n° 251 décembre 2010 le journal Sauver LASCAUX w LLL’’’ééévvvééénnneeemmmeeennnttt LLLeee ccchhhiiimmmiiisssttteee GGGééérrraaarrrddd FFFééérrreeeyyy dépasser les frontières rrreeeçççoooiiittt lllaaa mmmééédddaaaiiilllllleee ddd’’’ooorrr ddduuu CCCNNNRRRSSS N° 251 I décembre 2010 Sommaire | 3 4 I 5 L’essentiel à la recherche d’insectes qui, 37 I Un jour avec… Éditorial en réfléchissant la lumière, se Le point sur les nominations, Isabelle Benoist, parent de magnifiques couleurs. les prix, les faits marquants… juriste. 19 I Décryptage UE 6 I 9 L’événement 38 I 42 Culture Hèq Olivier Donard, physico- NRS PHotot Lsppeoé rcechiuaixmli, seitssett e ml eGo lénarudariraédla dtF e2és0r e1s0yo, l ides cceohnnivmisréoisqntuneee, namcneeasnl ytdasuel qdleuésis aas ftrraep pé Lfidielvm rlaes s…r,é eLdxaap scoétsiloietnciot.inosn, © N. tIGEt/C 1de6 lI a 1 m8é dEanil liem da’ogr edus CNRS. l3a6 H Io ngriOe ndé ebnu tp oacrtolebre. 4Le3s Ic oulisSseusr le vif par FraNçoIse GaIll, dIrectrIce retour sur un voyage au cœur L’actualité de la vie interne étonnantes d’une scIeNtIFIque de l’INstItut écoloGIe de l’amazonie, en Guyane, du CNRS. photo de science. et eNvIroNNemeNt (INee) du cNrs Lorsqu’on a la chance de visiter la grotte 10 I 15 actualités de Lascaux, sommet de l’art paléoli- thique, on est impressionné par la qualité L’énergie fait sa révolution en miniature ; de ces fresques, peintures et gravures qui les plaquettes sanguines en cause dans le lupus ; datent de plus de 18 000 ans et qui nous les vertus méconnues de l’opacité bancaire ; parlent de la vie de nos prédécesseurs. NRS l’horloge respiratoire démontée ; quand Dhiésctooruiqveuret,e e ellne a1 9é4té0 ients cclraitses éeen m 19o7n9u smuer nlat U/LaaS-C les cellules jouent les caméléons ; une étoile o liste du patrimoine mondial de l’Unesco, DUR à vapeur ; les micro-objets dans les starting-blocks… parmi un ensemble de sites préhistoriques © H. et deC gerpoetntedsa onrtn, élaes g dreo tlate V eésztè frrea.gile. Son 3 0 I 35 Stratégie otHèqUE ot hdaisttiooinr ee et sdt eé mphaaislleése ddee sptahbaisleissa dtieo ndé. gDreas­ Llees C nNoRuSv eslele rsa pppriroorcithées ddues C pNôRleSs à d le’in ctoemrnpaétitoitnivailt,é , N/CNRS PH cdcooenu ntraas mtduuirn etaestm idopinffss.é mDreeincptrueosibs, i dseonensn tae nsa spnupéceacsre,u ssescisive eansu­, la présentation du dialogue de gestion… © C. fRéSILLo tifiques et passionnés se portent à son UE secours. Les chercheurs du CNRS et Hèq ot d’autres organismes, spécialistes de diffé­ ot H rentes disciplines, et les experts du nou­ NRS P veau conseil scientifique indépendant ont oN.C dLtééamcsicodaiéug dnxea e g rtee lsde pve ersére clsei e dfuréxefis d qdeue nelaso stmareua vpgeangsiasfiérqd.ue edse, N-CNP ; C. fRéSILL o nismIless o dnet dcéhgerracdhaét lieosn r daeis coen fsa ebtu lleesu mx ééccoa­­ MUNICatI M sdyus tcèlmime avti veatn at,u sxen psiebrlteu arubxa tmioondsi fiacnatthiornos­ DE La Co piques. Et, si des solutions sont actuel­ URE Et lement envisagées pour réduire, voire ULt même détruire, les contaminations DE La C mpairc ruonbeie cnonnens,a ieslsleasn cpea sssceiennt tiafivqaunet ptoluust NIStèRE MI pLoasucsasuéex deet lla’é cmoissyes teènm pe ladcee lad ’gurnoet tbe adsee 20 I 29 L’enquête oULat/ Uj de données recensant l’ensemble des infor­ S auver Lascaux © N. a mations scientifiques et techniques exis­ tant sur la cavité. Le dossier de CNRS 21 I Menaces sur une grotte d’exception Le journal retrace l’histoire de ce combat 22 I Des moisissures coriaces pour la sauvegarde de ce trésor du patri­ moine de l’humanité. 24 I Un site au climat précaire 26 I Les erreurs du passé 28 I E ntretien avec Yves Coppens : « Connaître la grotte pour mieux la conserver » w 4 | L’essentiel cnrs I LE JOUrnAL À la une Deux biologistes marseillais àl’honneur L e mois de novembre a été riche en récompenses pour l’Unité de recherche sur les maladies infectieuses et tropicales émergentes1. Didier Raoult, son directeur, de maic rreoçbui olel oGgriaen eds tP ruinx Isnpséecrmial 2is0t1e0 m poounrd li’eanlesmemenbtle r deec osan cnaur rdièerse .m Àa 5l8ad ainess, cine fpercotfieesusseeusr. MARAvAL Son parcours est marqué par la découverte de nouvelles bactéries (dont de nouvelles espèces M;P. de rickettsies), de plusieurs virus géants comme le Mimivirus ou plus récemment NSeR le Marseillevirus, et de bien d’autres travaux, notamment sur la maladie de Whipple. Une ON/I aCulatrued esc-Pieanotliefittqiu, fie ndaen cceé plaabro lr’Iantostiirteu ta déetsé sdciiestnicnegsu béieo l:o Cgihqruiestse dllue CDNesRnSu,e qs uai rreécçoum lep epnrsixe ©P.LATR q Didier raoult et christelle chaque année un jeune chercheur en biologie. Lauréate en 2009 d’une bourse Jeune chercheur du Conseil européen Desnues, tous deux spécialistes des de la recherche et de la médaille de bronze 2010 du CNRS, elle étudie actuellement la diversité des virus présents virus, viennent d’être distingués chez l’homme et les relie à des pathologies dont les causes sont encore mal connues. pour leurs travaux en la matière. 1.UnitéCNRS/UniversitédelaMéditerranée. Première réunion du nouveau Biodiversité :   conseil scientifique du CNRS le bon bilan de Nagoya duCNRSen1997,membredel’Aca- w La Conférence internationale de Nagoya sur la diversité démiedessciences,ilestcoauteur biologique s’estachevéele29octobresurunbilanplutôt de350 publicationsscientifiqueset positif.Les193 Étatsparticipantssontparvenusàs’en- de15 brevets.Sestravauxactuels tendresurdespointsessentielsdelaConventionsurla concernentl’étudeetlasynthèse biodiversitébiologique.LesdécisionsprisesàNagoyade- hèqUe denano-objets.Lorsdecetteréu- vraientassurerlepartageéquitabledesressourcesvi- OT nion,lesmembresdubureaudu vantesentrepaysduNordetpaysduSud.Autrerésolution OT N.TIGeT/CNRSPh CBdoeSnoGnniautrseéelgp(eapnleeamlBteearnlndtaaénctccéei,aédvlueescF.PrIlahsnil’içapogpiiest ssfoiogruntteae,tnla’auidrpeoasprstileoanscordné’uatnteionpnfilandneednmegpearsgouétrseecàstifimonneatdnterceilèaerbenisop.dLlaievcseerpsuaintyées, © Jauffret),deSylvetteDenefle,deJean- stratégied’actionpourlabiodiversité.L’undesesprinci- wLe 15 novembre, le conseil MarcDouillard(secrétairescien- pauxobjectifsestdediviserpardeuxd’icià 2020ladestruc- scientifique (CS) du CNRS s’est tifique),d’YvonLe Mahoetd’Alain tiondesmilieuxnaturelsencoreexistants. réuni pour la première fois de- Trautmann.LeCSduCNRSestune puis les élections quiontrenouvelé instancequiintervientenmatière sesmembresàlami-2010.Àcetteoc- depolitiquegénérale,destructures Prix Le goût des sciences casion,sonnouveauprésidentaété etdepersonnelsdel’établissement. élu:BrunoChaudret,57 ans,directeur Ilveilleàlacohérencedelapolitique duLaboratoiredechimiedecoordi- scientifiqueduCNRS,endonnanten wDominique Proust, du laboratoire Galaxies, étoiles, nationdeToulouse,succèdeainsià particulierunavissurlesgrandes physique, instrumentation1, a reçu le prix Le goût des GillesBoëtschàlatêteduconseil. orientationsdecettepolitiqueou sciences, pour un ensemble d’interventions appelé Directeurderecherchedeclasse encoresurlarépartitiondesmoyens « Astronomie vers tous ». Créé en 2009, ce prix valorise exceptionnelleetmédailled’argent financiersethumains. les initiatives de chercheurs qui allient l’excellence scientifique et la faculté de communiquer à un large EN LIGNE. public le goût et l’intérêt de la science. > La nouvelle composition du conseil scientifique est disponible sur www.cnrs.fr/comitenational/cs/doc/composition_CS2010_2014.pdf 1.UnitéCNRS/ObservatoiredeParis/UniversitéParis-Diderot. n° 251 I DécEmbrE 2010 L’essentiel | 5 Accord-cadre entre Ue le CNRS et la CPU hèq OT OT h Lperé CsNidReSn etst lda’u Cnoinvfeérrseitnéc (eC dPeUs) ont NSkY/CNRSP Jean Tirole lauréat du prix DI s Di’ugnnedéu lréee 4de nqouavtreemansb,creelu ui-cnip arécvociotlresdn-ocuavdellrees. ©C.LeBe Claude-Lévi-Strauss modalitésdecollaborationentrel’organismeet w Président de l’École d’économie de Toulouse1, médaille d’or du CNRS en 2007, lesuniversités.YsontévoquéslesPôlesderecherche Jean Tirole est le lauréat de la deuxième édition du prix Claude-Lévi-Strauss. etd’enseignementsupérieur(Pres),dontleCNRSsoutient Créé à l’initiative de Valérie Pécresse, à l’occasion du centenaire du célèbre lamontéeenpuissanceetaveclesquelsdesconventions anthropologue, il vise à soutenir l’excellence de la recherche française desitepourronts’établir.Cesconventionsse en sciences humaines et sociales. L’économiste français est récompensé substituerontàtermeàcellesétabliesindividuellement pour ses travaux sur la théorie des jeux et de l’information, qui font entreleCNRSetchaqueétablissement.L’accord-cadre soutientégalementl’organisationdelarecherche l’objet d’une très large reconnaissance internationale. partagéesouslaformedesUnitésmixtesderecherche 1.Réseauthématiquederechercheavancée(CNRS/UniversitéToulouse-I-Capitole/eheSS/Inra). (UMR),souventhébergéesparlesuniversitéset copilotéesà90%avecelles,ainsiqueladélégation globaledegestionfinancière,quipermetàune SUIVEz EN DIRECT L’ACTUALITÉ DU CNRS seuletutelledegéreradministrativementuneUMR. enfin,parcetaccord,leCNRSencouragelaparticipation desespersonnelsscientifiquesàlaconstruction TM del’offredeformationenFrance. www.facebook.com/cnrs.fr http://twitter.com/cnrs Ils ont marqué l’actu w Prix Femina 2010, catégorie Essai, Élisée Reclus, du neurobiologiste Jean-Didier Vincent, aétésaluédansdenombreux médiascesdernièressemaines.Aveccetouvrage,l’anciendirecteur del’Institutdeneurobiologie Alfred-FessardduCNRS,professeur émériteàParis-Sud-XI,aeneffet Ue signéuneexcellentebiographie hèq OT duplusgrandgéographefrançais, OT h scientifiqueidéaliste,foude NRSP liberté,anarchisteetvertueux. DARS/C ©e.ROBeRTeSPALIeU ©J.-F. wFie «l dJes nsi’ aj’uértaaiiss ppraorbtia pblluesm teônt ta puaxs É etua tlsa- Umnéids a»i,l le adéclaréle16novembrelemathématicien franco-vietnamienNgôBaoChâu,lorsd’une cérémonieorganiséeensonhonneurpar w Mission accomplie pour la sonde l’universitéParis-Sud-XI,oùilresteprofesseur, D spatiale Deep Impact de la Nasa, quia UM bienquedétachéauxÉtats-Unisdepuistroisans. h/ sCfou’errstvetomnléoetlnaatmciommmpeèlnitqetughérasârcdtealenàysd 2ceeluetxt4eFnroavneçmaisbre. NASA/JPL-CALTeC Lodeùel1ial9ua9rd8ééaàmt 2 2a00r01r4é0,oeenfxfprtalaiiqntut«qa uiutneaeci bnhosainrqgnuéee doleepprCeoNcrRhtuSen,rcithée  mission,OlivierGroussin,duLaboratoire © pour commencer une carrière sans y subir d’astrophysiquedeMarseille1,etFrédéricMerlin,duLaboratoired’études de pression pour produire des papiers tous les six spatialesetd’instrumentationenastrophysique2,quelasondeapufournir mois ».exigencequ’iljugenéfasteàlarecherche desimagesspectaculairesdelacomète,petitobjetdemoinsde2 kilomètres, dansundomaineà« constantes de temps assez sourced’informationpourdécrypterlesoriginesdusystèmesolaire. longues »commelesmathématiques. 1.UnitéCNRS/UniversitédeProvence/OAMP. 2.UnitéCNRS/ObservatoiredeParis/UniversitéParis-Diderot/UPMC. w 6 | L’événement cnrs I LE JOUrnAL Médailled’orduCNRS Le16décembre,lechimiste,spécialistemondial dessolidesporeux,reçoit,àlaSorbonne,laplushautedistinctionscientifiquefrançaise. Gérard Férey, architectedelamatière Par ÉmILIE bAdIn D ’un pas mesuré, Gérard Férey traverse le salon de son appartement parisien pour prendre place au milieu du canapé. Lentement, il tire une cigarette de son paquet, la parcourt du doigt, mais ne l’allume sont constellés de dessins et de gravures. « Je suis un grand  pas. Soudain, sa main se fige et son regard bleu s’éclaire : « Ma   admirateur de Michel-Ange », avoue-t-il de sa voix grave et spécialité ? s’amuse-t-il, malicieux. Concevoir des solides poreux  légèrement voilée. D’ailleurs, si Gérard Férey s’est lancé dans rePère. (lire l’encadré p. 8) hybrides  organiques-inorganiques , c’est-à-dire  la chimie, c’est notamment par amour pour le dessin, qu’il a La chimie organique des matériaux gruyère comportant à l’échelle atomique des  découvert enfant grâce aux enseignements d’un oncle insti- concerne les  arrangements réguliers de trous que je veux les plus grands pos- tuteur bienveillant. « À l’échelle atomique, l’ordre de la matière  éléments carbone, hydrogène, oxygène, sibles. L’intérêt ? Puisque la nature a horreur du vide, ces trous sont  est magnifique,  s’enthousiasme-t-il. On dirait du Vasarely ! » azote, soufre et des pièges, pour le CO par exemple. » Avec son équipe de l’Insti- À l’aube de sa carrière, le jeune homme résiste pourtant 2 phosphore. tut Lavoisier de Versailles1, ce chimiste a appris à maîtriser la à la beauté des molécules. Poussé par son milieu familial, il Par opposition, fabrication de ces matériaux aux nombreuses applications pour devient instituteur à 19 ans et crée le collège de Saint-Clair-sur- on parle de chimie inorganique. l’environnement et la santé. Mais il a aussi appris à prédire leur l’Elle, en Basse-Normandie. Mais la lecture d’un ouvrage de Les minéraux sont structure. « Nous avons déposé une dizaine de brevets CNRS,  Linus Pauling2 l’incite à renouer avec ses premières amours. généralement  annonce-t-il. Beaucoup d’industriels s’y intéressent… » « C’est lui là-bas, dit-il en désignant une vieille photographie inorganiques. sur laquelle il pose au côté du célèbre chimiste, et qui trône sur des débuts d’instituteur sa bibliothèque. Il était Prix Nobel de chimie et Prix Nobel de  Pour ce travail au retentissement international et pour l’en- la paix. Il s’est parfois trompé, mais il a aussi eu des idées   semble de sa brillante carrière, Gérard Férey reçoit aujourd’hui de génie. Je lui voue une  admiration sans bornes. » Trois ans plus la médaille d’or 2010 du CNRS, la plus importante distinction tard, nous sommes en 1963, Gérard Férey quitte le collège scientifique française. Chimiste de haut vol, ce Normand de qu’il a créé pour continuer ses études à l’université de Caen. 69 ans revendique en même temps le statut d’artiste. Pour « Là, raconte-t-il, deux professeurs m’ont définitivement donné  s’en convaincre, un coup d’œil dans son bureau suffit : les le goût de la chimie : Maurice Bernard, et sa présentation lumi- livres d’art sont plus nombreux que ceux de chimie, les murs neuse de la discipline, et Alfred Deschanvres, qui savait extraire  de la recherche ses mystères persistants pour nous montrer  01  combien celle-ci était nécessaire. » une soiF de connaissances Le chimiste poursuit alors avec une thèse de troisième cycle, à l’issue de laquelle il est nommé assistant au département de chimie de l’IUT du Mans. Il y apprend les bases de la chimie du solide, une discipline nouvelle centrée sur les réactions au 01 Le mIL-101, mis au sein de solides et non au sein de solutions, comme dans la chimie point par l’équipe de classique. Après trois années à tâtonner sur un sujet stérile, il Gérard Férey, est un othèque mcoamtéproiartua pnot ràe ux odbébtiuetn dt ecsa arnten béleasn 1c9h7e0 p, iol us’ri ntrtéarveasislele aru sxu rfl useosr purroesp –re lse sid méeins éerta, uaux NRSPhot ld’éecsh cealglee as tcoommimquee à baMse adies Gfluéorar r–d, dFoérnety i lv deuevt iaelnledrr ap luuns lgoriann :d p sépnééctiraelri sltees. secrets ©G.FeRey/C cdveoell lpueim-écgie.e Idlr e e4s 0gt0a c zfao !pisa bsolen dque il al am caotmièrpeo, sseanisti. rI cl oamppmreenndt sl’’aarrrta dneg elan tc ernisttrael leolglersa lpehs iber, icqeutetes n° 251 I dÉcEmbrE 2010 L’événement | 7 w ue hèq ot ot h NRSP ©F.PLaS/C Gérard Férey en 5 dates 1941 naissance à bréhal (50) 1968 doctorat de chimie à l’université de caen 1996 création de l’Institut Lavoisier de Versailles 2005 mise au point du révolutionnaire mIL-101 2010 médaille d’or du cnrs Visionnez, à partir du 17 décembre, le portrait de Gérard Férey sur le journal feuilletable en ligne > www2.cnrs.fr/journal w 8 | L’événement cnrs I LE JOUrnAL 02 L es soLides Poreux : 250 ans d’histoire « Les poreux ont été découverts  exemple, s’y logent. Voilà Les solides obtenus selon en Suède, en 1756, par un homme  pourquoi Crönstedt observait ce procédé sont par ailleurs qui avait l’amour des minéraux :  des bulles lors du chauffage. non toxiques, biodégradables, Axel-Frédéric Crönstedt,   Industriels et chercheurs faciles à préparer en grande raconte Gérard Férey. Il a eu  entrevoient immédiatement quantité, et donc de moindre l’idée de chauffer de la stiblite,   les applications que ces solides coût. Mais quels sont, un minéral naturel, et il s’est  offrent, notamment leur parmi tous les arrangements aperçu qu’à 150 °C celui-ci   capacité à absorber du gaz. atomiques possibles se couvrait de bulles. » Pour Seulement voilà, ils sont souvent constituant des poreux créer l’équivalent synthétique coûteux à fabriquer, et leurs hybrides, les plus performants ? de ces étranges minéraux que cages sont encore trop petites Pour le savoir, l’équipe de Crönstedt appelle zéolithes pour stocker des quantités l’Institut Lavoisier a créé des – la pierre qui bout, en grec –, significatives. C’est là programmes informatiques il faudra plus d’un siècle. qu’intervient Gérard Férey. qui sélectionnent les Ce n’est qu’en 1930, avec Linus Il est l’un des premiers à mettre structures cristallographiques ue Pauling, que l’on commence au point des solides poreux les mieux adaptées. C’est ainsi hèq à comprendre leur structure hybrides, dont le squelette qu’est né le fameux MIL-101. otot cristalline : l’assemblage est composé à la fois de parties Capable d’absorber 400 fois h d/CNRSP dcaegse ast odme qeus edleqsuseins ea nengs etfrföemt dse1 s oUrngea ansiqtuucees qeut ii npoerrgmaenti qduee fsa.i re lseo rne vcoolrudm deu dmea CtOér2i,a iul d qéutii e nt Nau de diamètre, disposées varier la taille des cages sans stocke le plus de gaz. ©F.vRiG Erétg duelsiè mreomléecnutl edsa, nds’e laeu s oplaidr e. plao sutra abuiltitaén dt eco l’menpsreommbeltet.r e 1.usonita1n0g–s10tmröèmtrvea.ut0,1nanomètre, « À l’échelle atomique, l’ordre de la matière  persévérance, il finit par comprendre ce processus et observe l’existence de briques qui se retrouvent dans le solide final. « J’ai  est magnifique. On dirait du Vasarely ! » pu jouer avec elles, prédire leurs assemblages et explorer ainsi   des centaines de possibilités de synthèses de pores sur mesure », se souvient-il. Il prend ainsi quelques années d’avance sur la discipline empruntée à la physique qui consiste à localiser les concurrence et commence à imaginer la foule d’applications atomes dans l’espace et à comprendre comment ils s’assemblent. qu’offriront ces matériaux gruyère. Puis, à Grenoble, Félix Bertaut l’initie au magnétisme et à la En 1996, le président de l’université de Versailles, fraîche- diffraction des neutrons. C’est grâce à ces outils que le chimiste ment créée, lui propose d’y mettre en place un institut de va plus tard devenir un véritable architecte de la matière. recherche en chimie et en physique des solides. Une chance Du fond de son canapé, le chercheur continue d’agacer sa énorme. À ceci près que les crédits promis tardent à venir. cigarette, toujours éteinte. « Vous savez, confie-t-il, je n’aime pas  Le petit monde de la chimie va alors comprendre que rester plus de dix ans sur un même sujet ou dans une même fonc- monsieur Férey n’a pas sa langue dans sa poche et sait se battre : tion. Au-delà, je m’ennuie. » Ainsi, en 1988, pour rompre l’habi- « Les négociations ont été longues, au point de menacer de me  tude, il ouvre une nouvelle page de sa carrière : il est nommé retirer avec fracas si je n’obtenais pas rapidement les fonds  directeur adjoint du département de chimie du CNRS. Là, il  nécessaires pour recruter du personnel et acheter le matériel.  découvre l’envers du décor. « J’étais chargé des financements  C’est comme ça que j’ai gagné la bataille ! » se rappelle le des laboratoires, explique Gérard Férey. Au lieu de réclamer des  chercheur. Et que l’Institut Lavoisier a vu le jour. crédits comme avant, je les accordais… Pour être équitable, j’ai  dû mieux connaître mon milieu, cerner chaque branche de la  mise au Point du FabuLeux miL-101 chimie. J’y ai énormément gagné en culture et en modestie. » Grâce à son expertise des mécanismes de formation et à des outils informatiques spécifiquement conçus, Gérard Férey met La bataiLLe Pour créer L’institut Lavoisier au point avec sa très jeune équipe un de ses matériaux fétiches : Mais, à la fin de son mandat, en 1992, la paillasse lui manque. le MIL-101 (Matériau de l’Institut Lavoisier 101). En 2005, après Gérard Férey retourne au Mans et à sa recherche, presque dix années d’efforts à « jouer aux Lego » avec les poreux, il ob- en urgence, et s’attaque à un sujet qui le passionne depuis des tient enfin le « matériau miracle » : une structure hybride dotée années, mais qu’il n’a encore jamais eu l’occasion d’aborder : de cages de 4 nanomètres de diamètre3 et donc absolument les solides poreux. Au départ, comme les autres chimistes, il immense à l’échelle atomique. Grâce à elles, le MIL-101 peut se contente de créer de nouveaux composés. Mais il souhaite piéger 400 fois son volume de gaz ! N’espérez pas que le chimiste aller plus loin et savoir comment ces composés se forment. Il développe alors de nombreuses méthodes spectroscopiques in situ, complémentaires de la cristallographie, pour observer leur mécanisme de formation en temps réel. À force de n° 251 I dÉcEmbrE 2010 L’événement | 9 03 ue hèq ot ot h NRSP N/C o ©C.FReSiLL 02 Grâce à ses matériaux poreux, vous livre en détail sa recette. Les conditions de température, du cancer du sein et du Sida. « Et nous avons prouvé sa  en maquette plastique devant d’humidité requises et autres secrets de fabrication sont jalou-  non-toxicité lors de tests in vivo », assure Gérard Férey. lui, Gérard Férey sement gardés. Toujours prudent, le chercheur a pris soin de a acquis une déposer des brevets CNRS avant de rendre sa découverte pu- s’investir, encore et toujours renommée mondiale. blique. « Le lendemain de ma publication scientifique, j’ai reçu  Des royalties à la clé de cette belle invention ? « Si tel est le cas,  03 À l’Institut Lavoisier, créé il y a un coup de fil de Nissan, et d’autres industriels ont suivi », rap- les plus grosses parts iront au CNRS, à notre laboratoire de l’Ins- une dizaine d’années porte-t-il. C’est finalement BASF qui s’est lancé dans la fabri- titut Lavoisier et, bien sûr, à mon équipe, qui a fait, au jour le jour,  par le lauréat 2010 cation du MIL-101. Aujourd’hui, le groupe mondial est capable le gros du travail. Ce sont des jeunes extrêmement brillants, et  de la médaille d’or, d’en produire 1 tonne chaque jour en unité pilote4. d’une élégance rare, se réjouit-il. Ils ont toute mon  admiration.  on fabrique des composés chimiques Quelle en serait l’utilisation optimale dans l’industrie ? Les poreux, c’est désormais leur vie. » En septembre 2009, le cher- à l’atome près. « L’idéal, ce serait qu’une cimenterie l’achète pour piéger le CO  cheur quitte son équipe, poussé par l’obligation de prendre sa 2 dégagé par l’usine, puis – mais là, je rêve encore ! – qu’elle utilise  retraite. Il se promet alors, par respect pour ses collaborateurs, après transformation le CO piégé comme combustible pour ses  de ne plus remettre les pieds à l’Institut. « Et j’ai tenu parole.  2 machines, et ainsi de suite… En résumé, ce que je sais faire, ce sont  Quand j’étais jeune, j’ai su ce que c’était d’avoir sur le dos un  de grands trous sur mesure. À votre avis, à part piéger du CO ,  vieux patron qui, inconsciemment, bride le jeune en pleine   2 à quoi peuvent bien servir ces cages ? interroge le chercheur. créativité. Je m’étais juré de ne pas jouer ce rôle, se souvient-il.  À encapsuler des médicaments ! » En effet, injecté dans le sang, Bien sûr, ils me manquent, l’Institut aussi, et la passion du métier  un médicament est très fragile, et seule une faible quantité des m’habite toujours, mais c’est la règle du jeu. » Sans la moindre principes actifs parvient à l’organe. Et pour cause, ceux-ci ne sont nostalgie dans le regard, Gérard Férey allume enfin sa pas suffisamment protégés par les nanovecteurs utilisés à l’heure cigarette. La retraite du médaillé d’or promet toutefois d’être actuelle. La solution : mettre le médicament à l’abri dans les cages active. Investi dans l’Académie des sciences, il participe aussi des fameux nanoporeux de Gérard Férey. « Dès que j’ai eu cette  à la rénovation de la Société chimique de France et œuvre à la idée, j’ai demandé à un ami biochimiste de m’indiquer les médi- préparation de l’Année internationale de la chimie, qui se tien- caments tests susceptibles de valider mon intuition, indique-t-il.  dra en 2011. Il découvre aussi le bonheur intellectuel d’être Après nos essais positifs, il est resté éberlué par les résultats. » membre du Comité consultatif national d’éthique. « S’ennuyer,  Aujourd’hui au point et brevetée, cette méthode révolution- conclut-il, c’est faire preuve d’un manque d’imagination ! » naire conserve intacts 75 à 100 % des principes actifs et les dif- 1.universitéCNRS/universitéversailles-Saint-quentin-en-yvelines. fuse en continu dans le sang de souris de façon ciblée, pendant 2.Chimisteetphysicienaméricain(1901-1994). 3.unnanomètrevaut10–9mètre. deux à trois semaines. Mieux encore, ces nanovecteurs d’un 4.uneunitépiloteestunprototypeàéchelleréduite decequeseral’unitédeproductiondéfinitive. genre nouveau sont visibles en imagerie médicale, ce qui per- Celle-cidevraitproduirequelquescentaines cOntAct : met de suivre le trajet de l’injection intraveineuse jusqu’à la detonnesparjour. Institut Lavoisier, Versailles Gérard Férey cible. Cette technologie, la théragnostique, pourrait être utilisée > [email protected] en particulier dans les traitements de la leucémie des enfants, w 10 | Actualités cnrs I LE JOUrnAL Électronique Uneéquipefranco-américaineamisaupointunnouveautypede composantsquirepoussentleslimitesdelaminiaturisationdustockagedel’énergie. L’énergie fait sa révolution enminiature Par sEbAstIán EscALón matériau poreux à base de carbone activé forme en bobine, il est construit à plat sur et qui sont séparées par un liquide ionique. un support en silicium. Les électrodes, D es objets nomades, communicants, compacts et Lorsque le composant est sous tension, les dont le cœur est constitué d’or, ne sont autonomes : voilà ce que la microélectronique d’au- charges électriques s’accumulent sur les séparées que de 100 microns. « Cela per­ jourd’hui s’échine à nous fournir. L’un des enjeux essen- électrodes. Il suffit ensuite d’inverser la met de diminuer la distance parcourue tiels de cette révolution est la capacité à stocker de l’énergie. Dans tension pour libérer les charges et restituer par les charges. Ainsi, le supercondensateur ce domaine ultraconcurrentiel, une équipe franco-américaine le courant électrique. Le matériau poreux se charge et se décharge plus vite », explique impliquant des chercheurs du Laboratoire d’analyse et d’archi- permet, lui, d’augmenter la surface de stoc- Magali Brunet, chercheuse au Laas. tecture des systèmes (Laas)1, du Centre interuniversitaire de kage et donc la capacité du superconden- recherche et d’ingénierie des matériaux sateur. Le micro-superconden sateur du un chargement uLtraraPiDe (Cirimat)2 et de l’université de Drexel, à Laas, qui se distingue par son extrême Ensuite, plutôt que d’utiliser du carbone Philadelphie, a réussi un véritable exploit : densité de puissance, présente plusieurs activé, les chercheurs ont choisi de recou- construire un micro-supercondensateur rePère. innovations. Au lieu de la traditionnelle vrir les électrodes d’un matériau mis au de la taille d’un ongle et d’une densité Un superconden­ sateur est un de puissance énergétique3 4 000 fois composant capable supérieure à celle des batteries miniatu- de stocker puis de risées du commerce ! restituer l’énergie électrique. une construction innovante Ces travaux, publiés en septembre dans Nature Nanotechnology, ont pour origine une demande d’Airbus. Le constructeur aéronautique voulait se doter de capteurs pour surveiller l’état de santé de ses avions, capteurs qu’il souhaitait autonomes, ali- mentés par des microsystèmes – des trans- ducteurs – capables de transformer en électricité les vibrations de la carlingue ou les différences de température entre le sol et le ciel. Seulement voilà, ces sources d’énergie ne sont pas continues. La diffé- rence de température n’est significative qu’au décollage ou à l’atterrissage, tandis que les capteurs doivent être alimentés en électricité de manière ininterrompue. Les chercheurs devaient donc conce- voir un système susceptible de stocker l’électricité fournie par les transducteurs pour la restituer aux capteurs, tout en q Photographié au fonctionnant à des températures de microscope optique, – 50 °C. C’est chose faite avec ce micro- le micro-super- condensateur collé superconden sateur. Le principe de base à un support est prêt est classique. Un supercondensateur est à subir une batterie composé d’électrodes constituées d’un de mesures.