Le Collège de l’Abbaye de Saint-Maurice (1910-1967) p a r Une évolution J e a n - P h i l i p p e L o n f a t sous l’aile de la tradition I N T R O D U C T I O N L a f o r t e i d e n t i t é d ’ u n m o n d e t r a d i t i o n n e l La permanence, la continuité et la encore la force de la tradition d’un établisse- tradition marquent de leur sceau l’histoire du ment qui s’éloigne résolument d’une «boîte à Collège de l’Abbaye de Saint-Maurice. Le bac». Pourtant, le Collège de l’Abbaye n’est proche monastère cherche sans cesse, incons- fondé qu’en 1806. Il est bien jeune en regard ciemment peut-être, à protéger un héritage des autres établissements catholiques de Suisse. familial que lui a transmis le temps. Et ce poids Il ne peut offrir, comme le Collège Saint- du temps, cette attache au passé, reviennent Michel de Fribourg, les portraits illustres de ses systématiquement sur la table de toutes déci- lointains fondateurs à la vue des promeneurs. sions, de toutes négociations. Les élèves et les «Le visiteur qui entre au Collège aperçoit, professeurs sentent d’ailleurs aujourd’hui dans le corridor du rez-de-chaussée, une gale- 119 rie de portraits, dont les plus anciens repré- san; abbatiale, la maison d’éducation agau- sentent les artisans de la fondation: le pape noise arbore juridiquement une étiquette de Grégoire XIII, saint Charles Borromée, le pré- collège cantonal. Elle se démarque des gym- (cid:2) vôt Pierre Schneuwly»1. nases de Sion et de Brigue par son statut de 1 MURITHETROSSETTI1980, p. 14. La tradition éducative en Agaune remonterait collège semi-privé. Le Conseil d’Etat et le 2 GRÉGOIREDETOURS, Gloria en revanche aux origines du monastère. Gré- Grand Conseil surveillent le Collège de Saint- Martyrium, I, LXXVI, De sanctis goire de Tour installe véritablement le mythe Maurice; mais le monastère agaunois assure Agaunensibus. des origines éducatives de l’Abbaye. Dans son pleinement sa conduite et ses orientations. 3 Le texte latin de Grégoire de Tours est transcrit dans Histoire des Gaules2, l’évêque brosse un portrait Ensuite, l’identité du Collège prend toute sa Mgr Besson. Monasterium édifiant d’un élève. Un jour, une femme amène signification en regard du monastère. Un tissu Acunense, p. 21. Cette «légende» son fils unique au monastère d’Agaune pour serré de relations les rapproche. Etabli dans a été versifiée par le poète Roger de Bons. que l’Abbé l’instruisît. Très vite, il acquiert «la l’enceinte même du monastère, le pensionnat 4 Grégoire de Tours est né en 538; science des lettres sacrées». Mais une fièvre le prolonge l’âme de l’Abbaye. A la fois nid et il meurt en 594. Evêque, il est en terrasse; il meurt. La mère éplorée est rassu- noyau, l’internat constitue le centre de la vie outre, par ses écrits, un précieux témoin de son temps. rée par saint Maurice qui lui promet que la voix de l’établissement. Toutes les activités socié- «On s’accorde aujourd’hui pour de son fils chantera éternellement dans le taires s’y développent. Séparé du monde exté- rendre hommage à la très exacte choeur de l’Abbaye aux côtés des moines. Le rieur, l’internat joue un rôle primordial de clô- loyauté de l’historien» lendemain, la mère se rend aux Matines; elle ture5. Dès lors, l’horaire de l’étudiant agaunois, (Dictionnaire de Biographie française, t. 16, p. 1138). reconnaît la voix cristalline de son fils3. Même des internes en particulier, se calque sur la vie 5 PROST1968, p. 3. si Grégoire de Tours, historien chrétien du dure et sévère des chanoines. Les sociétés du 6 Les composantes de cette Moyen Age4, est généralement soucieux de Collège, principalement la Congrégation des tradition sont développées in rendre les détails du réel, il y lie souvent les enfants de Marie et le choeur, sont les vecteurs LONFAT1996, pp. 71-198. signes d’une intervention divine. Et c’est cette privilégiés de la spiritualité du monastère. 7 BORGEAUD1982, p. 61. vision qui traversera le temps. En effet, lorsque Pareillement, la petite république ecclésiastique l’on parle de l’école monastique, il faut se des professeurs agaunois permet de reproduire contenter de ce récit légendaire de la voix cris- fidèlement un esprit et une empreinte forte. Dès talline qui résonne du plus profond de l’Ab- lors, l’histoire du Collège se conjugue aux temps baye. Souvent cité, peut-être traduit avec une du monastère. Le cœur du Collège bat au certaine complaisance, le récit est trop gra- rythme du chœur de l’Abbaye. Le Collège de cieux pour être sacrifié. l’Abbaye de Saint-Maurice se caractérise par la Mais quelles sont les composantes objectives force et la puissance de cette tradition6. L’Ab- qui fondent réellement le bagage traditionnel baye détermine le visage du Collège. Le lieu et du vénérable établissement? sa symbolique créent déjà une atmosphère sin- La position originale du Collège de Saint- gulière; le souvenir des Martyrs et la force d’une Maurice dans le secondaire valaisan constitue liturgie donnent une «personnalité» au Col- la première composante de sa forte identité. lège. G. Borgeaud l’écrit «J’étais surtout un La résistance abbatiale au nom de la tradition enfant perdu dans ce grand Collège qui tient est d’autant plus efficace que l’Abbaye a su un peu de la caserne qu’ennoblissent les bâti- progressivement conquérir l’autonomie de son ments voisins de la patricienne Abbaye»7. Collège jusqu’en 1910. La Loi sur l’enseigne- Quant à l’idéal de formation, il passe par la cul- ment secondaireentérine le statut particulier du ture classique que façonnent les programmes, Collège de Saint-Maurice dont le visage est les manuels, les cours et les professeurs. Et la défini au siècle précédent. Cette autonomie, grande force de cet enseignement, c’est que l’on cette liberté même, qu’elle estime avoir chè- ne conçoit pas un chemin différent. En outre, rement payée, l’Abbaye la cultive durant le la direction exalte ces vraies valeurs: les dis- XXe siècle. L’établissement occupe ainsi une tributions de prix de fin d’année, héritages des place particulière dans le paysage éducatif valai- fastueuses cérémonies jésuites, conservent leur 120 poids de solennité. L’attachement aux valeurs retour aux sources pour se régénérer? Quelles du passé se traduit aussi par les nécessaires pal- sont les influences respectives des pôles réfor- marès garant de l’émulation ou encore par les mateurs et des tenants de la tradition? Enfin, (cid:2) rutilants uniformes d’étudiant8. Ces signes dans quelle mesure le contexte «extérieur» 8 Le Lycée-collège de Saint-Maurice visibles du passé assurent la continuité. –politique, économique et social– influe-t-il est bâti sur le modèle des Au travers des ères rectorales, nous tenterons sur l’évolution de l’établissement? Telles sont établissement catholiques de Suisse centrale: Engelberg et de saisir une évolution sous la stabilité qui les questions qui nous guideront dans cet Einsiedeln. Après un gymnase marque les structures du Collège. Comment le article. Mais étudier lerenouvellement intérieur classique de six ans, l’élève monastère gère-t-il le sacro-saint héritage tra- du Collège, c’est surtout comprendre l’évolu- prolonge ses études pendant deux ans dans le lycée préparant, par ditionnel jusqu’à la fin des années 1960? Cette tion du proche monastère. C’est dans ce va-et- l’étude des humanités et de la société monacale, qui se retourne constam- vient entre le monastère et l’établissement philosophie, à la maturité ment sur son passé, ne profite-t-elle pas de ce d’éducation que nos lignes se développeront. fédérale. La division et la dénomination des différentes classes – Principes, Rudiments, Grammaire, Syntaxe, Humanités, Rhétorique, Philosophie et Physique – se calquent sur le système hérité des anciens collèges jésuites. 9 Palmarès1912-1913, p. 10. 10Ibidem1913-1914, pp. 3-9. L e t e m p s d e s p r é f e t s ( 1 9 1 0 - 1 9 2 5 ) La loi sur l’enseignement secondaire essaieronsainsi de saisir l’évolution et les faits du 25 novembre 1910 réaffirme la force de la marquants du Collège abbatial en regard sur- formation classique. La mise en place des pro- tout des changements souterrains qui mar- grammes de la loi de 1910 se réalise ainsi sans quent le monastère. rupture en Agaune; le nouveau règlement ne modifie en rien l’atmosphère du Collège agau- nois. Le préfet écrit très solennellement: «Le travail est toujours assuré dans l’atmosphère calme et de prière d’une Abbaye»9. Trois pré- fets se succèdent en ce tournant de XXesiècle, mais aucun n’imprime une véritable direction personnelle à l’établissement. Les chanoines Guillaume de Courten (1899-1912), Camille de Werra et Eugène de Werra (1917-1925) sont avant tout des professeurs, auxquels la charge administrative de préfet a été confiée. L’éloge funèbre, consacrée au chanoine Guillaume de Courten dans le Palmarès de 1913, souligne la force de son sacerdoce de Maturité 1913 à la Grande Allée. Au 1errang de gauche à droite: prêtre, son enseignement de la philosophie, Chne Pythoud, Chne Mariétan, Chne Coquoz, Chne de Werra, ses passions pour l’architecture et l’archéologie M. Armin Sidler, Chne Hofmann. et ses dons pour la peinture, mais rien n’est (Archives de l’Abbaye de Saint-Maurice) écrit sur ses treize ans de rectorat!10 Nous (cid:2) 121 LA VIE EST UN LONG FLEUVE scolaire 1917-1918, le Collège éprouve aussi des PRESQUE TRANQUILLE difficultés dans son ravitaillement. «La pénu- rie de vivres et de charbon, nous obligea à sup- «Au Collège, les années se suivent et se res- (cid:2) primer les vacances de Pâques et à prolonger semblent étrangement»11. Le préfet Camille de 11Palmarès1916-1917, p. 8. celles de Noël: cinq semaines de relâche»15. Werra commençait ainsi son rapport pour l’an- 12ATHANASIADÈS1989, p. 64. née 1916-1917. Le Collège semble marqué Aux vicissitudes des temps de guerre s’ajoute 13Palmarès1916-1917, p. 9. la maladie. Le 1er juillet 1918, les premiers 14Echos,août 1918, p. 72. seulement par une séries de petits événements signes de la grippe qui fait des ravages en Suisse 15Palmarès1917-1918, p. 9. anodins qui relèvent presque toujours de depuis le mois de mai apparaissent à Saint- 16Ibidem1919-1920, p. 5. l’anecdote. Léon Athanasiadès se souvient dans Maurice. Le 2, presque la moitié du Collège 17Ibidem1908-1909, p. 4. ses Souvenirsque l’événement de 1908 fut «le est atteinte de la grippe espagnole. Soucieux remplacement du morceau de pain fumé ou d’enrayer l’épidémie, le Conseil d’Etat valaisan non fumé du goûter à la grande allée par un adopte des mesures sévères de prophylaxie: les bol de chocolat fumant avec du pain au réfec- réunions publiques sont interdites, les écoles, toire»!12 fermées jusqu’à nouvel ordre. La rentrée au Achats de matériel, promenades, concerts, Collège est successivement repoussée du 1ersep- cours, fêtes des professeurs,... rythment inva- tembre au 3 janvier. riablement la vie du Collège. Les peuples heu- Alors que l’année 1919-1920 voit poindre les reux n’ont pas d’histoires! Les tourments de la conflits sociaux et la crise, la vie du Collège guerre et la nécessité de nouveaux locaux pour retourne à la normale. «Plût au ciel que le le Collège vont cependant influencer la vie du monde pacifié rentrât dans l’ordre ordinaire de monastère. la vie sociale aussi facilement que notre monde scolaire est rentré dans celui des études! Les écoliers, eux, ont tout simplement repris leur Le Collège train normal, après l’an dernier tronqué de pendant la Grande guerre trois mois par les méfaits de la grippe. Et, à Les années de guerre influent sur la marche parcourir les événements de l’année, on aura générale de l’établissement. «La guerre est loin- bien l’impression que nous voici à l’état ordi- taine, mais présente autour de nous. Sans par- naire de la vie studieuse»16. ler des soldats cantonnés au Collège, nous avons un détachement d’étudiants sous les armes. Puis nous avons assisté à l’interminable Construction de 1914 défilé de ces trains de misère qui transpor- et résistances taient en France les malheureux évacués»13. Le visage du Collège agaunois durant cette En juin 1916 déjà, les élèves avaient plus période se modifie surtout par la rénovation concrètement encore rencontré les tourments des bâtiments qu’entreprend l’Abbaye. En de la Grande guerre lors de la traditionnelle pro- 1908 pourtant, le préfet Guillaume de Cour- menade annuelle qui se déroulait à Finhaut. ten les dépeignait comme des bâtiments à la Leur menu à l’hôtel Bristol fut servi par des hauteur des exigences de l’éducation. «Les internés belges et français. A cette occasion, la locaux sont vastes, bien aérés, aménagés sans fanfare du Collège joua la Marseillaise et luxe mais avec le confort nécessaire. Les dor- l’Hymne national suisse. La guerre apporte toirs – ceux des grands, au moins – sont excel- aussi en de rares occasions le faste et les hon- lents, fait de cubicles, chambrettes fermées par neurs; le 25 juin 1917, le Général Pau se rend des cloisons s’élevant à mi-hauteur, qui per- à l’Abbaye. La fanfare sort ses instruments; les mettent l’aération et la surveillance tout en collégiens posent en sa compagnie pour une laissant à l’élève l’illusion d’une pièce à part et photo de famille14. Durant cette même année le moyen de s’isoler pendant sa toilette»17. 122 Le général Pau en compagnie de Mgr Mariétan, en 1917. (Archives de l'Abbaye de Saint-Maurice) (cid:2) 123 Des pressions extérieures contraignent en fait sein même de l’Abbaye a été malgré tout long. l’Abbaye à améliorer ses locaux. L’Abbé Joseph «Pour ouvrir les yeux des plus aveugles et Abbet a reçu de nombreuses plaintes des vaincre les hésitations des plus obstinés, vous (cid:2) parents au sujet du pensionnat. Le médecin a pourrez me croire qu’il y a dans le monde des 18AASMAbbatia Nullius Sanctu même émis des griefs contre le dortoir des ecclésiastiques des entêtements et des mauvais Mauritii Agaunensis, Acta petits. Le DIP décrie depuis 1910 les insuffi- vouloir qui valent ceux que rencontre tous les VENERABILIS CAPITULI AB ANNO sances de la salle de dessin. Les chutes de pierres jours un homme d’Etat»20. 1874 AD AN. 1922, 23 juillet 1912, p. 304. de plus en plus fréquentes créent un danger Les résistances réapparaissent en automne 1913 19Ibidem, p. 304. permanent sur le passage du Martolet. Le Père- lorsque les constructions rencontrent des pro- 20AEV, 2 DIP 10.3. 1897-1914, Maître expose enfin une autre excellente rai- blèmes. Les excavations envisagées ne sont pas Lettre du 12 mars 1913. son d’entreprendre rapidement les travaux: réalisables. Dès lors, les deux ailes n’offriront plus 21AASMAbbatia Nullius Sanctu Mauritii Agaunensis, Acta «moyennant l’amélioration des locaux, l’Etat la place nécessaire. Une surélévation des bâti- VENERABILIS CAPITULI AB ANNO augmentera son indemnité de 6000 francs par ments, d’un étage, apporterait une bonne solu- 1874 AD AN. 1922, 20 avril an»18! tion pour 60000 francs supplémentaires. Le 1914, p. 317. L’architecte Louis Gard a devisé les nouvelles Chapitre est secoué par de vives discussions. réalisations à 203395 francs; il propose de Plusieurs chanoines pensent que le projet n’a pas rajouter deux ailes au bâtiment réalisé en 1894. été suffisamment étudié, voire «bâclé» et que En effet, le Collège de 1806 se composait d’un le Chapitre n’a pas été assez souvent consulté. seul bâtiment, la partie centrale de l’internat «Il y a du luxe dans les constructions. [...]Ces actuel avec un étage de moins. Il n’était donc nouvelles dépenses sont disproportionnées par pas soudé à l’Abbaye, comme maintenant. La rapport aux revenus de l’Abbaye»21. cour Saint-Joseph entre la statue et le fond La somme est finalement votée. Les travaux sont n’était qu’un pré qui montait légèrement en entrepris; le bâtiment rénové et agrandi est inau- direction du Martolet. La cour intérieure de guré pour les cours de l’année 1914-1915. l’internat et le collège étaient à l’emplacement de la laiterie et de la porcherie de l’Abbaye. Pour UN NOUVEAU PRÉLAT, couvrir les dépenses, l’Abbaye compte sur plu- DES CHANGEMENTS sieurs ressources: «1) augmentation du sub- SOUTERRAINS side de l’Etat. 2) augmentation de 30 francs de la pension des élèves. 3) vente du pré devant Mgr Joseph Abbet ne voit pas la réalisation des Saint-Jacques au prix minimum de 20 francs travaux qu’il a lancés. Il meurt le 3 août 1914; le m2. 4) recette de la sacristie. 5) don de dix jours plus tard, le chanoine Joseph Marié- 12000 francs de Mlle Blanc. 6) vente de titres tan est nommé abbé. L’abbatiat de Mgr Abbet, italiens représentant une somme de 30000 long de cinq ans, a été trop bref pour vérita- francs»19. La somme réalisable s’élève ainsi à blement déceler des changements dans la 132650 francs. De plus, la vente de vieux conduite du monastère. En revanche, les pre- matériaux et les pourcentages sur la maçonnerie mières années du règne de Mgr Mariétan recè- pourront rapporter 25600 francs. L’Abbaye lent quantité de signes d’un bouleversement doit emprunter alors près de 99750 francs qui s’effectue en profondeur. que les revenus annuels amortissent facile- ment. Le crédit est voté par le Conseil géné- Nouvelles directions ral ordinaire du 22 juillet 1913. Les chanoines pour l’Abbaye Camille de Werra et Hofmann sont nommés pour suivre les travaux. La correspondance Dès sa nomination, Mgr Mariétan tente de raf- entre l’abbé et le chef du DIP, Joseph Burge- fermir la discipline du monastère. Un règle- ner, montre que le chemin pour faire accep- ment de vacances est mis en place; les religieux ter l’idée d’une construction nouvelle dans le doivent aussi respecter plus strictement le silence 124 dans l’Abbaye et la clôture. En 1920 encore, Deux évictions exemplaires «Mgr rappelle la défense d’avoir des liqueurs dans L’arrivée d’un nouveau prélat entraîne des per- sa chambre, et recommande de nouveau le mutations dans les charges des officiers de (cid:2) silence au déjeuner»22. Quant au Collège, un l’Abbaye. Rien de plus normal! Par contre, la 22AASM Abbatia Nullius Sanctu prosélytisme plus actif doit s’y développer pro- période et la problématique conduisent le cher- Mauritii Agaunensis, Acta gressivement. «Il faut s’appliquer avec zèle et pru- VENERABILIS CAPITULI AB ANNO cheur sur un terrain miné, celui de la Révolu- dence à discerner et à cultiver les vocations»23. 1874 AD AN. 1922, 7 avril 1920, tion d’Agaune… Au travers des différentes p. 367. L’action catholique n’est pas nouvelle pour le pré- nominations touchant le Collège, nous tente- 23Ibidem, p. 331. lat. En 1901, au lendemain de ses études uni- rons de cerner le portrait et la «politique» du 24Echos,juin-juillet 1932, p. 104. versitaires, le jeune chanoine Mariétan fonde 25Ibidem, p. 104. nouvel abbé. au Collège un Cercle d’études sociales24. Mgr 26LONFAT1996, pp. 207-209. Une première nomination, presque anodine, Mariétan définissait ainsi les objectifs.«Allez de 27Entretien avec Mgr Salina, éclaire déjà quelques aspects de la conception l’avant, chers amis, et, sans négligez vos études, Saint-Maurice, 13 septembre particulière du gouvernement de l’abbé Marié- 1995. constituez sur les banc du collège les apôtres tan, que Mgr Salina définit comme «une 28AASMAbbatia Nullius Sanctu des idées chrétiennes. Et comme la boule de Mauritii Agaunensis, Acta conception action française de l’autorité»27. neige qui fait avalanche, la troupe grossira sur VENERABILIS CAPITULI AB ANNO En 1920, Mgr Mariétan doit se justifier face 1874 AD AN. 1922, séance du votre parcours, ce sera votre récompense. au Chapitre claustral de la nomination du cha- 6 janvier 1920, p. 365. Reprenons donc vaillance et courage. Si le noine Rageth comme Maître des novices. Un monde est laid, si l’indifférence des bons nous nouveau droit est entré en vigueur et stipule attriste parfois, il est aussi de bien douces que le choix doit passer par les membres du consolations. Ces groupements de jeunes sont Chapitre claustral. Mgr Mariétan l’a contourné, autant de constellations sacrées, de flambeaux il précise que «la nomination faite par lui de du Devoir et du Dévouement qui guident et M. le chanoine Rageth, comme Maître des fortifient. Et le collège d’Agaune peut lever novices, a été régulière, vu qu’elle est anté- les yeux et montrer ses soldats; ils ont de l’élan et de la foi; ils aiment et ils espèrent»25. rieure à l’entrée en vigueur du nouveau droit»28. Même si le Cercle disparaît vers la fin de 1907, Le chanoine Rageth est un proche du Prélat. le ton est donné. Son action se prolonge d’ailleurs par une métamorphose des Echos de En 1914, G. Rageth est le premier jeune clerc Saint-Maurice qui devient en 1908 L’Eveil, de l’Abbaye à être envoyé par l’évêque à Rome revue sociale et religieuse.Là aussi, l’expérience pour poursuivre sa formation théologique dans fut de courte durée. En 1912, ne trouvant pas les Universités pontificales. Deux ans plus tard, l’audience escomptée, L’Eveil s’endort défini- Mgr Mariétan lui confère le sacerdoce en tivement! l’Eglise abbatiale de Saint-Maurice. Le cha- Le prélat étendra aussi le rayonnement de l’Ab- noine Rageth repart alors, en compagnie du baye par l’enseignement hors des frontières du chanoine Cornut, à Rome pour obtenir à Valais. Deux opportunités, que nous ne déve- l’Université Grégorienne une licence en théo- loppons pas ici, se présentent: la direction du logie. Il est clair que sa formation légitime sa collège de Porrentruy et de Pollegio. L’expé- charge... Les circonstances de la nomination rience jurassienne permet surtout à Mgr Marié- tendent tout de même à illustrer, sans parler tan de fixer une tête de pont en Suisse romande de monarchie traditionnelle et d’autoritarisme favorisant le recrutement des vocations ecclé- effréné, un gouvernement abbatial fort. siastiques et une clientèle pour son pensionnat26. La plaquette rédigée en hommage au cha- Les différentes actions du prélat et les direc- noine Rageth nous indique ensuite «qu’en tives données lors des Chapitres préfigurent une 1921, la nomination du chanoine Pythoud Abbaye plus active dans le recrutement et dans comme curé de Leysin laisse vacante la chaire la transmission de la foi. de philosophie, au Lycée, qui est confiée à 125 M. le chanoine Rageth»29. Cet épisode éclaire flairait partout des complots... J’envoyai une encore notre hypothèse. La nomination du réponse au Nouvelliste, qui la publia en bonne chanoine Pythoud ressemble surtout à une place. Au grand amusement du public, M.Pyt- (cid:2) éviction discrète conduite dans les règles de houd répliqua, je dupliquai, mon antagoniste 29AASMAbbatia Nullius Sanctu l’art! L’affaire crée même des remous dans les récidiva: le spectacle devenait gênant; sur le Mauritii Agaunensis, Acta travées du Grand Conseil. Le député Crittin conseil du chanoine Burquier, je gardais dès VENERABILIS CAPITULI AB ANNO 1874 AD AN. 1922, séance du laisse échapper sa colère. «Je tiens à relever ici lors le silence... Bien des années plus tard, un 6 janvier 1920, p. 5. que le Département dans un cas, a totalement hasard malin me mit entre les mains des papiers 30AEV, Protocoles du Grand Conseil, négligé l’intérêt de l’enseignement supérieur, du chanoine Pythoud: des lettres et quelques 21 novembre 1921, p. 144. intérêt qu’il dit placer au-dessus de tout, quand annotations. J’appris ainsi tout le mal qu’il 31Ibidem, p. 144. il s’est effacé devant des considérations peu s’était donné pour combattre, à travers mon 32AEV, DIP rayon B10, honorables en laissant partir un professeur très mémoire, des ombres qui le poursuivaient...»34 Correspondance 1919-1929, Lettre du 12 juillet 1925. qualifié, vice-président du Conseil de l’ins- Mgr Mariétan confie un poste important au 33AEV, 3DIP 1-4, Protocole des truction publique. C’est regrettable et le Dépar- chanoine Rageth par des méthodes qui sem- séances de l’Instruction publique, tementqu’a-t-il fait pour le retenir? Je ne veux blent encore une fois souligner les traits d’un 22 février 1922. pas rechercher s’il a été avantageusement rem- gouvernement abbatial au pouvoir décisionnel 34Echos,avril-mai 1953, p. 110. 35Echos,septembre-octobre 1964, placé, à entendre les élèves on peut dire que fort. La fin du rectorat du chanoine Eugène pp. 179-193. non. Mais le fait est là»30. de Werra nous paraît, dans cette optique, 36AEV, 3DIP 1-4, Protocole des Le député Cocatrix souligne «le favoritisme et encore plus significative. Partons de la version séances de l’Instruction publique, l’ostracisme» qui règnent dans les décisions officielle donnée par l’Abbaye. «Le chanoine 16 juillet 1923. du prélat de Saint-Maurice et précise encore recteur avait oublié qu’il avait une santé déli- que le chanoine Pythoud «a dû quitter l’en- cate; son travail intense l’avait miné et, pour seignement»31. Mgr Mariétan, quant à lui, prévenir une catastrophe, Mgr Mariétan lui affirme s’être appuyé sur des remarques du proposa de reprendre le ministère dans la jeune DIP dénonçant l’enseignement du chanoine paroisse de Plan-Conthey»35. Pythoud. «Dans une certaine mesure, j’ai suivi Ceci se passe en 1925. Pourtant le projet de les plaintes du DIP, car la méthode qu’avait changement de recteur était déjà dans l’air en adoptée le chanoine Pythoud de dicter son 1923. L’inspecteur Meyer nous le rappelle lors cours de philosophie sous forme de résumé de la séance du Conseil de l’IP.«A l’occasion est peu propre à ouvrir l’horizon des élèves. Il de l’examen de la maturité et des résultats des n’a pas voulu la modifier; le cours de philo- Collèges, M. Burgener me communiqua que sophie a été confié à deux jeunes professeurs»32. Mgr Mariétan avait projeté de déplacer le rec- Pourtant en 1922, le chef du DIP qui com- teur actuel du Collège de Saint-Maurice pour mente la démission de chanoine Pythoud du lui confier la cure de Salvan. Heureusement sur Conseil de l’IP, qu’il avait conservé après son les insistances de M. Burgener, Mgr a renoncé départ du Collège, regrette que le chanoine ait à ce projet, dont l’exécution aurait enlevé au été éloigné de l’enseignement33. Et lorsque le Collège de Saint-Maurice, un directeur una- très officiel chanoine Léon Dupont-Lachenal nimement apprécié des autorités scolaires, des écrit l’histoire des Echos de Saint-Maurice, il parents et des élèves»36. commente une querelle littéraire qui éclaire Les démarches du chef du DIP n’auront cepen- justement nos assertions. «Ma surprise fut dant que peu d’effets. La voix de Mgr Marié- grande quand, quelque temps après, le Nou- tan s’impose à Sion; il tient manifestement les velliste m’apporta un matin, une mercuriale rênes du Collège agaunois. Par exemple, les dis- du chanoine Joseph Pythoud, qui avait cru cussions autour du problème important de déceler dans mon travail tout un arsenal d’ar- l’introduction du français dans les cours de rière-pensées. Depuis que Monsieur Pythoud philosophie contournent étonnamment le rec- était devenu, malgré lui, recteur de Leysin, il teur. «M. de Werra, par contre déclare, qu’il 126 n’a eu aucune connaissance du mouvement, à il devient aumônier et préfet d’étude à l’Insti- son origine. On l’a complètement ignoré: tut Beau-Soleil de Villars... M. le professeur Evêquoz s’est rendu à Saint- En définitive, Mgr Mariétan nomme aux postes (cid:2) Maurice où il a dû discuter de la question clés du Collège et de l’Abbaye le chanoine Rageth 37AEV, 3DIP 1-4, Protocole des directement avec Mgr l’Abbé et avec les deux qui partage entièrement ses idéaux. D’autre part, séances de l’Instruction publique, professeurs de philosophie»37. les évictions discrètes que Mgr Mariétan a entre- 5 décembre 1924. Le chanoine Rageth, qui est justement un de prises révèlent indirectement la personnalité bien 38AEV,Recueil des lois, décrets et arrêtés du canton du Valais, ces deux professeurs de philosophie, est nommé trempée du prélat. Les rancoeurs seront d’autant «Règlement du 18 novembre recteur à la fin de l’année scolaire. Il ajoute ainsi plus fortes par la suite... Le Collège du premier 1913 concernant les traitements à ses charges de maître des novices et de l’Ecole quart de siècle présentait une façade qui sem- des professeurs des collèges» (art. 9); «Règlement du 11 conventuelle, de professeur de philosophie dans blait inébranlable. Derrière la vie régulière sou- février 1919 concernant les les classes du Lycée, celle de recteur. Quant à la lignée par les chroniques, les souvenirs, les rap- traitements des professeurs des maladie de Eugène de Werra, elle apparaît bien ports rectoraux et les plaquettes, une analyse collèges» (art. 5). légère en regard des activités qu’il entreprend minutieuse des événements, qui traversent l’his- après sa démission: parallèlement à son activité toire souterraine du monastère, laisse pourtant en paroisse, il donne des cours de comptabilité entrevoir des signes de changements dès le début à l’Ecole de commerce de Martigny et en 1932, de l’abbatiat de Mgr Mariétan. L e r e c t e u r R a g e t h , u n e p u i s s a n c e d e l ’ A b b a y e ( 1 9 2 5 - 1 9 4 4 ) Au tournant des années 1920, le DIP déré comme le premier Recteur du Collège renforce la position du préfet au sein des collèges de Saint-Maurice. Son cahier des charges valaisans. De 500 francs de rétribution annuelle dépasse les attributions de surveillance, de que les préfets recevaient au lendemain de la loi relais avec le DIP et d’organisation adminis- sur l’enseignement de 1910, la somme entre trative de l’établissement. Proche de Mgr dans une fourchette de 2500 à 3500 francs en Mariétan, il peut véritablement agir sur l’orien- 191938. Cette augmentation ne touche pas le pré- tation et l’esprit du Collège. Georges Rageth fet du Collège de Saint-Maurice dont la rétri- est né le 5 juillet 1890 à Ems, bourg en amont bution est comprise dans l’indemnité globale de Coire. A quatorze ans, il entreprend des consentie par l’Etat du Valais à l’établissement études littéraires au Collège de l’Abbaye de agaunois. En revanche, au même titre que les pré- Einsiedeln. C’est en 1906 que son chemin fets des collèges de Sion et de Brigue, le préfet croise la cité agaunoise. En compagnie de Eugène de Werra acquiert en 1921 la dénomi- quatre condisciples, Georges Rageth se rend au nation de recteur. Le DIP veut par ce titre, plus Collège de l’Abbaye de Saint-Maurice pour prestigieux, renforcer la puissance et l’aura des apprendre le français; il y termine finalement directeurs sur leur établissement. sa maturité classique. Si l’on en croit le Pal- Le chanoine Georges Rageth, qui prend la marès de l’année scolaire 1911-1912, l’élève direction du Collège en 1925, peut être consi- Rageth était pour le moins brillant: il obtient 127 la note maximale de 6 dans toutes les branches! conférenciers en Agaune après 1920 indique que Le 28 août 1912, il revêt l’habit des chanoines le Collège se trouve au milieu d’un nouveau réguliers de l’Abbaye. Puis, le jeune clerc est réseau «d’amitiés». Le nombre de conférences (cid:2) envoyé à Rome pour compléter sa formation se multiplie. Les élèves peuvent successivement 39Echos,septembre-octobre 1964, théologique et philosophique. écouter et à plusieurs reprises des orateurs pp. 179-193. Le 8 octobre 1916, il prononce ses voeux solen- illustres tels Henri Ghéon, Jacques Maritain, 40Echos,septembre-octobre 1928, nels. Une licence en théologie obtenue à l’Uni- le Père Lebbe, l’abbé Journet, Henri Guillemin, p. 85. versité de Rome complète enfin sa formation. Léopold Levaux,... qui apparaissent comme 41CHENAUX1992, p. 160. A travers l’analyse du gouvernement particulier autant de signes tangibles d’une effervescence 42CHENAUX1991, p. 119. de Mgr Mariétan, nous avons suivi l’ascension intellectuelle et spirituelle en l’Abbaye. rapide du jeune chanoine dans la hiérarchie abbatiale: professeur de philosophie, maître des RAYONNEMENT SPIRITUEL novices et recteur. Même si les envolées rhéto- ET INTELLECTUEL riques traversent bien souvent les plaquettes qui DE L’ABBAYE retracent la vie du chanoine, nous pouvons déjà suivre le jugement d’un ami de l’Abbaye. «Après La situation spirituelle et intellectuelle de l’après- une visite à l’Abbaye – ce devait être aux envi- guerre est marquée du côté catholique par le rons de 1927 –, un ami de la Maison, faisant renouveau thomiste. «C’est un lieu commun part de ses impressions, disait à un interlocuteur: d’affirmer que S. Thomas est à la mode aujour- “– Le chanoine Rageth? Une puissance de l’Ab- d’hui» notait le chanoine François Michelet baye!“ C’était exact. Ses qualités d’intelligence dans un article consacré à la restauration de la et de coeur, ses connaissances philosophiques et philosophie thomiste40. Le nom de Maritain théologiques toujours en éveil, son amour de la reste attaché au mouvement de renaissance tho- Liturgie, son dynamisme étaient appréciés de miste qui se développe. «L’attrait exercé au sor- Mgr Mariétan qui voulait par lui imprimer au tir de la guerre par les enseignements du phi- vieux moutier et à son école un nouvel élan, une losophe thomiste sur la nouvelle génération est nouvelle jeunesse. Sans doute y avait-il là quelque indiscutable. “Vous avez fait ce prodige, lui audace, non que le chanoine Rageth ne fût de écrit par exemple son ami Charles Journet en taille à assumer toutes les tâches qui lui furent 1925, d’imposer le catholicisme à l’attention confiées, mais – lui-même le dira plus tard – elle de ceux qui croyaient que l’avenir était au le placèrent très tôt, trop tôt peut-être, à des modernisme“. D’Henri Ghéon à Julien Green, postes multiples, à des postes en vue, et donc à de Jean Cocteau à Pierre Reverdy, de Charles des postes de combat...»39 du Bos à Louis Massignon, de Georges Rouault Les structures et l’organisation de l’établisse- à Gino Severini, on ne compte plus les écrivains ment – bâtiments et filières – ne changent pas qui passèrent par Meudon en ces années»41. durant le rectorat du chanoine Rageth. Seule Le retour à la philosophie de l’Aquinate s’en- l’école industrielle devient école de commerce. racine dans l’encyclique Aeterni Patris(1879) Certes une première explosion des effectifs a de Léon XIII par laquelle le pape avait exhorté, lieu à la fin des années 1930, mais elle n’in- «pour la défense et l’honneur de la foi catho- flue pas sur la marche générale de l’établisse- lique, pour le bien de la société, pour l’avan- ment; la permanence dans la composition du cement des sciences, à remettre en vigueur et corps professoral en est une autre illustration. à faire propager le plus possible la précieuse La lecture des Palmarèset des plaquettes anni- doctrine de S. Thomas»42. La renaissance qui versaires montre ainsi un Collège des années se dessine après la Première Guerre mondiale 1930 qui ressemble étrangement à celui du est liée au besoin de points de repère face aux début du siècle. Les bonnes traditions demeu- angoisses du temps. Les cercles d’études tho- rent... Pourtant, un rapide coup d’oeil sur les mistes qui se mettent en place dès 1919 sont, 128
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