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Le voyage et la danse: figures de ville et vues de films PDF

193 Pages·2008·0.745 MB·French
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Le voyage et la danse Figures de ville et vues de films Pensée allemande et européenne dirigée par Philippe Despoix, Laurence McFalls et Guy Rocher Cette collection, parrainée par le Centre canadien d’études allemandes et européennes (Université de Montréal), vise à élargir la connaissance de la pensée sociale, politique, économique et philosophique allemande dans son contexte européen. Ayant débuté par des traductions et des travaux autour de l’œuvre séminale de Max Weber et de celle de Georg Simmel, la collection entend proposer aux lecteurs francophones de nouvelles analyses, interprétations et traductions de penseurs de langue allemande, que ceux-ci soient connus, qu’ils aient été marginalisés par les cloisonnements institutionnels ou encore par l’exil provoqué par la terreur nazie. La collection est ouverte tant aux classiques de la pensée allemande qu’aux débats plus contemporains que suscitent l’élargissement politique et la redéfinition culturelle de l’Europe. En favorisant et en interrogeant les échanges, emprunts et transferts entre champs disciplinaires et linguistiques, mais aussi les synergies et synthèses qu’ils occasionnent, elle cherche à s’accorder aux mutations culturelles et universitaires qui marquent les sciences sociales et humaines en Europe et dans le monde. Siegfried Kracauer Le voyage et la danse Figures de ville et vues de films Textes choisis et présentés par Philippe Despoix, traduits de l’allemand par Sabine Cornille Nouvelle édition ÉDITIONS DE LA MAISON DES SCIENCES DE L’HOMME LES PRESSES DE L’UNIVERSITÉ LAVAL Les Presses de l’Université Laval reçoivent le soutien du Conseil des Arts du Canada et du PADIÉ. La collection « Pensée allemande et européenne » est publiée avec le concours du Deutscher Akademischer Austausch-Dienst Maquette de couverture : compléter Illustration de couverture : Roger Tilton, Jazz Dance, 1954 (avec l’aimable autorisation de l’auteur, droits réservés) Mise en page : Rosalie Dion, avec la collaboration de Marie-Julie Racine (Montréal) © Surkamp Verlag, Francfort/Main 1971, 1973, 1990 © Presses Universitaires de Vincennes, Saint-Denis 1996, pour la traduction française © Les Presses de l’Université Laval 2008, pour cette édition ISBN : 978-2-7637-8765-7 © Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme 2008 ISBN : 978-2-7351-1212-8 Les Presses de l’Université Laval Pavillon Pollack, Bureau 3103 2305, rue de l'Université, Université Laval, Québec Canada G1V 0A6 www.pulaval.com Introduction Siegfried Kracauer, chroniqueur de l’époque de Weimar Ces essais sont des « mythographies » de la modernité urbaine. Extraits de l'imposante masse de feuilletons et de critiques de films que Siegfried Kracauer écrivit pour le Frankfurter Zeitung entre 1921 et 19331, ils témoignent du formidable procès « d'esthétisation » du quotidien à l’époque de la République de Weimar. C'est dans l'acuité d’un double regard qu'ils trouvent leur source : le regard du flâneur envoûté par l'activité de la rue – celui de l'auteur de Rues de Berlin et d'ailleurs2 –, et le regard du critique de cinéma évaluant les images que ce médium nouveau réfracte du monde moderne. Prenant pour objets les « rituels esthétiques » et la « culture de la distraction » qui feront la physionomie originale des grandes métropoles du XXe siècle, ces textes apparaissent aujourd'hui comme une interrogation avant la lettre de nos « mythes » contemporains. Le succès international de son Caligari (1947) a longtemps fait percevoir Kracauer comme un historien du cinéma3. Sans doute la publication, en Allemagne, d’un choix de ses textes programmatiques de la période de Weimar dans le volume L'ornement de la masse (1963) a-t-elle permis de redécouvrir en lui, au côté de Walter Benjamin et de Theodor Adorno, un des 1 A l'exception des deux essais “Les actualités cinématographiques”, paru dans la Neue Rundschau en 1931, et “Jean Vigo”, paru dans le National- Zeitung Basel en 1940 ; voir infra : sources des textes, p. 187 sq. 2 Siegfried Kracauer : Straßen in Berlin und anderswo, Francfort/M., Suhrkamp 1964; trad., Paris, Le Promeneur 1995, voir la bibliographie en fin de volume. 3 S. Kracauer : From Caligari to Hitler. A Psychological History of German Film, Princeton, Princeton University Press 1947 ; trad., Lausanne, L'Age d'Homme 1973, rééd., Paris, Flammarion 1984. 5 Philippe Despoix grands essayistes liés à la formation de la « théorie critique »4. Rarement, cependant, ces deux aspects saillants d’une œuvre protéiforme ont été considérés dans la relation intime qui est la leur. Entre ces faces trop souvent séparées, c'est la figure multiple de l'écrivain, du sociologue et du critique que l'on voudrait présenter ici à travers le médium dans lequel s'est exercé l'essentiel de son activité : le feuilleton. * C'est en 1921, à la suite d'études d'architecture, de philosophie et de sociologie qui l'ont, entre autres, mené chez Georg Simmel, que Kracauer est engagé au renommé Frankfurter Zeitung, le quotidien libéral le plus important de la République de Weimar. De ce poste, il va ausculter les phénomènes portés par les modes les plus nouvelles, s’intéresser en particulier aux effets de la technicisation de la vie et à la récente culture du corps. Écrivant au jour le jour pour un large public – et non pour le monde universitaire, qui en tant que juif lui reste quasiment fermé – il déploie là de rares compétences d'observateur, d'analyste et de styliste. Bien que ce talent pluriel ait été à l’origine de textes très variés, c'est sans distinction de genre qu'ils furent publiés dans l'une des rubriques du « F.Z. ». Son roman autobiographique anonyme Genêt (1928), histoire grotesque d'un « Chaplin littéraire », comme son enquête berlinoise Les employés (1930), texte pionnier d'ethnographie urbaine, ont d'abord paru en feuilleton avant de prendre la forme de livres5. C'est a fortiori le cas pour la quasi totalité de la vaste production kracauerienne de cette époque, de l'écrit programmatique à la miniature 4 Kracauer : Das Ornament der Masse. Essays, Francfort/M., Suhrkamp 1963, ouvrage dédié à Theodor W. Adorno ; édition française en cours : Paris, La Découverte 2008. 5 Kracauer : Ginster. Von ihm selbst geschrieben, Berlin, Fischer 1928 ; trad. par Clara Malraux, Paris, Gallimard 1933; et Die Angestellten. Aus dem neuesten Deutschland, Francfort/M., Societäts-Verlag 1930 ; trad., Paris, Avinus 2000 ; rééd., Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme 2004. 6 Introduction urbaine, du compte-rendu d'exposition ou de livre à la critique de film6. Les essais rassemblés dans ce volume donnent un aperçu de ces différents genres suscités par les contraintes du feuilletoniste et critique professionnel. Proposer, à partir de leur lieu de production commun, une coupe transversale de leur variété même, tient d'un choix discursif : du parti pris de ne pas classer ces textes en fonction de leur objet ou de leur genre, mais de les restituer à leur contexte d’énonciation pour faire apparaitre ce qui relève en eux de correspondances entre approches sociologique et esthétique. On verra que l'écriture théorique s'y mêle également de fiction. L'idée de regroupements de cet ordre n’était pas étrangère à Kracauer puisqu'il fut déjà question, en 1933, de publier chez l'éditeur Cassirer un « Livre de rues » comprenant à la fois ses « portraits de rues et de ville » et ses essais de « critique culturelle »7. Sa fuite, cette année-là, de l'Allemagne nazie vers Paris, réduira le projet à néant. Mais lorsqu'à la fin des années cinquante, depuis son exil newyorkais, Kracauer s'efforce de publier à nouveau en Allemagne, il plaidera en premier lieu en faveur de ses « articles du F.Z. », se présentant comme « philosophe de la culture et poète en même temps » plutôt que comme spécialiste du cinéma. « Le film n'a jamais été pour moi qu'un hobby, un moyen pour produire certains énoncés sociologiques ou philosophiques », écrit-il dans le cadre de ses transactions avec List-Verlag – qui rééditera Offenbach (1937), sa « biographie sociale » du Second Empire tracée à partir des 6 Au cours de son activité de rédacteur au Frankfurter Zeitung entre 1921 et 1933, Kracauer publie en moyenne trois articles par semaine (plus de 1800 textes au total), dont près de la moitié consacrés à la critique cinématographique ; pour une analyse détaillée cf. “Feuilleton et cinéma. Siegfried Kracauer : une esthétique du médium”, in Philippe Despoix, Ethiques du désenchantement, Paris, L’Harmattan 1995, pp. 169-212. 7 Le Strassenbuch devait comprendre 41 articles répartis en trois rubriques : Dans la rue – À côté de la rue – Figures ; voir la postface de Inka Mülder- Bach in Siegfried Kracauer, Schriften 5.3, Francfort/M., Suhrkamp 1990, p. 361 et p. 382 sq. 7 Philippe Despoix succès et du déclin de l'opérette8. La phrase de Kracauer cache une ironie certaine de la part de celui qui fut sans aucun doute le grand critique de cinéma de la période de Weimar. Elle est toutefois caractéristique de l'exigence, revendiquée comme telle, de ne pas dissocier critique esthétique, analyse sociologique et pensée théorique. L’essai comme forme programmatique Les genres mis en œuvre par le feuilletoniste Kracauer renvoient moins à des classes d'objets différents qu'à une variation d'approche des phénomènes relevant, dans leur ensemble, d'une esthétique « triviale ». L'essai programmatique tout d’abord : il tient de la grande tradition essayiste allemande du tournant du siècle. Exercice philosophique à la Simmel, ce genre analyse les manifestations esthétiques qui forment l’équivoque substrat de la nouvelle culture de la distraction. Le voyage et les danses exotiques, les revues de music hall et les parades gymniques, les compétitions sportives, la photographie de presse et le culte des stars y sont autant de prétextes à un diagnostic historique de l’époque de la modernité. Seul leur succès répété auprès d'un public de masse légitime ces nouvelles formes de désœuvrement ; prises dans leur ambivalence, et non mesurées selon les canons du grand art, elles constituent pour Kracauer les indices à déchiffrer d'une profonde mutation. Celui-ci propose dans un premier temps une ligne d'interprétation de ces phénomènes relevant d'une sociologie « existentielle ». La principale métaphore employée pour les décrypter vient du domaine religieux : réponse inconsciente à l'effondrement des croyances et des rites traditionnels, les nouveaux « cultes » esthétiques seraient le signe d'un manque latent, de la perte de tout « abri transcendantal ». Phénomène de 8 Kracauer : Jacques Offenbach ou le secret du Second Empire, Paris, Grasset 1937, rééd., Le Promeneur, 1994 (éd. all. originale: 1937); pour la citation, voir la lettre à Wolfgang Weyrauch du 4 juin 1962, in Marbacher Magazin, no 47, 1988, p. 118. 8 Introduction compensation dans le champ physique d'une éternité qui se dérobe, cet enthousiasme pour l'éphémère – des rythmes « nègres » aux records de vitesse et à l’instantané photographique – révèle pour l’essayiste une grave crise dans la relation de l'homme moderne à la mort. En tant que signe d'un rapport à l'au-delà mis en forme ailleurs par la religion, ces modes quasi rituelles pourraient-elles finir par en susciter des substituts valides ? Dans une appropriation hétérodoxe et aux accents kierkegaardiens de la philosophie de Kant qu'il a méditée en compagnie du tout jeune Adorno9, Kracauer postule l'effondrement définitif des catégories a priori – le temps et l'espace vides de toute expérience – mises en place par une Aufklärung légiférant sur le monde. Néanmoins, loin de faire écho au néoromantisme de son époque, sa position accorde une positivité virtuelle aux effets esthétiques d'un bouleversement radicalement sécularisateur. Aussi, la métamorphose du religieux serait-elle moins à saisir dans la poétisation renouvelée d'anciens canons traditionnels – ce sera le sens de l'âpre critique de l'entreprise de traduction biblique de Buber et Rosenzweig10 –, que dans les simulacres de sacré propres à l'esthétique triviale du quotidien. Reste-t-il une compétence à la théologie, celle-ci se situe pour Kracauer entièrement du côté du profane. Un second volet de son argument prend pour axe le rapport entre culture de masse et sphère économique. On y décèle, à partir de 1927, une lecture marxienne, teintée de sociologie weberienne – voire de psychanalyse. En tant que phénomènes de « surface » non-intentionnels, les spectacles attirant les foules constituent le pendant esthétique de la profonde 9 Voir Theodor W. Adorno : Noten zur Literatur, Francfort/M., Suhrkamp 1981, p. 388 sq. ; trad. Notes sur la littérature, Paris, Flammarion 1984, p. 263 sq. ; le Kierkegaard (1933) d'Adorno est par ailleurs dédié à Kracauer. 10 Voir “Die Bibel auf Deutsch”, F.Z., 27-28.4.1926 ; rééd. in Kracauer, Das Ornament der Masse, op. cité, p. 173 sq. ; trad. dans l’édition française en cours, op. cité. 9

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