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La construction du personnage subversif : norme et marginalité dans Baise-moi et Apocalypse ... PDF

103 Pages·2013·0.65 MB·French
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La construction du personnage subversif : norme et marginalité dans Baise-moi et Apocalypse bébé de Virginie Despentes Catherine Skidds Thèse soumise à la Faculté des études supérieures et postdoctorales dans le cade des exigences du programme de maîtrise en lettres françaises Département de français Faculté des arts Université d’Ottawa © Catherine Skidds, Ottawa, Canada, 2013 Résumé Virginie Despentes est une auteure française reconnue pour ses romans marginaux, caractérisés par leur représentation d’une réalité sociale peu conventionnelle. De manière à mieux comprendre son discours, nous étudierons la construction des personnages féminins aux comportements subversifs dans ses romans Baise-moi et Apocalypse bébé. Pour ce faire, nous aurons recours à l’essai théorique de Vincent Jouve intitulé L’effet-personnage dans le roman, dans lequel il définit divers régimes de lecture auxquels sont associés des effets de lecture suscités par les personnages. Nous procéderons dans un premier temps à une analyse comparative des aspects psychologiques, physiques et comportementaux des protagonistes des deux romans, en relation avec certains modèles conventionnels, afin d’identifier les diverses caractéristiques établissant leur statut de femmes marginales. Nous analyserons par la suite chacun des romans de façon à mettre en relief les différents mécanismes textuels concourant à la production de l’effet-personnage chez le lecteur. Nous étudierons plus particulièrement les répercussions du caractère non-conformiste des personnages de Despentes sur la création de cet effet-personnage.   ii Remerciements Je tiens d’abord à exprimer ma gratitude à mon directeur M. Michel Fournier, qui m’a accompagnée et conseillée avec une patience infinie tout au long de ce projet. Son tact, sa grande disponibilité et ses encouragements soutenus m’ont permis de mener à terme un projet pour lequel je me suis souvent crue inadéquate. Je veux également souligner le support inconditionnel de ma famille; Maman, Papa, Philippe, merci de m’avoir épaulée au cours de ces deux années, Lucie et Marcel, merci de m’avoir guidée dans les dédales de la vie universitaire. Marie, mon homologue du losange, merci de m’avoir écoutée, réconfortée et encouragée toutes ces fois où j’ai frappé un mur. Ann et Ruth, nos journées d’étude remplies de fous rires, même tard le dimanche soir, ont rendu mon travail de rédaction autrement plus agréable. Christian, Sarah, Ysabelle, bonne chance et encore merci d’avoir rendu ces deux années à Ottawa aussi spéciales. Merci également à tous les autres, je n’aurais pas pu y arriver sans votre confiance en moi.   iii INTRODUCTION Le mouvement féministe a connu de nombreuses métamorphoses depuis ses débuts, tâchant de s’adapter aux différents besoins et aux diverses préoccupations de la société. C’est pourquoi les causes endossées par ses représentantes tendent de plus en plus à se diversifier, bien que la mission première du féminisme demeure la même, c’est-à-dire atteindre l’égalité des sexes grâce à l’acquisition de droits par les femmes. Les discours féministes s’ouvrent à la multiplicité afin d’intégrer dans leur mouvance les groupes minoritaires qui avaient malencontreusement été laissés de côté. Cette prise de conscience ayant mené à un souci accru de l’inclusion de toutes les différentes expressions de la féminité1, plusieurs auteures ont cherché à donner à ces exclues une place dans la culture, à la fois dans les œuvres de fiction et dans les ouvrages théoriques. Judith Butler, dont l’essai intitulé Trouble dans le genre2 demeure à ce jour une œuvre de référence en ce qui concerne les théories des identités sexuées, est une philosophe et théoricienne féministe qui s’est penchée sur cette question. Dans cet essai, elle relève le paradoxe suivant dans la démarche de certains groupes féministes : en voulant définir une « femme-sujet », c’est-à-dire établir une représentation universelle de la femme et de ses revendications, le féminisme est plutôt parvenu à exclure certains types de femmes de sa représentation qui se voulait pourtant unificatrice. Parallèlement à ces observations sur la création d’une étiquette de genre qui se veut « universalisante », Butler approfondit sa réflexion sur le principe de construction de l’identité, suggérant que les catégories sociales                                                                                                                 1 À savoir les femmes homosexuelles, transsexuelles, « de couleur », handicapées, etc. 2 Judith Butler, Gender trouble: Feminism and the Subversion of Identity, New York, Routlegde, coll. « Routledge classics », 2006 [1999].   1 « femme » et « homme » sont de fausses coquilles fabriquées de toutes pièces dont la signification « originale » varie d’ailleurs d’une culture à l’autre. Les personnes rejetant la binarité de l’identité sexuelle permettent de remettre en question ces catégories artificielles. Ce nouveau mode de définition de l’identité s’observe également dans la littérature de langue française, où plusieurs écrivaines font éclater, chacune à leur façon, les frontières déjà mises en place. La parole est donnée à ces femmes d’un nouveau genre, et celles-ci bénéficient d’un nouvel espace où s’exprimer, avec un public pour les lire. Certaines auteures verseront à la fois dans la théorie et la fiction, pensons entre autres à Nicole Brossard et à Monique Wittig, qui publient des deux côtés de l’océan Atlantique des œuvres donnant une voix aux lesbiennes, dont la présence en littérature s’était jusque-là faite très discrète. Les œuvres de fiction de ces deux auteures jouent également avec les règles et conventions régissant l’écriture, et s’accompagnent de publications plus théoriques où elles développent une réflexion féministe en ce qui a trait à la place des femmes dans la littérature et en société. Virginie Despentes s’inscrit également dans une telle mouvance, publiant en 2004 un essai autobiographique intitulé King Kong Théorie3, qui étudie précisément quelques figures féminines marginalisées. Cet essai établit certains principes de base de l’idéologie que Despentes adopte en ce qui concerne les rouages de la société et confirme son intérêt pour une classe différente de femmes, c’est-à-dire celles qui ne s’inscrivent pas dans cet idéal de femmes que l’on trouve habituellement dans la littérature, désignée par l’auteur comme « le marché de la bonne meuf4 ». Grâce à ses écrits tant fictionnels que théoriques, Despentes s’est rapidement imposée comme porte-parole des femmes dont la voix peine encore à se faire entendre. Elle écrit,                                                                                                                 3 Virginie Despentes, King Kong Théorie, Paris, Grasset, coll. « Le livre de poche », 2006. 4 Ibid., p. 9.   2 pour reprendre ses paroles, « de chez les moches, pour les moches5 », créant des personnages dans lesquels elles peuvent se reconnaître. Despentes leur garantit par le fait même une place dans la littérature, autrement majoritairement composée de femmes dont la perfection intimide parce qu’elle semble impossible à atteindre. C’est dans cette optique que nous nous intéresserons plus particulièrement aux protagonistes féminins de deux romans marquants de la carrière de Virginie Despentes, Baise-moi et Apocalyse bébé, afin de montrer de quelle façon la marginalité de ces femmes exclues par la société est traduite au sein des récits. Pour ce faire, nous procéderons dans un premier temps à une étude comparative des duos de personnages principaux de chacun des romans, une démarche qui permettra de répertorier les différents aspects par lesquels leur marginalité se manifeste de la façon la plus explicite. Notre analyse prendra ensuite la forme d’une étude approfondie des personnages principaux féminins dans chacun des romans, que nous réaliserons en nous référant à la théorie de l’« effet-personnage » développée par Vincent Jouve. Cette analyse nous permettra, pour chaque roman, non seulement de révéler les procédés littéraires employés par l’auteure lors de la construction de ses personnages, mais également d’étudier leur impact sur la relation entre le lecteur et les êtres fictionnels que celui-ci découvre. C’est donc à partir de l’analyse de ces deux romans que nous parviendrons à montrer dans quelle mesure la construction des personnages marginaux chez Virginie Despentes remet en question la conception habituelle de l’identité féminine. Les deux œuvres romanesques retenues pour notre étude sont Baise-moi6, premier roman de Virginie Despentes, et Apocalype bébé7, sa plus récente publication. Baise-moi                                                                                                                 5 Virginie Despentes, ibid., p. 9. 6 Virginie Despentes, Baise-moi, Paris, Éditions J’ai lu, coll. « Nouvelle génération », 1999 [1993]. Désormais les références à ce roman seront indiquées par le sigle BM, suivi du folio et placées entre parenthèses dans le texte.   3 raconte l’histoire de deux jeunes femmes, Nadine et Manu, issues de milieux défavorisés et dont les chemins se croisent après qu’elles ont commis un meurtre chacune de leur côté. Elles prennent la fuite ensemble, tuant et volant impunément certains individus rencontrés en route. Leur but est de parvenir à survivre aussi longtemps que possible afin d’accomplir leur mission : satisfaire les dernières volontés d’un ami de Nadine, mort assassiné. Dans Apocalypse bébé, d’ailleurs couronné du prix Renaudot en 2010, Despentes adopte un point de vue qui semble de prime abord plutôt situé du côté des forces de l’ordre, alors que ses deux personnages féminins travaillent pour une agence de détectives afin de retrouver une jeune adolescente rebelle en fuite. Cette impression est toutefois contrecarrée à la fois par l’adhésion des deux protagonistes à des codes culturels non représentatifs de la norme et par leur recours à des méthodes frôlant l’illégalité. Chacun de ces romans fait entrer le lecteur en contact avec des femmes ayant été exclues par la société, qui non seulement se refusent à toute tentative de normalisation, mais adoptent même ce rejet en s’inscrivant autant que possible dans des lignes de conduite qui vont à l’encontre des codes de vie en société. Ce rejet des conventions se manifeste également dans les deux romans à l’étude par un détournement des caractéristiques masculines/féminines, alors que les duos d’héroïnes mis en scène par Despentes s’approprient des gestes habituellement associés à la gent masculine. Ce code de conduite n’est pas sans rappeler la théorie développée par Butler, puisque les personnages féminins despentiens vivent selon leur propre conception de ce qu’être femme signifie, au détriment de ce que la société bien pensante admet comme définition. Les deux romans retenus traitent toutefois l’anticonformisme des personnages de façon différente. En effet, alors que dans                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         7 Virginie Despentes, Apocalypse bébé, Paris Grasset, 2010. Désormais les références à ce roman seront indiquées par le sigle AB, suivi du folio et placées entre parenthèses dans le texte.   4 Baise-moi la subversion s’exprime principalement par le recours à la violence, la pornographie et la culture punk, celle-ci est beaucoup plus subtile dans le dernier roman, Apocalypse bébé, et se manifeste dans la représentation d’une minorité : les femmes homosexuelles, dont le personnage de La Hyène est le principal vecteur. Notre choix de retenir la première et de la dernière œuvre – à ce jour – de Virginie Despentes s’explique par le parallèle très fort qui existe entre elles. Les textes retenus prennent tous deux la forme d’un roman policier dans lequel sont exposés les déboires d’un duo de femmes singulières, qui renversent chacune à leur façon les représentations de ce qui est généralement considéré comme « la norme ». Toutefois, si les deux romans recoupent sensiblement les mêmes enjeux et les mêmes thèmes particulièrement chers à l’auteure, une transformation s’observe dans le traitement du propos; alors que les scènes de violence et de sexualité s’adoucissent, le rapport à l’homosexualité chez les deux protagonistes, lui, s’affirme. Notre réflexion prendra la forme d’une étude des personnages selon la théorie développée par Vincent Jouve, qui prend ses sources dans la théorie de la lecture et de la réception. Nous serons donc amenés à effectuer une analyse des mécanismes du texte permettant l’actualisation de divers « effets-personnages » que l’auteure parvient à susciter chez le lecteur, et ce, malgré la marginalité parfois déroutante des personnages principaux de ses romans. La méthode d’analyse proposée par Vincent Jouve dans son essai théorique intitulé L’effet-personnage8, bien que fortement influencée par les théories structuralistes l’ayant précédée, s’enrichit d’un nouvel aspect que ses prédécesseurs avaient laissé de côté : le                                                                                                                 8 Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Écriture », 1992.   5 lecteur. En effet, les théories du personnage déjà développées avaient comme source première la pensée formaliste russe, qui ne considérait le personnage que comme un élément, une fonction, du texte. Cette conception du personnage a donc donné lieu d’abord à des théories structuralistes (Greimas, Barthes, Todorov), qui n’étudiaient les êtres fictionnels que selon leur rôle et leur fonction au sein du roman, puis à une théorie fortement influencée par la linguistique où le personnage était considéré comme un ensemble de signifiants textuels (Hamon). S’inscrivant dans cette lignée de penseurs, mais s’inspirant des nouvelles théories de la lecture et de la réception, Jouve introduit un nouvel élément d’analyse qu’il nomme l’« effet-personnage ». L’étude de ce nouvel aspect du personnage nécessite d’interroger l’interaction entre ce dernier, le lecteur, l’auteur ainsi que le narrateur, dans une moindre mesure. La posture de Jouve dans la discussion entourant cette problématique littéraire s’oppose à celle de ses prédécesseurs (Barthes, Greimas, Hamon) en ce qu’elle n’est pas immanentiste9, mais qu’elle considère plutôt que le personnage possède une dimension « psychologique », fruit du travail combiné de création de la part de l’auteur et de réappropriation des signifiés par le lecteur. Une telle méthode peut soulever des critiques concernant la subjectivité relative de certains éléments d’analyse, c’est pourquoi Jouve propose de s’intéresser au lecteur implicite tel qu’il est construit par le texte grâce à différents indices textuels concrets. Pour ce faire, il s’inspire de la typologie des niveaux de lecture développée par Michel Picard10 dans son ouvrage intitulé La lecture comme jeu11, qui distingue trois niveaux différents d’implication du lecteur : le liseur, le lectant et le lu. De ces trois niveaux, Jouve en retiendra deux, le                                                                                                                 9 Vincent Jouve, op. cit., p. 9. 10 Ibid,, p. 81. 11 Michel Picard, La lecture comme jeu : essai sur la littérature, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1986.   6 lectant et le lu, qu’il modifiera afin d’obtenir une typologie mieux adaptée au développement de sa théorie. À chaque niveau de lecture est également associé un « effet » résultant de l’interaction entre l’instance lectrice et le personnage. Tous ces modes sont présents en même temps chez le lecteur, mais à divers degrés, et leur sollicitation chez le lecteur fluctue selon le type de scène lue. Comme ces régimes de lecture seront à la base de la réflexion développée dans notre thèse, il importe de mieux en définir les tenants et aboutissants. Jouve conserve la notion de lectant empruntée à la théorie de Picard, qu’il divise toutefois en deux sous-catégories, soit le lectant jouant et le lectant interprétant. Ce niveau implique une très grande distanciation entre le texte et le lecteur qui provoque une lecture et une préhension critique et avertie des personnages. C’est à ce niveau de lecture que le lien entre l’auteur et le lecteur est le plus concret, puisque ce dernier tentera de déterminer l’idéologie qui sous-tend le texte, au moyen des divers indices que l’auteur a disséminés dans celui-ci. Les deux catégories de ce régime de lecture, le lectant interprétant et le lectant jouant, produisent l’une comme l’autre ce que Jouve nomme l’« effet-personnel ». Elles sont néanmoins distinguées l’une de l’autre, car bien qu’elles exigent la même distanciation de la part du lecteur, elles recouvrent deux aspects légèrement différents de l’acte de lecture. Le rôle du lectant interprétant est de chercher d’abord et avant tout à décoder le message idéologique que l’auteur tente de transmettre à travers son personnage. Le lectant jouant, quant à lui, prend le personnage et les informations données comme autant d’indices à déchiffrer afin de parvenir à prédire le déroulement de l’histoire. Le personnage devient ainsi une sorte de pion puisqu’il est ramené à sa fonction purement textuelle. Ce régime de lecture est fortement lié à l’horizon d’attente du lecteur, puisque le lectant jouant se sert des   7

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aux comportements subversifs dans ses romans Baise-moi et Apocalypse bébé 7 Virginie Despentes, Apocalypse bébé, Paris Grasset, 2010. d'origine arabe, qui se fait la réflexion que « [j]amais, de sa vie, elle n'avait eu
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