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Le totémisme en Afrique noire PDF

96 Pages·2017·4.79 MB·French
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Systèmes de pensée en Afrique noire  15 | 1998 Totémisme Le totémisme en Afrique noire Totemism in sub-Saharan Africa Alfred Adler Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/span/1549 DOI : 10.4000/span.1549 ISSN : 2268-1558 Éditeur École pratique des hautes études. Sciences humaines Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 1998 Pagination : 13-106 ISSN : 0294-7080 Référence électronique Alfred Adler, « Le totémisme en Afrique noire », Systèmes de pensée en Afrique noire [En ligne], 15 | 1998, mis en ligne le 28 mai 2014, consulté le 21 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ span/1549 ; DOI : https://doi.org/10.4000/span.1549 © École pratique des hautes études LE TOTÉMISME EN AFRIQUE NOIRE par Alfred Adler Le choix d'un tel thème pour un numéro de nos Cahiers en 1998 ne va pas de soi. A quoi bon rouvrir un tel dossier qui doit sembler à quelques-uns académique et plutôt poussiéreux et à beaucoup sans la moindre actualité qui en justifierait l'adoption ? Certes, nous savons que des africanistes de grand renom lui ont consacré des conférences, des articles, de longs passages ou même des chapitres entiers de leurs ouvrages les plus importants : nous songeons à M. Griaule (1948, 1954) et G. Dieterlen (1954,1962), à M. Fortes (1945, 1966), E.E. Evans-Pritchard (1956) et G. Lienhardt (1961), L. de Heusch (1966) et, pour mentionner un exemple plus récent, à M. Dupire (1991). H nous faut aussi dire, puisque notre propre contribution à ce Cahier en reprend toute la subs- tance, que nous n'avions pas eu la moindre hésitation à intituler « toté- misme » une longue partie du chapitre de notre thèse (Adler, 1982) consacré à l'organisation clanique des Moundang du Tchad. Toutefois, il ne fait guère de doute que parmi nos collègues, nombreux sont ceux qui penseront qu'il n'est pas possible aujourd'hui d'aborder un tel sujet sans prendre les plus élémentaires précautions théoriques ou plutôt, par rapport à la théorie de Lévi-Strauss qui, semble-t-il, fait toujours autorité. La plupart d'entre eux, en effet, ont lu en leur temps Le totémisme Totémismes Systèmes de pensée en Afrique noire, 15, 1998 14 Alfred Adler aujourd'hui (1962a) et La pensée sauvage (1962b), les deux ouvrages formant, au dire même de leur auteur, un tout indissociable, le premier s'étant fixé une tâche critique et le second faisant œuvre constructive, et ils en ont conclu qu'après ces travaux qui marquèrent une étape dans le développement du structuralisme lévi-straussien, l'usage du mot totem et, à plus forte raison, du mot totémisme, sauf à l'entourer de guillemets destinés à satisfaire on ne sait quel besoin de prophylaxie intellectuelle, était pour ainsi dire proscrit du vocabulaire des ethnologues de profes- sion. On peut d'ailleurs s'étonner, à la lecture de certaines de ses formula- tions relevées dans chacun des deux livres, que Lévi-Strauss n'ait pas recommandé de façon explicite cette proscription, mais peut-être est-ce simplement parce qu'il savait qu'il n'aurait pas pu s'y conformer lui- même et il prévient d'ailleurs son lecteur (1962a, 6-7) qu'il n'y a pas lieu d'en tirer argument contre lui. Considérons, cependant, ce qu'il écrit dans La Pensée sauvage (p. 129) : « [...] on se demandera peut-être pourquoi ces représentations (toté- miques) sont accompagnées de règles d'action : à première vue au moins, le totémisme ou prétendu tel déborde le cadre d'un simple langage, il ne se contente pas de poser des règles de compatibilité ou d'incompatibilité entre des signes ; il fonde une éthique, en prescri- vant ou interdisant des conduites. [...] Nous répondons d'abord que cette association supposée procède d'une pétition de principe. Si l'on a convenu de définir le totémisme par la présence simultanée de dénominations animales ou végétales, de prohibitions portant sur les espèces correspondantes, et d'interdiction du mariage entre gens partageant le même nom et la même prohibition, alors il est clair que la liaison entre ces observances pose un problème. Mais, comme on l'a remarqué depuis longtemps, chacune peut se rencontrer sans les autres, ou deux quelconques d'entre elles sans la troisième. » Nous n'allons évidemment pas ouvrir immédiatement la discussion sur le fond du problème du totémisme tel qu'il est posé par Lévi-Strauss. Nous voulons seulement, compte tenu de l'influence durable qu'a eu son attitude de rejet, soumettre au lecteur quelques questions d'ordre logique en nous demandant, par exemple, si ce dernier argument est aussi décisif qu'il en a l'air. Toute démarche théorique, dans les sciences humaines, comme dans les autres, suppose, à un moment donné, que le chercheur fasse choix d'une définition et qu'il s'y tienne aussi longtemps que les Le totémisme en Afrique noire 15 faits qu'elle conduit à examiner ne la mettent pas en cause. C'est encore plus évident quand il s'agit d'une notion forgée par les anthropologues à partir d'un terme indigène choisi précisément pour marquer le caractère de nouveauté et de singularité des phénomènes ainsi nommés. La multi- plicité des définitions du totémisme qui se sont succédées et plus ou moins contredites entre elles était, pensons-nous, inévitable dès lors que l'on cherchait à savoir quel degré d'universalité avaient ces phénomènes dont l'observation ethnographique semblait prouver qu'ils étaient assez largement répandus à travers le monde et dans les aires culturelles les plus variées. Faut-il rappeler que si l'extension et la compréhension d'un concept varient en sens inverse, il n'y a pas lieu pour autant d'en con- clure que le totémisme qui fut effectivement très tiraillé dans les deux sens, n'est qu'un leurre et en frapper la notion même d'illégitimité ? Nous ne croyons pas braver les règles du raisonnement valide en disant que ce n'est pas parce qu'une définition donnée nous conduit, par la façon dont elle est formulée, à poser tels problèmes particuliers et non tels autres, que ceux-ci sont de faux problèmes sous prétexte qu'il y aurait pétition de principe dans la définition elle-même. On connaît les para- doxes de la définition qui prétendrait éviter toute présupposition et donc se dégager complètement des contraintes inhérentes aux langues natu- relles (seules les axiomatiques élaborées par les mathématiciens, telle celle de Peano, par exemple, pour fonder l'arithmétique, peuvent y échapper) ; en anthropologie, où l'on a affaire à une discipline dans laquelle, en définitive, il n'y a peut- être pas d'autre vocabulaire spécialisé - technique ou prétendu tel, si l'on préfère - que ces mots empruntés aux langues des peuples qu'elle étudie et que, tout bien pesé, elle juge intraduisibles1 comme, par exemple, totem, tabou, mana, potlatch, manitou, nyama, etc., l'acte de définir résulte obligatoirement d'un choix (que l'on espère bien sûr dûment motivé, mais dont l'arbitraire ne peut être totalement Meyer Fortes, dans l'exorde d'une conférence prononcée en 1966 et intitulée « Totem and Taboo » (Fortes, 1987 : 111), dit quelque chose du même ordre pour jusûfier le choix de son sujet. Le totémisme est « un exemple d'un objet de recherche qui est spécifique des données, des méthodes et des théories de l'anthropologie sociale, et caractéristique aussi de son développement historique ». 16 Alfred Adler éliminé) qui associe tel et tel élément empirique dont l'observation nous apprend qu'ils sont, dans les faits, associés plus ou moins fréquemment mais de façon significative. C'est à la réflexion théorique qu'il incombe de chercher à comprendre comment et pourquoi cette association s'est produite et demeure durable. Nous persistons donc à penser et souhaitons montrer ici que les Moundang possèdent un système clanique qu'il serait difficile sinon impossible de décrire sans l'aide de la notion de totémisme. Nous nous disons en même temps que les lecteurs un peu pressés de Lévi-Strauss n'ont peut-être pas pensé que les ensembles de faits qu'elle servait habi- tuellement à désigner et qu'elle continue encore à désigner sous la plume de chercheurs chevronnés, risquaient du même coup de perdre en tant que tels, tout droit de cité dans le champ de la réflexion anthropologique. Est-on si sûr, a-t-on envie de leur demander, que le cadre conceptuel ou la sous-discipline de l'ethnologie dans laquelle ces ensembles de faits ont été ou sont récupérés aux fins d'analyse, a permis une véritable avancée scientifique ? Peut-on seulement affirmer que cette « récupération » existe (par exemple, ce qui pourrait sembler le plus probable, dans des travaux trouvant précisément leur inspiration dans La pensée sauvage ou dans d'autres relevant du cognitivisme) et prendre la mesure du gain obtenu ? Jusqu'à plus ample informé, il ne semble pas que ce soit le cas. Il ne suffit pas d'éliminer un mot dont on peut certes dire qu'il n'est plus à la mode et dont on peut également dire qu'il n'est autre chose, à l'origine, qu'un malencontreux contresens fait par J. K. Long dans la traduction de l'expression ojibwa ototeman, pour se débarrasser d'un problème. Au demeurant, l'expérience historique de notre discipline ne manque pas d'exemples de ces rejets souvent fortement et justement motivés et qui sont parfois suivis de surprenants retours qui font symptôme de ce qu'il y a de difficile et même de pénible à penser dans le champ qui est le nôtre. On pourrait évoquer en particulier le mot fétiche dont plusieurs de nos Cahiers précédents ont montré tout l'intérêt qu'il conservait en dépit de l'opinion de M. Mauss lui-même qui l'avait cru à jamais entaché du préjugé colonialiste, sans parler d'autres aujourd'hui, qui vont jusqu'à lui trouver un relent d'idéologie esclavagiste parce qu'il pouvait servir à mettre au ban de l'humanité ceux à qui il était appliqué. Le totémisme en Afrique noire 17 Dans une première séance du séminaire qui est à l'origine de certains des travaux réunis dans ce numéro, nous nous étions donc efforcé de montrer que les faits moundang que nous avions recueillis sur le terrain, et en particulier ceux touchant à l'organisation clanique qui constitue un trait essentiel de cette société, non seulement se passeraient difficilement d'une telle notion mais l'exigeraient bien plutôt, sous peine de laisser apparaître comme disparates et secondaires des caractères qui manifeste- ment forment un ensemble cohérent et que l'on peut appréhender comme un système. Nous nous sommes contenté, pour commencer, de rappeler une proposition simple et qui a pour nous valeur de définition minimale : elle est tirée d'un texte dans lequel A. R. Radcliffe-Brown (1952) s'attache à donner corps à une théorie sociologique du totémisme : « Je donnerai au mot totémisme, écrit-il, son sens le plus large dési- gnant toutes les situations où, dans une société divisée en groupes, il existe une relation particulière entre chacun d'eux et une ou plusieurs classes d'objets, habituellement des espèces naturelles d'animaux ou de plantes mais, à l'occasion des objets artificiels ou des parties d'un animal. Le mot désigne quelquefois, dans un sens plus étroit, les cas où les groupes sont des clans, ensembles exogames dont tous les membres sont étroitement liés par une descendance unilinéaire. Ce totémisme « clanique » est seulement une variété du totémisme entendu dans le sens le plus large ». C'est précisément cette variété de totémisme que Radcliffe-Brown appelle « totémisme clanique » que l'on trouve chez les Moundang et, je l'ajoute dès maintenant, dans la totalité des exemples africains dont il sera question dans cette étude. Le cas des Joola du Sénégal et des Feloup de la Guinée-Bissau qu'examine dans ce recueil Odile Journet, est d'autant plus intéressant qu'il semble, jusqu'à plus ample informé, faire seul exception, y compris dans la zone géographique qu'ils occupent, comme on le verra avec l'article que M. Dupire a consacré aux Sereer du Sénégal. La description du cas moundang qu'on lira plus loin permet de dégager un fait intéressant, caractéristique peut-être de certaines formes africaines du totémisme dans lesquelles il faudrait voir des variétés très 18 Alfred Adler différentes2 de celles qui ont fait l'objet des études « classiques » dans ce domaine, à savoir celles rencontrées en Amérique du nord et en Australie. Si, comme le veut Lévi-Strauss, l'homologie interne entre la série des unités sociales constitutives de l'ensemble socio-politique consi- déré et celle des espèces ou objets totémiques est le minimum indispen- sable à l'établissement du « fait totémique », il est nécessaire d'y adjoindre un troisième terme dont l'existence extérieure permet l'articulation entre les deux séries. Celles-ci, en effet, s'effondreraient sur elles-mêmes si la correspondance entre les termes de l'une et de l'autre se réduisait à une construction arbitraire purement sémiologique. Ce terme extérieur aux deux séries est, en l'occurrence, en pays moundang, le roi de Léré auquel revient le rôle d'opérateur de la « clanification » comme modalité d'entrée dans le champ social et politique du royaume de Léré. Une situation analogue se présente chez les Baganda de l'Ouganda où c'est aussi par rapport au roi, le kabaka, que s'ordonnent les fonctions rituelles et économiques spécifiques de chacun des clans. Nous essaierons de mon- trer que dans les analyses de Fortes, comme dans celles d'Evans-Pritchard 2 Alain Testait (1987), dans une longue analyse consacrée aux rapports du totémisme et des modes de production, associe la forme australienne à ce qu'il appelle le « communisme primitif » (celui des sociétés de chasseurs-cueilleurs) dont il voit une expression dans les rites de l'intichïuma ; quant à la forme africaine (il prend justement l'exemple du totémisme nuer), elle se rattache pour lui au mode de production agro-pastoral. Nous ne nous sentons guère en mesure de discuter cette vue théorique tout à fait étrange pour un africaniste. Nous n'ignorons pas qu'il existe des liens certainement très étroits entre les modes de production et la « superstructure idéologique » mais nous pensons que, dans l'état actuel de nos connaissances, nous nous trouvons sur un terrain plus solide en envisageant seulement les rapports entre totémisme et organisation sociale et politique. Tout le monde s'accorde sur l'idée que totémisme et organisation sociale sont absolument inséparables. Nous espérons montrer que les exemples africains invitent à prendre en compte la dimension politique des sociétés que nous disons totémiques mais nous ne pensons pas qu'il soit possible de mettre exactement sur le même plan leur dimension économique. Nous verrons que telle forme de pouvoir politique peut déterminer une forme de division sociale du « travail », par exemple, l'attribution de fonctions spécifiques, rituelles et éventuellement techniques, aux différents clans qui, selon les cas, conservent ou non leurs caractéristiques totémiques. Mais il ne faudrait pas rapprocher, et encore moins confondre, cette division très spéciale du « travail » avec un quelconque système économique dont elle constituerait un trait différentiel. Le totémisme en Afrique noire 19 et de Lienhardt respectivement, un rôle de même nature est dévolu aux ancêtres (eux-mêmes liés aux autels de la puissance Terre) chez les Tallensi du nord du Ghana, aux ancêtres et à la divinité Chair chez les Dinka du Soudan et à Dieu ou à l'Esprit suprême chez les Nuer leurs voisins. Dans le séminaire consacré au totémisme en Afrique orientale et plus spécialement aux Nuer étudiés par E. E. Evans-Pritchard (Nuer Religion, 1956) et aux Dinka étudiés par G. Lienhardt (Divinity and Expérience, 1961), nous sommes parti précisément de la constatation que chez chacun de ces deux auteurs le totémisme fait l'objet d'un chapitre complet de l'ouvrage qu'ils ont consacré l'un et l'autre à l'étude de la religion de leur population. Nous ne pouvions manquer de relever qu'il nous aurait été impossible de procéder de la même manière chez les Moundang. C'est tout naturellement, dirions-nous, qu'en décrivant l'organisation clanique de la société, nous avons ressenti la nécessité d'en exposer de la façon la plus complète les aspects incontestablement totémi- ques qui sont les siens. Mais du même coup, nous n'avions pas à nous soucier de savoir si les rites et les croyances associés à ces aspects consti- tuaient un ensemble spécifique de faits religieux, car l'essentiel était de dégager le caractère systématique d'une somme de traits formels apparte- nant à une nomenclature et impliquant pour chacune des classes définies des conduites et des attitudes distinctes, comme c'est le cas pour les classes qui se dégagent de l'analyse des terminologies de parenté. Il semblerait, au premier abord, qu'une différence aussi décisive dans le traitement des faits de totémisme devrait impliquer une différence de nature telle entre eux qu'elle ne pourrait que nous faire retomber sous les arguments de la critique lévi-straussienne que nous venons de mettre en cause. Nous pensons qu'il n'en est rien et espérons montrer qu'il n'y a pas solution de continuité entre les systèmes de relations totémiques que nous allons étudier, que le terme central ou troisième terme autour duquel ils pivotent soit un culte d'esprits (ancêtres, Terre, divinité céleste) ou bien un culte lié à une forme ou une autre de souveraineté politique. 20 Alfred Adler Approche comparative du totémisme chez les Nuer et chez les Dinka La manière dont le totémisme des Nuer et celui des Dinka nous sont présentés semble donc annoncer qu'il n'y a pas d'échappatoire : il existe bel et bien une catégorie de faits religieux qu'on doit et qu'on ne peut penser qu'à l'aide de cette notion. Dépêchons-nous de dire, au risque de nous mettre nous-même en fâcheuse posture, qu'à cet égard l'intérêt redouble parce que nous sommes, pour ainsi dire, soumis à un test de validation du point de vue, disons « conservateur », qui est le nôtre : il y eut, en effet, un désaccord des plus significatifs entre nos deux auteurs sur la pertinence de l'emploi du mot totem. Evans-Pritchard (1956) conserve le terme (qu'il a employé depuis ses premiers articles publiés sur les Nuer et qu'il emploie aussi dans deux courts textes consacrés aux Zande, Man, 1956 et Man 1961) tout en sachant que son disciple et ami G. Lienhardt (1961) répugne à le faire. Quand ce dernier publiera quelques années plus tard l'ouvrage mentionné plus haut, il remplacera, sous l'influence des positions que Frazer avait adoptées dans Totemism and Exogamy (1910) sur ce sujet, totem par "clan divinity" pour parler des conceptions dinka ; le piquant de l'affaire est qu'Evans-Pritchard nous apprend que le toté- misme nuer est, pour une large part, d'origine dinka. A la vérité, une lecture attentive des deux auteurs nous montre que cette divergence de vocabulaire est sans grande portée, mais qu'elle est plutôt le symptôme d'une divergence de nature philosophique et même religieuse entre eux deux. La différence vraiment décisive que présentent leurs interprétations respectives peut se résumer ainsi : en prenant le contre-pied de la thèse de Durkheim qui faisait du totémisme la forme élémentaire de la religion, Evans-Pritchard tire le totémisme nuer vers les formes les plus élevées de la religion, une sorte de monothéisme laissant place au culte des esprits conçus comme autant de facettes du dieu souverain et unique. A cette fin, il fait usage à sa façon de l'argument de l'Un et du Multiple : "[...] on peut dire que le Nuer sacrifie à l'esprit-lion et pas à l'esprit- crocodile mais pas qu'il sacrifie à l'esprit-lion et pas à Dieu. Aucune des modalités sous lesquelles se présente l'esprit n'est pensée comme séparée de Dieu mais comme séparée seulement d'une autre modalité. Le lion-esprit et Dieu sont la même chose considérée de façon diffé- rente". Le totémisme en Afrique noire 21 G. Lienhardt, quant à lui, s'efforce de faire entrer la notion de "divinité de clan" dans le champ de l'expérience sociale vécue3, indivi- duelle et collective. L'animal ou l'objet qu'il appelle "emblématique" (en reprenant d'ailleurs un terme essentiel dans l'analyse durkheimienne4) représente pour le Dinka non pas une modalité de Dieu, mais la divinité de « son » clan et comme telle, la source de vie et de fécondité à l'intérieur de son clan. La notion de divinité ne renvoie donc pas ici à une entité individualisée mais à un principe que l'on peut presque confondre avec celui de la puissance liée à l'ancestralité. Mais ce n'est là qu'un aspect partiel du fait religieux dinka, car au-dessus des divinités claniques il y a la divinité suprême avec laquelle les hommes ne peuvent communiquer que par la médiation d'un clan particulier dont la divinité propre est appelée Chair. « Maîtres de la lance de pêche » est le titre donné aux anciens de ce clan qui sont les « prêtres » de Chair et l'on peut considérer ces personnages, que les anciennes coutumes vouaient au suicide rituel quand ils atteignaient le grand âge, comme des espèces de rois sacrés de la tribu et de son territoire. C'est en participant aux grands sacrifices 3 On pourrait dire qu'Evans-Pritchard a une conception plutôt cognitive du totem (manière de connaître le divin en l'honorant sous une de ses modalités déterminée en fonction des divisions claniques de la société) tandis que Lienhardt s'en fait une idée existentielle qui s'oppose, quant à elle, de façon radicale au point de vue lévi- straussien. Qu'on nous permette de le citer en anglais : « A clan-divinity thus does not face outwards to other clans, so to speak, appearing as a label or sign by which outsiders may know with whom they have to deal, but relates inwards to the clansmen. By knowing from genealogical evidence that they are agnatically related, they know also that they are united in relation to a common divinity, which for them symbolises their relationship » (Lienhardt, op. cit. p. 113) 4 On a l'impression d'assister à un chassé-croisé entre la terminologie frazérienne et celle de Durkheim. Lienhardt renonce au mot totem en raison de la définition qu'en donne Frazer et utilise le mot emblème dans un sens très proche de celui de Durkheim qui en fait une notion fondamentale du totémisme. On relève dans Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912) les formules suivantes : « [...] sa source (du principe totémique) n'a pu être la nature intrinsèque de la chose dont le clan portait le nom [...] mais seulement [...] la représentation figurative de cet animal ou de cette plante, c'est-à-dire l'emblème totémique [...].Cet emblème est la forme sensible du principe ou dieu totémique ; mais d'un autre côté, il est aussi le symbole de cette société déterminée qu'on appelle le clan. » et un peu plus loin, on lit encore : « [..] car le principe totémique est le clan pensé sous une forme matérielle que l'emblème figure. »

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Alfred Adler, « Le totémisme en Afrique noire », Systèmes de pensée en Afrique noire [En ligne], 15 | 1998, mis en ligne le 28 misme » une longue partie du chapitre de notre thèse (Adler, 1982) consacré à qu'on leur adresse des sacrifices, ils ont des qualités rituelles et mystiques app
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