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le classicisme PDF

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LE CLASSICISME 105 LE C L A S S I C I S ME 106 LE CLASSICISME LE CLASSICISME 107 GÉNÉRALITÉS TT classicisme est l'époque de la littérature française qui, sous l'Ancien Régime I (celui des Bourbons), constitue son apogée. Il s'ouvre, après avoir été préparé dès les années trente du XVIP siècle, vers 1660. Il couvre les vingt-cinq premières années du règne de Louis XIV (1661-1715), mais il continue à rayonner à travers tout le XVIIIe siècle et jusqu'au début du XIXe siècle dans la littérature officielle, représenté par des épigones. C'est le reflet d'un moment brillant de l'évolution de la société française et de sa culture. Le reflet de l'équilibre temporaire entre les classes régnantes, privilégiées (l'aristocratie, le haut clergé) et la bourgeoisie éclairée et rapidement montante grâce à sa force économique toujours augmentée. Cet équilibre ne sera pas de longue durée. L'ascension définitive de la bourgeoi sie va le détruisant au XVIIIe siècle. Le fond de la littérature ira changeant avec la situation - l'épanouissement et l'offensive des idées progressistes de l'«âge des lumières». Mais la forme ne suivra pas aussi vite. Comme le baroque se survit par maints aspects sous le classicisme, le classicisme se survit sous les différents aspects de la littérature des épigones. Les idées nouvelles, dynamiques, n'auront pas sou vent, au XVIIIe siècle, le temps de se créer une expression artistique de tout point neuve et équivalente. Elles se contenteront, pour atteindre leur objectif (le change ment politique et social), des formes de plus en plus périmées d'un classicisme déjà décadent, sclérosé. L'évolution économique, sociale et politique, déclenchée en France après les lon gues guerres de religion (1562-1598), culmine par un redressement de la France au début de la seconde moitié du XVIIe siècle, malgré les conséquences de la Fronde, non négligeables. La centralisation du pouvoir public et l'œuvre de la Contre-Ré forme y atteignent leurs buts convergents. Le jeune roi Louis XIV est entouré de son prestige prometteur. Il remporte des succès sur le champ de bataille. Il est connu par ses aventures amoureuses (depuis Maria Mancini, la nièce de Mazarin, les favorites Mlle de Lavallière et Mme de Montespan qui lui donne cinq enfants jusqu'à l'épouse morganatique Mme de Main- tenon, après la mort de la reine). Il l'est surtout par son faste, son amour des arts: c'est, à cette époque, le véritable Roi Soleil. Sa devise est: Un Roi, Une Loi, Une Foi. Il réalise en pratique un nivellement social par l'abaissement des ordres (clas ses) privilégiés, sans pourtant modifier la structure féodale de la société française. II impose l'obéissance à tous: à l'Église catholique, aux Parlements. La vénalité des charges devient l'un des stimulants de la bourgeoisie française pour travailler, gagner, arriver. L'ascension de la bourgeoisie est favorisée par la royauté (comme par le passé) au détriment de la noblesse. Il se crée un régime ri goureusement bureaucratique (commis, secrétaires d'État, intendants civils, fermiers généraux, etc.). Les conceptions économiques du ministre Colbert (en fonction de 1661-1683) sont importantes. Elles anticipent sur bien des points l'industrialisme et le mercantilisme de l'époque capitaliste. Colbert favorise le développement in tense de la production manufacturière et agricole en France: tarifs protecteurs pour la mettre à l'abri de la concurrence étrangère; ouverture de marchés coloniaux, ex pansion française au Canada, aux Antilles, fondation de la Compagnie des Indes orientales. A côté de l'impérialisme économique de Colbert, il y a l'impérialisme de Louis XIV, sa politique de prestige, son aspiration à l'hégémonie européenne de la France par le moyen des armes, avec l'aide du ministre de la guerre Louvois. Le 108 LE CLASSICISME plus grand nombre de ces guerres ont pour objet d'assurer à la France la possession de ses frontières naturelles et l'éventualité de la succession espagnole: la guerre de dévolution (entreprise par Louis XIV au nom des droits de Marie-Thérèse, la rei ne, sur les Pays-Bas, 1667-1668), terminée par le traité d'Aix-la-Chapelle; la guer re de Hollande, terminée par la paix de Nimègue, 1678. Les victoires coûteuses, le faste inoui de la cour à Paris et à Versailles, entravent le programme de Colbert, font gaspiller l'argent amassé par l'ingénieux ministre. La magnificence, l'ostentation de ce roi absolu qui est bien caractérisé par les mots «L'État, c'est moi» (mais qu'il n'a pas dits en réalité) se manifestent par le décor monumental de son règne. Il est emprunté à l'antiquité païenne (peintures, sculptures). Le roi est représenté sous le costume d'un imperator romain, d'une di vinité de l'Olympe (Mars, etc.). L'art national est en partie dépossédé au profit de l'imitation de l'art antique. A la différence de la Renaissance qui s'insurgeait contre l'art et l'idéologie du moyen-âge, cette fois le culte de l'antiquité a la fonc tion, avant tout, d'exalter le pouvoir royal devenu totalement absolu. Le peintre Le Brun organise Y Académie de peinture et de sculpture royale; à celle-ci est adjointe une Académie d'architecture; on fonde l'Académie de Rome dont les pen sionnaires (au nombre de douze) ont pour tâche de «se former le goût et la maniè re sur les originaux des plus grands maîtres de l'antiquité et des derniers siècles». Partout doivent s'imposer les méthodes du grand art officiel et leur rigueur. Il y a aus si l'Académie des sciences et la Petite Académie, qui deviendra l'Académie des ins criptions et belles-lettres qui aura pour tâche de s'occuper de travaux d'histoire et d'ar chéologie. Les architectes L. Le V au (1612-1670), A. Le Nôtre (1613-1700), J. H a r d o u i n - M a n s a rt (1646-1708); les peintresN. Poussin (1594-1665), Çl. Lorrain (1602-1682), P. Mignard (1606-1668), Ch. Le Brun (1619- 1690), H. Rigaud (1659—1743); les sculpteurs P. Puget (1620-1694), F. G i rard on (1628-1715), A. Coysevox (1640-1720), etc., constituent une pléiade d'artistes renommés. Louis XIV favorise les arts, ne tolérant pas d'indépendance idéologique. Colbert exploite l'activité littéraire au profit de la gloire du régime. Organisant cette acti vité, il met en tête le critique (et poète) Jean Chapelain, protégé d'abord par Richelieu, l'un des principaux artisans de la doctrine classique qui avait acquis une autorité souveraine en matière littéraire (bien que raillé par les jeunes poètes, p. e. Boileau) : on crée (c'est Chapelain qui l'établit) une liste de tous les écrivains euro péens dignes de recevoir une pension du roi (chaque année). Les auteurs, y compris les grands classiques, rivalisent de panégyriques (louanges - surtout dans les dédi caces) à l'adresse du roi. Au début du règne de Louis XIV, ses compliments cont d'ailleurs spontanés et sincères. La vie mondaine prend un essor remarquable. Avant l'avènement de Louis XTV, l'élite sociale avait (dès 1620 environ) pour centre les salons aristocratiques, dont le plus célèbre, à l'époque du baroque, était celui de la marquise de Rambouillet. Les salons continuent à exister même sous Louis XIV, cependant sous lui c'est la c o u r qui devient le rendez-vous principal, le centre de la vie mondaine. II y a une hiérar chie sévère, une étiquette rigoureuse suivant la position sociale des courtisans. On applique des règles strictes prescrivant à chaque courtisan sa place auprès du roi au cours des fêtes, des cérémonies quotidiennes (le lever, le coucher du roi qui se déroulait au milieu d'une assistance choisie), suivant la qualité, les tours de po litesse quand on s'adresse au roi lui-même, à un homme supérieur ou inférieur au point de vue du rang. LE CLASSICISME 109 Cette époque contient bien des éléments baroques: le goût de la décoration lu xueuse, la pompe et l'appareil de grandeur voulue, les fêtes grandioses en plusieurs journées dans les vastes jardins de Versailles (château édifié à partir de 1661 par Le Vau, puis par Hardouin-Mansart ; la décoration fut dirigée par Le Brun ; les jar dins furent tracés par le dessinateur Le Nôtre), par exemple «Les Plaisirs de l'Ile en chantée» (1664), ou de S a i n t - G e r m a i n - e n - L a ye (à 14 km de Versailles, résidence royale dont la magnifique terrasse fut dessinée aussi par Le Nôtre, le créa teur des jardins et des parcs à la française), par exemple «Le Ballet des Muses» (1667). Dans ces fêtes, on donnait des pièces «à machines», c'est-à-dire des féeries dont le décor changeant était produit par des ingénieurs italiens, dès le baroque; puis des mascarades, des carrousels, des ballets auxquels le roi participait person nellement en danseur et pour lesquels Molière composa plusieurs pièces, «intermè des», par exemple Le Bourgeois gentilhomme (1670, sur le sujet d'une «cérémonie turque burlesque»), en collaboration avec le musicien Lulli, type des pièces mixtes en vogue (dialogues, musique, danse). Ce fut Lulli qui, à l'époque de Louis XIV, créa l'opéra français. Il y eut une sorte d'interaction entre ce genre et la tragédie à l'époque classique en France qui se manifesta entre autres aussi dans l'œuvre de Jean Racine. «L'opéra français est né avec des traits classiques tandis que la tra gédie apprenait à surmonter son incontinence oratoire par l'inclusion des instru ments et des chants soit aux entr'actes soit à l'intérieur même de la scène» (Marie Naudin). La théorie de la littérature classique en France, nous l'avons vu, a été élaborée dès l'âge du baroque par les «doctes» qui s'inspiraient de l'antiquité (et des théori ciens italiens) tout en adaptant l'enseignement de leurs modèles au goût français. Il n'y a eu ni révolution littéraire vers 1660, ni alliance et collaboration des grands classiques vers cette date: ces légendes ont été détruites par l'histoire littéraire de notre siècle. Nicolas Boileau n'est pas (à l'encontre d'une autre légende longtemps répandue) l'auteur de la doctrine classique. Il n'a fait que la codifier de façon un peu simplifiée, mais très suggestive. Les grands auteurs classiques contentent d'ail leurs médiocrement les pédantesques défenseurs des «règles». Ils dépassent leur épo que par leur génie créateur, comme il arrive toujours, dans chaque école. D'autre part, le goût littéraire reste encore assez baroque. On cultive et aime les romans précieux, d'ampur et d'aventures chevaleresques; les tragi-comédies et d'autres pièces mixtes et variées; les féeries à machines et à grand spectacle. La littérature classique proprement dite exprime un équilibre temporaire du goût et des conven tions de la société aristocratique et de l'apport positif d'éléments bourgeois. On l'a constaté depuis longtemps: tous les grands classiques s'adressant à l'élite sociale française de leur temps - Pierre Corneille, La Fontaine, Molière, Racine, La Bruy ère, Boileau - sont des bourgeois. La littérature du classicisme est en un certain sens une littérature collective, s'adressant à une collectivité choisie et même en partie créée collectivement (les maximes, les portraits). Les classiques français instaurent une sorte d'équilibre vi vant entre deux catégories d'éléments. D'une part ils manifestent un penchant fon cier à la vérité humaine, au naturel, à la mesure, à la régularité, d'autre part ils ont le goût de la beauté, de l'élégance; du choix, et respectent les bienséances, les con venances. L'art pour eux a une double fonction, celle d'instruire, dans un sens moral gé néral, et celle de plaire (l'«utile cum dulci» d'Horace). Le classicisme s'intéresse exclusivement à l'homme, à l'homme universel, à ce qu'il a de permanent à travers 110 LE CLASSICISME les âges, et de typique: il s'intéresse à ce qu'on appellera plus tard la psychologie. Or, les classiques oublient qu'ils sont des hommes du XVIIe siècle. Dans les qua lités qu'ils considèrent comme universelles, intemporelles, il entre une part de l'opti que donnée par la société de l'époque, des perspectives qui sont particulières à ce temps. Leur conception de la vérité, de la nature dans l'art est marquée par le goût de la société mondaine, aristocratico-bourgeoise à ce moment de son évolutipn: il suffirait de rappeler ce que les notions de «vérité», de «nature», de «raison», etc., désigneront au XVIIIe siècle, comment on les envisagera à l'époque du roman tisme, à celle du réalisme et du naturalisme, les nuances sont grandes. La concep tion de ces notions chez les classiques est caractérisée par un intellectualisme do minant, à savoir par une aversion marquée pour l'exhibition des sentiments per sonnels, pour la peinture pittoresque, réaliste de la nature extérieure concrète, du milieu, pour l'étalage des produits d'une imagination peu disciplinée. On croit vrai et naturel ce qui ne choque ni la raison, ni les bienséances, ce qui reflète l'idéal de l'«honnête homme» (courtois, poli, élégant, spirituel, maître de ses mpuvements spontanés - une variante française de ce que les Anglais appellent un «gentleman»). Les Grecs et les Romains anciens, les Persans, les Turcs, etc., de Jean Racine sen tent, pensent, agissent comme sentiraient, penseraient, agiraient les courtisans de Louis XIV. La vérité des classiques est une vérité choisie, idéalisée, schématisée. Elle exprime une vision caractéristique de l'homme et de la société déterminée par cette époque: mais les aspirations universalistes du classicisme français aussi bien que la qualité de ses réalisations aideront son art à dépasser les limites historiques de celle-ci. Tableau chronologique 1613--1680 La Rochefoucauld 1635- -1688 Quinault 1621--1695 La Fontaine 1635- -1719 Mme de Maintcnon 1622--1673 Molière 1636- -1711 Boileau 1625--1709 Thomas Corneille 1638- -1715 Louis XIV 1626- -1696 Mme de Sévignc 1639- -1699 Jean Racine 1627--1704 Bossuet 1645- -1696 La Bruyère 1632--1687 Lulli 1651--1715 Fénelon 1634--1693 Mme de La Fayette LES MÉMORIALISTES Avant d'aborder la littérature classique elle-même, il faut s'arrêter brièvement à une autre, copieuse au XVIIe siècle, reflétant directement la société de l'époque. Elle a pour objet les événements et les hommes dont les auteurs ont été les témoins et les observateurs. Si le degré d'«objectivité» n'est souvent que relatif, si souvent la partialité l'emporte sur l'impartialité, le tableau de la vie en France qui se dé gage de ces volumes est beaucoup plus varié et riche que ne le laisserait soupçon ner la littérature officielle. Les Historiettes (réd. de 1657-1659; publiées retranchées au XIXe siècle, dans leur texte intégral seulement au X X e siècle) de Tallemant des Réaux (1619-1690), fils d'un riche banquier protestant qui a eu l'occasion de bien con- LE CLASSICISME 111 naître la société mondaine française, sont une mine de renseignements (récits, anec dotes piquantes, racontars d'alcôve, etc.). L'image de la France qu'on y trouve est parfois crue et scandaleuse, mais véridique. La révolte (guerre civile) des deux Frondes (1648-1653) contre Mazarin et sa politique de répression fournit à plusieurs membres de la haute société l'occasion de mettre par écrit leurs souvenirs. On possède les Mémoires de Mlle de Mont- pensier, fille du frère de Louis XIII, appelée la Grande Mademoiselle; ceux de Mme de Motteville, au service de la mère de Louis XIV, Anne d'Autriche. Mais il faut rappeler surtout les Mémoires (1622, en Hollande, éd. incomplète; éd. com plète en 1868) du Prince de Marcillac, duc de La Rochefoucauld (1613— 1680); ceux de Paul de Gondi, Cardinal de Retz (1613-1679), posthumes (parus à Amsterdam en 1717, dans une édition augmentée en 1718), pittoresques et évocateurs, œuvre d'un homme d'action, d'un conspirateur qui aime se styliser et dont la crédibilité historique n'est pas de tout repos, mais qui est un écrivain doué. Bussy-Rabutin (1618-1693), parent de Mme de Sévigné, a écrit une Histoire amoureuse des Gaules (1665), sorte de chronique scandaleuse du règne de Louis XIV, roman satirique (écrit à l'imitation de Pétrone), notant les abus de pouvoir des souverains et de la noblesse, les vices, les galanteries, les subterfuges et roue ries, rapportant des calomnies avec un esprit féroce. L'ouvrage parut d'abord à l'insu de l'auteur anonymement. - Faisons remarquer à cette place que même Louis X IV a laissé des Mémoires, ou plutôt des notes. LES PREMIERS CLASSIQUES Deux classiques, les aînés des autres, La Fontaine et Molière, sont arrivés à l'âge d'homme avant le régime de Louis XIV. Ils ne se sont jamais défaits d'une certaine indépendance en face du goût des courtisans, de la théorie unificatrice du classicisme et même en partie de l'idéologie officielle, surtout en matière de morale. Jean de La Fontaine (1621-1695) est d'origine bourgeoise. Il est né à Château-Thierry (à l'est de Paris, sur la Marne). Il acheta la charge de maître triennal des eaux et forêts et succéda à son père dans deux autres charges encore, ce qui le forçait à vivre une partie de l'année en province et à entrer beaucoup plus étroitement en contact avec la nature que ne purent le faire et ne le firent les auteurs de l'époque classique (excepté Mme de Sévigné). Mais ces charges rapportaient peu. Attiré par la littérature sous la minorité de Louis XIV, oubliant facilement ses devoirs, sans souci de la religion, de la morale ou de sa dignité, aimant tout bonnement ses plaisirs et ses amis, restant d'ailleurs d'une candeur aimable, La Fontaine dut plus tard recourir à de riches protecteurs. Ce fut d'abord le surintendant des finances Nicolas Fouquet (1615-1680) qui, grâce à ses fonctions, amassa une immense fortune, fit construire le château de Vaux (Vaux-le-Vicomte près de Melun) préfigurant celui de Versailles - il fut bâti par Le Vau, décoré par Le Brun et Mignard, entouré de jardins dessinés par Le Nôtre -, protégea les hommes de lettres (à côté de La Fontaine Molière et Pellis- son). Ensuite, après la disgrâce du ministre en 1661 (Fouquet fut dénoncé au roi par Colbert à cause de ses malversations ; Louis XIV, blessé en outre par sa magni ficence déployée le fit arrêter en 1661 et condamner en 1664 comme dilapidateur), 112 LE CLASSICISME à partir de 1672 quant il eut résigné ses charges, ce fut Mme de la Sablière (1636- 1693). Ayant longtemps partagé la vie entre les salons aristocratiques de Paris et des séjours en Champagne, publié des œuvres diverses et joui de la vie en épicurien (il s'était marié oubliant sa femme dont il avait un fils), il se réconcilia, comme son roi et sa dernière protectrice, Mme de la Sablière, sur le vieux, avant de mourir, avec la religion. Les compositions de l'ère du puissant et fastueux ministre des finances Fouquet, malgré leurs qualités poétiques, ne méritent pas de nous retenir longtemps. Il s'agit entre autres du poème Adonis (1655, publié en 1669), du Songe de Vaux (1659, prose et vers) célébrant les merveilles du château de Vaux-le-Vicomte, de l'Élégie aux Nymphes de Vaux (1661), où La Fontaine défendait courageusement le surin tendant tombé en disgrâce. De même ce n'est pas le lieu de nous étendre sur les médiocres pièces de théâtre de notre poète, sur sa poésie religieuse tardive (même janséniste), son roman mythologique Les Amours de Psyché et de Cupidon (1669, prose et vers), production dans le goût du temps. La Fontaine, reçu à l'Académie, y lut un Discours à Mme de la Sablière (1684, en vers), où il avouait son besoin inné de changement: Je suis chose légère, et vole à tout sujet; Je vais de fleur en fleur, et d'objet en objet; A beaucoup de plaisirs je mêle un peu de gloire. J'irais plus haut peut-être au temple de Mémoire, Si dans un genre seul j'avais usé mes jours; Mais, quoi! je suis volage en vers comme en amours. Il prit part à la «Querelle des Anciens et des Modernes», par son Épitre à Huet (1687), adressée à un évêque érudit, où il manifestait ses sympathies pour les An ciens sans vouloir mécontenter les Modernes. On peut aussi passer rapidement sur ses Contes en vers (1665, 1671, 1675), dont les recueils successifs varient de titre. La plupart des sujets sont empruntés aux auteurs italiens. Cette matière «gauloise» (histoires erotiques d'abbés, de religieu ses, de maris et de femmes infidèles) est «actualisée» par des traits empruntés à l'é poque et présentée par allusions adroites aux choses osées (rien n'est dit, mais tout se comprend) pour ne pas choquer la morale officielle et surtout les hypocrites et les tartuffes. L'indépendance de La Fontaine en ce qui concerne la facture est vi sible. Il se sert du vers «libre» (suite de vers de différentes longueurs, mais régu liers). Exemple (c'est surtout dans ses Fables qu'on rencontre cette variété de ryth mes expressive à chaque pas) : Jadis régnait en Lombardie Un prince aussi beau que le jour, Et tel que des beautés qui régnaient à sa cour La moitié lui portait envie, L'autre moitié brûlait pour lui d'amour. (Joconde. Nouvelle tirée de l'Arioste, du chant XXVIII de son Roland furieux.) Il ne respecte nullement les règles rigides de Malherbe et du classicisme: nous trouvons chez lui des enjambements, des hiatus, des rimes assez négligées. La lé gèreté apparente pourrait faire croire que La Fontaine possédait une grande spon tanéité créatrice. En réalité, il savait fort bien méditer et calculer ses effets, en vrai artiste. Musset admirait l'art de La Fontaine dans ces contes élégants, spirituels, licencieux, mais assez froids, à savoir peu vraiment sensuels. Cependant l'œuvre qui a fait la gloire de La Fontaine, ce sont ses Fables, pa- LE CLASSICISME 113 rues successivement (livres I-VI, en 1668; livres VII-VIII, en 1678; livres IX-XI, en 1679; livre XII, en 1694). Elles ne sont d'ailleurs rien d'autre que des conte» en vers. Quelques-unes s'en rapprochent nettement. Là fable, genre didactique en prose, sec et rapide, enseignant aux enfants la sagesse et la prudence par l'intermédiaire d'histoires d'animaux, était en vogue au XVIIe siècle. A plusieurs reprises, on traduisit les recueils anciens (du Grec É s o pe et du Latin Phèdre). Mais les poètes la dédaignaient, à cause de son caractère trop visiblement moralisateur, dangereux pour la poésie («La poésie ne peut pas, sous peine de mort ou de déchéance, s'assimiler à la science ou à la morale», dira plus tard Baudelaire dans son Art romantique, 1868). La Fontaine trouva, par contre, que ce genre allait merveilleusement à son talent. Il vit que le corps sec de la fable avec ppur l'âme la morale (cf. la préface) pouvait être rendu plus aimable, plus poétique. A la différence de la fable traditionnelle, il se concentra sur ce c o r p s, sur les histoires elles-mêmes. On découvrit tout de suite qu'il était, dans ces récits d'animaux, de plantes ou d'hommes, beaucoup plus concret; qu'il savait à merveille individualiser les personnages et leurs intentions choisissant ces perspnnages, les situations, les expressions, le rythme de la phrase et du vers de façon à rendre, à faire voir la vie réelle, à insinuer certains sentiments par des répétitions savantes, à souligner la caractéristique de phénomènes naturels (un orage, etc.) par un groupement expressif de conson nes, etc. Il n'hésitait pas à employer des archaïsmes, des provincialismes - chose exceptionnelle à l'épioque du «bon goût» de la société de Louis XIV; à donner aux animaux des noms bizarres à l'exemple des inventions du renaissant Rabelais (Ro- dilardus); à ne pas corriger les vieilles traditions pleines d'illogismes et de trait» ne correspondant pas à la réalité (le renard mangeant des raisins, du fromage; les grenouilles dévorant des rats). La Fontaine ne se détourne même pas trop visiblement de la morale tradition nelle offerte par la fable, qu'on pourrait résumer comme un conseil à la pruden ce, à la méfiance, à la résignation. C'est une morale pratique, épicurienne, voire égoïste, en flagrante contradiction avec la morale hérioïque, chevaleresque, religieuse (chrétienne) officiellement affichée et professée. La morale des fables de La Fon taine reflète non pas la morale aristocratique et religieuse, mais celle de la tradition gauloise (des fabliaux, du Roman de Renart, des farces, etc.), populaire, bourgeoi se. C'est une morale d'empirisme, «une morale de petits qui n'ont cessé, au long des siècles, de pâtir de la sottise des grands et de leur cruauté... Au point d'honneur aristocratique, aux attitudes des héros de tragédie et de roman, aux raffi nements des philosophes, il pppose la sagesse des paysans» (P. Clarac). Une morale dont nous rencontrerons quelques aspects aussi dans l'œuvre de Molière. Le succès des 6 premiers livres de fables (1668) fut grand. Boileau, Furetière et d'autres auteurs se firent sporadiquement des imitateurs (malhabiles, il faut l'a vouer) de La Fontaine. Ces petits drames à action dramatique vivante et diffé renciée et au décor pittoresque de la nature - si peu connue d'expérience par les habitués des salons et de la cour de l'âge de Louis XIV - firent, à partir du re cueil de 1678, place à des fables moins dramatiques, plus étendues. Maintenant, La Fontaine s'inspirait des fables indiennes de Bidpay (ou Bilpay; brahmane légendaire qui aurait été l'auteur des anciens apologues de l'Inde; il aurait vécu au IVe-ILT siècle avant J.-C), tirait ses sujets de toutes parts. Il ouvrait ses récits à l'invasion de son moi (fait opposé à la doctrine classique qui prescrivait à l'au teur d'être impersonnel, aspirant à l'universalité), au lyrisme de ses méditations. 114 LE CLASSICISME réflexions et confidences d'ordre personnel. Les dernières fables reflètent ça et là (discrètement) le courant souterrain de la philosophie libertine, l'épicurisme gassen- diste, les théories atomistes et animistes (matière animée). La structure de ces fables diffère sensiblement des petits drames du début. Drames: on a très bien dit qu'il ne faut pas interpréter trop strictement une formule imposée par La Fontaine lui-même («Une ample comédie aux cent actes divers / et dont la scène est l'univers»), croire que ces premières fables sont organisées comme des comédies, l'esthétique du conte n'étant pas celle du théâtre. Indépendant, fantaisiste, divers en ce qui concerne la morale aussi bien quant à la langue, le style et la versification, observateur réaliste et peintre vivant, concret, poète aimable et artiste sachant trouver les moyens et procédés les plus adéquats (du moins dans ses meilleures fables) pour être expressif et pittoresque - La Fon taine n'en reste pas moins aussi un artiste classique, discret, ne dépassant pas la mesure, ne cédant jamais à la tentation d'être burlesque, de donner dans un réa lisme grossier qui ne respecterait pas les règles sévères des bienséances, des con venances. Jamais il ne se laisse pas non plus emporter par sa verve innée de con teur, par le caprice de ses réflexions personnelles. Toujours, malgré sa nonchalance aisée, et même dans ses fables les plus étendues imitées du fictif Bidpay, la compo sition chez La Fontaine obéit en somme aux lois de 1' é c o n o m i e. Elle évite les digressions inutiles et les détails superflus. Il sait faire de sa fable un tout où tout a sa fonction: le cpntenu et l'expression constituent une harmonie expressive qui fait ressortir la pensée. La Fontaine est presque le seul poète lyrique du classicisme français (si l'on met de côté les passages lyriques qu'on trouve dans les tragédies de Racine ou dans la prose oratoire de Bossuet). Molière (1622-1673) La fable que La Fpntaine éleva, grâce à son génie, du niveau d'un genre pure ment didactique, sans aucune prétention artistique, à la dignité d'un genre poétique, permit au fabuliste de présenter, dans ses douze livres, selon sa formule, «une ample comédie à cent actes divers» («Le Bûcheron et Mercure», Livre V, 1). Cette comédie n'offrait pas seulement une morale humaine de l'expérience en général qui se méfie, mais elle pouvait encore faire réfléchir le lecteur contemporain à bien des types et à la morale qui lui pouvait être utile au temps présent. Cependant la comédie réalisée par la fable ne pouvait faire penser à la réalité sociale et aux mœurs que d'une manière indirecte, très vague. La comédie prise non pas au figuré, mais au sens propre, scénique, avait par contre des ressources et des moyens incomparablement plus favorables à présenter un miroir plus ou moins réaliste pu satirique à la société louisquatorzienne. L'époque du baroque n'avait pas été trop favorable à l'épanouissement du genre comique. L'existence de genres mixtes (tragi-comédies, pastorales dramatiques), qui accueillaient des éléments comiques à côté des sérieux et romanesques, le retar da. La vogue de la farce populaire à gros effets avait été un obstacle de plus. Elle était toujours en vogue depuis le moyen-âge à cause d'excellents farceurs: Gros- Guillaume, Gaultier-Garguille, Turlupin, Bruscambille, Tabarin, un peu plus tard Jodelet (1590- 1660), acteur comique qui fut même membre de la troupe de Molière. Les conditions sociales et le climat culturel furent longtemps peu pro pices à l'éclosion de la véritable comédie. La renaissance du théâtre français vers 1630 et l'évolution du gpût vers la «ré-

Description:
précieux, d'ampur et d'aventures chevaleresques; les tragi-comédies et d' . ou de sa dignité, aimant tout bonnement ses plaisirs et ses amis, restant d' Les Femmes savantes (1672, en 5 actes et en vers) sont, à la fin de la
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