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La pierre du remords PDF

2021·0.43 MB·french
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Arnaldur INDRIDASON LA PIERRE DU REMORDS Traduit de l’islandais par Éric Boury Éditions Métailié 20, rue des Grands Augustins, 75006 Paris www.editions-metailie.com Retrouvez-nous sur les réseaux sociaux : Titre original : Tregasteinn © Arnaldur Indriðason, 2019 Published by agreement with Forlagið, www.forlagid.is Traduction française © Éditions Métailié, Paris, 2021 E-ISBN : 979-10-226-1108-4 1 Debout à la fenêtre du salon, le regard plongé dans la nuit, la jeune femme soufflait paisiblement la fumée de sa cigarette. La lumière allumée dans une autre pièce de l’appartement dessinait les contours de sa silhouette. Ses cheveux retombaient sur ses épaules, sa robe fourreau épousait parfaitement les lignes de son corps gracile. Elle avala une gorgée du verre qu’elle tenait à la main. Peut-être rentrait-elle d’une fête. Debout derrière la vitre, sa cigarette à la main, elle avait un air altier. Un homme apparut derrière elle, il s’avança, but une gorgée dans son verre, la prit dans ses bras et l’embrassa. La plupart des gens du quartier regardaient le quiz à la télé. Au rez-de- chaussée de la maison voisine, un couple de quinquagénaires suivait l’émission, assis dans son canapé. Le mari, chauve, ses lunettes sur le nez, était en chemise et avait desserré le nœud de sa cravate. Son épouse était blottie contre lui, les cheveux noués en queue-de-cheval. Elle bâilla, se leva pour gagner la cuisine, lava la vaisselle puis la rangea dans les placards. Tout à coup, exactement au même instant, tous deux levèrent les yeux au plafond. À l’étage du dessus, les gamins, deux garçons et une fille, jouaient dans le salon. Leur énorme collection de Lego éparpillés sur le sol, ils étaient en pleine construction, mais ils s’interrompirent subitement pour diriger leurs regards vers la porte de la cuisine. Leurs parents l’avaient fermée. Ils semblaient se disputer. Leur mère avait dit quelque chose, leur père s’était mis à hurler, il avait abattu son poing sur la table puis s’était avancé vers elle d’un air menaçant, prêt à la frapper. Dans le salon, l’aîné des garçons se redressa, abandonnant les Lego pour emmener son frère et sa sœur dans le couloir des chambres. Dans la cuisine, la dispute s’envenimait et, tout à coup, l’homme frappa sa femme. Au rez-de-chaussée, le mari cessa de se concentrer sur le programme télé, se leva du canapé et fixa le plafond, manifestement gêné par la querelle à l’étage du dessus. Sa femme interrompit elle aussi son activité et alla le rejoindre au salon. Il s’ensuivit une discussion où elle tenta de le convaincre de monter chez leurs voisins pour essayer de les calmer. À en juger par leur gestuelle, ce n’était pas la première fois que ce genre de chose se produisait. L’homme dans la cuisine hurlait toujours, il frappa à nouveau sa femme qui tomba à terre. Dans la maison voisine, les deux endimanchés s’embrassèrent avec une passion redoublée, la femme se mit à ôter la veste de l’homme. Il hésita un instant et regarda sa montre, comme s’ils manquaient de temps, comme s’ils risquaient d’être en retard et devaient se dépêcher de partir. Mais elle ne semblait pas vouloir renoncer, elle commença à lui déboutonner la chemise. L’instant d’après, sa robe tomba au sol, elle poussa l’homme qui se retrouva allongé de tout son long sur le canapé, le pantalon sur les chevilles. Il la regarda dégrafer son soutien-gorge, puis elle s’interrompit, alla à la fenêtre et tira les rideaux. Quelques instants plus tard, la lumière s’éteignit. L’homme dans la cuisine continuait à hurler, surplombant sa femme d’un air menaçant. Les enfants restaient silencieux. L’homme se raidit brusquement et tendit l’oreille. Il avait entendu un bruit. Sa femme gisait sur le sol, il la releva, lui remit un peu d’ordre dans les cheveux et lui fit signe de rester tranquille et de l’attendre. Elle portait une jupe grise et un chemisier blanc. Elle lissa sa jupe du plat de la main, son mari quitta la pièce et se rendit dans le couloir. Il inspecta le salon et constata que les enfants n’y étaient plus, il ne restait que leurs Lego éparpillés par terre. Puis son regard se fixa sur la porte d’entrée et il alla l’ouvrir tandis que son épouse restait prostrée, figée au pied de l’évier. Sur le pas de sa porte, la voisine du dessous tendait l’oreille d’un air extrêmement inquiet. Son mari venait de monter à l’étage où la femme battue se terrait dans sa cuisine, hésitant à sortir alors qu’elle n’avait que quelques pas à faire pour appeler au secours. Peut-être cette situation s’était-elle déjà présentée à plusieurs reprises. Les deux hommes discutaient sur le palier. Enfin, elle s’avança vers la porte de la cuisine, l’ouvrit et alla dans l’entrée. Tous deux se tournèrent et la regardèrent. Le fils aîné apparut dans le couloir et jeta un œil vers l’entrée. Son frère et sa sœur se tenaient derrière lui. Le voisin du rez-de-chaussée apostropha l’épouse qui se contenta de secouer la tête comme pour lui indiquer qu’il n’avait pas à s’inquiéter. Considérant que son voisin l’avait assez importuné, le mari tenta de refermer la porte, mais le visiteur ne semblait pas disposé à partir. Ils se disputèrent sous les yeux de la femme et des enfants. Les épais rideaux qui protégeaient les ébats du couple d’amoureux étaient parfaitement immobiles. L’époux perdait patience, il repoussa son voisin pour le forcer à quitter l’embrasure. Sa femme n’intervenait pas, elle restait silencieuse. Les enfants se réfugièrent dans les bras de leur mère. La voisine du dessous était toujours sur le pas de sa porte depuis lequel elle tendait l’oreille. Enfin, l’homme parvint à repousser son voisin dans la cage d’escalier et lui claqua la porte au nez. Il se retourna vers sa femme entourée de leurs enfants, les dévisagea tour à tour, puis disparut au fond du couloir. Dans un immeuble de l’autre côté de la rue, une femme en petite tenue se tenait le visage dans les mains, assise à la table de son salon, l’air profondément malheureux. Elle regardait régulièrement vers une autre pièce de l’appartement et semblait s’adresser à quelqu’un. Bientôt, un homme en pantalon noir et en pull apparut et l’embrassa sur la bouche. Il enfila sa veste. Elle le raccompagna à la porte et il se faufila dans la cage d’escalier. Tenant apparemment l’un comme l’autre à être discrets, ils s’employaient à ne pas être vus. Désormais seule dans l’appartement, la femme alla se rasseoir à la table du salon, mais elle semblait inquiète. Elle se releva, regarda sa montre, prit son portable, le consulta et le reposa. Dans l’appartement du dessus, une femme âgée regardait la télé, le visage éclairé par la lueur bleue de l’écran. Elle jeta un œil vers la porte d’entrée, se leva et alla d’un pas hésitant dans le couloir. Elle ouvrit sa porte et, sans qu’elle ait eu le temps de faire le moindre geste, un inconnu se jeta sur elle et la fit tomber. Il la regardait, penché au- dessus d’elle, on distinguait à peine sa silhouette dans l’obscurité. Quelques instants plus tard, un sac en plastique à la main, l’ombre parcourut fiévreusement l’appartement. Rapide comme l’éclair, l’homme alla de pièce en pièce, ouvrit les tiroirs et les placards avant de ressortir en courant dans l’escalier en prenant soin de refermer la porte. Le rideau s’ouvrit dans le salon du couple d’amoureux. Debout dans le noir, nue, la jeune femme fumait, le visage paisible, doucement éclairé par la braise rougeoyante de sa cigarette. 2 Marta se gara devant la porte et prit sa cigarette électronique. La scène se passait dans un de ces quartiers où alternaient immeubles, maisons jumelles, constructions à un étage abritant deux familles et pavillons occupés par des gens un peu plus aisés. Construit au début des années 70, le quartier était en net déclin. La police y intervenait parfois pour régler des problèmes de nuisances sonores et d’ivresse, et les tagueurs gribouillaient les murs à leur guise. Un certain nombre de vols avec effraction étaient régulièrement signalés, mais jamais ce quartier n’avait été le théâtre d’un crime aussi grave. Les habitants avaient été choqués lorsqu’ils avaient appris la nouvelle après avoir vu les voitures de police arriver toutes sirènes hurlantes en bas de l’immeuble, accompagnées par une ambulance et un véhicule de la Scientifique. Des policiers en uniforme étaient montés au premier étage où les flashs des appareils photo n’avaient pas tardé à crépiter. La vieille dame étant allongée derrière sa porte, il avait fallu enjamber son corps pour entrer dans l’appartement. Âgée d’environ soixante-dix ans, les cheveux presque totalement gris, vêtue d’un gilet, d’un chemisier et d’un pantalon marron, elle avait des lunettes attachées à une chaîne autour du cou et son visage témoignait de la violence de sa mort. Les yeux exorbités et la bouche grand ouverte, elle semblait avoir épuisé ses dernières forces en essayant d’aspirer un peu d’oxygène. Son appartement était sens dessus dessous. Les objets gisaient sur le sol, certains brisés, les tiroirs béaient, les livres des bibliothèques avaient été jetés par terre et les meubles renversés. Les tableaux sur les murs étaient de travers, mais apparemment aucun n’avait été volé. Debout à la porte de l’appartement, Marta sortit sa cigarette. Elle avait renoncé à ses fines mentholées, convaincue par l’argument que la clope électronique était bonne pour la santé. Son arôme préféré était la vanille, mais le goût avait peu d’importance tant que le taux de nicotine était suffisant. Cela lui procurait le plaisir escompté quand elle veillait à tirer assez fort sur la clope. Parfois, des panaches de vapeur dignes de ceux d’une centrale géothermique l’accompagnaient. – Tu ne pourrais pas nous épargner toute cette fumée ? demanda son collègue de la Scientifique, agacé. – Lâche-moi la grappe, rétorqua-t-elle en se tournant vers le médecin de district qui venait confirmer le décès. D’après toi, qu’est-ce qui a entraîné la mort ? – C’est évident, non ? Elle ne pouvait plus respirer. Elle est morte asphyxiée et c’est très récent, je dirais environ une demi-heure. Comment se fait-il que vous soyez arrivés si vite ? – Donc, si j’ai bien compris, on l’a étranglée ? – Non, disons que l’assassin lui a sans doute passé un sac en plastique sur la tête et l’a serré à la gorge à cet endroit, reprit le collègue en lui montrant une trace à peine visible sur le cou de la vieille dame. Elle s’est cassé les ongles en essayant de se défendre. Cela dit, l’autopsie nous dira ce qui s’est réellement passé. – Qui a appelé le commissariat pour nous prévenir ? demanda Marta. – Un correspondant anonyme, répondit le flic en faction dans le couloir, arrivé le premier sur les lieux. Il nous a signalé une agression en précisant que la victime était dans son appartement, sans doute blessée. – Est-ce qu’on peut retrouver ce correspondant ? – On m’a dit que ce serait compliqué. – Et si c’était l’assassin lui-même ? dit Marta comme en aparté. Qui sait s’il n’a pas été pris de remords. Peut-être qu’il ne voulait pas que les choses aillent aussi loin. Ses questions ne s’adressaient à personne en particulier et aucun de ses collègues n’était en mesure d’y répondre. L’événement était récent et il n’y avait aucun témoin en dehors de l’agresseur lui-même. Ou peut-être des agresseurs. Il était possible qu’ils aient été plusieurs et qu’ils aient décidé d’alerter la police. La victime avait ouvert sa porte sans se méfier et quelqu’un s’était jeté sur elle en la faisant tomber à terre. Ou bien elle avait tenté d’échapper à son agresseur et n’avait pas réussi à aller plus loin que le couloir. Si tel était le cas, elle l’avait probablement laissé entrer parce qu’elle le connaissait. Sa cigarette à la main, Marta gagna la cage d’escalier, regarda vers le haut puis vers le bas, descendit les marches jusqu’au rez-de-chaussée puis continua vers le sous-sol. Elle alluma la lumière dans le couloir sombre dont chaque côté était percé d’une enfilade de portes et au bout duquel se trouvait une vaste buanderie, avec une fenêtre à hauteur d’homme munie d’un loquet permettant de l’entrebâiller, qui donnait sur le grand jardin à l’arrière de l’immeuble. Les traces de chaussures et de terre sur le rebord indiquaient clairement que quelqu’un s’y était glissé récemment. – C’est donc par là que tu es entré, mon salaud, murmura Marta tout en relevant les indices. L’assassin n’avait pas agi dans la précipitation, il avait pris le temps de remettre le loquet en place, comme si cela suffisait à dissimuler ses traces. Marta essaya de distinguer les marques qu’il avait laissées dans l’herbe de l’autre côté de la fenêtre, mais il faisait nuit noire et elle n’y voyait rien. Elle remonta au premier étage et informa ses collègues de la Scientifique de l’existence de cette ouverture au sous-sol. Ils avaient enfilé leurs combinaisons blanches. L’un d’eux descendit. Quelques instants plus tard, ils autorisèrent Marta à entrer dans l’appartement si elle promettait de ne toucher à rien. Les habitants de l’immeuble avaient été priés de rester chez eux, mais quelques badauds s’étaient attroupés dans la rue. On descendit le corps de la septuagénaire par l’escalier pour le transférer à l’Hôpital national où il serait autopsié. Seul le prénom de la victime figurait à côté de la sonnette : Valborg. Marta examina le chaos de l’appartement. Elle était intervenue plus souvent qu’à son tour chez des victimes de vols avec effraction et, à première vue, ce qui s’était produit ici était au départ un simple cambriolage. L’individu avait cherché les objets de valeur jusque dans les moindres recoins sans épargner sa peine. Marta se demandait s’il était venu chercher un objet particulier. Une petite boîte à bijoux vide gisait sur le sol de la chambre. Il avait vidé le contenu d’un sac à bandoulière et l’avait éparpillé par terre, juste à côté d’un portefeuille d’où billets et cartes de paiement avaient disparu. Dans la salle de bains, l’armoire à pharmacie avait été nettoyée avec la même frénésie. Une boîte de médicaments vide était tombée dans la baignoire, un coupe-ongle et un flacon de savon liquide avaient atterri dans la cuvette des toilettes où flottait une plaquette d’Atacor, indiquant que la victime souffrait probablement d’un excès de cholestérol. Marta attrapa l’emballage dans la baignoire et constata que la septuagénaire était également suivie pour une affection plus sérieuse. Elle ne trouva pas de matériel informatique, ni ordinateur portable, ni PC de bureau, ni tablette numérique, ni même téléphone mobile. Elle supposa que la vieille dame n’était ni sur Facebook ni sur Twitter. Le vieux téléphone fixe posé sur un guéridon dans l’entrée était tombé par terre. Marta connaissait un certain nombre de personnes âgées qui ne voulaient pas d’ordinateur chez elles, persuadées que l’Internet était l’incarnation du mal. Elle se disait toutefois que la victime était bien trop jeune pour avoir refusé aussi radicalement la révolution numérique. Des papiers et des journaux jonchaient le sol à côté du bureau installé dans un coin du salon. Des ordonnances et des factures d’honoraires de spécialistes, toutes sortes de notes sur des bouts de papier, des listes de commissions et autres pense-bêtes reposaient sur le plateau du bureau ou étaient éparpillés par terre. Marta en ramassa quelques-uns qu’elle examina jusqu’à ce qu’elle tombe sur un numéro qui lui était familier. Aucun nom n’était précisé à côté. Elle le fixa un long moment en se demandant pourquoi la victime l’avait noté. Préférant obtenir une réponse sans attendre, elle saisit son portable et composa le numéro. Quelques instants plus tard, une voix connue répondit. – Konrad à l’appareil. – Je te dérange ? – Qu’est-ce qui se passe ? – Est-ce que tu connais une certaine Valborg ? – Non. – Il semble en tout cas qu’elle te connaisse, s’étonna Marta. – Ah bon ? Valborg ? Je ne me souviens pas… Il y eut un silence à l’autre bout de la ligne. – Si… attends, c’est une femme d’un certain âge ? reprit Konrad. – J’ai trouvé ton numéro sur son bureau. Elle est morte. – Morte ? – Oui. – Tu es chez elle ? Il lui est arrivé quelque chose ? Qu’est-ce que tu fais là- bas ? – On l’a cambriolée puis étouffée, sans doute à l’aide d’un sac en plastique, répondit Marta. – Je n’y crois pas ! – Tu la connais comment ? – Je ne la connais pratiquement pas, répondit Konrad. Marta percevait son émotion dans le combiné. – S’il s’agit bien de la même femme. Elle savait que j’avais été policier et elle a souhaité me voir, il doit y avoir disons deux mois et… Un sac en plastique, tu dis ? – Qu’est-ce qu’elle te voulait ?

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