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La Vie secrète des arbres PDF

198 Pages·2017·1.42 MB·French
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Traduit de l’allemand par Corinne Tresca Avant-propos Quand j’ai commencé ma carrière de forestier, j’en savais à peu près autant sur la vie secrète des arbres qu’un boucher sur la vie affective des animaux. La sylviculture moderne produit du bois, en d’autres mots elle abat des arbres puis replante des jeunes plants. La lecture des revues spécialisées permet rapidement de comprendre que la bonne santé d’une forêt n’a d’intérêt que dans la mesure où elle participe d’une gestion optimale. Cette perception suffit également au quotidien du forestier qui finit par avoir une vision déformée des choses. Une large part de mon travail consistant à estimer les qualités intrinsèques ou la valeur marchande de centaines d’épicéas, de hêtres, de chênes ou de pins, je ne voyais les arbres que sous cet angle. Il y a une vingtaine d’années, j’ai commencé à organiser des stages de survie en forêt et des circuits «cabanes forestières» pour le public. Vinrent ensuite la création d’un cimetière forestier naturel1 et la mise en réserve de boisements où la nature allait pouvoir reprendre ses droits. Les nombreux échanges que j’ai pu alors avoir avec les visiteurs ont corrigé mon regard sur la forêt. Les arbres mal conformés ou noueux, que j’avais l’habitude de déclasser, suscitaient l’enthousiasme des promeneurs. À leur contact, j’ai appris à voir autre chose que les beaux troncs bien droits et à apprécier les racines aux formes étranges, les formations insolites, les coussins de mousse sur une écorce. L’amour de la nature, qui déjà tout gamin m’animait, se raviva. Je découvris soudain d’innombrables phénomènes extraordinaires dont l’explication m’échappait. À la même époque, l’université d’Aix-la-Chapelle, en Allemagne, a entamé un programme de recherches dans mon district. De nombreuses questions trouvèrent alors une réponse, et au moins autant de nouvelles surgirent. La vie de forestier redevint passionnante; chaque journée en forêt était l’occasion de découvertes. L’exploitation forestière dut adapter ses méthodes. Quand on sait qu’un arbre est sensible à la douleur et a une mémoire, que des parents-arbres vivent avec leurs enfants, on ne peut plus les abattre sans réfléchir ni ravager leur environnement en lançant des bulldozers à l’assaut des sous-bois. Cela fait déjà 20 ans que ces engins sont bannis de ma forêt. Si quelques troncs doivent néanmoins être récoltés, les ouvriers forestiers procèdent au débardage en douceur, avec des chevaux de trait. Une forêt en bonne santé, voire, osons le dire, une forêt heureuse, est nettement plus productive, donc plus rentable. L’argument a convaincu mon employeur, la commune de Hümmel, au point que ce minuscule village de l’Eifel2 entend bien ne jamais revenir à d’autres méthodes d’exploitation. Les arbres qui ne sont pas dérangés livrent toujours plus de secrets, en particulier ceux qui vivent dans les zones protégées de dernière génération où ils sont à l’abri de toute intervention humaine. Je ne cesserai jamais d’apprendre à leur contact, et pourtant, jamais je n’aurais rêvé découvrir autant de choses sous les couverts forestiers. Suivez-moi, partageons ensemble le bonheur que les arbres peuvent nous donner. Qui sait, lors d’une prochaine promenade en forêt, peut-être découvrirez-vous à votre tour quelque petit ou grand miracle. Amitiés Il y a longtemps de cela, alors que je parcourais l’une des anciennes réserves de hêtres de ma forêt, de curieuses pierres moussues ont attiré mon attention. J’étais assurément passé maintes fois à côté sans les remarquer, jusqu’à ce jour où je me suis arrêté et accroupi. Leur forme, en léger arc de cercle, était peu ordinaire. En soulevant un peu la mousse, je mis au jour de l’écorce. Ce que je croyais être des pierres était en fait du vieux bois. Le bois de hêtre pourrissant habituellement en l’espace de quelques années sur un sol humide, la dureté du morceau que j’examinais m’étonna. Surtout, je ne pouvais pas le soulever, il était solidement ancré dans le sol. Je grattai alors un petit morceau de cette écorce avec un canif et découvris une couche verte. Verte? Cette couleur n’apparaît que lorsqu’il y a présence de chlorophylle, soit dans les feuilles fraîches, soit stockée sous forme de réserve dans les troncs des arbres vivants. Une seule explication était possible: ce morceau de bois n’était pas mort! À y regarder de plus près, les autres «pierres» n’étaient pas disposées au hasard, mais formaient un cercle de 1,50 mètre de diamètre. Je me trouvais en présence des très anciens vestiges d’une immense souche d’arbre. Il ne subsistait que quelques fragments de ce qui avait jadis été l’écorce tandis que l’intérieur s’était depuis longtemps décomposé et transformé en humus, deux indices qui permettaient de conclure que l’arbre avait dû être coupé entre 400 et 500 ans auparavant. Mais comment était-il possible que des vestiges survivent aussi longtemps? Les cellules se nourrissent de sucres, elles doivent respirer, se développer, ne serait-ce qu’un minimum. Or, sans feuilles, donc sans photosynthèse, c’est impossible. Aucun des êtres vivants de notre planète ne résiste à une privation de nourriture de plusieurs centaines d’années, et cela vaut aussi pour les vestiges d’arbres, du moins pour les souches qui ne peuvent compter que sur elles-mêmes. À l’évidence, ce n’était pas le cas de celle-ci. Elle bénéficiait de l’aide que les arbres voisins lui apportaient par l’intermédiaire des racines. La transmission des substances nutritives s’effectue soit de façon diffuse par le réseau de champignons qui enveloppe les pointes des racines et contribue ainsi aux échanges, soit par un lien racinaire direct. Je ne pouvais savoir en présence de quelle forme de transmission je me trouvais, car je ne voulais pas causer de dommages à cette vénérable souche en fouillant le sol. Mais une chose était sûre: les hêtres environnants lui diffusaient une solution de sucre pour la maintenir en vie. On peut observer cette association des arbres par leurs racines au bord des chemins, là où la pluie a lessivé la terre des talus et mis au jour les systèmes racinaires. Des scientifiques ont constaté, dans le massif forestier du Harz3, en Allemagne, que la plupart des individus d’une même espèce et d’un même peuplement sont reliés entre eux par un véritable réseau. L’échange de substances nutritives et l’intervention des arbres voisins en cas de besoin seraient la norme. Il apparaît ainsi que les forêts sont des superorganismes, des organisations structurées comme le sont par exemple les fourmilières. Il est bien sûr légitime de se demander si les racines des arbres ne se développent pas au hasard dans le sol et ne s’associent pas simplement avec les congénères rencontrés sur leur chemin. L’échange de substances nutritives ne serait pas intentionnel et la structure en communauté sociale serait un leurre, puisque seules des transmissions fortuites seraient à l’œuvre. La belle image d’une entraide active céderait la place à la loi du hasard, qui serait toutefois également d’intérêt pour l’écosystème forestier. Le fonctionnement de la nature n’est pas aussi simple: les végétaux, par conséquent les arbres, sont parfaitement capables de distinguer leurs racines de celles d’espèces différentes et même de celles d’autres individus de la même espèce(1). Mais pourquoi les arbres ont-ils un comportement social, pourquoi partagent- ils leur nourriture avec des congénères et entretiennent-ils ainsi leurs concurrents? Pour les mêmes raisons que dans les sociétés humaines: à plusieurs, la vie est plus facile. Un arbre n’est pas une forêt, il ne peut à lui seul créer des conditions climatiques équilibrées, il est livré sans défense au vent et à la pluie. À plusieurs, en revanche, les arbres forment un écosystème qui modère les températures extrêmes, froides ou chaudes, emmagasine de grandes quantités d’eau et augmente l’humidité atmosphérique. Dans un tel environnement, les arbres peuvent vivre en sécurité et connaître une grande longévité. Pour maintenir cet idéal, la communauté doit à tout prix perdurer. Si chaque individu ne s’occupait que de lui-même, nombre d’entre eux n’atteindraient jamais un grand âge. Les morts successives provoqueraient de grandes trouées dans la canopée par lesquelles les tempêtes pourraient s’engouffrer et endommager la forêt. La chaleur estivale parviendrait au sol et le dessécherait. Tous les individus en souffriraient. Chaque arbre est donc utile à la communauté et mérite d’être maintenu en vie aussi longtemps que possible. Même les individus malades sont soutenus et approvisionnés en éléments nutritifs jusqu’à ce qu’ils aillent mieux. Une prochaine fois, peut-être les rôles s’inverseront-ils et ce sera l’arbre-soutien qui à son tour aura besoin d’aide. Les gros hêtres à l’écorce grise qui se protègent mutuellement me font penser aux éléphants vivant en troupeaux. Eux aussi défendent chacun des membres du groupe, eux aussi aident les malades et les moins vaillants à reprendre de la vigueur et ne laissent qu’à regret leurs morts derrière eux. Chaque arbre représente une part de la communauté, mais tous ne sont pas logés à la même enseigne. La plupart des souches pourrissent et se transforment en humus en quelques décennies (un laps de temps très court pour un arbre). Les individus qui survivent plusieurs siècles, comme ces «pierres moussues», ne sont que peu nombreux. Pourquoi une telle différence? Y aurait-il chez les arbres une société à deux vitesses? Le terme «vitesse» est impropre, mais l’idée est juste. En réalité, c’est du degré de lien, voire d’empathie que dépend la serviabilité des collègues. Levez les yeux vers les houppiers, au sommet du tronc, et vous l’observerez par vous-même. Un arbre ordinaire s’étale jusqu’à ce que sa ramure rencontre l’extrémité des branches d’un voisin de même envergure. Il ne peut pas aller plus loin, car l’espace aérien, ou plutôt l’espace lumineux, est déjà occupé. Mais il met une belle énergie à renforcer ses branches latérales, comme pour s’armer contre son voisin. En comparaison, deux véritables amis veillent d’emblée à ne pas déployer de trop grosses branches en direction de l’autre. Pour ne pas empiéter sur le domaine du partenaire, chacun développe son houppier exclusivement vers l’extérieur, vers des «non-amis». Ces couples sont liés si intimement par leurs racines qu’ils meurent parfois en même temps. Les belles amitiés qui vont jusqu’à alimenter une souche en substances nutritives s’observent uniquement dans les forêts naturelles. Il est possible que toutes les espèces pratiquent le même altruisme; pour ma part, j’ai rencontré de très anciennes souches encore vivantes de hêtres, mais aussi de chênes, de sapins, d’épicéas et de douglas. Les forêts plantées, comme le sont la plupart des forêts de conifères du centre de l’Europe, fonctionnent plutôt sur le schéma des enfants des rues dont nous parlerons plus loin. La plantation endommageant durablement les racines, elles peinent à se constituer en réseau. Les arbres de ces forêts sont des solitaires dont les conditions de vie sont particulièrement difficiles. Il est vrai qu’ils ne sont pas destinés à atteindre un âge canonique puisque, selon les espèces, leurs troncs sont déjà considérés comme matures et bons à être récoltés au bout d’une centaine d’années.

Description:
Les citadins regardent les arbres comme des "robots biologiques" conçus pour produire de l'oxygène et du bois. Forestier, Peter Wohlleben a ravi ses lecteurs avec des informations attestées par les biologistes depuis des années, notamment le fait que les arbres sont des êtres sociaux. Ils peuve
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