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Le glaive et les amours PDF

243 Pages·2003·1.12 MB·French
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Robert Merle Fortune de France XIII Le Glaive et les Amours ÉDITIONS DE FALLOIS © Éditions de Fallois, 2003 22, rue La Boétie, 75008 Paris ISBN 2-87706-479-4 À Nicole CHAPITRE PREMIER Il n’est, lecteur, que tu ne te ramentoives que le huit octobre 1634, Gaston d’Orléans, frère cadet du roi de France, s’était réfugié aux Pays-Bas espagnols après la défaite que Louis avait infligée au duc de Lorraine. Il s’y trouva bien traité de prime, mais la guerre entre la France et l’Espagne devenant menaçante il sentit, à certains indices, qu’il n’était plus l’hôte des Espagnols, mais leur otage. Il décida alors de quitter Bruxelles comme il avait quitté précédemment la France : en catimini. Ce fut, de nuit, une belle cavalcade de Bruxelles à La Capelle, la citadelle française la plus proche de la frontière. Gaston y fut reçu non sans quelques difficultés. Pour ma part, j’y devins, comme on sait, mal allant, souffrant d’un catarrhe et d’une petite fièvre. Gaston, pressé de se présenter à Louis, ne pouvait attendre que je fusse rebiscoulé, et eut la bonté de me venir faire ses adieux dans ma chambre. Une fois de plus, il me mercia chaleureusement de lui avoir apporté, non sans périls pour ma personne, le passeport royal qui lui avait permis de revenir en France. Toutefois, comme à ma grande surprise il paraissait quelque peu malheureux et déquiété, j’osai lui demander s’il n’était pas heureux de retrouver la douce France. — Si fait ! dit-il. J’en rêve ! Mais je redoute l’accueil que me fera le roi mon frère. — De grâce, Monseigneur, dis-je, ne concevez pas cette crainte. Louis vous recevra à bras déclos tant il est heureux de vous revoir et aussi parce que votre retour en France va refaire l’unité de la famille royale face à la guerre qui nous menace. Mais, comme maugré mes assurances Gaston me paraissait encore très troublé, je me décidai de lui en demander doucement le pourquoi. Et tout soudain, à ma grande stupeur, un gros sanglot le secoua et les larmes coulèrent sur ses joues, grosses comme des pois. Je détournai la tête pour lui laisser le temps de s’apazimer, et dès qu’il eut séché ses pleurs, j’osai lui demander s’il n’y avait pas dans son retour une circonstance que j’ignorais, et qui serait telle qu’il n’oserait pas en parler au roi. — Hélas ! dit-il d’une voix basse et contrite, c’est tout justement le cas et même à vous j’ose à peine le dire. Dieu bon ! Quelle folie fut la mienne ! À peine eus-je jeté l’œil sur la sœur du duc de Lorraine que je conçus pour elle un amourachement tel et si grand que, sans du tout consulter le roi mon frère, je l’épousai. — Vous l’épousâtes ! dis-je béant, sans consulter le roi votre frère aîné ! Sans obtenir de lui son consentement ! Mais c’est quasiment, pardonnez-moi de le dire, un crime de lèse-majesté ! — Mais son consentement, je ne l’eusse jamais obtenu, dit Gaston amèrement, le duc de Lorraine étant de longue date le plus encharné ennemi de la France ! Tout du même, m’apensai-je, c’était là une incrédible insolence à l’égard de Louis, et comment Louis pourrait-il jamais pardonner à son cadet pareille écorne ? — Monseigneur, dis-je au bout d’un moment, peux-je vous poser une question délicate ? — Faites, faites, dit Gaston, se raccrochant à moi en sa détresse. Je vois bien que vous êtes mon ami. — Vous avez parlé d’amourachement au sujet de la princesse de Lorraine. N’est-ce pas là un sentiment un peu limité ? — Nenni ! Nenni ! dit Gaston avec force, je l’aime de grande amour ! Je l’aime du bon du cœur ! Je suis d’elle quasiment rassotté ! Et même le verbe « aimer » me paraît faible au regard de ce que j’éprouve pour elle ! Ce fut un crève-cœur pour moi de la laisser à Bruxelles à mon départir. Mais d’évidence, montant en amazone, elle n’eût pu supporter la rudesse de notre folle chevauchée jusqu’à La Capelle. — Autant dire que vous n’accepteriez mie de vous séparer de votre épouse si le roi l’exigeait. — Fi donc ! s’écria Gaston l’œil enflammé, ce serait à l’égard de ma tant aimée une abjecte forfaiture et je n’y consentirai jamais. — Dès lors, attendez-vous à ce que le roi et Richelieu remuent ciel et terre pour vous démarier sans votre consentement. — Mais est-ce Dieu possible ? — Hélas, oui, Monseigneur ! Tout est possible aux puissants. Et selon la loi canonique, il suffirait que le roi convoque, l’une après l’autre, deux assemblées d’évêques et que l’une et l’autre décrètent la nullité de votre mariage pour que cette nullité soit valable. — Et je serais alors sans recours aucun ? — Si fait ! Mais il faudrait que le pape s’empare de votre cause et se prononce sur elle. Ce qui demanderait des mois, peut-être des années. Après le départ de Gaston, je demeurai deux jours encore à La Capelle pour me rebiscouler de mon catarrhe, mais si vite que je galopai ensuite avec Nicolas sur les chemins de France je parvins trop tard à Saint-Germain-en-Laye pour assister aux retrouvailles du roi avec son cadet. Elles ne me furent contées que plus tard, au Louvre, par la princesse de Guéméné. Comme ce personnage féminin apparaît pour la première fois dans mon récit, je voudrais céans en toucher mot, en priant le Seigneur que Catherine ne lise mie ce passage de mes Mémoires. Car bien que ma relation avec la marquise fut irréprochablement chaste, ma Catherine, comme il apparut bientôt, prenait ombrage de cette amitié. Fort heureusement, Catherine ne mettait les pieds à la Cour que lors des cérémonies qui y commandaient sa présence, alors que Madame de Guéméné y avait son appartement – grandissime faveur royale due aux éclatants services que son défunt mari avait rendus à Sa Majesté. À mon sentiment, si un homme aime le gentil sesso, il aime toutes les femmes, quel que soit leur âge, bien que de façon différente. Je trouve grand plaisir à envisager une garcelette de quinze ans sans l’approcher jamais. Et je puis trouver de l’agrément et éprouver de l’affection pour une dame que bien des gentilshommes dédaigneraient, parce qu’elle a passé, selon eux, l’âge de plaire. Je me ramentois avoir éprouvé à Bruxelles des sentiments de tendresse pour l’infante Claire-Isabelle Eugénie et avoir versé des larmes amères quand la généreuse princesse mourut. Pour en revenir à Madame de Guéméné, son mari commandait un régiment royal pendant la campagne d’Italie. C’est là que je rencontrai pour la première fois, et le trouvant fort honnête homme, je devins son ami. Ce fut une amitié bien courte, car à la prise de Suse, alors même que les Savoyards en leur désordonnée déroute tiraient si peu et si mal, la méchantise du hasard fit qu’une de ces balles frappa le prince de Guéméné en plein cœur. J’en fus excessivement affligé, et ne voulant pas que la veuve apprit une nouvelle tant affreuse par ce qu’on appelait « le courrier des veuves », je lui écrivis une longuissime lettre, qui en sa détresse la toucha fort, et fit qu’elle me répondit à son tour par une missive des plus touchantes. Je me souviens que, lorsque je reçus cette lettre, je ne laissais pas de la lire avec admiration, tant il m’apparut qu’il n’y a que les femmes pour sentir bien l’amour, peut-être parce que pour elles c’est toute leur vie, alors que pour l’homme c’est une chose à part. Quand à mon retour de Bruxelles j’allai visiter sur les onze heures du matin Madame de Guéméné dans son appartement du Louvre, elle avait terminé, entourée de ses chambrières, le testonnement de ses cheveux et le pimplochement de son visage, et siégeait sur une chaire à bras en tous ses atours. Cependant, m’asseyant à son invitation sur un tabouret en face d’elle, je m’aperçus qu’elle n’avait ni bas, ni escarpins, une curatrice aux pieds, à genoux devant elle, lui coupant les ongles, ce qui provoquait chez notre belle patiente des soupirs, des petits cris et des petites mines souffrantes dont aucune, toutefois, ne l’enlaidissait. Je fus charmé d’être admis en cette intimité féminine, petits cris et soupirs inclus. Madame de Guéméné, très attentive aux efforts de la curatrice aux pieds, ne regardait qu’elle. Quant à moi, mon regard ne laissait pas de s’égarer quand et quand sur la légère robe du matin dont Madame de Guéméné était revêtue et d’autant qu’elle était décolletée, je ne dirais pas généreusement, mais en tout cas sans aucune pingrerie. La curatrice aux pieds, ayant terminé son ouvrage, se retira enfin avec de grandes révérences à Madame de Guéméné, et non sans me jeter au passage un regard rapide et apparemment discret. Demeuré seul avec Madame de Guéméné, je ne laissai pas de lui faire de prime de grands compliments sur la joliesse et la petitesse de ses pieds. — Mon cher duc, dit-elle, c’est merveille comme vous savez redonner du cœur aux dames. Ce matin, ayant découvert en me pimplochant le début d’une nouvelle ride sous les yeux, j’étais au désespoir et me demandais s’il ne serait pas temps de me retirer loin des hommes et du monde, dans un couvent, sans prendre le voile bien entendu. Car pour parler à la franche marguerite, je n’aime guère les nonnes. Je trouve que ce fut une décision à la fois bien sotte et bien impie de se refuser à Adam, quand on est Ève, le Créateur nous ayant faits si visiblement l’un pour l’autre. En bref, quelle mélancolie n’était pas la mienne quand vous apparûtes, mais grâce à Dieu, c’était l’épée à la main pour trancher le col à mes noires tristesses. — Cependant, dis-je, je n’ai fait que dire la vérité en célébrant la beauté de vos pieds, et pour peu que vous me le permettiez, Madame, j’aimerais les baiser et je les baiserais dévotement. — Nenni, nenni, duc, dit Madame de Guéméné comme effrayée, si vous faisiez cela, le serment que nous avons fait ne tiendrait peut-être pas très longtemps tant j’ai appétit à vos tendresses. Je ne saurais dire si c’était là un ferme refus de mes caresses verbales ou une invitation à les continuer. Dans le doute, je décidai d’enterrer le sujet et demandai à Madame de Guéméné comment s’étaient passées les retrouvailles de Gaston et du roi, puisqu’elle était alors à Saint-Germain-en-Laye avec la Cour, et moi, pendant ce temps-là, comme le lecteur s’en souvient, sur les grands chemins de France. — Il va sans dire, dit-elle, que bien que je fusse logée à Saint-Germain, je n’assistai pas aux retrouvailles qui eurent lieu en la chambre du roi, mais elles me furent contées ensuite successivement par les ducs de Longueville, de Montbazon, et de Chaulnes. — Madame, dis-je, je ne savais point que vous connaissiez tant de ducs ! — Mais celui que vous savez, dit-elle avec un sourire, est celui que j’aime le plus, et aucun d’eux n’est intime assez avec moi au point de célébrer la beauté de mes pieds. Cet éloge du reste, d’ores en avant, vous sera réservé. — Madame, j’espère me montrer digne de cette insigne faveur. — Dès lors, n’y manquez pas. Mais finissons-en avec ce badinage, si plaisant qu’il soit pour moi et sans doute aussi pour vous. Et venons-en aux retrouvailles royales. Comme dit mon confesseur, elles furent édifiantes… « Gaston, me dit-on, paraissait quelque peu trémulant en pénétrant dans la chambre où le roi l’attendait, et fut un petit moment avant de pouvoir articuler le premier mot. « — Monsieur, dit-il enfin, en fléchissant le genou devant son frère aîné, je ne sais si c’est la crainte ou la joie qui m’interdit la parole. Mais il ne m’en reste à présent que pour vous demander pardon de tout le passé. « À cette phrase élégante, le roi répondit, lui aussi, fort élégamment : « — Mon frère, je vous ai pardonné. Ne parlons plus du passé, mais seulement de la joie que je ressens très grande de vous revoir. « Quelques instants plus tard, Richelieu pénétra dans la chambre avec un air de bonhomie qu’on ne lui avait jamais vu. « — Mon frère, dit alors le roi, je vous prie d’aimer Monsieur le cardinal. « Comme il fallait s’y attendre, la réponse fut évangélique. « — Monsieur, dit Gaston à son aîné, j’aimerai d’ores en avant le cardinal comme moi-même, et suis résolu de suivre en tout ses conseils. — Parla-t-on, dis-je, en cette première rencontre, de ce malencontreux mariage avec Marguerite de Lorraine ? — Une phrase à peine y suffit, avec beaucoup de tact. Elle fut dite par Richelieu : le mariage de Gaston sera envisagé « selon la législation en vigueur », phrase évasive, dont, tout à sa joie des retrouvailles avec son aîné, Gaston se contenta. « Voilà qui m’étonne ! — Voilà qui ne m’étonne pas, dis-je. Gaston, bien qu’il ait beaucoup d’esprit, est une tête légère et joueuse. À ce qu’on m’a dit, au moment de marier Marguerite de Lorraine, il jubilait du mauvais tour qu’il jouait à son frère, sans mesurer pour Louis, pour lui-même et pour le royaume, les lourdes conséquences de ce mariage. Se retrouvant en France, il est si radieux qu’il en oublie l’absence de son épouse. Après quatre ans d’exil volontaire, il retrouve Paris, ses amis, ses amies, les paresses des jours, et les fêtes de ses nuits. Qui plus est, le roi lui donne quatre cent mille livres pour payer ses dettes anciennes et ses plaisirs nouveaux. Un si grand boursicot valait bien qu’on aimât le roi et le cardinal « comme soi-même »… Je m’aperçois que, tout au récit que je faisais au lecteur, j’ai omis de décrire Madame de Guéméné et, lecteur, tu y aurais certes perdu prou. Elle avait passé trente ans, cela est sûr, et se peut davantage, mais il n’y paraissait pas, tant à la différence de nos hautes dames, paresseuses comme chattes sur leurs couches damassées, Madame de Guéméné prenait soin de sa « guenille », comme disent nos dévots, lesquels du reste ne sauteraient pas un seul repas pour rejoindre plus vite leur Créateur. En ce siècle de goinfres (du moins à la Cour), Madame de Guéméné mangeait peu, ne croquait jamais de sucreries, buvait plus d’eau de source que de vin, et se donnait beaucoup de mouvement. Quand je la vis dans son château de Bretagne, où elle nous avait invités, Catherine et moi, je fus surpris de la voir nager dans son étang et trotter sur sa jument tous les jours que Dieu faisait. Elle ne montait pas à l’amazone, mais audacieusement comme un homme, et comme cette assise eût fait jaser d’elle, Madame de Guéméné ne galopait que sur ses terres et dans ses champs, afin de ne pas offenser la pudeur des aregardants. Madame de Guéméné, lecteur, n’avait pas que de jolis pieds. Elle avait aussi beaucoup d’esprit, sans jamais tomber dans la mesquine méchantise de nos pimpésouées de cour. Bien je me ramentois qu’elle me dit un jour qu’en son opinion une femme ne pouvait jamais être heureuse en ménage, opinion qui me laissa béant et que je lui demandai de justifier. À quoi elle sourit, et dit : — Si le mari est aimé des femmes, son épouse vivra dans les inquiétudes. Mais si son mari n’est pas aimé des femmes, elle ne saurait être heureuse avec lui. Le lendemain de cet entretien avec Madame de Guéméné, Nicolas vint me dire, sur les dix heures du matin, qu’un petit vas-y-dire avait toqué à l’huis, et l’huis entrebâillé, dit qu’il me voulait voir, et moi personnellement. « Que voilà, m’apensai-je, un exigeant messager. » Toutefois, la curiosité me poussant, je gagnai l’entrant et j’y vis un petit galapian d’une dizaine d’années, hirsute et sale, mais l’œil fort éveillé et la parladure étonnamment rapide. — Monseigneur, dit-il, le révérend docteur médecin Fogacer vous fait dire qu’il aimerait, si cela vous convient, vous venir voir ce jour d’hui, avant ou après le dîner. — Fi donc de ces cérémonies ! dit Catherine que la curiosité avait fait accourir dès le premier toquement de l’huis. Dites à notre ami qu’il vienne donc dîner ce jour d’hui chez nous sur le coup de midi.

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