Aurélien FOURNIER ([email protected]) LES ACCORDS DE CONFIDENTIALITE DANS LES CESSIONS DE DROITS SOCIAUX Mémoire sous la direction du Professeur Michel Menjucq Vendredi 17 juin 2011 Sommaire INTRODUCTION .................................................................................................................... 3 LES ACCORDS DE CONFIDENTIALITE, PALLIATIFS NECESSAIRES AUX LACUNES DU DROIT COMMUN DANS LE CADRE DES CESSIONS DE DROITS SOCIAUX ................................................................................................................................. 9 Section 1 : La nécessité des accords de confidentialité face aux insuffisances du droit commun quant aux personnes tenus à l’obligation de confidentialité ............................. 9 I. Les incertitudes quant aux personnes tenues à la confidentialité en vertu du droit commun ............................................................................................................................ 10 II. L’organisation contractuelle des personnes tenues à la confidentialité et leur responsabilité .................................................................................................................... 13 Section 2 : La nécessité des accords de confidentialité face aux insuffisances du droit commun quant au contenu de l’obligation de confidentialité ........................................ 16 I. La définition de l’étendue de l’obligation de confidentialité..................................... 16 II. La définition de l’information confidentielle ............................................................ 18 LES ACCORDS DE CONFIDENTIALITE, ENGAGEMENTS PROTECTEURS A L’EFFICACITE INCERTAINE ........................................................................................... 22 Section 1 : La conformité incertaine des accords de confidentialité à certaines règles du droit des obligations et du droit des affaires .............................................................. 22 I. Les problèmes de conformité des accords de confidentialité au regard du droit des obligations ........................................................................................................................ 22 II. Les problèmes de conformité des accords de confidentialité au regard du droit des affaires .............................................................................................................................. 25 Section 2 : Les difficultés de mise en œuvre des accords de confidentialité au regard des moyens de contrôle et d’action du créancier ............................................................. 27 I. Les moyens de prévention de la violation de l’obligation de confidentialité ............ 28 II. Les moyens de sanction de la violation de la confidentialité .................................... 30 CONCLUSION ....................................................................................................................... 32 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 33 2 INTRODUCTION D’après la mythologie grecque, Midas, roi de Phrygie, s’est vu doté d’oreilles d’âne par le Dieu Apollon après avoir préféré à sa lyre la flûte de Pan. Afin de les cacher au monde, il recouvrit sa tête d’un bonnet phrygien. Malheureusement, il ne pouvait cacher le problème à son barbier et dut, en conséquence, demander à ce dernier, confident exclusif, de s’engager à ne dire rien à personne sur ses nouvelles oreilles. Ainsi est peut être né le premier accord de confidentialité. Les accords de confidentialité sont bien antérieurs au développement économique moderne, ils sont établis afin de protéger des secrets dont la révélation pourrait porter préjudice à leur propriétaire. Ils sont mis en place chaque fois qu’une information non publique est révélée par une personne à un tiers. Le droit commun ne connaissant pas de régime propre consacré à la confidentialité, mis à part certaines règles sectorielles, notamment relatives aux droits de la propriété intellectuelle, les parties recourent le plus souvent aux techniques contractuelles dans un souci de sécurité juridique légitime. Ces techniques peuvent prendre la forme d’une simple clause insérée dans un contrat dont l’objet est autre, ou d’un contrat à part entière, antérieur ou concomitant à un contrat principal conclu entre les mêmes parties. Ces stipulations sont particulièrement fréquentes dans le cadre de transfert de technologies, de licence, de mise à disposition de personnel ou encore de fabrication de produits. Elles ont tendance à se renforcer avec le développement des techniques de l’information et de la communication, et notamment de l’informatique et des réseaux numériques comme internet, qui mettent à mal le caractère non public d’un certain nombre de données. Les parties qualifient les engagements souvent de confidentialité, parfois de secret et plus rarement de discrétion. La différence entre ces différentes notions réside dans le fait que là où la première implique une diffusion réduite, contenue et contrôlée de l’information, la seconde signifie une absence de diffusion totale, tandis que la troisième donne, au contraire, au débiteur un choix subjectif quant aux personnes susceptibles de connaître l’information. Juridiquement, c’est donc quasi uniquement à l’expression intermédiaire de confidentialité que renvoient les parties Le « confident » s’entoure généralement de partenaires afin d’analyser les informations reçues dans la perspective d’en dégager des enseignements à l’égard de l’opération projetée. L’obligation en elle-même recouvre potentiellement plusieurs engagements. Si l’abstention de divulguer les données protégées est une obligation évidente et inhérente à la confidentialité, celle-ci englobe également un devoir de non exploitation ou de non usage et, le plus souvent, de non révélation de la négociation elle-même et de tout ce qui entoure cette négociation, y compris les clauses du contrat de confidentialité. L’objet de la clause ou de la convention est, en revanche, unique. Il s’agit de l’information, laquelle est particulièrement délicate à définir en termes juridiques. Si l’on s’en réfère à la définition réglementaire, l’information est : « un élément de connaissance susceptible d’être représenté à l’aide de 3 conventions pour être conservé, traité ou communiqué »1. Néanmoins, la doctrine préfère consacrer une définition plus économique, assise sur la valeur immatérielle de ce qui est transmis2. Certains auteurs qualifient même l’information de bien3. Cependant, dans le cadre d’une transmission d’information assortie, pour le récepteur, d’une obligation de confidentialité, il ne saurait s’agir d’une cession d’information, analysée en tant que bien, celle-ci étant partagée et non perdue par son émetteur, mais plutôt d’une réservation des données et des connaissances. Le classement tripartite des obligations opéré par les rédacteurs du Code civil à l’article 1126, qui a fait l’objet de nombreuses critiques doctrinales, oblige à qualifier la confidentialité d’obligation de ne pas faire, au sens de l’article 1145. Bien qu’elle soit complétée par diverses obligations de faire, dont l’objectif est d’assurer le créancier du respect de l’engagement, l’obligation reste principalement de ne pas faire puisqu’elle contraint son débiteur à une abstinence, dérogatoire au principe de la liberté d’expression. Par nature, donc, l’obligation paraît être de résultat puisque toute obligation de ne pas faire est, par principe, une obligation de résultat4, particulièrement protectrice du créancier. En réalité, cela dépend très largement de la rédaction utilisée par les parties. Dans les cessions de droits sociaux, c'est-à-dire de parts sociales ou d’actions selon la société concernée, la confidentialité intervient dès le stade des pourparlers, et donc avant que la cession ne soit intervenue. Elle passe le plus souvent par la conclusion d’un contrat à part entière. Eu égard au coût et aux moyens nécessaires à la mise en place d’une transmission d’information, ainsi qu’au risque encouru par le candidat à l’acquisition qui souscrit à un accord de confidentialité, il n’est présent que lorsque la cession porte sur une fraction significative du capital social. Son domaine de prédilection est en effet constitué des cessions de bloc de contrôle des sociétés. Les ventes relativement importantes de parts sociales ou d’actions sont négociées librement, de sorte qu’il n’existe pas une procédure unique de cession. Elles peuvent se réaliser après qu’une personne se soit portée volontaire à l’acquisition et ait, dans cette optique, contacté l’associé de la société cible afin de connaître son intention de céder, ou non, ses titres. Le modèle le plus fréquent est néanmoins celui dans lequel la cession est sollicitée par le cédant lui-même. Dans ce cadre, il est loisible au titulaire des droits sociaux de se mettre en relation avec un acquéreur potentiel, soit directement, soit par le biais d’une banque d’affaires, et de conclure avec lui un accord d’exclusivité au terme duquel il s’oblige à ne pas entamer de discussions ou de négociations avec toute autre personne concernant la cession des titres considérés. Dans la plupart des cas, cependant, le vendeur mandate une banque d’affaires afin que celle-ci organise une vente aux enchères des droits sociaux, ce qui inclut une pluralité d’acquéreurs potentiels. Il s’agit ici de la procédure d’ « open bid » qui octroie un rôle central à l’intermédiaire bancaire. Celui-ci est chargé de gérer l’organisation générale 1 Décret du 22 décembre 1981 sur l’enrichissement du vocabulaire de l’informatique, JO du 17 janvier 1982, p.625. 2 V. notamment, J-M Mousseron, Y. Raynard et Th. Revet, De la propriété comme modèle, in Mélanges Colomer, Litec, 1993, n°14 et J-C Galloux, Ebauche d’une définition juridique de l’information, Dalloz 1994, chron. N°5, p.229. 3 M Crémieux, Le secret des affaires, in L’information en droit privé, LGDJ, 1978, n°18. 4 F Terré, Les obligations, 10ème éd., Dalloz, 2009, n°588. 4 du processus d’acquisition. Pour cela, il élabore notamment un calendrier précis du déroulement des opérations, matérialisé par une lettre de procédure (« process letter »), laquelle est adressée au vendeur ainsi qu’aux candidats à l’acquisition. Ces derniers sont sélectionnés par la banque intermédiaire, le plus souvent sur la base d’une lettre d’intention attestant du sérieux de l’offre et présentant des garanties financières quant au versement du prix, purement indicatif et non liant, proposé. C’est au cours de cette phase préliminaire qu’est organisé l’accès du ou des candidat(s) à l’information que la société cible, et donc ses dirigeants, met à leur disposition. L’objectif poursuivi par les parties est de permettre aux cessionnaires potentiels d’évaluer, le plus précisément possible, la valeur de la société cible. C’est en effet sur la base des informations reçues que le candidat formulera une offre d’acquisition définitive, contenant toutes les conditions de la cession. Les données sont émises en bloc ou au fur et à mesure, et peuvent porter sur des objets très différents. Il s’agit aussi bien de documents à caractère financier, comme les comptes passés mais aussi prévisionnels de la société, que fiscaux, afin de prendre connaissance des risques de redressement comme des possibilités d’optimisation. Les informations portent aussi sur la masse salariale et l’activité commerciale de la société. Elles reposent sur les opérations passées, présentes ou même à venir de la société, notamment lorsque celle-ci a élaboré divers projets techniques, sociaux, commerciaux ou financiers. Les enchérisseurs doivent également avoir la possibilité d’évaluer les risques liés aux litiges nés, à naître ou simplement potentiels. En outre, si la cession emporte changement de contrôle de la société cible, ses cocontractants ayant contractés avec elle intuitu personae ou ayant prévu une clause de changement de contrôle à son égard pourront, unilatéralement et par fois même sans préavis, résilier leur convention. Ce danger, inhérent aux sociétés opérationnelles ou à certains contrats financiers conclus par des holdings, doit aussi être analysé par ceux qui accèdent à l’information. Enfin, lorsque la société cible est une société mère, les candidats chercheront encore à connaître un maximum de détails concernant ses filiales et sous-filiales afin, notamment, de maîtriser leur perspective de développement et d’effectuer un choix éclairé quant à la cession ou, au contraire, la conservation de ces sociétés, une fois l’acquisition de la mère réalisée. Il est régulièrement prévu que la société communique les informations aux candidats sans qu’elle atteste pour autant de leur véracité. Cette stipulation, source d’insécurité pour le récipiendaire, produit les mêmes effets qu’une clause exclusive de responsabilité. En conséquence, l’acquéreur potentiel ne peut engager la responsabilité de l’entreprise qui lui a fourni les informations sur le fondement de leur inexactitude, sauf en cas de dol ou de faute lourde. Néanmoins, les accords peuvent stipuler que l’engagement de ne pas agir contre la société, le vendeur et ses conseils, est sans préjudice des garanties de passif ou d’actif qui pourront être négociées par la suite en cas d’acquisition d’entreprise. L’analyse des données reçues de la société cible, dont la masse peut être assez conséquente, nécessite des compétences spécifiques, aussi bien dans les domaines juridiques et financiers que techniques, relativement au secteur d’activité de la société cible. Le potentiel acquéreur, quand bien même il s’agirait d’une personne morale disposant d’un personnel compétent, ne peut, à lui seul, évaluer avec pertinence tous les paramètres suscités qui conditionnent pourtant son offre de prix. En conséquence, il fait le plus souvent appel à des tiers - conseils juridiques ou financiers, experts techniques ou encore partenaires commerciaux - lesquels doivent également avoir accès à l’information disponible. Le recours aux tiers est néanmoins limité lorsque la négociation passe par une vente aux enchères. En effet, le candidat n’ayant dans ce cas aucune certitude d’être retenu, il sera souvent enclin à limiter les dépenses. Lorsque, au contraire, un engagement d’exclusivité a été souscrit par le cédant, son bénéficiaire peut davantage espérer qu’il sera acquéreur, et engager certaines 5 dépenses en conséquence, sans pour autant que cette issue lui soit garantie. Le respect de la confidentialité par ces experts est donc un enjeu de taille pour la société cible, bien que certains soient tenus, de façon générale, au secret professionnel dont la violation constitue une infraction pénalement sanctionnée. La transmission des informations est, de prime abord, contraire à l’intérêt social en ce qu’elle permet à des personnes extérieures à la société de bénéficier de connaissances sur elle qui ne sont pas publiques et qui pourraient être utilisées à son détriment. En particulier entre concurrents, la connaissance par le tiers est susceptible de lui conférer un « avantage concurrentiel », notamment au regard des données techniques et commerciales dont il pourrait jouir et qu’il serait en mesure d’exploiter pour son propre compte. Au-delà de la prohibition de toute divulgation en dehors du cercle des personnes autorisées, c’est donc l’interdiction d’utiliser l’information reçue, à une autre fin que celle pour laquelle les parties ont convenu de sa transmission, à savoir la négociation d’une acquisition de droits sociaux, qui est recherchée par le créancier. Mais la confidentialité se justifie aussi lorsque le récepteur de l’information n’est pas un concurrent de son émetteur. Il peut, d’une part, monnayer les informations financières afin d’en faire profiter autrui, mais il peut aussi se servir des données reçues pour connaître et analyser la situation des cocontractants de la société cible. Un autre risque contre lequel le créancier souhaitera se protéger est le débauchage de personnel, notamment de cadres, auquel serait susceptible de s’adonner le confident sur la base des documents relatifs aux salariés mis à sa disposition. Les créanciers de l’obligation de confidentialité sont la société cible et le vendeur. Son débiteur est, de façon évidente, le candidat à l’acquisition, mais également la banque d’affaires ou le cédant lui-même, notamment lorsque la confidentialité porte non seulement sur les secrets de l’entreprise mais également sur la négociation en cours. La confidentialité, organisée contractuellement, sert finalement à éviter tout détournement des informations par leur récipiendaire par rapport à l’objet pour lequel elles ont été diffusées. Si l’obligation couvre l’ensemble de la période des négociations, pendant laquelle le risque de diffusion fautive est grand, sa durée dépassera le plus souvent cette phase pour comprendre celle postérieure à la conclusion de la cession. En effet, dans le cadre d’un « open bid », s’il y a une pluralité de candidats à l’acquisition, il ne peut y avoir qu’un seul cessionnaire. Pour les autres, non retenus, la négociation aura été coûteuse et infructueuse. Dès lors, il existe un risque pour la société cible que ces personnes cherchent à rentabiliser l’échec des négociations en utilisant ou diffusant les informations importantes et de grande valeur économique. Le réflexe corrélatif du créancier est donc d’imposer un engagement de confidentialité qui excède, en termes de durée, la phase des négociations. Les négociateurs doivent toutefois être prudents dans la mesure où le principe, en droit positif, est la liberté d’expression. Ces restrictions, lorsqu’elles ne sont pas légales, sont donc autant de dérogations qui doivent être justifiées. En conséquence, le créancier ne peut trop en imposer à son débiteur, sous peine de voir la validité de l’obligation de confidentialité être contestée. Ce risque est plus particulièrement présent dans le cadre des acquisitions portant sur des sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé. Le Code monétaire et financier ainsi que le Règlement général de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) font en effet de l’information du public un pilier de la réglementation des marchés et se montrent particulièrement méfiant à l’égard des informations détenues par un cercle restreint de personnes, lorsqu’elles sont susceptibles d’avoir une incidence, si elles étaient connues du public sur le cours du titre de la société cible, et dont l’utilisation est constitutive d’un délit d’initié. C’est la raison pour laquelle les négociations de participation significative doivent être rendues publiques, de sorte que la procédure précédemment décrite, 6 comprenant un accord de confidentialité, n’est que dérogatoire et ne s’appliquer que dans des hypothèses où la confidentialité peut être garantie par les protagonistes. Malgré la mise en place contractuelle d’une série d’obligations de faire destinées à assurer la protection de l’information et, ainsi, à renforcer les obligations de non divulgation et de non exploitation, il peut arriver qu’un débiteur manque à son devoir, soit volontairement, soit involontairement. Le créancier pourra engager la responsabilité contractuelle du débiteur fautif sur la base de l’article 1147 du code civil, si l’obligation est reconnue comme étant de résultat. Il n’est pas nécessairement le seul à avoir subi un préjudice du fait du manquement au devoir de secret. Si, par exemple, est rendu public un contrat passé par la cible avec un partenaire commercial, ce dernier pourrait également avoir un intérêt dans une action en responsabilité. Le débiteur est, dès lors, dans une position exposée. En effet, non seulement sa responsabilité contractuelle sera engagée par son créancier, mais le tiers qui aura un subi un dommage du fait de son manquement contractuel pourra engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, par application de l’arrêt du 6 octobre 2006 rendu par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation5. Le risque de divulgation est moindre lorsque le débiteur a finalement acquis les droits sociaux, son intérêt personnel se confondant alors, en tout cas à l’égard de la confidentialité, avec l’intérêt social. Après que son offre ait été retenue, un protocole de cession est conclu avec le cédant (« signing »). Ce protocole contient une promesse unilatérale de vente, délimite le périmètre de la cession et en fixe le prix. Il est généralement assorti d’un certain nombre de conditions suspensives qui devront être levées afin que l’acquisition soit définitive. En premier lieu, la vente doit parfois être préalablement contrôlée et autorisée par une autorité publique, notamment lorsque la société cible et son nouvel associé sont présents dans le même secteur d’activité. En pareille circonstance, les règles relatives au contrôle des concentrations sont susceptibles de s’appliquer6. Une autre condition suspensive usuelle consiste à subordonner le transfert de propriété des droits sociaux à l’accord d’un établissement de crédit, lorsque l’acquéreur a recours à l’emprunt pour financer l’opération. Enfin, le cessionnaire cherchera fréquemment à obtenir des garanties quant à la situation de la cible, élevant en condition suspensive l’absence de survenance de certains évènements affectant cette dernière pendant la période intermédiaire, c’est à dire entre le « signing » et la réalisation matérielle de la vente (« closing »). Au cours de cette période intermédiaire, le protocole d’accord entend organiser la gestion de la cible afin d’éviter que le vendeur ne modifie substantiellement les actifs de celle-ci ou ne contracte de nouveaux engagements ou dettes en dehors du cours normal des affaires. La clause prévue à cet effet pourra, par exemple, stipuler que l’accord préalable du cessionnaire est nécessaire à certaines décisions, bien que cela puisse présenter un danger lorsque l’opération est soumise au contrôle des autorités de la concurrence, une telle immixtion étant susceptible de caractériser une prise de contrôle antérieure à leur autorisation. Avant le « closing », est également négociée, au profit de l’acquéreur ou de la société, la garantie de passif ou d’actif. Il peut encore s’agir d’une clause de révision de prix, au seul bénéfice, dans ce cas, du cessionnaire. La garantie fait soit l’objet d’un accord à part, soit est adossée au contrat de cession. Elle a pour objet la prise en charge par le cédant de toute diminution d’actif ou d’augmentation de passif postérieure à la cession mais dont la cause est antérieure à celle-ci et qui n’était pas connue par l’acquéreur. Elle porte le plus souvent sur des valeurs comptables, à partir d’un référentiel comptable établi contradictoirement et le plus 5 Cass. AP., 6 octobre 2006, pourvoi n°05-13.255. 6 Art. L.430-1 et s. du Code de commerce et Règlement CE n°139-2004 du 20 janvier 2004. 7 proche possible de la date de cession définitive, ainsi que sur des déclarations du cessionnaire, assurant de l’absence de litige ou de contrôlé fiscal en cours, ou encore garantissant que telle ou telle information transmise durant les négociations est exacte et que toute donnée susceptible d’avoir une influence sur la valeur de la cible a été communiquée à l’acquéreur. Ces garanties d’actif ou de passif permettent le plus souvent de couvrir l’insécurité naissant pour l’acquéreur au moment de la réception des informations, lorsque l’émetteur lui notifie qu’il ne garantit pas leur exactitude. Cependant, une telle stipulation n’est pas nécessairement favorable au cessionnaire, dès lors que l’augmentation de passif ou la diminution d’actif résulterait d’une information connue et analysée par lui et couverte par la confidentialité. En effet, dans la masse des données reçues, une information précise a pu échapper à l’acquéreur et à ses conseils. L’appel à la garantie ne saurait, dans cette situation, être effectif. Il n’est pas certain, toutefois, que le droit commun soit davantage protecteur. Il pèse sur l’acheteur une obligation générale de renseignement qui l’empêche d’agir sur le fondement du dol dès lors que l’information lui avait été communiquée et qu’il disposait des moyens suffisants pour l’analyser7. Le « closing » intervient une fois l’ensemble des conditions suspensives levées et à une date arrêtée par les parties. Il constate le transfert des droits sociaux entre le vendeur et l’acquéreur, lequel peut être rétroactif, ainsi que le paiement du prix par l’acquéreur. Depuis la phase préalable jusqu’à la réalisation définitive de la cession, la période de transmission et d’étude des informations couvertes par l’accord de confidentialité est celle qui dure le plus longtemps. Une attention particulière est portée par les parties sur la protection de la confidentialité et sa négociation, laquelle peut être longue et âpre. Dans quelles mesures la conclusion d’un accord de confidentialité permet-elle une protection efficace de la société, dont les droits sont cédés, par rapport au droit commun ? Le droit commun, jurisprudentiel et légal, pose le principe de la liberté d’expression mais admet toutefois la confidentialité dans les relations d’affaires. De façon ponctuelle et sectorielle, le secret est même imposé. Néanmoins, les lacunes et incertitudes du droit commun sont source d’insécurité juridique et rendent nécessaires la mise en place d’une confidentialité contractuellement encadrée (Chapitre 1), laquelle ne peut, pour autant, être pleinement efficace et protéger de façon certaine la société cible contre toute divulgation ou exploitation d’une information confidentielle (Chapitre 2). 7 Cass. Com. 3 nov. 2004, n°00-15.725. 8 LES ACCORDS DE CONFIDENTIALITE, PALLIATIFS NECESSAIRES AUX LACUNES DU DROIT COMMUN DANS LE CADRE DES CESSIONS DE DROITS SOCIAUX Les accords de confidentialité sont systématiques dans le cadre des négociations de droits sociaux. On peut toutefois se demander s’ils ne sont pas superfétatoires par rapport aux protections de l’information offertes par la loi et la jurisprudence, qui s’appliqueraient en l’absence d’un tel contrat. Le droit positif ne consacre pas l’information comme un bien et ne prévoit pas de devoir général de confidentialité dans les relations d’affaires et plus particulièrement dans les cessions de parts sociales ou d’actions. Ce silence du droit français n’est pas tout à fait partagé par les droits étrangers, notamment anglo-saxons. Le droit anglais, par exemple, prévoit une obligation de confidentialité, même implicite, chaque fois que la discrétion est nécessaire à l’efficacité commerciale de l’accord8, ce qui est incontestablement le cas pour les cessions de droits sociaux, toute divulgation pouvant avoir un effet positif ou négatif sur la valeur des titres cédés. Il en va de même en droit américain, où la confidentialité est implicite chaque fois que des informations non publiques sont communiquées dans le cadre d’une cession d’entreprise9. Le droit français, quant à lui, contient trop de lacunes et d’incertitudes pour protéger la société qui transmet ses informations sans un complément contractuel. L’accord de confidentialité est, en conséquence, nécessaire non seulement afin de définir les personnes tenues à la confidentialité (Section 1), mais également pour déterminer le contenu exact de l’obligation (Section 2). Section 1 : La nécessité des accords de confidentialité face aux insuffisances du droit commun quant aux personnes tenues à l’obligation de confidentialité Le droit commun des obligations et des affaires n’impose pas nécessairement la confidentialité à tous les intervenants amenés à prendre connaissance des informations non publiques. Cela dépend souvent du statut de ces intervenants et de leur situation par rapport à la société cible ou l’acquéreur potentiel. En outre, le contenu de l’obligation n’est pas non plus le même selon les cas et le créancier peut ne pas être en situation d’agir contre le tiers, au titre du droit commun, en cas de divulgation ou d’utilisation fautive de sa part. 8 F-X. Testud, La confidentialité conventionnelle, Dr. et patr., 2002, n°102, p.81. 9 « when parties bargain for the sale of a business the courts will imply from the bargaining relationship itself a covenant on the part of the prospective buyer not to disclose or exploit information disclosed in confidence », Charles R. McManis, The law of unfair trade practices, West, 1982, p.90. 9 S’ils sont bien rédigés, les accords de confidentialité permettent de parer ces défauts. Par conséquent, si les personnes tenues à la confidentialité selon le droit commun sont incertaines (I), la convention permet, au contraire, de définir clairement le cercle et le régime de responsabilité des débiteurs (II). I. Les incertitudes quant aux personnes tenues à la confidentialité en vertu du droit commun En l’absence de lien contractuel, la responsabilité du débiteur est nécessairement délictuelle, fondée sur les articles 1382 et suivants du Code civil. Il est en revanche particulièrement difficile de délimiter avec exactitude le champ des débiteurs de l’obligation de confidentialité. Le droit commun semble l’imposer au candidat à l’acquisition par le biais d’un devoir de loyauté (A) tandis qu’il est, sauf exception, silencieux sur les tiers amenés à recevoir et étudier l’information (B). A. L’acquéreur potentiel, débiteur d’une obligation de loyauté au cours des pourparlers Dans la période précontractuelle, les négociateurs sont tenus à une obligation très générale de bonne foi, laquelle sous-tend la confidentialité des informations transmises, qui est davantage précisée par le droit de la concurrence, par la prohibition de la concurrence déloyale. La négociation précontractuelle est régie par deux principes directeurs du droit des obligations, la liberté et la bonne foi. Le premier principe reconnaît aux parties un pouvoir de mettre fin librement aux pourparlers. Le second, qui est parfois entendu comme une limite nécessaire à la liberté, impose une négociation loyale. Lorsque les négociations incluent un partage d’informations et de connaissances, le principe de liberté paraît permettre leur utilisation ou leur divulgation par le récepteur. Cette interprétation est confortée par le commentaire de l’article 2.16 des principes Unidroit, estimant que « tout comme il n’existe pas de devoir général de divulgation, les parties qui entament des négociations pour la conclusion d’un contrat ne sont habituellement pas tenues de considérer que les informations qu’elles ont échangées sont confidentielles »10. Néanmoins, le devoir de négocier loyalement, peut permettre de sanctionner le récipiendaire qui utilise à des fins personnelles ou divulgue une information reçue dans un cadre précontractuel précis, l’acquisition de droits sociaux. L’obligation de loyauté repose sur la confiance qu’a le vendeur à l’égard du potentiel acquéreur. Si ce dernier trompe la confiance légitime placée en lui, sa responsabilité est engageable11. Il s’inscrit dans ce cadre, notamment, la divulgation ou l’exploitation par le négociateur d’informations dont il ne pouvait ignorer le caractère confidentiel. Les principes Unidroit précisent ainsi, afin de limiter le principe de liberté, que « la partie qui reçoit 10 Comm. sous art. 2.16 Principes Unidroit (2004), §1. 11 Cass. Com. 11 juillet 2000, Contrats, conc., consom. 2000, n°174. 10
Description: