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Le fantome de la rue Michel Ange PDF

220 Pages·2006·0.47 MB·French
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Henry Bordeaux LLee ffaannttôômmee ddee llaa rruuee MMiicchheell--AAnnggee BeQ Henry Bordeaux LLee ffaannttôômmee ddee llaa rruuee MMiicchheell--AAnnggee roman La Bibliothèque électronique du Québec Collection Classiques du 20e siècle Volume 15 : version 1.0 2 Le fantôme de la rue Michel-Ange Édition de référence : Arthème Fayard & Cie, Éditeurs, Paris, 1926. Le Livre de demain. 3 À Henri de Régnier Mon cher ami, Aux temps lointains du symbolisme, quand vous étiez déjà un prince de la jeunesse et que je publiais – à vingt ans à peine – mon premier livre, une brochure sur Villiers de l’Isle-Adam, je me souviens de vous avoir entendu commenter ces contes étranges, l’Intersigne, Véra, Claire Lenoir où se superposent deux visions, l’une du monde réel, l’autre du monde invisible scruté et investi. Je n’osais, dans mon ombre, supposer alors que mon admiration pour le poète qui célébrait si noblement, et non sans quelque élégante et courtoise ironie, l’auteur d’Akédysseril, se doublerait un jour d’amitié, et je ne pouvais soupçonner que je connaîtrais l’honneur d’être reçu par lui à l’Académie française. Voulez-vous me permettre, en souvenir de ces 4 heureux temps, de vous offrir cet ouvrage où s’opposent deux explications des phénomènes occultes ; si j’ai penché pour la plus naturelle, c’est peut-être que j’aime trop notre bonne terre pour désirer de la quitter... Henry Bordeaux. Chalet du Maupas, ce 1er septembre 1922. 5 I Dîner d’avant-guerre Dans son petit hôtel de la rue Michel-Ange, à Auteuil, construit et meublé par lui-même, Falaise avait convié ses meilleurs amis – ou, plutôt, ses amis les plus renommés, car il lui faut volontiers un peu de publicité pour stimuler ses sentiments, – afin de célébrer le succès de son fils Georges, son fils unique, reçu à l’École des Beaux-Arts, C’était avant la guerre, – au mois de juin 1914, si j’ai bon souvenir. Il avait réuni des professeurs de l’École, de grands entrepreneurs, enfin le critique d’art, Mervalle, et Bernin, le fameux historien de la Renaissance, tous accompagnés de leurs femmes, sauf Bernin qui est célibataire et qui passait alors pour faire un doigt de cour – comme on disait autrefois – à la blonde et subtile Mme Mervalle, d’origine 6 anglaise et tout inspirée, dans ses toilettes et son genre d’esprit, des peintres préraphaélites, charmants modèles désuets. Elle se situait elle- même dans une mode et un temps révolus, ce qui ne devait pas déplaire à un évocateur du passé. La cour d’un Bernin ne saurait être secrète : il s’ébroue, s’étale, se secoue comme un pachyderme sortant d’un fleuve et mène grand vacarme avec ses anecdotes et théories d’histoire sur l’époque de Machiavel et de Laurent de Médicis : mais il conte bien, il a du trait, du mouvement, de la couleur, et il sait intéresser même une femme délicate et fine. Mme Falaise avait manqué à toutes les habitudes mondaines en ne le plaçant pas dans le voisinage de son flirt. Mais Mme Falaise n’a aucun souci des usages mondains : elle est demeurée de sa province et supplée par sa bonté sympathique et sa douceur aimable à cet esprit d’intrigue qui agite tant de maîtresses de maison. Elle possède une qualité infiniment rare dans le tohu-bohu et le tintamarre actuels : elle est reposante. Quand on est las d’entendre les affirmations catégoriques des jeunes gens et les 7 jugements définitifs des jeunes filles, on la regarde avec plaisir, car elle n’a pas d’avis et ne cherche pas à vous en infliger un d’autorité. Par surcroît, elle est distinguée et garde, la quarantaine accomplie, un charme de noblesse paisible et de dignité morale. En tenant écartés l’un de l’autre Mme Mervalle et M. Bernin, elle n’avait pas fait un si mauvais marché. L’historien, pour plaire à travers la table, se mit en frais, et le mari, piqué au jeu, lui donna la réplique, en sorte que nous assistâmes, ce soir-là, à une joute oratoire éblouissante comme un jeu d’épées entre escrimeurs français et italien, l’un correct et rapide dans ses parades et ses feintes, l’autre expert aux immenses moulinets et aux charges bruyantes. Cependant, toujours curieux de surprendre en action les passions humaines, j’avais fait des yeux le tour de la table pour y chercher d’autres éléments d’intérêt et j’avais aperçu, à l’un des bouts, une jeune fille, la seule de l’assistance, qui était la voisine du héros de la fête, Georges Falaise, le nouvel élève des Beaux-Arts. Une jeune fille vêtue simplement, presque trop 8 simplement, d’une robe rose sans un pli – de ces robes étroites que l’on portait alors et qui livraient aisément les formes du corps – mais assez décolletée pour laisser parler en sa faveur les bras, les épaules, le cou d’une blancheur polie et comme glacée. Le visage au repos était sans éclat, sans rayonnement, et je m’en serais détourné assez vite, malgré la régularité des traits, si je n’avais été attiré par son expression même, concentrée, contractée, fermée, les lèvres minces et serrées, les yeux verts indifférents, toute la pose immobile, celle que les sculpteurs prêtent à Polymnie, la muse de la Méditation. – Quelle est cette jeune fille ? m’informai-je auprès de ma voisine, Mme Rémy, la femme du grand constructeur, qui est une familière de la maison. – Une parente de province, Mlle Suzanne Giroux. La cousine pauvre. – Une jolie cousine. – Vous trouvez ? Il me semble qu’elle est insignifiante. Les Falaise sont très bons pour elle. Ils la gardent chez eux à Paris. Elle s’ennuie à 9 Poitiers. Elle a un tas de frères et de sœurs. Je pensai : « La cousine pauvre a des vues sur son beau cousin. » En effet, quand elle se tournait vers lui, le regard indifférent s’éclairait, mais d’un éclat fugitif, comme peureux. Je n’eus guère le loisir de l’observer, car nous fûmes tous bientôt perdus dans la bataille d’érudition que se livraient, en face l’un de l’autre, Mervalle et Bernin. L’occasion leur avait été fournie par notre hôte en personne. Il avait, dans la journée même, visité une maison prétendue hantée où les locataires entendaient, presque chaque nuit, toutes sortes de bruits bizarres : portes s’ouvrant et se fermant toutes seules avec fracas, craquements des parquets, mouvements des meubles, comme si quelque personnage invisible se promenait en colère dans l’appartement. Et, naturellement, il n’avait rien constaté d’anormal. Il racontait son enquête en plaisantant, attribuant ces phénomènes à une hallucination collective provoquée par la peur car, pour sa part, en 1 0

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