Extrait de la publication Extrait de la publication “LETTRES TURQUES” série dirigée par Timour Muhidine LE POINT DE VUE DES ÉDITEURS Au cœur de l’onirisme, à la frontière du visible et de l’invisible, entre mémoire, rêve et cris, une femme se souvient du Bâtiment de pierre. Dans cette prison, des militants politiques, des intellectuels récalcitrants à la censure, des gosses des rues – petits voleurs de misère – se retrouvaient pris au piège. De ce monde de terreur véritable, la narratrice de ce récit est pourtant revenue et sa voix, en une étrange élégie, se fait l’écho d’un ange, un homme qui s’est éteint dans cette prison en lui laissant ses yeux. Ce livre est un chant dont la partition poétique autorise le motif en lui donnant parfois une douceur paradoxalement inconcevable. Un texte rare sur l’un des non-dits de la vie en Turquie. Extrait de la publication ASLI ERDOĞAN Aslı Erdoğan vit à Istanbul où elle intervient dans le champ politique, notamment pour défendre les droits de l’homme. Physicienne de formation, elle a travaillé au Centre européen de recherches nucléaires de Genève ; elle se consacre désormais à l’écriture. Ses livres sont traduits en Europe comme aux États-Unis. DU MÊME AUTEUR la ville dont la cape est rouge, Actes Sud, 2003. le mandarin miraculeux, Actes Sud, 2006. les oiseaux de bois, Actes Sud, 2009. je t’interpelle dans la nuit, Meet, 2009. Titre original : Taş Bina ve Diğerleri Éditeur original : Everest Yay, Istanbul © Aslı Erdoğan, 2009 publié avec l’accord de l’agence littéraire Pierre Astier & Associés © ACTES SUD, 2013 pour la traduction française ISBN 978-2-330-01693-7 Extrait de la publication ASLI ERDOĞAN Le bâtiment de pierre récit traduit du turc par Jean Descat ACTES SUD Extrait de la publication COMMENCEMENT Extrait de la publication COMMENCEMENT 7 Extrait de la publication Les faits sont patents, discordants, grossiers… Ils entendent parler fort. À ceux qui s’intéressent aux choses importantes, je laisse les faits, entassés comme des pierres géantes. Ce qui m’intéresse, moi, c’est seulement ce qu’ils chuchotent entre eux. De façon indistincte, obsédante. Je fouille parmi toutes ces pierres, en quête d’une poignée de vérité, ou du moins de ce qui, jadis, s’appe- lait ainsi, mais qui n’a plus de nom. Par-delà un éclair lumineux, je cherche, toujours plus pro- fond, avec l’espoir, si je reviens, de rapporter une poignée de sable qui glissera entre mes mains, je suis en quête de la chanson du sable. “Qui parle de l’ombre dit vrai.” La vérité dialogue avec les ombres. Aujourd’hui, je vais parler du bâtiment de pierre où le destin se cache dans un coin, où l’on observe à distance le revers des mots. Il a été construit bien avant ma naissance, il a cinq étages sans compter le sous-sol, et un escalier d’entrée. Si l’on veut écrire, on doit le faire avec son corps nu et vulnérable sous la peau… Les mots 8 Extrait de la publication Les faits sont patents, discordants, grossiers… Ils entendent parler fort. À ceux qui s’intéressent aux choses importantes, je laisse les faits, entassés comme des pierres géantes. Ce qui m’intéresse, moi, c’est seulement ce qu’ils chuchotent entre eux. De façon indistincte, obsédante. Je fouille parmi toutes ces pierres, en quête d’une poignée de vérité, ou du moins de ce qui, jadis, s’appe- lait ainsi, mais qui n’a plus de nom. Par-delà un éclair lumineux, je cherche, toujours plus pro- fond, avec l’espoir, si je reviens, de rapporter une poignée de sable qui glissera entre mes mains, je suis en quête de la chanson du sable. “Qui parle de l’ombre dit vrai.” La vérité dialogue avec les ombres. Aujourd’hui, je vais parler du bâtiment de pierre où le destin se cache dans un coin, où l’on observe à distance le revers des mots. Il a été construit bien avant ma naissance, il a cinq étages sans compter le sous-sol, et un escalier d’entrée. Si l’on veut écrire, on doit le faire avec son corps nu et vulnérable sous la peau… Les mots 9 ne parlent qu’avec les autres mots. Prenez un V, un I et un E et vous écrivez Vie. À condition de ne pas vous tromper dans l’ordre des lettres, de ne pas, comme dans la légende, laisser tom- ber une lettre et tuer l’argile vivante. J’écris la vie pour ceux qui peuvent la cueillir dans un souffle, dans un soupir. Comme on cueille un fruit sur la branche, comme on arrache une racine. Il te reste le murmure que tu perçois en plaçant contre ton oreille un coquillage vide. La vie : mot qui s’insinue dans ta moelle et dans tes os, murmure évoquant la douleur, son qu’em- plissent les océans. Un petit enfant a dit un jour : si tu ne pro- fites pas de la vie, c’est elle qui profitera de toi. C’était un enfant aux yeux noirs, né de l’union de deux ténèbres, qui a connu très tard le bâti- ment de pierre. Il n’a plus jamais eu peur, parce qu’il se rappelait sa première frayeur, ou peut- être parce qu’il l’avait oubliée… Il paraît qu’il riait pour un rien. Imaginez ceci : dans la rue qui mène au bâti- ment de pierre, il y a un café, devant le café, été comme hiver, se tient un homme. À l’inté- rieur du bâtiment, une immense cour. Bordant les escaliers qui entourent la cour, des fils de fer barbelés dépassant la taille d’un homme… Pour que personne ne se jette en bas. Parce que depuis deux ans la vie d’un homme a trop de valeur pour le laisser se fracasser sur les pierres. Dehors, un escalier de secours en colimaçon 10 Extrait de la publication
Description: