck, 1961, a ainsi très bien montré que non seulement Justin, mais les Apologistes en général, récupèrent le concept de « philosophie » pour désigner cette forme de vérité et de recherche de la vérité : et vous savez que Justin désigne constamment le christianisme comme une philosophie, c’est très important. Mais voir, aussi, le volume « Les apologistes chrétiens et la culture grecque », sous la direction de B. Pouderon et J. Doré, Beauchesne, 1998 (actes d’un colloque de 96). À côté de la recherche théorique de la vérité, un autre aspect rend possible le rattachement du christianisme à une philosophia. Dans la philosophie hellénistique surtout, mais pas seulement, la philosophie est non seulement corps de doctrines, mais aussi engagement dans un mode de vie, dirigé vers la vérité, la sagesse, la vertu, et une forme de perfection. Or le christianisme représente lui aussi tout cela à la fois : idéal contemplatif, et mode de vie qui lui est subordonné ; et au IIè s. ap. JC, ce terme revêt désormais une acception très large, et récupérable, donc, par différents modèles culturels. La sagesse comme but et sens de l’existence. Maintenant, quel est le lien entre la philosophia ainsi entendue et le protreptique ? b. Le protreptique promeut la finalité de l’existence : la promesse du bonheur J’ai évoqué l’Euthydème ; modèle de protreptique : on doit philosopher, rechercher la sagesse, pour être heureux : le bonheur est placé au terme de cette recherche de sagesse, et la justifie. Euthydème : Protreptique d’Aristote : Ce texte décrit parfaitement l’orientation fondamentalement téléologique et eudémoniste de la philosophie païenne ; le rapprochement entre philosophie et christianisme a été très bien mis en valeur par Holte dans le cas d’Augustin (Béatitude et sagesse, Saint Augustin et le problème de la fin de l’homme dans la philosophie ancienne, Etudes Augustiniennes, 1962), mais ses analyses s’appliquent à d’autres auteurs chrétiens (et il parle notamment de Justin) or Justin lui aussi opère la même adéquation : la philosophie conduit à la sagesse, qui conduit elle-même au bonheur : c’est une sorte de schème téléologique La promesse de la philosophie : Je peux difficilement éviter de faire une petite incursion dans un autre texte de Justin, le Dialogue avec Tryphon : 3, 3-4, où Justin dit ainsi : Justin : — « Sans la philosophie et la droite raison, il ne saurait y avoir de sagesse (frovnhsi~) pour personne. Aussi tout homme doit-il philosopher (dio ; crh ; pavnta a[nqrwpon filosofei`n), et tenir cette œuvre pour la plus importante et la plus précieuse (tou`to mevgiston kai ; timiwvtaton e[rgon) (…) — Serait-ce donc que la philosophie procure le bonheur (eujdaimonivan) ? intervint-il alors ? — Assurément, lui dis-je, et elle seule. — Mais alors, poursuivit-il, qu’est-ce que la philosophie, et quel est le bonheur qui en découle ? Si rien ne t’empêche de le dire, dis-le moi ! — La philosophie, répliquai-je, est science de l’être et connaissance du vrai (ejpisthvmh ejsti ; tou` o[nto~ kai ; tou` ajlhqou`~ ejpivgnwsi~) ; quant au bonheur, c’est la promesse (gevra~) de cette sagesse (sofiva). La philosophie tend donc à la sophia, qui tend elle-même au bonheur : exactement comme dans l’Euthydème. Cette téléologie culmine avec l’eschatologie, ce que nous verrons plus loin : parler des promesses de bonheur après la mort est un excellent stimulant : or ceci on le trouve aussi chez Jamblique-Aristote (nous le reverrons dans la dernière partie de l’exposé avec les parallèles textuels). (voir : Malingrey p. 118). Le protreptique est foncièrement le discours de la téléologie ; il suppose un modèle téléologique, l’obtention d’une finalité future, qui justifie elle-même que l’on recourre à une exhortation, que l’on invite les autres à faire un choix (c’est la fonction essentiellement délibérative du discours) : dimension efficiente du discours, situation d’énonciation tournée vers l’avenir, vers une conversion : deuxième point. III. Le protreptique, discours de la conversion : marques chez Justin Si la philosophie (païenne, chrétienne) est mode de vie, et tension vers la vérité, elle demande donc un engagement de toute la personne, et une décision initiale et radicale. L’existence du protreptique est justifiée par la nécessité de donner une forme et un sens particuliers à l’existence, par une nécessité de philosopher, qui demande, avant toute chose, une conversion : le protreptique découle naturellement d’une nécessité de philosopher. Dans ce parallèle culturel étroit entre philosophie païenne et christianisme, Justin occupe bien sûr une place privilégiée, par l’intégration des deux modèles ; de même Clément. Et comme chez Clément plus tard, on remarque que Justin inscrit effectivement lui aussi son message dans une démarche protreptique : ce dont témoignent d’ailleurs plusieurs occurrences du verbe provtrepein sur lesquelles je m’arrêterai au fur et à mesure. le relevé des occurrences pourrait sembler à première vue artificiel, mais en fait je me suis aperçu qu’on pouvait en retirer bp de choses : on peut véritablement décrire une démarche protreptique a. Les marques d’un discours protreptique — Exhortation aux païens, appel direct à la conversion : I, 18, 2, p. 179 : « ne manquez pas de vous laisser persuader »  — Fonction protreptique du discours : — quelques remarques sur la fonction d’exhortation qui peuvent éclairer le plan : bp de discussions sur le plan ; comme l’a bien fait remarquer Fredouille, après Hubik, Justin énonce la division de son apologie en I, 1-3 : d’abord examiner les accusations contres les chrétiens (4-12), ensuite la vie et la doctrine des chrétiens (14-67) ; or l’exposé sur la vie et la doctrine des chrétiens est précédé d’une phrase qui mêle intention démonstrative et intention protreptique : ou qui donne à l’exposé une intention protreptique (I, 13, 4), qui entre dans une fonction clairement délibérative du discours. La dimension protreptique du discours a été mise en valeur par plusieurs auteurs : Voir Pellegrino, Studi su l’antica apologetica, p. 13 : l’intention missionnaire de l’œuvre de Justin se manifeste déjà dans le développement donné à l’exposé du contenu dogmatique et moral, et même dans l’exposé des rites du christianisme ; montre ce qu’est cette religion, pour convaincre les hommes de l’embrasser. Je fais remarquer, entre parenthèses, que les derniers éditeurs du texte, c’est-à-dire Denis Minns et Paul Parvis (Oxford University Press), ont fortement orienté le découpage même du texte de la première apologie en fonction d’une lecture protreptique ; ils distinguent ainsi : Protreptique 1) fondé sur les enseignements de Jésus, de 12, 11 à 23, 2 Protreptique 2) la démonstration des prophéties, de 23, 3 à 60, 11 Protreptique 3) le culte chrétien, de 61, 1 ) 67, 8. Mais je referme la parenthèse — I, 12, 11, p. 159 : semble aussi dire la même chose que I, 13, 4 : rôle protreptique de l’exposé lui-même de la doctrine chrétienne. I, 44, 13, p. 247 : « nous proposons ces livres à votre examen ; et même si nous ne parvenons à persuader qu’un petit nombre, nous aurons réalisé un bénéfice considérable » : marque l’intention protreptique du discours. I, 53, 12, p. 271 : « tant de faits donc nous sommes témoins peuvent assurément, avec l’aide de la raison, faire naître persuasion et foi (peiqw ; kai ; pivstin) chez ceux qui s’attachent à la vérité (…) » I, 55, 8, p. 277, « nous avons cherché à vous convaincre » ; comme s’il y avait clôture d’une grande partie avant 56. peut-être le grand moment de la démonstration est-il terminé. — les raisons d’exhorter — Il inscrit aussi dans le texte les motifs qui poussent le chrétien à la propagande et les arguments développés devant les païens : persuasion du devoir qui incombe à qui possède la vérité, de la communiquer : I, 10, 4-5, p. 153 : « le fait de venir à l’existence ne dépendait pas de nous, par contre, il dépend de nous de rechercher ce qui Lui est agréable (…) Nous croyons aussi qu’il est dans l’intérêt de tous les hommes de ne pas se voir détourner de la connaissance de ces vérités, mais au contraire d’y être vivement encouragés ; » devoir d’accueillir la parole, mais aussi de l’enseigner ; 45, 5, p. 249 : « partout nous accueillons cette parole avec empressement et nous l’enseignons ». Un sentiment de piété, qui provoque le désir de la conversion des païens : 57, 1, p. 279-80 : « ces gens-là, non seulement nous ne les haïssons pas mais, comme cela est manifeste, nous les prenons en pitié et nous voulons les persuader de changer d’avis ». b. Mise en œuvre d’une rhétorique dualiste Arracher à l’erreur et entraîner vers la vérité : importance de la confrontation ; l’antithèse entre des éléments négatifs/positifs, provtrepw et ajpotrevpw On retrouve en effet chez Justin une caractéristique des protreptiques, qui est l’argumentation dualiste : détacher de l’erreur, et exhorter vers la vérité ; deux moments, un moment négatif, presque chirurgical, et un moment positif (la conversion se passe en deux temps). Ceci se reflète dans des passages où il utilise précisément le verbe. L’illustration de ce double mode rhétorique dans les protreptiques païens est donnée par Justin, à propos de Socrate : — II, 10, 6, p. 351 : significatif, même s’il regarde Socrate : « mais lui, en excluant de sa république Homère et les autres poètes, enseignait aux hommes à se détourner (paraitei`sqai) des mauvais démons et des divinités qui avaient commis les crimes racontés par les poètes/et il les exhortait à acquérir, par une recherche fondée en raison, la connaissance du dieu qui leur était inconnu. » Puis Justin l’applique dans son propre discours : — I, 10, 5, p. 153 : significatif : « nous croyons qu’il est dans l’intérêt de tous les hommes de ne pas se voir détourner (ei[rgesqai = empêcher) de la connaissance de ces vérités, mais au contraire d’y être vivement exhortés (protrevpesqai). » c. Inscription dans le texte lui-même d’une situation de communication tournée vers la conversion C’est-à-dire d’une véritable scène protreptique : — mise en scène protreptique II, 12, 7-8 : le personnage qui exhorte d’en haut : voir Clitophon, etc. une sorte d’inscription dans le texte lui-même (d’indexation) de la situation protreptique par excellence. Voir hartlich, 231, 310 : Dion Chrysostome, Epictète, Lucien d.  Nous entraîne vers une réflexion sur la nature et l’origine de cette parole protreptique Situation particulière, comme chez Clément : le chrétien n’est pas le détenteur ultime du message, cette parole qu’il proclame de haut, il l’obtient lui-même de plus haut : dieu a lui-même une fonction protreptique, qu’il transmet à l’auteur : une sorte de devoir de communication du message : voir M. Pellegrino — I, 16, 3, p. 173 : « nous ne devons donc pas opposer de résistance. Il ne veut pas non plus que nous imitions les méchants ; tout au contraire il nous a exhortés à user de patience et de douceur pour arracher tous les hommes à l’abjection et à la séduction du mal ». le chrétien est porteur d’un kerygma : pas uniquement de la persuasion rhétorique, mais message, proclamation, et basé sur l’autorité et la grâce, pas sur des preuves (cf. Kennedy). e. Choix et naturalité du choix — Je rappelle d’abord l’importance de la notion de choix dans un protreptique : La démarche protreptique a pour fondement la capacité de choisir : choisir entre une option de vie parmi d’autres : entre différents bioi (c’est bien pourquoi les anciennes classifications rhétoriques placent généralement l’argumentation protreptique dans le délibératif). Chez Jamblique : Le vocabulaire du choix, de la préférence (c’est-à-dire tout le champ lexical du verbe eJlevsqai en particulier), ainsi que les termes indiquant que ce choix est impérieux, sont omniprésents dans le protreptique de Jamblique. Il faut choisir la philosophie, car c’est elle qui nous conduit au bonheur. Ce choix absolu pour la philosophie suppose que l’on se détourne d’autres options, ce qui explique la rhétorique des contraires à laquelle je faisais allusion plus haut. Un passage en particulier m’intéresse, inspiré de Platon, non d’Aristote : l’homme a un pouvoir de choisir : très important : les hommes ont une « faculté personnelle de choisir le bien et de fuir le mal » : le choix du démon ; Jamblique réutilise la phrase du mythe d’Er en un sens très différent de l’original — Ce que je veux faire remarquer est le fait que nous avons les capacités naturelles de choisir : Mettre en parallèle avec le texte de Justin Chez Justin : Selon Justin, l’homme a en lui-même le pouvoir naturel de choisir le bien : ce pouvoir lui est donné par ses facultés rationnelles (logikai dunameis), qui sont un don de dieu : I, 10, 3-4 : « De même qu’au commencement il a créé des êtres qui n’existaient pas, de même, croyons-nous, ceux qui auront choisi ce qui lui est agréable, seront, à cause de leur libre choix (dia ; to ; eJlevsqai), jugés dignes de l’incorruptibilité et de la communion de vie avec lui. Le fait de venir à l’existence ne dépendait pas de nous ; par contre (il dépend de nous) de rechercher ce qui Lui est agréable, en le choisissant grâce aux facultés rationnelles (logikw`n dunavmewn) dont il nous a lui-même fait présent, et ceci nous persuade et nous conduit à la fois (peivqei te kai ; eij~ pivstin a[gei hJma`~) ». Le thème est repris en I, 28, 3, p. 295 : « à l’origine, il a créé le genre humain doué d’intelligence et capable de choisir le vrai et de bien agir » ; la doctrine du libre-arbitre est également développée en I, 43-44 (p. 241 sqq) : c’est par une libre décision que l’homme fait le bien et qu’il fait le mal ; II, 6, 4 : critique la fatalité stoïcienne DONC : 1. Un pouvoir personnel : le choix dépend de nous ; une responsabilité personnelle dans la conversion, qui rend celle-ci authentique 2. Mais aussi, nous ne sommes pas étrangers à l’objet de notre choix : nous avons en nous- mêmes une faculté naturelle qui nous permet d’atteindre cette finalité, qui est aussi l’acquisition de notre vraie nature ; chez Jamblique-Aristote : nous rejoignons notre vraie nature (grâce à notre nature même), cohérence de ce processus de réalisation de l’homme par la conversion/ chez Justin : notre choix part aussi de ce qui est en nous, et il correspond au dessein de Dieu pour nous, qui est de nous conformer à la nature divine, qui est notre vraie nature. L’idée est que nous ne sommes jamais éloignés de l’accomplissement de notre être propre. 3. Mais il y a un autre argument commun aux deux passages, lui aussi très intéressant : Non seulement le choix nous est connaturel, mais le ce fait même (la naturalité du choix) nous exhorte : qu’est-ce que cela veut dire ? — Il y a une sorte d’argument rhétorique : le fait que le choix dépende de nous, et que nous en ayons la capacité, montre qu’il est possible, voire facile : argument de la facilité de la philosophie, longuement développé dans les chapitres attribués à Aristote : la philosophie est à portée de la main. IV. Deuxième conséquence : le protreptique est le discours de la spécification et et de la propagande a. Contact et différences entre Justin et la philosophie païenne : Je suis partie de la rencontre formelle entre les deux modes culturels : la tension vers la sagesse et la vérité ; l’accès à la vérité est rendu possible, dans les deux cas, c’est-à-dire dans le cas du christianisme comme dans celui de la philosophie, par un certain mode de vie, et par l’accueil de certaines doctrines. Sur les doctrines, il peut bien entendu y avoir des points de contact, une rencontre partielle entre philosophie et christianisme ; Justin, comme Clément, est un cas particulier, et particulièrement intéressant sur ce sujet, car il manifeste, plus qu’aucun autre, une forte compénétration, qui se manifeste en particulier dans sa doctrine du logos : le logos-semeur a déposé en chaque être humain une semence par laquelle on participe partiellement au Logos, c’est-à-dire la vérité ; mais les anciens n’ont connu qu’une vérité partielle. En ce sens il manifeste une distance par rapport aux philosophies chez Justin : Apol., I, 18, 5-6, p. 181 : sur la survie des âmes après la mort, ce que viennent confirmer les enseignements d’Empédocle, Pythagore, Platon, Socrate ; I, 20, 1-5 (p. 185) : « si nous sommes d’accord sur certains points », en particulier la conflagration des stoïciens : en général un « stoïcisme » de Justin bien étudié par G. Bardy. Mais il reste surtout une différence énorme, irréductible, avec les philosophes (et c’est la même chose chez tous les auteurs chrétiens) : chez les Chrétiens, l’accès à la vérité n’est plus seulement la recherche personnelle, mais la vérité est d’un autre ordre : c’est la vérité révélée, qui s’offre à l’homme, et qui demande non plus (seulement) une démarche rationnelle, mais un acte de foi. La philosophie païenne et le christianisme présentent donc une aspiration identique : le philo- de philosophein, vers une sagesse, mais cette sophia diffère fondamentalement ; formellement, une même démarche, mais dans le contenu, opposition de deux systèmes de valeurs.Une conséquence importante pour le genre du protreptique : b. Le protreptique est aussi le discours de la revendication d’une spécificité et d’une exclusivité (après avoir mis l’accent sur ce qui est commun, il spécifie) : Comme l’a très bien montré encore Malingrey, revendiquer le nom de philosophie pour la religion revient aussi, fréquemment, à revendiquer que l’on pratique la « vraie » philosophie ; Or c’est aussi l’une des fonctions du protreptique que d’affirmer le statut d’une pratique ou d’un mode de vie, son exclusivité, mais aussi sa supériorité : la supériorité du christianisme est clairement exposée par exemple en II, 10, p. 349 : le Christ est le logos intégral (to ; o{lon ; puis pavnta : c’est ici le terme qui permet la différenciation et la supériorité absolue), il réalise ce que les philosophes n’avaient réalisé que partiellement (kata ; mevro~ ; l’expression est reprise en 10, 8, p. 351, à propos de Socrate : ajpo ; mevrou~). II, 15, 3 : « À en juger sainement, nos enseignements ne comportent rien d’infamant ; ils sont, au contraire, supérieurs à toute philosophie ».  Voir Andresen p. 337 ; Holte p. 147 ; Que Justin montre que la religion chrétienne est la « vraie » philosophie, tandis que les chrétiens sont dans l’erreur ne requiert pas de démonstration : les exemples abondent. Notamment, les voies d’accès au telos sont différentes : les païens pensent que l’homme peut y accéder par ses seules forces/Justin : par la grâce (II, 13, 6, p. 365 : « car autre chose est la semence d’un être et sa ressemblance,

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Lorsque Monsieur Jean Schneider m'a proposé de mettre en rapport les Apologies de. Justin et le .. (Apologetic in Clement of Alexandria, dans « L'apologétique chrétienne gréco-latine à l'époque mêmes une faculté personnelle de choisir (duvnamin ejx eJautw`n oijkeivan eij ai{resin) le bien
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