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L’éducation, un art au service de la personne humaine dans sa croissance PDF

12 Pages·1996·0.571 MB·French
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Éditorial Nous avons voulu, en réalisant ce numéro, indiquer quelques grands axes de recherche sur le problème de l’éducation, montrer en particulier comment l’éducation chrétienne, loin de s’opposer à une éducation plei­ nement humaine, lui permet au contraire d’épanouir toutes ses virtualités. De fait, notre travail appelle une recherche plus approfondie sur cette question très vaste et très complexe, mais d’une importance capitale aujourd’hui. Le problème de l’éducation n’est-il pas au cœur des rapports de la communauté politique, de la famille et de la personne ? Pour commencer, la « cogitative » est sans doute un élément fonda­ mental de l’éducation humaine, mais elle ne peut cependant suffire à la structurer : c’est beaucoup plus l’acquisition de la vertu de prudence et ses exigences propres qui permettent de découvrir la structure et l’ordre d’une éducation humaine. «L’honnête homme » d’Aristote est avant tout l’homme prudent. Il semble donc essentiel d’approfondir ce qu’est la vertu de prudence pour mieux comprendre le problème de l’éducation humaine. De même la vertu de force est elle aussi un élément important de l’éducation, surtout aujourd’hui, mais une éducation vraiment humaine ne saurait se réduire à son acquisition. Certaines recherches contemporaines — comme la pédagogie Montessori qui fait l’objet d’une note de lecture — s’efforcent de dépasser des méthodes trop cartésiennes d’enseignement et d’instruction. Cependant, elles ne sauraient se substi­ tuer à la nécessaire redécouverte d’une véritable éducation humaine. En ce qui concerne l’éducation chrétienne, nous devons toujours avoir devant les yeux la pédagogie admirable de Dieu sur l’homme qui nous est montrée dans l’Ancien Testament. Mais la lumière ultime sur l’éducation chrétienne nous est donnée par le mystère du Christ, Sauveur de l’homme, et celui de l’Esprit Paraclet, « rector et director » selon l’expres­ sion de saint Thomas d’Aquin. Ce numéro nous propose ainsi quelques voies d’accès, pose quelques grandes questions, ouvrant ainsi de futurs chantiers de réflexion. fr. M.-D. Philippe, o.p. 7 8 L’éducation : un art au service de la personne humaine dans sa croissance Fr. M.-D. Philippe, o.p L’ÉDUCATION est une œuvre : l’œuvre d’un homme au service d’un autre homme capable d’être transformé, imparfait, et désireux de devenir un homme parfait — autant, du moins, qu’il est capable de le devenir. L’éducation est donc le fruit d’une coopération d’un être humain plus parfait avec un autre être humain moins parfait. La complexité d’une telle coopération apparaît immédiatement, ainsi que son extrême variété. Cependant cette coopération, pour être vérita­ blement une éducation, réclame que le développement, la transformation de l’être humain moins parfait, aillent dans le sens d’un perfectionne­ ment, le rendent plus parfaitement humain. Si une telle coopération conduit celui qui est éduqué à un état moins parfait, moins parfaitement humain, il n’y a plus éducation, mais perversion du plus petit ; et la per­ version est la destruction même de l’éducation. La véritable éducation, atteignant ce qu’il y a de plus profond dans le cœur et l’intelligence d’un homme, est bien, parmi les œuvres humaines, une des plus grandes, une des plus importantes ; sa perversion est donc aussi la plus terrible. Les Anciens, et beaucoup de modernes, ont eu raison d’affirmer l’importance unique de l’éducation dans l’activité politique. L’éducation n’est-elle pas l’activité politique la plus fondamentale ? Elle prépare l’avenir d’un pays, ou au contraire coopère à sa destruction. N’est-ce pas pour cela que toute politique insiste tellement sur l’éducation, et ordonne tous ses efforts à une éducation nationale unique, commune à tous les citoyens ? On sait en effet que si on réalise une éducation natio­ nale unique, on possède par là le moyen le plus efficace pour transformer la mentalité d’un pays. Nous touchons ici au problème si important des relations entre l’éducation et la famille, entre l’éducation et l’État : le signaler nous aide à comprendre l’importance de l’éducation dans la vie humaine et dans la communauté humaine. Le problème de l’éducation est au cœur de la communauté humaine, il en est en quelque sorte le fruit fondamental et le plus efficace, puisque par l’éducation on peut 9 progressivement transformer l’esprit de la communauté. On comprend alors encore mieux que la corruption de l’éducation soit chose si terrible ! Il faut donc analyser ce qu’est l’éducation avec le plus de rigueur possible et bien préciser quels en sont les points les plus vulné­ rables, là où elle peut facilement dévier et perdre sa dignité en devenant un instrument de perversion. L’éducation et la famille L’éducation est une coopération entre des êtres humains, en vue de rendre plus humains ceux qui sont confiés à d’autres à cause de leur fai­ blesse, de leur fragilité, de leur imperfection ; on comprend donc que la première éducation relève de la famille, en raison de la fragilité, de la petitesse de l’être humain qui vient de naître. C’est la mère qui peut le mieux éduquer son petit enfant, en raison de sa proximité, de sa conna- turalité. Il y a entre le tout-petit et sa mère une sorte de confiance naturelle. Dans certaines circonstances, celle-ci peut être détruite, mais normalement elle existe. Il faut cependant que la mère puisse éduquer son enfant, c’est-à-dire qu’elle en soit capable et qu’elle ait suffisamment de temps pour le faire. Si l’une ou l’autre de ces conditions fait défaut, la première éducation pourra être confiée aux soins d’autres personnes ; mais il faut maintenir que cette solution n’est pas idéale, et qu’elle ne doit exister que comme un pis-aller. Car, selon l’ordre naturel, c’est la mère qui doit éduquer son petit enfant. On sait bien que lorsque certains États ont voulu supprimer ce premier moment de l’éducation maternelle, et ériger les crèches et l’école maternelle en absolu, les résultats n’ont pas été bons pour les enfants ! Cette première éducation est avant tout un éveil à une vie humaine. Il s’agit d’éveiller l’affectivité et de mettre un certain ordre dans la vie végé­ tative. Certains ont pu dire qu’il n’y avait aucune différence entre le dressage d’un chat à la propreté et la première éducation de l’enfant ! Dire cela, c’est oublier que la première éducation est en vue de former progressivement un être humain, une personne humaine ; tout prend donc une valeur différente. La vie végétative de l’enfant doit être regar­ dée autrement que celle du petit chat, même si, matériellement, il y a des éléments semblables. Cette première éducation de l’enfant est humaine, die est en vue de la véritable finalité ; il ne s’agit donc pas d’un dressage. Education et enseignement L’éducation enveloppe ensuite un enseignement. C’est alors l’éveil de l’imagination, de l’intelligence, de la raison. Mais la finalité dernière demeure la même : il s’agit de former, dans l’enfant qui grandit, un être 10 L’ÉDUCATION humain capable d’être une personne humaine. Il faut pour cela qu’il sache lire et écrire, certes, mais aussi qu’il sache aimer et respecter ses petits camarades. Il y a là une éducation progressive de la volonté dans l’éveil de l’intelligence. À ce stade, l’aspect affectif et volontaire domine encore. Progressivement, l’éveil de l’intelligence devient primordial et capte toute l’attention du maître-éducateur. Il peut même arriver un moment où cet aspect devient exclusif. L’éducation se réduit alors à une discipline : on exige uniquement un certain ordre afin de pouvoir suivre les cours et travailler dans un silence minimum. Pratiquement, il n’y a donc plus d’éducation, et l’enseignement domine. De plus, dans cet enseignement, la recherche de la vérité est souvent remplacée par les exi­ gences des examens qu’il faut passer et réussir. C’est en fonction de la réussite des examens que les cours sont dispensés et le travail personnel exigé. Il n’y a plus d’éducation proprement dite, ni même d’enseigne­ ment : tout se ramène à une sorte de « bachotage », où les plus virtuoses sont les premiers. On ne s’occupe plus du tout de la formation personnelle. Il faut donc redécouvrir, et surtout revivre, une véritable formation des jeunes. C’est de plus en plus indispensable aujourd’hui ; beaucoup le comprennent et veulent le réaliser. L’éducation, art et coopération Pour qu’une véritable coopération puisse se réaliser entre éducateur et éduqué, il faut que l’éducateur comprenne qu’il doit chercher avant tout le bien de celui qu’il veut éduquer, et non pas vouloir lui communi­ quer son propre idéal de vie, ce que lui considère comme le meilleur. On connaît le vieil adage : agens agit simile sibi, celui qui agit agit sembla­ blement à ce qu’il est, à ce qu’il pense. L’artiste peut faire cela, c’est ce qu’on attend de lui. Mais si l’éducateur est bien un artiste, il n’est pas que cela ; il est un artiste au service de celui qu’il éduque. Il est serviteur au sens le plus fort, car il doit connaître celui qu’il éduque ; il doit discerner en lui la tendance bonne qu’il faut développer et la tendance mauvaise qu’il faut corriger, « tailler », ainsi que les tendances originales, caractéristiques, afin de les mettre en valeur si elles peuvent développer sa personnalité. C’est bien cela que l’éducateur doit chercher à éveiller, à développer, en celui qui est pour lui comme une « matière vivante », spirituelle, capable de croître de diverses façons. Et pour réali­ ser cela, il doit connaître en profondeur et d’une manière très intime ce qu’est la personne humaine, les divers éléments qu’elle implique, qu’elle est capable d’intégrer et d’harmoniser. Sans cette connaissance concrète 11 et profonde, l’éducateur ne sait pas comment il peut orienter sa coopéra­ tion, comment il peut vraiment coopérer en dirigeant, en orientant, sans abdiquer son autorité, sans non plus l’exercer d’une manière tyrannique. Il faut à la fois connaître la structure propre de la personne humaine et ne jamais oublier les capacités concrètes qu’il découvrira dans le « patient ». Pour cela, il faut à la fois une intelligence pratique, un regard de sagesse prudentielle sur la personne humaine, et un amour profond de celui qu’on désire éduquer. Il faut l’aimer pour découvrir « prophétique­ ment » ses qualités virtuelles, plus ou moins cachées et enfouies. Il faut aussi un certain « flair » : il faut beaucoup aimer, beaucoup interroger et être comme un chien de chasse en arrêt, capable de discerner ce qui reste encore invisible à ceux qui n’ont qu’un regard très extérieur. Cela n’est pas donné à tout le monde ! Ce sont là les qualités propres d’un véritable éducateur, analogues aux qualités propres d’un artiste. Il ne suf­ fit pas de connaître parfaitement, du point de vue philosophique, tout ce qui constitue la personne humaine, et les diverses étapes de sa croissance. Quelqu’un peut connaître tout cela et demeurer un éducateur inefficace, incapable de coopérer avec celui qu’il prétend éduquer, car il lui manque cette qualité de contact avec l’autre qui réalise une confiance mutuelle, ainsi que ce flair artistique à l’égard de la « matière » qu’il doit transfor­ mer. Autre chose est de connaître théoriquement ce qu’on doit faire, autre chose de le réaliser dans une coopération vitale, intelligente et aimante, avec celui qu’on éduque. On peut donc dire que cet art si particulier de l’éducation réclame une connaissance philosophique de l’homme, de la personne humaine, une certaine qualité de contact avec celui qu’on doit éduquer — ce qui permet à la confiance de se développer —, et la connaissance la plus par­ faite possible de ce qu’il est, et de ce qu’il est capable de devenir. Trois niveaux d’éducation Pour préciser encore ce que doit être cette coopération, il est néces­ saire de bien comprendre les divers niveaux auxquels elle peut se réaliser. Ces niveaux se distinguent en fonction des diverses finalités de la per­ sonne humaine. II nous semble donc nécessaire de distinguer la manière d’éduquer un chrétien, la manière d’éduquer un être humain religieux, et la manière d’éduquer un être humain qui n’est ni chrétien, ni religieux, et qui veut en rester à un horizon purement humain, laïc, sans aucune référence au Dieu créateur ni, a fortiori, au mystère du Sauveur Jésus — quelqu’un qui n’accepte que ce qui est strictement « humain », ce dont un homme peut être à lui seul pleinement responsable. Il y a là trois grands problèmes éminemment pratiques. 12 l’éducation L’éducation chrétienne S’adressant à un baptisé, elle est donnée pour permettre à un être humain de vivre une vie surnaturelle de foi, d’espérance et de charité tout ordonnée à la vision béatifique. Celui qui en prend la responsabilité doit donc lui-même vivre une telle vie et en avoir parfaitement conscience ; autrement, il ne pourrait pas assumer une telle responsabi­ lité. L’éducation chrétienne se fait dans la lumière de Jésus, Fils bien-aimé du Père et de Marie. Jésus est vraiment le modèle (la cause exemplaire) d’une telle éducation, et il en est surtout la fin. Car l’éducateur chrétien cherche non seulement à conduire son disciple vers Jésus, mais aussi à lui permettre de vivre, par et dans la charité chrétienne, le mystère de Jésus. Il fait tout ce qu’il peut pour que celui qu’il éduque chrétiennement dans la foi, l’espérance et la charité, vive au plus intime de lui-même avec Jésus, qu’il puisse vivre en Jésus son amitié de Fils bien-aimé du Père et de Marie, qu’il puisse vivre l’adoration de Jésus à l’égard de son Père, et son obéissance. L’éducateur chrétien sait bien (il en a l’expérience) que cela ne se fait pas immédiatement, qu’il faut passer par beaucoup de luttes pour pouvoir vivre cela, et que cette vie chrétienne ne se réalise que progressivement ; il n’en reste pas moins que c’est bien cela qui finalise toute éducation chrétienne. Cela exige de l’éducateur une atten­ tion particulièrement grande, car il faut s’élever très haut avec des moyens très pauvres. C’est peut-être cela qui caractérise le mieux l’éducation chrétienne : elle se réalise avec des moyens pauvres, et dans un esprit de pauvreté, c’est-à-dire en sachant que les efforts humains de l’éducateur et de l’éduqué, s’ils sont nécessaires, ne suffisent cependant pas ; car c’est la plénitude de la grâce du Christ qui est source de cette vie nouvelle, et qui en réalise la croissance et l’achèvement. Certes les efforts de l’éducateur et de l’éduqué sont nécessaires ! mais ils ne peuvent suffire. L’éducation chrétienne exige donc un respect encore beaucoup plus grand de la « matière humaine » sur laquelle on travaille ; de leur côté, les instru­ ments seront toujours inadéquats à la fin recherchée. Mais la présence efficace du Christ est d’un secours unique quand on travaille « par lui, avec lui et en lui ». D’autre part, l’éducateur chrétien sait qu’il y a dans celui qu’il éduque, comme en lui-même, les conséquences du péché originel, ce qu’on appelle les trois « concupiscences » : celle de la chair et celle de la vanité, et surtout celle de l’orgueil L II sait donc qu’entre lui-même et 1. Cf. 1 ]n 1, \f> : ♦ Car tout ce qui est dans le monde — la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la richesse — vient non pas du Père mais du monde. » 13 celui qu’il désire éduquer il peut toujours y avoir des complicités souter­ raines, qui peuvent entraver leur oeuvre commune. Il sait aussi qu’il peut y avoir des complicités cachées avec « l’Adversaire » 2, qui rendent le travail beaucoup plus pénible, plus aride, et qui exigent le secours de la prière, le secours du Christ. Ces difficultés sont, humainement, imprévi­ sibles. Cette éducation chrétienne assume l’éducation religieuse et l’éduca­ tion fondamentalement humaine en leur donnant une nouvelle finalité, une finalité surnaturelle qui apporte des exigences nouvelles mais qui ne modifie pas le caractère spécifique de ces deux éducations. Il faut donc maintenant analyser leur caractère propre. L’éducation religieuse Comprenons bien que lorsque nous parlons d’« éducation religieuse », il ne s’agit pas de l’éducation particulière de ces hommes et femmes consacrés à Dieu qu’on appelle les « religieux » et les « reli­ gieuses », mais de l’éducation humaine dans toute sa perfection et toute sa richesse naturelle. Car il est naturel à l’homme de chercher à savoir si Dieu existe, de chercher à savoir si ce que disent les traditions reli­ gieuses, lorsqu’elles affirment l’existence d’un Dieu créateur du ciel et de la terre, est quelque chose de mythique ou, au contraire, quelque chose de réel que l’homme peut découvrir par lui-même, par sa propre recherche de vérité, autrement dit par la philosophie. Il est évident que si Dieu existe et s’il est mon Créateur, le Créateur de mon âme spirituelle, et si je suis capable de le découvrir, cela trans­ forme profondément l’orientation de toute ma vie, puisque je découvre alors une finalité ultime de ma vie humaine. Car si Dieu est le Créateur de mon âme spirituelle, je me pose la question : que dois-je faire pour répondre à son don ? Quelle dépendance dois-je reconnaître à son égard, s’il est mon Créateur et le Père de mon esprit ? La manière dont je réponds à cette question a évidemment une profonde influence sur tout le développement de ma vie humaine... Si je prends conscience de ce fait que tout mon être dépend de mon Créateur, et si j’ai aussi cette lucidité sur la vie de mon esprit, sur ma recherche de la vérité et ma capacité de choisir l’amour qui s’éveille en moi, je saisis que je suis libre d’opter : ou bien je reconnais cette 2.1 P 5, 8 : « Votre partie adverse, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant (jui dévorer » ; 2 Th 2, 4 : « Auparavant doit venir l’apostasie et se révéler l’Homme impie, l’Être perdu, l’Adversaire, celui qui s’élève au dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu’à s’asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui-même comme Dieu ». 14 L’ÉDUCATION dépendance à l’égard du Créateur, ou bien au contraire je la refuse et j’oriente ma vie comme si Dieu n’existait pas, comme si ma destinée était purement terrestre, mon âme spirituelle disparaissant, à ma mort, avec mon cadavre. Cette deuxième option, si je suis libre de la prendre et d’en porter les conséquences, est cependant condamnable du seul point de vue humain, car c’est refuser le réel dans ce qu’il a de plus grand. Ce refus du réel n’est pas digne de l’homme, qui se met alors dans une situa­ tion fausse, mensongère. Toute sa vie repose alors sur un choix faux. Si, au contraire, je découvre que Dieu existe et est mon Créateur, si je l’accepte, je dois tenir compte de cette situation et en porter la responsa­ bilité. Voilà pourquoi je dois adorer, reconnaître avec amour ma totale dépendance à son égard puisqu’il m’a créé librement, par pur amour et selon sa sagesse. Par l’acte d’adoration, j’acquiers progressivement la vertu de religion, qui ordonne vers mon Créateur toutes mes activités humaines ; je deviens par là un homme religieux, dévoué à son Dieu et désireux d’accomplir sa volonté. L’éducation religieuse consiste donc en premier lieu à aider celui qui est éduqué à découvrir l’existence du Dieu-Créateur et à l’adorer. Quand l’enfant est encore petit, il faut prier et adorer avec lui ; et lorsqu’il gran­ dit, il faut lui rappeler ce devoir fondamental de l’adoration. Dans cette lumière, l’éducateur doit faire comprendre à celui qui est éduqué que toute éclosion de sa vie morale demande de s’épanouir dans le rayonne­ ment de l’adoration, et qu’à cause de cela il doit, dans la prière, deman­ der à son Dieu-Père de l’aider à accomplir ce que sa conscience humaine réclame de lui. Toute l’activité morale est alors comme enveloppée par cette exigence religieuse. C’est pour plaire à Dieu, à notre Père, que tout doit être fait, et tout doit s’accomplir dans une paix profonde, puisque par l’adoration nous sommes portés par et dans les mains de notre Créateur. À travers les diverses autorités humaines, celle des parents, celle de l’éducateur et des institutions, c’est à Dieu-Père qu’on obéit. On élargit alors son regard sur l’homme et sur l’univers, dans la lumière de la sagesse du Créateur qui fait « lever son soleil sur les bons et sur les méchants » 3. On découvre alors un nouvel amour pour les hommes. L’éducation fondamentalement humaine Ce niveau fondamental de l’éducation regarde l’homme tel qu’il est en lui-même, indépendamment du point de vue chrétien et du point de vue religieux — si du moins on précise qu’il s’agit d’une éducation « laïque ». Si rien n’est précisé, il faut comprendre que l’homme est naturellement un « animal religieux » et l’éducateur doit donc agir selon sa conscience. S’il est chrétien, ou s’il croit en Dieu, il doit 3. Mt 5, 45. 15 progressivement, à travers l’éducation morale qu’il donne (éducation fondamentalement humaine), indiquer les divers dépassements. Le dépassement religieux fait partie de l’éducation humaine dans ce qu’elle a de plus humain. C’est pourquoi l’éducateur humain devrait toujours en parler et le situer. Si on le lui interdit, il doit se poser la question : une telle interdiction est-elle légitime ? doit-il l’accepter ? a-t-il à obéir à cela ? Cette question est très délicate et ne peut être résolue que dans chaque cas particulier. Il est sûr en tous cas, que l’éducation humaine, fondamentalement humaine, demeure présente dans toute éducation chrétienne ou religieuse, et elle demeure toujours capitale. L’éducateur doit toujours chercher à former un homme, un être capable de prendre ses responsabi­ lités, un être capable d’aimer et de choisir ses amis, capable d’orienter sa vie comme bon lui semble, capable de se servir de tout son capital de vie, en un mot, capable d’être une personne humaine. Cela est-il possible sans la dimension religieuse ? En effet, si l’éducation réclame qu’on forme un être humain à partir de sa finalité propre, celle-ci implique d’adorer Dieu, le Créateur, et de chercher à le contempler autant qu’on le peut. Il est sûr que l’éducation humaine n’est complète que si, ayant découvert l’existence du Dieu-Créateur, on découvre la finalité naturelle ultime de tout esprit créé. Mais puisqu’il est possible de distinguer, au niveau philosophique, une éthique fondamentalement humaine et une éthique humaine religieuse 4, ne peut-on pas envisager la même distinc­ tion du point de vue de l’éducation ? Cela nous permettrait de conce­ voir une éducation publique fondamentalement humaine, laïque, diffé­ rente d’une éducation religieuse ou chrétienne, pour les parents qui choisiraient une telle éducation pour leurs enfants. Le problème est très important, mais aussi très délicat, car si la philosophie éthique peut dis­ tinguer, sans les séparer, une éthique fondamentalement humaine et une éthique religieuse, l’éducation, elle, est un art humain coopérant avec la nature humaine, qui, comme tout art, demande d’être concret dans son exercice, puisqu’il se réalise à partir d’une finalité précise. Or du point de vue éthique, l’amour d’amitié qui m’unit à mon ami me permet d’atteindre le premier bien aimé pour lui-même, capable de me finaliser. Cela peut donc structurer une éducation fondamentalement humaine. Mais il faut tout de suite remarquer que cette première finalité demande, même du point de vue purement humain, à être dépassée par la finalité propre de l’éthique religieuse. Elle demande de demeurer ouverte à une finalité plus radicale, plus absolue. C’est pourquoi, si l’éducation fonda­ mentalement humaine finalisée par l’amour d’amitié n’accepte pas (et cela explicitement) d’être dépassée et veut exclure la finalité religieuse 4. Cf. M.-D. Philippe, « Quelques éléments de réflexion pour une philosophie éthique », in Aletheia n° 1-2, p. 9 sq. 16

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