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La belle année PDF

193 Pages·2012·0.86 MB·French
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Couverture Hubert Michel Illustration de bande : © Paul Chinn / San Francisco Chronicle / Corbis © Éditions Stock, 2012 ISBN 978-2-234-07212-1 www.editions-stock.fr DU MÊME AUTEUR L’École de la dernière chance, un an en classe-relais, Stock, 2005 Le Musée de la Sirène, roman, Stock, 2005 Le Corps de Liane, roman, Stock, 2007 Le Film, roman, Stock, 2009 Pour mes deux amours, le très grand et le minuscule. Pour tous les Dyonisiens avec mes remerciements chaleureux à Samir et Gwenaëlle et une pensée particulière pour Amandine, Achraf, Nawël, Jennifer, Soria, Abilio, Mounia et Muriel. Quand nous chanterons le temps des cerises, Et gai rossignol, et merle moqueur Seront tous en fête ! Les belles auront la folie en tête Et les amoureux du soleil au cœur ! Quand nous chanterons le temps des cerises Sifflera bien mieux le merle moqueur ! Jean-Baptiste Clément Automne Je m’appelle Tracey Charles et j’ai onze ans. Je viens d’entrer en sixième au collège Jean-Lurçat qui se trouve tout près de mon ancienne école. L’école des Cosmonautes est la plus pourrie de la ville, tout le monde le dit. J’habite Saint-Denis depuis toujours. Je suis née en 1997 à l’hôpital Delafontaine qui est à deux cents mètres de l’école des Cosmonautes et à quatre cents mètres de mon collège. Cet hôpital a la plus mauvaise réputation du département. Il paraît que des trucs bizarres se passent dans les sous-sols. On raconte des histoires de bébés morts et de femmes à huit bras. Mais cette dernière partie est fausse, évidemment. Certaines personnes peuvent naître avec un tout petit bras minuscule sur le côté genre pince de crabe, mais c’est tout. Il ne faut pas non plus prendre les gens pour des imbéciles. Sans vouloir me vanter, je suis intelligente. En CM2, j’avais des vingt sur vingt dans toutes les matières et j’étais tellement rapide qu’au bout de deux minutes j’avais fini tous les exercices prévus pour une heure. Du coup, la maîtresse me donnait d’autres trucs plus difficiles. Mais ses trucs plus difficiles, je les finissais en dix minutes et après je restais les bras croisés jusqu’à la récréation. Le problème était d’autant plus embêtant que je bavarde quand je n’ai rien à faire. Ou plutôt je bavardais, car on parle de l’année dernière, une époque où je n’étais pas encore mûre. Pour prévenir les débordements, la maîtresse m’avait placée loin de mon copain Cosimo. À l’autre bout de la classe. Cosimo est mon meilleur ami depuis le CP. Je précise qu’il est homosexuel et moi aussi. Forcément, ça crée des liens. Et puis il déteste son beau-père, tout comme moi. *** Depuis février 2007, maman sort avec un Japonais qui s’appelle Takashi. Avec sa tête d’œuf et ses yeux de chien, Takashi a le physique le plus ingrat que je connaisse. Et quand il essaie de parler français, c’est pire ! Il force comme un malade pour sortir les sons, on a l’impression qu’il va vomir. En plus, ce n’est pas pour autant qu’il parle bien : la moitié du temps, on ne comprend rien à ce qu’il raconte. Maman prétend qu’elle comprend, mais je pense qu’elle ment. Quand Takashi articule « pulé » à table, comment elle peut savoir s’il veut dire « poulet » ou « purée » ? D’après moi, il n’y a aucun moyen. Et c’est juste un exemple parmi d’autres. Des anecdotes comme ça, je pourrais en trouver des milliers. *** Maman attend un enfant de Takashi. La naissance est prévue pour le mois de mars. Je suis sûre que le bébé aura une tête de monstre. Avec le père qu’il a, c’est inévitable. Mon père à moi s’appelle Stéphane Charles. Il vit à six cents mètres de chez nous, dans une tour de la cité des Cosmonautes. Je vais le voir une à deux fois par semaine dans son minuscule F2. Papa ne met quasiment plus le nez dehors. Il a d’ailleurs perdu son travail à cause de ça, parce qu’il n’arrivait plus à prendre le tramway jusqu’au stade Géo-André de La Courneuve dont il était censé nettoyer les vestiaires. Il a des copains qui lui proposent des balades jusqu’au Stade de France ou des parties de foot sur les terrains synthétiques de Marville, mais il refuse toujours de les suivre. « Passez plutôt à la maison, il dit. J’ai de la bière, des chips et des Magnum vanille. » La moitié du temps, ses copains acceptent, mais l’autre moitié du temps ils partent de leur côté et papa se retrouve seul avec ses livres sur le Portugal et sa télé. *** Cosimo a beau connaître par cœur le fonctionnement du système solaire, lire un à deux romans par semaine, ne jamais faire de fautes d’orthographe et passer des heures à méditer sur des questions du genre « quand une pièce est vide avec personne pour voir ce qu’il y a dedans, est-ce qu’elle existe quand même ? », il est nul en classe. Dès qu’on lui impose une consigne, c’est le blocage. L’autre jour, en cours d’anglais, deux filles se sont moquées de lui et j’ai dû intervenir. Moi, personne n’ose m’embêter : les gens ont peur que je me mette en colère. Pourtant, je me contiens depuis que je suis à Jean-Lurçat. Mais les gens ont peur quand même à cause de ma réputation. *** L’année dernière, un cochon en tissu fabriqué par la grand-mère de Takashi trônait sur le meuble de l’entrée. Le 31 décembre, Takashi l’a remplacé par une souris. J’ai compris plus tard que c’était parce qu’on entrait dans l’année du Rat. Ça m’a fait drôle de voir disparaître le cochon. Je me suis rendu compte que son groin multicolore et les boutons noirs de ses yeux me plaisaient. Alors j’ai fouillé dans les affaires de Takashi et je me suis emparée de l’animal. Hélas, maman m’a surprise. « Présente des excuses à ton beau-père ! elle a grondé. – Non », j’ai répondu. Déjà, demander pardon à quelqu’un qui ne comprenait pas le français, je trouvais ça bête. Ensuite, c’était Takashi qui habitait chez nous et pas le contraire. Donc pourquoi je me serais gênée ? J’ai rendu le cochon uniquement pour éviter la pluie de gifles que me promettait maman. *** Notre prof de français, mademoiselle Kuntz, porte toujours des coiffures extraordinaires, de longues jupes à perles et des bijoux étincelants. Certains garçons la charrient à cause de ses tenues. D’une manière générale, les élèves de ma classe n’ont pas de respect. Ils se permettent des trucs avec la prof parce qu’elle est jeune et qu’elle passe son temps à dire des phrases douces et gentilles du genre « prenez vos cahiers de texte, s’il vous plaît », « tu peux t’arrêter de lire, merci beaucoup » et « j’aimerais rencontrer tes parents si tu es d’accord ». Ça me peine de la voir galérer, alors je l’aide. Je crie sur ceux qui fichent le bazar, je tape sur la table avec ma règle. Les trois quarts du temps, ma méthode fonctionne. Les perturbateurs se calment jusqu’à la séance suivante. Rabah est l’élève le plus pénible de notre classe. Beaucoup de personnes le craignent, mais moi j’ai du mal à le prendre au sérieux à cause d’une histoire qui remonte au CE1. La maîtresse madame Saint- Josse nous avait emmenés à la piscine et il avait fait caca dans l’eau ! « Quand on n’est même pas capable d’être propre à ton âge, c’est qu’on a un problème mental ! avait lancé la prof de piscine, une vieille blonde avec des poils qui lui sortaient du maillot. Aucun élève de notre école primaire n’a l’air de se rappeler cette scène. Le manque de mémoire des gens m’étonnera toujours. À leur place, j’aurais l’impression d’être une amibe. – Tracey se souvient de tout, y compris de la couleur du PQ qu’on avait dans les cabinets le 16 avril 2001 ! » ironise maman. Elle adore se moquer de moi. C’est une habitude et un sport pour elle. *** La plupart des profs sont tellement dépassés par les élèves difficiles qu’ils ne font même plus attention aux autres, ceux qui ont fini leurs exercices et qui regardent le plafond. Surtout le prof de techno. Rabah et son copain Jordan lui lancent des bouts de gomme, des boulettes de papier, des morceaux de craie, et lui il reste les bras ballants au lieu de confisquer les carnets et de mettre des heures de colle. Ce prof s’appelle monsieur Debeuny mais tout le monde l’appelle Bugs Bunny. Les garçons lui crient : « Eh ! Bugs, t’as oublié ta carotte ! » Je trouve cette réplique débile. Avec Cosimo, on méprise les types de notre classe. Ils sont tous crétins sauf Lucas Morizet qui est cool. Cosimo a un faible pour Lucas : je l’ai remarqué à la voix bizarre qu’il prenait pour lui demander son taille-crayon. Comme Lucas est sympa, il ne dit rien, il prête juste le taille-crayon. Mais je suis convaincue qu’il a remarqué le manège de Cosimo. ***

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