UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL LE ROMAN GOTHIQUE ANGLAIS DES ORIGINES (1764-1824) ET L'EXPÉRIENCE DU SACRÉ. UNE RÉACTUALISATION DE SYMBOLES ET DE STRUCTURES RELIGIEUSES ARCHAÏQUES MÉMOIRE PRÉSENTÉ COMME EXIGENCE PARTIELLE DE LA MAÎTRISE EN ÉTUDES LITTÉRAIRES PAR STÉPHANlE DURAND MARS 2008 UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL Service des bibliothèques Avertissement La diffusion de ce mémoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles supérieurs (SDU-522 - Rév.01-2006). Cette autorisation stipule que «conformément à l'article 11 du Règlement no 8 des études de cycles supérieurs, [l'auteur] concède à l'Université du Québec à Montréal une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalité ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pédagogiques et non commerciales. 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TABLE DES MATIÈRES RÉSUMÉ v INTRODUCTION CHAPITRE 1 L'APPROCHE RELIGIOLOGIQUE DU ROMAN GOTHIQUE 1.1 Roman gothique et religiosité 1.1.1 Au-delà des stéréotypes 6 1.1.2 Muthos et logos. Raison et irrationalité 10 1.2 L'expérience du sacré 1.2.1 Le numineux 15 1.2.2 Le surnaturel 17 1.2.3 Le mystère 21 1.2.3.1 Le terrifiant (le mysterium tremendum) 22 1.2.3.2 Le fascinant (le mysteriumfascinans) 28 1.2.4 La transcendance 30 1.2.5 Le sublime 36 CHAPlTRE II LES COMPOSANTES SYMBOLIQUES DU ROMAN GOTHIQUE 2.1 L'expression de la démesure sublime 39 2.1 .1 L'obscurité et le silence 40 2.1.2 La grandeur et le pouvoir 45 2.2 Des lieux initiatiques 2.2.1 Les seuils et les escaliers 48 2.2.2 Les souterrains 50 2.2.3 La lune et la nuit 55 IV 2.2.4 Le labyrinthe 57 2.2.5 Perversion du décor 60 2.3 Les personnages numineux 62 CHAPITRE III L'INVASION DU CHAOS 3. I Les espaces sacrés et la menace du chaos 70 3.2 Les excès et les transgressions 3.2.1 Le temps profane et le temps sacré 75 3.2.2 Passion et imagination 81 3.3 L'évolution du récit 3.3.1 La linéarité classique. Enfermement et fuite 87 3.3.2 La fragmentation frénétique. Le chaos formel 90 3.4 De la renaissance à la régénérescence 3.4.1 La quête identitaire de j'héroïne. De l'individuel au collectif 92 3.4.2 La quête inachevée du tyran 97 CONCLUSION 103 BIBLIOGRAPHIE 110 RÉSUMÉ La postérité du roman gothique anglais des ongmes (1764-1824) dans lequel on trouve le germe de gemes aussi populaires aujourd'hui que la littérature fantastique, le récit d'horreur ou le roman policier prouve qu'une réelle fascination émane de ces textes. Afin d'en dégager la profondeur et d'expliquer cette fascination qui perdure malgré les réserves d'une partie de la critique, le présent mémoire se propose de débusquer au sein de cinq des premières œuvres majeures et représentatives de ce geme la présence d'une expérience universelle, celle du sacré. C'est donc dans une perspective religiologique que les textes sont étudiés, ce qui s'avère d'autant plus pertinent que cet angle d'analyse n'a encore été qu'effleuré par les spécialistes du genre. Ce n'est pas un hasard si des concepts comme le surnaturel, le mystérieux et le terrifiant, servant à définir le roman gothique, constituent également des termes-clés à la base de toute analyse religiologique. Leur examen permet en effet de souligner la présence, dans ces romans, d'une interrogation sur l'identité, sur les origines et sur le tout autre. Endroits sombres ou grandioses, paysages vertigineux et verticalité des constructions; les décors et l'atmosphère, créés suivant les théories d'Edmund Burke, sont sublimes et inspirent la transcendance. De même, qu'il soit question des lieux souterrains et labyrinthiques qui évoquent la Terre-Mère ou des personnages puissants et tyranniques qu i s'avèrent numineux, diverses composantes caractérist iques du gothique se révèlent donc symbo liques. Ensemble, ces éléments contribuent à la révélation de structures religiologiques archaj'ques allant de périples initiatiques effectués par les héroïnes à la succession permanente du cosmos et du chaos, la venue de ce dernier se trouvant favorisée par les transgressions et les excès des tyrans. Au terme de l'étude, nous sommes à même de constater que plus encore qu'à une renaissance individuelle, c'est à une régénérescence collective que la quête identitaire de l'héroïne aboutit et que l'analyse religiologique permet d'affirmer l'importance de la collectivité et des rôles sociaux par opposition à l'individualisme et à J'égoïsme qu'incarne le tyran. Cette approche marque ainsi sa différence envers les études plus individualistes, psychologiques ou historiques souvent menées sur le roman gothique. Mots-clés: XVIlI e ET XIXc SIÈCLES, ROMAN GOTHIQUE, SACRÉ, ANALYSE RELiGIOLOGIQUE, SUBLIME, SYMBOLES INTRODUCTION Avec ses histoires aussi macabres, cruelles et excessives que sentimentales et sublimes; avec ses châteaux aux hautes tours et ses paysages grandioses; avec ses héroïnes, ses tyrans et ses fantômes, le roman gothique fascine. Ayant servi à « distraire une minorité passablement cultivée l » de son apparition, en 1764, avec Le château d'Otrante de Walpole, jusqu'aux alentours de 1792, il gagne ensuite en popularité, bien qu'il demeure longtemps mal vu des milieux très conservateurs. Les périodiques de l'époque (Tatler, Spectator, Rambler, Advenfurer) le critiquent en particulier comme ils attaquent le roman populaire en général, mais les mensuels de critique littéraire (Monthly, Crifical, Analytica!) rendent compte de son évolution et de sa popularité croissante. S'il se développe d'abord en Angleterre dans la seconde moitié du XVlJl èmc siècle, le roman gothique exerce ensuite une influence durable en France, où il sera plutôt nommé « roman noir» et aura des répercussions jusqu'en Amérique, même au Québec2. Sa postérité est remarquable. On peut en effet présumer qu'il se trouve à l'origine, ou qu'il a du moins fortement influencé, des genres et courants aussi divers que le romantisme, apparu sensiblement à la même époque, le mélodrame, le roman fantastique, le roman d'horreur et la littérature de sc ience-fiction. Mais qu'est-ce qui fascine tant dans le roman gothique? Pour sûr, il semble se trouver dans ce genre littéraire quelque chose qui nous interpelle profondément, puisqu'il inspire toujours des auteurs d'aujourd'hui s'inscrivant dans la suite directe des œuvres originales. Il s'agit d'ailleurs d'auteurs aussi populaires que Stephen King ou Anne Rice, sans parler d'auteurs du passé, comme Bram Stoker, dont la principale 1 R. D. Mayo, « Étiologie du roman gothique », in Liliane Abensour el Françoise Charras (dir.), R0l170nlisl17r? noir, Paris. Éditions de l'Herne, 1978, p. 288. 2 Voir Michel Lord, En quê/l! du roman go/hiqlle québécois 1837-1860, Québec, Nuit Blanche éditeur, 1994, 177 pages. 2 création (pour ne pas dire «créature »), Dracula, stimule encore les imaginations. Liliane Abensour souligne qu'en ce qui concerne la littérature gothique, « à chaque époque, l'écho résonne différemment\> et donc, l'essence du roman gothique demeure actuelle. Mais en quoi? Plusieurs se sont évidemment posé la question et la présente étude s'inscrit dans la suite d'analyses psychanalytiques, féministes, historiques ou autres ayant proposé diverses explications. Mais tandis que les analyses historiques ou féministes peuvent spéculer sur les conditions de l'apparition du roman gothique et tenter d'expliquer la fascination éprouvée par les lecteurs de l'époque en invoquant la critique implicite du patriarcat qu'il met en scène ou une présumée influence de la Révolution française, la question demeure: que recèle le roman gothique qui puisse encore toucher les lecteurs d'aujourd'hui? Parce que l'avancée de la science et la diversité des connaissances poussent à présent à une classification et à une spécialisation de plus en plus grandes, il apparaît intéressant, pour répondre à la question, d'avoir recours à des outils autres que littéraires. Roger Caillois, dans l'avertissement précédant son ouvrage Le mylhe el l'homme, explique en ce sens: Les multiples formes que revêtent les démarches de J'imagination ne paraissent pas avoir été souvent étudiées dans leur ensemble. Au lieu de les éclairer l'une par J'aulre, on fait de l'histoire littéraire, de la mythographie, de la psychologie normale ou pathologique, etc., autant de provinces autonomes où l'on émiette arbitrairement J'unité de la vie et de l'esprit Le recours à diverses disciplines ne peut que recréer les liens qu'on ne voit plus, mais qui n'en existent pas moins entre les divers aspects de la vie et de l'homme; recoller, en somme, les morceaux d'un grand tout fi·agmenté. Sous cet angle, il semble pertinent d'envisager une approche plus globale du roman gothique pour trouver réponse au problème énoncé. C'est ce que l'étude du genre dans une perspective religiologique permettra. , Liliane Abensour et Françoise Charras (dir.), Le wmoJ1lisme noir, Paris, Éditions de '·Herne, 1978, p. VI. Roger Caillois. Le mylhe el/'homme. Paris, Gallimard, 1972. p. 9. 4 3 Il apparaît en effet que la littérature, s'intéressant aux productions de l'esprit humain qui cherche à s'exprimer et à comprendre, paltage certaines préoccupations avec la religion. Plus encore, la similarité entre les concepts servant à définir le sacré et plusieurs notions fréquemment associées au roman gothique met sur la piste d'une possible analyse religiologique du roman gothique. En effet, la place centrale accordée aux termes «surnaturel », «mystère» ou «teneur» dans l'analyse religiologique comme dans la définition du roman gothique indique un lien manifeste entre le sacré et les romans anglais qui font l'objet de cette étude. Quelques critiques littéraires (Varma5 Lévl et Varnado7 ont déjà fait état de ces rapports, mais tandis , ) que Varma se limite à quelques considérations sur la manifestation du numineux dans le roman gothique, Lévy effleure le sujet avant de verser dans une analyse psychanalytique et onirique. Le propos de la première partie de ce mémoire s'approche davantage de celui de Varnado, mais les réflexions de ce dernier s'élaborent sur moins d'une dizaine de pages et s'appliquent à des œuvres gothiques plus tardives que nous pounions qualifier de néogothiques. Cherchant à pousser plus loin l'analyse, le présent mémoire s'intéressera à l'expérience du sacré qui se manifeste dans le roman gothique anglais des origines, écrits entre 1764 et 1824, et aux symboles et structures religieuses archaïques qu'on y retrouve. Cinq œuvres part icuJièrement représentatives du genre composeront le corpus littéraire principal, à savoir: Le château d'Otrante (1764) de Horace Walpole, Les mystères d'Udolphe (1794) et L'Italien ou le Confessionnal des pénitents noirs ( 1796) d' Ann Radcliffe, Le Moine ( 797) de Matthew Gregory Lewis et Melmoth ou J l'homme errant (1824) de Charles Robert Maturin. Il s'agit des œuvres fondatrices du genre; œuvres que la qualité de leur composition et J'originalité dont elles faisaient 5 Devendra P. Varma, The Go/hic FIume, New-York, Russell and Russell. 1966.264 pages. "Maurice Lévy, Le roman « go/hiqlle» anglais, /764-/824, Toulouse, Publicalions Faculté des leltres et sciences humaines de TouJouse, ]968,750 pages. 7 S. L. Varnado, « The Idea of the Numinous in Gothie Literalure », in Peler B. Messenl (dir.), Li/era/uI"e oi/he OcclIl!, Englewood Cliffs, NJ., Prentice Hall, 198 J, J88 pages (rp. 5] il 56). 4 déjà montre à l'époque de leur création permettent de considérer comme étant majeures ou, pour ainsi dire, classiques. Ainsi, il s'agira de découvrir par quels moyens littéraires le roman gothique parvient à exprimer une expérience du sacré, quels sont les symboles et les structures religieuses archaïques qui le composent, comment ils se manifestent, ce qu'ils signifient et ce qu'ils apportent de nouveau à l'interprétation du roman gothique. Pour ce faire, au cours du premier chapitre, le sujet sera d'abord traité d'un point de vue théorique. La critique du roman gothique sera exposée pour mieux être contestée et la clarification des rapports entre logos et mythos démontrera l'importance de la pensée mythique et introduira le questionnement sur J'identité, sur les origines et sur le tout autre qui constitue la toile de fond de ces romans. La définition des concepts de « numineux », « surnaturel », « transcendance », « mystère» et « sublime» et la compréhension de ces termes dans un sens religiologique contribueront à l'appréhension de la profondeur du roman gothique et permettront de constater la pertinence de ceux-ci dans l'analyse de ce dernier. Il sera alors question des sentiments, analogues à ceux qu'engendre l'expérience du sacré, que le genre suscite et qui sont intrinsèquement liés à l'expérience du surnaturel. Sur ce point, les thèses de Rudolf Otto sur le sacré serviront de principal appui théorique. Le deuxième chapitre explore certaines composantes du roman gothique à la lumière, entre autres, des considérations précédentes et des théories de Mircea Eliade qui permettront de décrypter leur symbolisme. Le sublime, concept dont la théorisation par Edmund Burke au XYIIIcme siècle a ouvertement inspiré les auteurs gothiques dans leur création d'une atmosphère particulière, et l'intense expérience qu'il engendre sera le premier élément analysé. Puisque le sublime s'exprime notamment dans la verticalité des paysages gothiques, cela nous conduira à examiner les principaux décors du roman gothique et à découvrir les symboliques féminines et initiatiques qu'ils cachent. Des personnages pouvant être qualifiés de numineux retiendront ensuite l'attention. Par leur dualité, ces êtres puissants à l'essence surnaturelle entraînent le roman gothique jusqu'aux limites du bien et du mal.
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