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Le problème de la personne, sommet de la philosophie première PDF

33 Pages·1993·12.821 MB·French
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ALETHEIA Ecole Saint Jean REVUE DE FORMATION PHILOSOPHIQUE THEOLOGIQUE & SPIRITUELLE Paraît deux fois l’an. N° 4 Décembre 1993 ALETHEIA Ecole Saint Jean SOMMAIRE ■ Editorial 7 Frère Marie-Dominique Philippe, o.p. ■ Le problème de la personne, sommet de la philosophie première 9 Frère Marie-Dominique Philippe, o.p. ■ De Personne et Acte à Veritatis Splendor (I) 41 Frère Samuel ■ Commentaire de l’Evangile de saint Jean du Prologue au chapitre 5 (III) 83 Frère Marie-Dominique Philippe, o.p. ■ Pour « vivre la mort » : un appel à la sagesse 99 Frère Geoffroy-Marie ■ Notes de lecture 123 « Dictionnaire de la mystique » « Interprétations phénoménologiques d’Aristote » « La divine origine, Dieu n’a pas crée l’homme » « Le manteau du mathématicien » « The Préfacé to Thomistic Metaphysics » ■ Ouvrages envoyés à la rédaction 143 Le problème de la personne, sommet de la philosophie première Fr. M.-D. Philippe, o.p. ommençons par rappeler rapidement comment se pose pour C nous le problème de la philosophie première. Aujourd’hui, plus que jamais, tout l’intérêt du philosophe est de regarder l’homme et toutes les dimensions de l’homme : l’homme travaillant, l’homme aimant, l’homme coopérant, l’homme dans le monde, l’homme parmi les vivants, et enfin l’homme qui existe : l’homme qui prend conscience qu’il existe, qu’il est — par là, il est en communion avec toutes les réalités qu’il peut expérimenter et connaître, mais aussi il se distingue radicalement de chacune et de toutes par son être propre, per­ sonnel et individuel. Pour comprendre philosophiquement ce qu’est l’homme, il faut tou­ jours revenir à l’expérience que nous en avons ; c’est à partir de l’expé­ rience que nous pouvons découvrir ce qu’il est et sa manière spirituelle d’exister dans ses diverses dimensions. Mais il faut bien comprendre que si nous pouvons saisir à partir de l’expérience interne et externe ce qu’est l’homme qui travaille, il est beaucoup plus délicat de saisir ce qu’il est en tant qu’il est. Car nous n’avons pas, au sens précis, une expérience direc­ te de « l’être ». La philosophie part de l’expérience en philosophie de l’art, en éthique, en philosophie politique ; il en est de même pour la phi­ losophie de la matière (de la nature) et la philosophie du vivant. Nous avons vraiment cinq expériences sui generis, cinq expériences diverses, points de départ de cinq grandes orientations de la philosophie réaliste ; mais nous n’avons pas, au sens strict, une expérience de l’être, car nous ne l’avons jamais rencontré. Cependant, ces cinq expériences diverses ont toutes quelque chose de commun ; toutes, elles me mettent en contact avec la réalité, et même la réalité la plus parfaite que j’expérimente : l’homme. C’est l’homme qui --------------------------------------------------- Aletheia - Ecole Saint Jean - 1993 - N° 3 travaille et transforme une réalité autre que lui, c’est l’homme qui aime un autre homme, c’est l’homme qui coopère avec un autre homme, c’est l’homme qui découvre l’univers matériel, le monde physique en lequel il se trouve, en lequel il est né, c’est l’homme qui est un vivant. Et c’est bien l’homme qui existe, qui est. Ce qui fait l’unité de toutes mes expé­ riences, au-delà de leur diversité, c’est bien le jugement d’existence « je suis » ; l’homme en moi existe. Toutes mes expériences, et non mes intuitions, me conduisent donc à cette découverte : je suis, j’existe. Les diverses intuitions, même celle qu’on appelle « l’intuition de l’être », portent toujours sur des relations. Toute intuition me fait découvrir une nouvelle relation qui me demeurait cachée et qui subitement se dévoile à moi. C’est précisément ce caractère subit d’un dévoilement qui m’enchante, puisque par là l’intuition me permet de « saisir » comme un monde nouveau ! Mes intuitions me pro­ jettent donc dans un univers nouveau, au-delà de celui que j’expérimente habituellement ; mais elles ne me disent pas si j’atteins un monde réel, existant, ou simplement un monde que mon intelligence elle-même crée. La relation comme telle peut exister réellement en dehors de moi, ou être une relation « de raison » ; cela dépend de son fondement. C’est en ce sens qu’on peut dire que la relation comme telle est au-delà du jugement d’existence, qu’elle demeure au niveau des « formes possibles », existant ou n’existant pas1. Le jugement d’existence « ceci est » et la découverte des principes propres de l’être Précisons ce qu’il faut entendre par le jugement d’existence : « ceci est », « je suis ». Une des grandes questions philosophiques est de savoir s’il faut commencer par le « je suis » pour atteindre le « ceci est », ou au contraire commencer par le « ceci est » et aboutir au « je suis ». Découvrir cet ordre est capital pour le philosophe, car du choix de cet ordre naissent, de fait, deux métaphysiques totalement différentes : celle d’Aristote et celle de Descartes. 1. Les gens très intuitifs le savent bien : ils « décollent » toujours un peu. « Décoller » n’est pas tou­ jours quelque chose de mauvais, ce n’est pas toujours partir dans le fossé ! Mais c’est toujours aller plus loin que ce qui est donné immédiatement. Cela peut permettre de découvrir un principe, une source cachée, une cause réelle invisible ; mais cela peut conduire aussi à dévier... L’intuition en elle-même n’est ni vraie ni fausse, ni bonne ni mauvaise. Elle permet d’aller plus loin. Elle peut donc être à l’origine de la découverte d’un au-delà. En ce sens, elle transcende l’expérience immédiate. Elle peut donc conduire au jugement d’existence, comme elle peut nous en éloigner. 10 LA PERSONNE Si je commence par l’affirmation « je suis », je saisis l’être comme relatif au « je » ; je demeure dans l’immanence de mon « je » et je ne puis le dépasser. Je ne peux, à partir de là, saisir l’être en lui-même, car je le saisis toujours relatif à mon « je », que je suis seul à saisir. Je ne peux donc rejoindre le « ceci est » que d’une manière particulière, à travers mon « je suis », qui est bien un exister particulier. Si je commence par l’affirmation « ceci est », je puis progressivement arriver à saisir le caractère personnel du « je suis » ; car en affirmant « ceci est », je ne m’enferme pas dans l’immanence de ma connaissance, mais je puis découvrir ce qu’il y a d’unique dans ce toucher intellectuel de la réalité existante, autre que ma propre connaissance et l’actuant. En effet, en affirmant « ceci est », je peux mettre en pleine lumière la signifi­ cation propre de « est », au-delà du « ceci », qui peut du reste regarder toutes sortes de réalités existantes : cette vache, cet arbre, moi aussi. Pour réaliser pleinement cette mise en lumière de « est », je peux l’isoler en le regardant pour lui-même. J’interroge alors en disant : « Qu’est-ce que l’être ? Qu’est-ce que l’être considéré comme être, pour lui-même ? ». Autrement dit, quand j’affirme « ceci est », je peux mettre l’accent sur le « ceci » ou sur « est ». Si je mets l’accent sur le « ceci », je regarde celui qui existe, l’homme qui existe, qui est là devant moi, l’homme qui tra­ vaille, l’homme qui aime (je peux aussi regarder tous les vivants)... J’expérimente le « ceci », mais je ne regarde pas « est » pour lui-même. Si je mets l’accent sur « est », je veux alors le regarder pour lui-même, et j’interroge : « Qu’est-ce que l’être ? ». Et pour mieux connaître l’être, je reviens à l’expérience initiale, mais en la regardant d’une nouvelle maniè­ re, dans le sens même de l’interrogation. C’est l’être de toute réalité exis­ tante qui m’intéresse. Par là, je peux atteindre l’être dans toute son objectivité. Je dépasse le « je suis » pour ne plus regarder que ce qui est en tant qu’il est. Et l’interrogation : « Qu’est-ce que l’être ? » prend toute sa force, toute sa signification. Pour Heidegger, l’interrogation « qu’est-ce que l’être ? » est la gran­ de interrogation. Elle est ce qu’il y a de plus important dans notre recherche de l’être. Il faut même demeurer dans cette interrogation : on atteint en elle ce qu’il y a d’ultime dans notre recherche de la vérité. Cette position est très significative et intéressante, car si la question : « Qu’est-ce que l’être ? » est fondamentale, comment l’expliquer par quelque chose de plus fondamental ? On explique normalement ce qui est secondaire par ce qui est fondamental, les effets par leurs causes. Mais comment expliquer cette interrogation fondamentale ? Par quelque --------------------------------------------------------------------------------------------- 11 chose de plus fondamental, l’être lui-même. Cela implique donc que l’être soit considéré comme antérieur à l’interrogation « qu’est-ce que l’être ? ». Or, dans la perspective de Heidegger cela est impossible, car l’être n’apparaît dans toute sa pureté d’être que grâce à l’interrogation, grâce à la pensée qui peut séparer l’être de tous les « étants » en les niant. Par le fait même, on ne peut répondre à cette interrogation ; elle demeure le sommet de notre recherche intellectuelle. Pour Heidegger, l’être n’est saisi dans toute sa pureté, en tant qu’être, que grâce à et dans notre pensée. Si au contraire nous comprenons que dans le jugement « ceci est », et dans l’interrogation « qu’est-ce que l’être ? », l’être se présente à nous sous deux modalités différentes, comme blanc et blancheur, mais a toujours la même signification, on peut alors revenir au jugement d’existence « ceci est », saisi dans telle ou telle réalité expérimentée existant en dehors de mon affirmation. Toutes les analyses de la philosophie première doivent alors se faire à partir de ces expériences, à la lumière de l’interrogation « qu’est-ce que l’être ? », selon la forme et selon la fin. En interrogeant « qu’est-ce que l’être selon la forme ? », je veux saisir quelle est la détermination radicale et première de ce qui est en tant qu’être. Cette interrogation me conduit progressivement, inductivement, à la découverte de la détermination première de ce qui est, la substance. Cette interrogation doit regarder tel homme existant et tout homme existant. C’est à partir du jugement d’existence découvert à partir d’un homme existant que j’interroge. Et c’est en analysant cet homme, dans la lumière de cette interrogation, que je découvre ce qui est premier en lui au niveau de l’être : sa substance. En expérimentant un homme existant, Pierre, je constate la très gran­ de diversité de ses déterminations (ce qu’on appelle les dix catégories). Je ne puis m’arrêter à aucune : même ce qu’on appelle la « substance premiè­ re » et la « substance seconde » ne peuvent être ce qu’il y a de premier du point de vue de l’être, car ces deux déterminations essentielles sont corré­ latives, s’appellent mutuellement. Il faut les dépasser en découvrant leur source propre : la substance, principe propre de ce qui est en tant qu’être. Cette substance est bien l’âme ; mais l’âme est principe de vie, la substan­ ce est principe propre de ce qui est. Alors se pose tout de suite la grande question de la distinction entre ce qui est, en tant qu’être, et sa vie propre. Philosophiquement, cette question ne peut être traitée ici2. 2. Le problème de l’âme est traité en philosophie du vivant. Il est ensuite comme une voie d’accès à la découverte de la substance. On le retrouve ici, ainsi que dans une vision de sagesse. 12 --------------------------------------------------------------------------------------------- LA PERSONNE Cette première découverte de la substance me conduit à la seconde interrogation : « Qu’est-ce que l’être ? », non plus selon la forme, mais selon la fin : « En vue de quoi ce qui est est-il ? ». Ici, comprenons bien que cette question du τί έστι de ce qui est peut se poser de quatre façons différentes : qu’est-ce que l’être selon la forme ? Qu’est-ce que l’être selon la matière ? Qu’est-ce que l’être selon la cause efficiente ? Qu’est-ce que l’être selon la cause finale ? L’interro­ gation « qu’est-ce que l’être selon la matière ? » est une fausse piste, une voie sans issue, car la matière, du point de vue philosophique, est toute relative à la forme. Elle ne peut être première du point de vue de ce qui est. Averroès et Lénine ont dit que la matière était cause propre de l’être : pour eux, l’être et le devenir sont identiques, puisque je ne peux expéri­ menter que le devenir de ce qui est. La recherche du τί έστι, du « qu’est-ce ? », se ramène alors à la description dialectique du πως, du « comment ». De même, l’interrogation « qu’est-ce que l’être selon la cause effi­ ciente ? » n’a pas de réponse, précisément parce que l’être en tant qu’être est au-delà du devenir et que la cause efficiente immédiate et propre est toujours dans le devenir. Nous en avons l’expérience constante : en écri­ vant, j’ai l’expérience de l’exercice de la causalité efficiente, aussi long­ temps que j’écris. Car tant que j’écris, il y a un devenir. Mais dans l’ordre de ce qui est en tant qu’être, il n’y a pas de cause efficiente propre. Par là, je comprends que je ne peux pas saisir l’acte de création (qui atteint l’être) à travers le devenir. De ce fait, aucune connaissance scientifique, qui demeure toujours liée au devenir, ne peut découvrir l’acte créateur. Cela est capital dans le monde d’aujourd’hui, face aux idéologies athées. Toute idéologie athée réduit l’être au devenir. Or si je réduis l’être au devenir, je ne peux qu’affirmer, si je suis logique avec mon système, que Dieu n’existe pas. La seconde interrogation métaphysique, parallèle à la première mais très différente, est bien la question de la finalité de ce qui est : « Qu’est- ce que ce qui est en tant qu’être, selon la cause finale ? », « en vue de quoi est l’être comme tel ? ». Cela peut encore s’exprimer d’une autre façon, plus accessible pour nous : « Quelle est la signification ultime de l’être ? ». Je ne peux pas répondre que c’est la substance, puisque la sub­ stance demeure dans l’immanence de ce qui est. Or l’achèvement de toutes les réalités que je vois est au-delà de l’immanence de ces êtres. Toutes les réalités que j’expérimente, et surtout la réalité humaine, ne peuvent s’achever en elles-mêmes, en raison même de leurs limites. Je ne --------------------------------------------------------------------------------------------- 13 peux pas affirmer que tout ce qui est au-delà de mon immanence vitale — de mon vécu — n’existe pas. Certes, il peut n’exister en moi que d’une manière intentionnelle. Mais cet intentionnel est réel, il peut être une attente vers un au-delà de moi. Nous pouvons, par notre intelligen­ ce, dépasser l’expérience immédiate. Nous pouvons avoir une intention de vie : cette intention est bien un au-delà de notre expérience immédia­ te. Cela exige de poser la question : « Y a-t-il une réalité au-delà de l’expérience immédiate ? ». C’est sans doute par là que nous pouvons le mieux comprendre cette recherche de la fin de l’être : ce qui est sa fin, son achèvement, sa perfection, ce au-delà de quoi il n’y a rien. Dans la réalité existante, je peux avoir l’expérience de deux états : l’état de celui qui dort et l’état de celui qui est éveillé. Nous faisons tous les jours cette expérience. C’est bien la distinction de deux états dans la même réalité, dans le même être. L’être possède donc deux états, et c’est cette distinction que je retrouve à travers toute ma vie humaine et à tra­ vers toutes mes activités. Je dois alors interroger pour saisir, de la maniè­ re la plus vraie et la plus profonde, au niveau de ce qui est en tant qu’être, l’ordre qui est entre ces deux états. S’il y a deux états, quelque chose est plus profond et ultime que ces deux états et les explique ; c’est par là que, progressivement, le philosophe entre dans l’induction de l’être-en-acte et saisit la fin de ce qui est en tant qu’il est. Nous découvrons donc deux divisions fondamentales de ce qui est en tant qu’être. Première division : l’être se présente à moi à travers une source de toutes les déterminations, la substance, et à travers les détermi­ nations secondaires, les qualités, les accidents. Seconde division : l’être se présente à moi à travers deux états tout à fait différents, un état en acte et un état de ce qui est en puissance, au-delà de ces deux états, je saisis l’être-en-acte, principe-fin de ce qui est, et l’être-en-puissance, tout rela­ tif à l’être-en-acte. L’un, propriété de l’être Après avoir découvert les deux principes propres de ce qui est en tant qu’être, il faut préciser, à la lumière de ces deux principes, la pro­ priété de ce qui est considéré sous le point de vue de l’être, puisque le propre de la connaissance scientifique est de connaître la réalité expéri­ mentée à la lumière de ses causes propres, et par là de préciser tout ce qui est essentiel à cette réalité. Sans vouloir exposer ici la grande tension entre les deux philosophies d’Aristote et de Platon, entre l’aristotélisme et le néo-platonisme, rappelons seulement que pour Aristote, l’un est 14 ---- ------------------—-------------- -—----- -—------- ----------------- ------------- LA PERSONNE acolyte de ce qui est et que pour Platon, l’un est au-delà de ce qui est comme tel. Fondamentalement, cela revient à découvrir que toute philo­ sophie du conditionnement de notre pensée affirme que l’un est premier, tandis que le contenu premier de notre pensée est l’être ; au contraire, la philosophie qui cherche à connaître ce qui est, la réalité existante, affir­ me, en raison de nos expériences, que ce qui est est premier et, par le fait même, elle découvre l’un comme propriété de ce qui est, relatif à ce qui est. En effet, l’un est non seulement ce qui n’est pas divisé, mais ce qui ne peut pas être divisé, il est l’indivis. C’est donc ce qui est au-delà de la matière, de la quantité, du possible. Car la matière est source de divisibi­ lité, comme la quantité et le possible. Ce qui caractérise l’être comme tel, c’est d’être au-delà de la matière et du devenir. La saisie de l’être, de ce qui est, est immédiate, car ce qui est détermine et spécifie en premier lieu notre intelligence. En revanche, la saisie de l’un implique la négation de toute potentialité, de toute divisibilité ; elle est donc médiatisée par la négation, opération propre de l’intelligence. L’être s’impose à ma connaissance intellectuelle, alors que l’un en est le fruit propre. Si l’un est le fruit de ma connaissance, il est plus proche d’elle, car il lui demeure immanent, tandis que l’être transcende toujours ma pensée. Cela explique comment, grâce à la lumière de la substance, principe propre de ce qui est en tant qu’être (dans l’ordre de la cause selon la forme), on précise que tout ce qui est en tant qu’il est est un, grâce à sa détermination radicale qui exclut toute indétermination, toute relativisa­ tion. Par là on peut saisir combien l’être réclame une autonomie radicale. Ce qui est un proclame cette autonomie puisqu’il est en soi non relatif. On comprend aussi comment, grâce à la lumière de l’être-en-acte, prin­ cipe propre de ce qui est en tant qu’être (dans l’ordre de la cause selon la fin), on précise que tout ce qui est en tant qu’il est est un, précisément parce qu’il n’a pas à chercher en dehors de lui un complément, une fin. Il a en lui-même sa propre perfection, sa fin. Par là on peut saisir combien l’être réclame la bonté. Il est capable d’attirer, d’être source d’amour. Dans la mesure où ce qui est en tant qu’il est est un, je peux dire aussi que ce qui est second, relatif, est multiple. Le multiple regarde donc l’être accidentel et l’être-en-puissance, qui est toujours relatif. Puisque, de fait, il y a cinq modalités de l’être-en-acte et cinq modalités de l’être- en-puissance, je puis immédiatement affirmer qu’il y aura aussi cinq -------------------------------------------------------------------------------------------- 15 modalités d’unité et cinq modalités de multiplicité (l’unité de l’esse sub­ stantiel, de la vérité, de la bonté, de l’opération vitale et du mouvement)3. L’un et la personne Selon la tradition scolastique thomiste, la philosophie première se terminait à cette recherche de l’un et du multiple, et s’achevait par cette interrogation : « Existe-t-il un Etre premier, Celui que les traditions reli­ gieuses appellent Dieu ? », ce qu’on appelait le problème des voies d’accès à l’existence de l’Etre premier. N’y a-t-il pas là un oubli qui a eu des conséquences graves ? En effet, une vraie philosophie humaine ne doit-elle pas s’achever dans une étude de la personne humaine au niveau propre de l’être ? La réalité la plus parfaite que nous pouvons expérimenter n’est-elle pas précisément la personne humaine ? On a négligé de l’étudier au niveau de l’être, pour mieux comprendre les rapports de l’être et de l’esprit ! Cet oubli a eu comme conséquence immédiate l’opposition de la philosophie de l’être et de la philosophie de l’esprit : n’est-ce pas précisément le drame de la philosophie européenne ? La métaphysique de l’être dans la scolastique décadente n’a-t-elle pas été l’occasion d’une philosophie plus vivante, celle de l’esprit ? Selon Descartes, cette philosophie tourne le dos à Aristote, en ce sens qu’elle inverse l’ordre des deux premières interroga­ tions philosophiques. Pour Aristote, la première interrogation est de savoir si telle réalité existe ; ensuite, on interroge pour savoir ce qu’elle est, sa signification profonde. Descartes fait l’inverse, et s’oriente vers un primat de l’esprit sur la réalité existante. Certains se sont demandés si on pouvait faire une sorte de synthèse de ces deux philosophies nées en Europe. Cela semble impossible, car l’une exclut l’autre. En effet, selon une de ces positions, la pensée est relative à ce qui est ; selon l’autre, la pensée humaine mesure toutes les réalités de notre univers et même l’homme. En réalité, ne faut-il pas aller jusqu’au bout de la philosophie de l’être, et rejoindre d’une manière très réaliste ce qu’il y a de tout à fait particulier dans la personne humaine ? Par là, on peut assumer ce qu’il y a d’original dans la philosophie de 3. Il y a donc en fait six modalités de l’unité. L’unité de la substance est une unité immanente de la détermination ; l’unité de l’exister est l’unité qui s’impose du côté de l’acte, comme ce qu’il y a d’ultime substantiellement : c’est l’unité de notre autonomie ; l’unité de la vérité, qui implique la perfection dans l’ordre de l’intelligibilité ; l’unité du bien est l’unité de la réalité capable d’attirer l’autre, de finaliser une personne humaine ; l’unité de l’opération vitale est une unité complexe, impliquant une diversité dans une unité vitale ; l’unité du mouvement naturel : dans la diversité et la succession, il y a une certaine unité. 16 ---------------------------------------------------------------------------------------------

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