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Le Ciel est enfin tombé sur la terre PDF

197 Pages·1978·2.527 MB·French, Italian
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FRANCO BERARDI (BIFO) LE CIEL EST ENFIN TOMBÉ SUR LA TERRE TRADUIT DE L'ITALIEN PAR PIERRE RIVAL ÉDITIONS DU SEUIL 27, rue Jacob, Paris VIe ISBN 2-02-004789-6 © Éditions du Seuil, 1978. Titre original : Finalmente, il cielo è caduto sulla terra. La loi du 11 mare 1957 interdit les coptes ou reproductions destinées A une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, eit illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par tes articles 425 et suivants du Code pénal. Avertissement du traducteur D'ordinaire, il revient au traducteur de situer « son » auteur, de démêler d'un panorama des « lettres » — ici, par exemple, italiennes — sa part d'universel, ou encore d'en souligner la charge d'exotisme personnel, le tempérament comme réfractaire à tous les autres, et à nous, « Français », en particulier. D'où vient que, parlant de Franco Berardi, cette entreprise cesse d'être, au mieux, vaine redondance, pour se faire enquête sur une histoire qui se cherche encore aujour- d'hui sous nos yeux, et dont ce livre, s'il en établit la preuve, n'est, ne peut être, qu'une séance dans une chaîne ininterrom- pue, joyeuse et souveraine, d'effets patents? Certes, le rassemblement international de Bologne en septembre 1977, ou la pétition des intellectuels français contre la répression en Italie qui l'a précédé, n'ont pas dépendu de l'intervention providentielle d'un homme-orchestre; mais Franco Berardi connaît tous les fils qui s'entrelacent dans cette coïncidence heureuse entre un mouvement social et la conscience critique qui anime encore quelques intellectuels au niveau européen; et il connaît ces fils non pour les avoir tirés, mais parce qu'il les a parcourus et dépensés dans une œuvre et une activité paradoxales, sur l'arête de deux désordres apparemment inconciliables. Issu du courant « opéraïste 1 », dont la longue tradition 1. Cf. en français: Ouvriers et Capital de Mario Tronti, Christian Bourgois éd., 1977, et la Classe ouvrière contre l'État, d'Antonio Negri, Galilée éd., 1978. 7 AVERTISSEMENT d'hétérodoxie plonge ses racines dans les luttes autonomes du prolétariat italien d'après-guerre, Franco Berardi s'en dis- tingue nettement en produisant, latéralement à une probléma- tique qui restait « grégaire » malgré tout, un agencement nouveau du sujet et des luttes sociales; désignant dans l'affect le moteur souterrain, parfois même acéphale, du refus et de la révolte. Car si le courant « opéraïste » — en refusant de suivre les grands mégalomanes sur le terrain des utopies socialistes, tout comme de s'aplatir servilement devant « l'état de choses présent » — avait bien pu faire de sa ligne d'action pratique (au travers d'organisations comme Potere operaio ou Autonomia operaia) un schème d'anticipation pour le Mouve- ment, un tel effort s'était souvent payé — pour les individus comme pour les organisations — d'une dénégation portant non seulement sur les rapports affectifs et la sympathie entre les êtres, mais aussi sur cet autre réseau stratégique qui, par l'écriture et la langue, dissémine, à un niveau plus profond encore, les germes du refus ou les prémisses de l'acceptation. Déjà, dans ses premiers textes1, Franco Berardi tire les thèses « opéraïstes » vers un Bernstein mis tête-bêche (« le pouvoir aux ouvriers, le développement au capital ») qui pose, sans s'illusionner sur les perspectives à long terme d'un possible bouleversement, le moment immédiat, subjectif, du refus, comme l'instance capable de gouverner les vicissitudes du capital, ses aller et retour de plus en plus angoissés face à une force invisible qui surgit du vide où il l'avait contrainte (le travail à la chaîne, la « mercification » des rapports humains, etc.). Ce retournement, cette intuition que le refus peut tout, qu'il n'est nul besoin d'arracher au capital un « pouvoir » qu'il ne gère guère plus qu'en paroles, a du moins le mérite de faire vivre, de manière exagérément gaie diront certains, la hâte de la révolution sous le traintrain du quotidien. Littérature? Mais précisément, de là surgit, pour qui écrit, la possibilité d'un rapport qui ne soit pas de substitution à « la » classe, qui ne parasite pas ses luttes, dans un vain effort pour 1. Contro il lavoro, edizioni délia Iibreria, 1970. 8 AVERTISSEMENT dépasser d'imaginaires contradictions « petites-bourgeoises ». Nous avons parlé de l'écriture, du langage, et de leur dénégation : certes, et la tentation est forte de voir dans une guirlande de livres le dessein subversif et secret d'une histoire qui mine le capital. Certains n'y ont pas résisté. Mais que l'indication de l'écriture s'incarne, qu'elle découvre dans sa socialisation la possibilité de jouer librement de « ses » contradictions, et voilà qu'écriture et langage réoccupent tout le champ social, délaissent la dépouille inféconde du détour solitaire pour donner au refus sa part de positivité mordante, cette capacité non plus seulement de nier mais d'affirmer qui va au-delà du mouvement réel, se fait propédeutique existen- tielle de l'utopie, rapport vécu à l'imaginaire. Possibilité qui reste précaire, en témoigne la difficulté qu'éprouve Franco Berardi à lui donner un sujet : « travail technico-scienti- fique », « jeune prolétariat », etc. On verra cette recherche se poursuivre tout au long du livre présent. C'est qu'elle n'a pas force de loi mais tire de l'élan qui la crée ses raisons d'exister. Débouche-t-elle, pour autant, sur un nivellement, une banalisation de tous les signes de rupture, le brouet populaire après la saillie élitiste, en un mot sur cette « mort de l'avant- garde » que dénoncent, chacun à sa manière, un Umberto Eco ou un Alberto Asor Rosa? Il est curieux de voir des gens, traditionnellement liés au mouvement ouvrier, se faire, en cette occasion, les chantres du « petit comité ». Mais c'est que, précisément, dans la démarche de Franco Berardi et de ses amis, il ne s'agit pas d'esthétique : ce langage qu'ils emploient, ces ruptures qu'ils reprennent, c'est parce qu'ils sont directement agissants que leur pleuvent dessus — comme un moindre mal1 — ces foudres de pédagogues. Et certes ils ne sont pas politiques, comme certains petits malins ont cru perfide de le suggérer, à la manière des futuristes italiens qui entraient en politique comme la vache va au taureau dans la Ligne générale d'Eisenstein, tambour battant, la corde au cou 1. Les autres étant la séquestration ou l'interdiction des radios et des journaux du Mouvement, les peines de prison préventive, et le tir dans la foule. 9 AVERTISSEMENT et battue d'avance; mais en se faisant le centre d'un changement de société, en subvertissant les codes, les misères et les pompes, ils annoncent bien plutôt la « fin du poli- tique ». En sachant refuser jusque dans l'action révolution- naire ce qui, comme pratiques de groupes ou activités de type militaire, ne ferait que refléter la politique d'État, une fois de plus. Pierre Rival Prologue. La fin du politique Tambours dans la nuit Novembre 1918. Berlin : l'insurrec- tion. La bataille dans le quartier des journaux. Kragler choisit le lit, la tranquillité, l'amour; il abandonne ses camarades et s'éloigne avec Anna. La révolution est vouée à l'échec; ceux qui défendent le quartier des journaux sauteront en l'air comme des poissons. Combien seront tués, emprisonnés, torturés? Par-delà la passivité de Kragler, la férocité social- démocrate se déchaîne, qui prépare le terrain au nazisme. Que serait devenu Kragler après 1933, après 1939? La situation en Italie (et en Europe), après les années 1970- 1975, est fort semblable à celle d'alors. La menace sur l'emploi, la « criminalisation » des méthodes de lutte, le massacre de militants clandestins, l'usage de la terreur contre les nouvelles formes de vie : tout cela tend à se souder en un plan unique, en même temps social-démocrate (noskien) et stalino-fasciste, dont le pilier porteur est l'eurocommunisme (et le PCI de manière particulièrement claire ou avancée). Observons l'Italie, pour voir — du moins — quelles difficultés rencontre ce processus, et où il peut se briser. Tandis que les ouvriers d'usine sur la défensive conduisaient leur lutte avec une combativité imprévue, le Mouvement a su 1. Tout ce passage renvoie à la pièce de B. Brecht Tambours dans la nuit. Et l'ambiguïté du comportement de Kragler, là comme ici, demeure, qui crie à ses compagnons (camarades?) d'infortune : « Faut-il que ma chair pourrisse dans le caniveau pour que votre idée aille au ciel? » Théâtre complet, t. 1, p. 120 (NdT). 11 PROLOGUE maintenir à plusieurs niveaux une continuité subjective. Mais cette continuité avec l'expérience ouvrière de la décennie passée ne doit pas rester défensive; il s'agit de préciser au contraire la nécessité d'une rupture : et si celle-ci se présente aujourd'hui encore comme un lieu vide, elle est la prémisse nécessaire pour la découverte d'un terrain nouveau, d'un nouveau cycle de luttes de libération du travail. Dans cet écart entre le passé du Mouvement et l'émergence laborieuse d'un terrain nouveau, le militant vit une situation douloureuse, une situation d'angoisse. Quand la désagréga- tion du passé ne permet pas encore d'apercevoir un avenir en recomposition, le besoin de destruction risque de se transfor- mer en autodestruction; l'héroïne, le terrorisme deviennent alors les lieux d'un comportement qui vise à se mesurer avec la société et l'État non pas de manière autonome, mais sur le mode de la paranoïa, de la compétition, d'un affrontement qui se rêve total. Or, cette angoisse de la désagrégation et de l'auto- destruction n'est, en fait, que l'autre face d'une conception (et une pratique) qui abordent la violence, l'organisation, le pou- voir comme autant de reproductions spéculaires de la machine de l'État. De cette conception, le Mouvement ne s'est pas encore libéré. Un refoulement persistant du sujet et de ses besoins gouverne cette conception. C'est encore et toujours l'État, la société capitaliste, qui fournissent à des révolution- naires décidés à s'opposer à eux et à devenir « plus forts » qu'eux leurs modèles de violence, d'organisation, de pouvoir. Or, les révolutionnaires sont les plus forts quand ils se placent sur le terrain de l'autonomie, de la dissémination, de la pra- tique du désir, de l'appropriation, du sabotage; et les plus faibles sur le terrain de l'affrontement, de l'organisation, de la violence pour prendre le pouvoir. La politique? Un lieu dans lequel nous restons contraints de mesurer les comportements de notre vie sur le temps de l'Etat. Qui donc a dit que la politique était le lieu d'où pouvaient sortir la libération et le communisme? La politique — avec sa prétention à la gestion d'un point de vue général — est 12 LA FIN DU POLITIQUE incapable de comprendre et d'intégrer les comportements, les besoins et les désirs du sujet qui s'est formé dans les métropoles. Tant que le communisme restera enfermé dans le territoire (à détermination hétérogène) du politique, le sujet ne réussira à s'exprimer que sous les modes de la passivité, de l'(auto)destruction, de la fuite, du terrorisme. Et l'État ne pourra contenir la potentialité de ce sujet qu'en lui imposant le terrorisme de la politique, dont la démocratie représente la forme accomplie. Le terrain des micro-comportements et du désir se situe dans un autre lieu, celui de la sépar/action 1 : un lieu que le totalitarisme veut supprimer, en contraignant le sujet à se reconnaître dans ses rôles productifs, sociaux et familiaux. Les micro-comportements, eux, sont les symptômes de l'exis- tence d'un sujet collectif latent, qui ne peut émerger qu'en dehors du terrain (à détermination hétérogène) du politique : sur le terrain autonome (érotique) auquel renvoient le refus du travail, l'appropriation, l'extranéité, et dont nous ne savons pas aujourd'hui donner de connotations plus précises. C'est dire que le moment est venu de faire les comptes avec ce fétiche épistémo-pratique qu'est la politique : un espace dont les limites sont pré-données, qui prédétermine toutes les possibilités de compréhension et de pratique. Nous faisons l'hypothèse qu'au moment de leur apparition dans le champ de l'histoire, les mouvements révolutionnaires ont accompli leurs premiers pas sur le terrain (préexistant) du refoulement de tout sujet porteur d'une transformation historique. La religion, la science, l'économie, la politique : autant de symptômes épistémo-pratiques de ce refoulement à l'intérieur duquel le sujet latent fait ses premières preuves, en se voyant encore avec des yeux qui nient son autonomie. C'est bien ainsi que les choses se sont passées. Au moment où la bourgeoisie émerge comme classe historique, la réforme luthérienne, tout en exprimant l'émergence d'un sujet qui rompt avec le refoulement religieux, se place pourtant sur le même terrain et se définit encore comme mouvement reli- 1. Cf. sur ce mot-valise la note p. 83. 13 PROLOGUE gieux. De même le matérialisme, pour se reconnaître lui- même, doit, au début, se constituer sur le terrain du système scientifique, c'est-à-dire dans un des lieux rationalistes d'oc- cultation bourgeoise de la contradiction. Mais si le matéria- lisme est l'inscription du sujet historique (classe ouvrière, sexualité, besoins) dans le texte théorique, il ne peut, dans le processus même de sa constitution, que s'éloigner bientôt du système scientifique. De même pour le système du politique : la classe ouvrière a bien pu mener là ses premières grandes batailles (Commune de Paris, Révolution d'octobre, luttes ouvrières des années soixante, Mai français); pourtant, déjà, ces luttes débordaient pour une large part et laissaient tout un résidu incompréhen- sible, indéchiffrable à partir du jeu des institutions, du pouvoir, et même de la révolution « politique ». Sur le terrain de la politique, le résultat obtenu a toujours été la reconstruction de la domination de l'État sur la sépar/action, la domination du réformisme sur l'autonomie ouvrière. Or, après l'expérience léniniste, le mouvement ouvrier a accepté de s'enfermer dans le cadre épistémo- pratique de la politique, renonçant à son autonomie, à la construction d'un terrain épistémo-pratique autodéterminé. La politique, en tant que lieu général, est nécessairement totalitaire; elle ne peut admettre l'existence de la contradic- tion, sinon comme conflit qui se laisse conduire à l'équilibre. Mais aujourd'hui, après que les luttes des années soixante ont porté à maturité l'exigence du communisme comme autonomie par rapport au développement capitaliste, la classe ouvrière peut enfin se situer ailleurs : dans un espace qui est celui de l'autodétermination, un espace où l'urgence de la suppres- sion du travail se soude avec la possibilité de celle-ci, et où le sujet se définit en dehors de sa relation avec le système de l'économie et de la politique. C'est là un processus qui se déroule déjà sous nos yeux, dans ces endroits où le caractère parfaitement vide de la politique est depuis longtemps devenu clair (de même que la totale réduction de la politique à un rite intra-bourgeois ou à une terreur anti-ouvrière). Il n'y a qu'à voir les USA, ou 14

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