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La Mitidja autogérée. Enquête sur les exploitations autogérées agricoles d’une région d’Algérie (1968-1970) PDF

390 Pages·1972·8.583 MB·French
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Claudine CHAULET LA MITIDJA AUTOGÉRÉE Enquête sur les exploitations autogérées agricoles d'une région d'Algérie, 1968-1970 Travail du Centre National de Recherches en Economie et Sociologie Rurales, I.N.R.A., M.A.R.A. AVER TISS EMENT La recherche dont les conclusions sont présentées dans les pages qui suivent a été menée en équipe dans le cadre du programme de travail du Centre National de Recherches en Economie et Sociologie Rurales (C.N.R.E.S.R.) de l’Institut National de la Recherche Agronomique d’Al­ gérie (Ministère de l’Agriculture et de la Réforme Agraire) dont je fais partie. Elle n’aurait pas été possible sans la collaboration amicale que nous ont apportée les services du Ministère de l’Agriculture et de la Réforme Agraire, en particulier la Direction de la Comptabilité et du Financement de l’Agriculture, la Direction des Etudes et de la Planification, la Direction de la Réforme Agraire, ainsi que la Direction de l’Agriculture de la Wilaya d’Alger et l’Union des Coopératives Agricoles de Comptabilité et de Ges­ tion de Blida. Les enquêtes ont été menées avec la participation d’étudiants de l'Université d’Alger, grâce aux crédits d’études attribués au C.N.R.E.S.R. par la Direction Générale du Plan. Je suis seule responsable de la mise en oeuvre des données, et des interprétations proposées. “La Mitidja Autogérée" a été soutenue comme thèse de doctorat de 3ème cycle de sociologie, le Professeur Jacques Berque étant rapporteur. Je remercie tous les camarades de l’I.N.R.A.A. et du Ministère qui m’ont aidée, tous les responsables qui se sont intéressés à cette recherche, tous les travailleurs qui ont fait l’effort de nous rendre accessibles leurs difficultés et leurs espoirs. C. C. 7 INTRODUCTION “Autogestion”: autour de cette idée s’organise à travers le monde l’espoir de travailleurs, de jeunes, d’intellectuels en quête d’un socialisme libérateur. L’Algérie est l’un des rares pays où ce mot désigne également une expérience concrète, un cadre juridique et un système de gestion qui con­ ditionnent la vie quotidienne d’une importante partie de la population 1. L’étude de l’autogestion algérienne présente donc un double intérêt, pratique et théorique. Nous l’avons abordée en sociologue, plus précisément dans l’optique de la sociologie rurale. Nous avons cherché à caractériser ces collecti­ vités rurales nouvelles que sont les “exploitations autogérées agricoles” et les relations que leurs membres entretiennent entre eux. D’autres approches sont possibles et nécessaires, d’autres aspects de l’autogestion algérienne ont été étudiés, ou le seront, des chercheurs de tous pays s’attachent à construire une théorie de l’Autogestion. Nous ne prétendons donc pas apporter de conclusions définitives —comment le seraient-elles d’ailleurs, alors que la réalité étudiée conti­ nue à se transformer?— mais contribuer à l’effort d’analyse et de réflexion que requièrent, et l’autogestion algérienne, et l’Autogestion. 1 1 Pour la clarté du texte, nous avons distingué typographiquement “l’Autogestion”, principe d’organisation de la société, de “l’autogestion”, réalité sociale algérienne. 9 INTRODUCTION Aux pieds de la montagne, la Mitidja, “la Plaine”, étale la géométrie de ses villages, de ses routes, de ses champs, de ses vignes et de ses plantations. Les ceps s’alignent en rangées interminables, les rangées succèdent aux rangées, entre elles des hommes avancent, penchés sur leur travail. Les murs des brise-vents cachent la masse compacte des orangers et les hommes qui en cueillent les fruits. Un tracteur seul parcourt inlassablement la longueur d’un rectangle de terre nue. Un grand panneau de bois annonce le nom d’un domaine; une orgueil­ leuse allée de palmiers conduit à la ferme: grande villa entourée d’arbres et de fleurs, cave, hangars, magasins, ateliers aux murs blancs et aux immenses toits de tuiles. La grande cour est vide, un gardien dirige le visiteur vers “le bureau”: quelques jeunes hommes y alignent des colon­ nes de chiffres et des listes de noms. Les murs sont couvertes de circulai­ res jaunies et de photos publicitaires. Il fait froid. Le Président et le chargé de gestion sont absents, “en réunion” ou “partis chercher une pièce”. Un enfant part à bicyclette chercher un “responsable”... La cour ne s’anime qu’à la fin du travail, mais chacun reprend vite son vélo pour rentrer à la maison, dans une “cité” monotone et misérable construite à l’écart, ou un groupe de gourbis alignés le long de l’oued. Les enfants jouent tout près, au milieu des tas de sarments et des ordures. Les femmes sont invisibles, mais la fumée au-dessus des cours annonce les galettes qui cuisent. Tout est “en ordre”. Les travailleurs ont fourni aujourd’hui leur part de travail, les vignes sont soignées, les oranges livrées, le matériel rangé. Us retrouvent la petite pièce froide, la galette et le plat de légumes, les enfants trop maigres, les dettes à payer, la femme résignée, le grand fils inoccupé, la fatigue du soir. Demain, ils repartiront soigner cette vigne inutile, ces orangers dont les beaux fruits se vendent si mal. “Et l’Autogestion, et-tasyîr edh-dhâti?” demandent les visiteurs. Ce mot, les travailleurs le connaissent, ils l’ont entendu à la radio ou dans des discours. Mais quel sens a-t-il pour eux? * »«* îJc Lorsque nous avons commencé nos premières enquêtes dans les exploitations autogérées agricoles, au cours du printemps 1966, nous n’imaginions certes pas que des décrets avaient suffi à transformer de façon radicale, en trois années seulement, la vie des travailleurs agricoles. 10 introduction Nous avons cependant été surpris de la faiblesse des changements que nous pouvions constater. D’autres que nous, journalistes en reportage, étudiants en stage, sont eux aussi rentrés déconcertés par la persistance de la misère et de la passivité. Malgré l’Indépendance, malgré V Autogestion, la ferme coloniale, “la terme française blasonnant le sol” 2 ne subsistait pas seulement en tant qu’appareil de production: les formes d’organisation du travail et les conditions de vie des travailleurs n’avaient pas été fondamentalement modifiées. Option fondamentale et constamment réaffirmée, l’Autogestion n’avait pas été le “chemin pratique pour changer la vie” 3. De cette constatation, de cette déception des travailleurs et de ceux qui voient dans l’Autogestion “un effort des hommes, là où c’est objecti­ vement possible, pour prendre en mains l’organisation de la quotidienneté, pour s’approprier leur propre vie sociale” 4, est née la recherche dont nous rendons compte ici. Comment dépasser le simple constat, situer les faits observés dans le contexte de la société algérienne, chercher les signes d’un avenir possible? L’ampleur et la diversité du “secteur socialiste agricole” —quelques 2.000 domaines employant 240.000 travailleurs sur 2.400.000 hectares 0 étalés d’un bout à l’autre du pays— rendaient hasardeuse une approche globale qui n’aurait pas été préparée par une définition des concepts, des hypothèses et des méthodes de recherche. Pour l’investigation préliminaire, nous avons éprouvé le besoin d’abou­ tir à la connaissance la plus complète possible de domaines, saisis à la fois comme unités de production et comme groupes sociaux, et dans leur évolution. Cette exigence impliquait le choix d’un nombre limité de points d’étude et une visée pluri-disciplinaire. Une équipe de travail fut progressivement constituée à partir de 1966 au sein du Ministère de l’Agriculture et de la Réforme Agraire. Son ob­ jectif initial était simple: les résultats financiers des exploitations autogérées agricoles étaient dans l’ensemble décevants, le système d’autogestion prévu par les textes fonctionnait mal, il s’agissait de déterminer les causes de cet 2 Jacques Berque: Le Maghreb entre deux guerres, p. 29. 3 Henri Lefebvre: Problèmes théoriques de l’autogestion, “Autogestion”, n° 1, déc. 1966, p. 69. 4 Ibidem, p. 66. 3 Source: Matériel agricole du secteur autogéré, “Statistique agricole”, n° 6, octo­ bre 1968, p. 16: 2.393.937 hectares pour 1948 “domaines”. Population et emploi dans l’agriculture, “Statistique agricole, études et enquêtes”, n° 6, février 1969, p. 10: travailleurs permanents 135.455; le nombre des saisonniers est estimé à 100.000 (“Statistique agricole”, n° 7, décembre 1968, p. 26). 12 I NT ROD UCTION état de fait et de proposer aux autorités responsables les mesures sus­ ceptibles d’y remédier. L’étude approfondie d’un nombre limité de domai­ nes avait pour but de compléter et d’éclairer les analyses globales qui avaient déjà été tentées et devaient être poursuivies. Cette étude se plaçait dans la perspective de la politique de décentralisation qui, en accordant une certaine autonomie aux domaines, leur reconnaissait la qualité de cen­ tres de décision de base: tout en cherchant à aboutir à des conclusions d’ordre général, l’étude se proposait de mettre au point une méthode de “conseil de gestion” qui permette l’intervention des agronomes et des économistes sans que l’autonomie des exploitations soit compromise. Le choix d’une recherche appliquée, dont les résultats devaient être rapidement utiles pour les domaines étudiés, a créé un climat favorable aux relations entre les travailleurs et les chercheurs: de véritables échan­ ges ont été établis, ceux qui fournissaient les renseignements et ceux qui les interprétaient n’ont pas perdu la conscience de leur responsabilité. Les objectifs retenus ont déterminé la façon d’aborder le “terrain”. Des domaines comparables entre eux ont été choisis dans le cadre d’une région relativement homogène: la Mitidja fut étudiée en premier à la fois pour des raisons de commodité, et pour le problème exemplaire qu’elle posait. Cette région riche, symbole de l’ancienne réussite coloniale, obtenait en effet des résultats financiers particulièrement décevants. Le programme d’ensemble, dont les étapes suivantes n’ont pas encore été abordées, comprend évidemment l’étude successive, ou si possible simul­ tanée, de plusieurs types de régions. La Mitidja fut définie sur la base des données agronomiques dispo­ nibles. Les domaines qui s’y trouvent furent répartis en strates selon les caractéristiques de leur plan de culture, et un échantillon de 39 domaines, représentant environ le tiers du total, fut constitué °. Les domaines choisis devaient être suivis systématiquement, tant du point de vue technique et économique que sociologique. Les objectifs ainsi réduits demeuraient ambitieux. Le Centre National de Recherches en Economie et Sociologie Rurales de l’Institut National de la Recherche Agronomique ne disposait au départ que de trois cher­ cheurs (deux agronomes, un sociologue) et un collaborateur pour la socio­ logie. Le recrutement ultérieur de deux nouveaux agronomes et de quelques techniciens ne suffisait pas à permettre la collecte et l’interprétation de tous les renseignements nécessaires, malgré la collaboration constante établie avec un économiste du ministère, et l’aide apportée par la Direction des Etudes et les services de la Direction Départementale de l’Agriculture. « 32 % du nombre et 30 % de la surface des domaines classés comme appar­ tenant à la Mitidja. 13 INTRODUCTION Nous avons cependant été surpris de la faiblesse des changements que nous pouvions constater. D’autres que nous, journalistes en reportage, étudiants en stage, sont eux aussi rentrés déconcertés par la persistance de la misère et de la passivité. Malgré l’Indépendance, malgré l’Autogestion, la ferme coloniale, “la ferme française blasonnant le sol” 2 ne subsistait pas seulement en tant qu’appareil de production: les formes d’organisation du travail et les conditions de vie des travailleurs n’avaient pas été fondamentalement modifiées. Option fondamentale et constamment réaffirmée, l’Autogestion n’avait pas été le “chemin pratique pour changer la vie” 3. De cette constatation, de cette déception des travailleurs et de ceux qui voient dans l’Autogestion “un effort des hommes, là où c’est objecti­ vement possible, pour prendre en mains l’organisation de la quotidienneté, pour s’approprier leur propre vie sociale” 4, est née la recherche dont nous rendons compte ici. Comment dépasser le simple constat, situer les faits observés dans le contexte de la société algérienne, chercher les signes d’un avenir possible? L’ampleur et la diversité du “secteur socialiste agricole” —quelques 2.000 domaines employant 240.000 travailleurs sur 2.400.000 hectares 5 étalés d’un bout à l’autre du pays— rendaient hasardeuse une approche globale qui n’aurait pas été préparée par une définition des concepts, des hypothèses et des méthodes de recherche. Pour l’investigation préliminaire, nous avons éprouvé le besoin d’abou­ tir à la connaissance la plus complète possible de domaines, saisis à la fois comme unités de production et comme groupes sociaux, et dans leur évolution. Cette exigence impliquait le choix d’un nombre limité de points d’étude et une visée pluri-disciplinaire. Une équipe de travail fut progressivement constituée à partir de 1966 au sein du Ministère de l’Agriculture et de la Réforme Agraire. Son ob­ jectif initial était simple: les résultats financiers des exploitations autogérées agricoles étaient dans l’ensemble décevants, le système d’autogestion prévu par les textes fonctionnait mal, il s’agissait de déterminer les causes de cet 2 Jacques Berque: Le Maghreb entre deux guerres, p. 29. 3 Henri Lefebvre: Problèmes théoriques de l’autogestion, “Autogestion”, n° I, déc. 1966, p. 69. 4 Ibidem, p. 66. 3 Source: Matériel agricole du secteur autogéré, “Statistique agricole”, n° 6, octo­ bre 1968, p. 16: 2.393.937 hectares pour 1948 “domaines”. Population et emploi dans l’agriculture, “Statistique agricole, études et enquêtes”, n° 6, février 1969, p. 10: travailleurs permanents 135.455; le nombre des saisonniers est estimé à 100.000 (“Statistique agricole”, n° 7, décembre 1968, p. 26). 12 I NT ROD UCTION état de fait et de proposer aux autorités responsables les mesures sus­ ceptibles d’y remédier. L’étude approfondie d’un nombre limité de domai­ nes avait pour but de compléter et d’éclairer les analyses globales qui avaient déjà été tentées et devaient être poursuivies. Cette étude se plaçait dans la perspective de la politique de décentralisation qui, en accordant une certaine autonomie aux domaines, leur reconnaissait la qualité de cen­ tres de décision de base: tout en cherchant à aboutir à des conclusions d’ordre général, l’étude se proposait de mettre au point une méthode de “conseil de gestion” qui permette l’intervention des agronomes et des économistes sans que l’autonomie des exploitations soit compromise. Le choix d’une recherche appliquée, dont les résultats devaient être rapidement utiles pour les domaines étudiés, a créé un climat favorable aux relations entre les travailleurs et les chercheurs: de véritables échan­ ges ont été établis, ceux qui fournissaient les renseignements et ceux qui les interprétaient n’ont pas perdu la conscience de leur responsabilité. Les objectifs retenus ont déterminé la façon d’aborder le “terrain”. Des domaines comparables entre eux ont été choisis dans le cadre d’une région relativement homogène: la Mitidja fut étudiée en premier à la fois pour des raisons de commodité, et pour le problème exemplaire qu’elle posait. Cette région riche, symbole de l’ancienne réussite coloniale, obtenait en effet des résultats financiers particulièrement décevants. Le programme d’ensemble, dont les étapes suivantes n’ont pas encore été abordées, comprend évidemment l’étude successive, ou si possible simul­ tanée, de plusieurs types de régions. La Mitidja fut définie sur la base des données agronomiques dispo­ nibles. Les domaines qui s’y trouvent furent répartis en strates selon les caractéristiques de leur plan de culture, et un échantillon de 39 domaines, représentant environ le tiers du total, fut constitué °. Les domaines choisis devaient être suivis systématiquement, tant du point de vue technique et économique que sociologique. Les objectifs ainsi réduits demeuraient ambitieux. Le Centre National de Recherches en Economie et Sociologie Rurales de l’Institut National de la Recherche Agronomique ne disposait au départ que de trois cher­ cheurs (deux agronomes, un sociologue) et un collaborateur pour la socio­ logie. Le recrutement ultérieur de deux nouveaux agronomes et de quelques techniciens ne suffisait pas à permettre la collecte et l’interprétation de tous les renseignements nécessaires, malgré la collaboration constante établie avec un économiste du ministère, et l’aide apportée par la Direction des Etudes et les services de la Direction Départementale de l’Agriculture. 6 6 32 % du nombre et 30 % de la surface des domaines classés comme appar­ tenant à la Mitidja. 13

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